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prêt, toutes et quantes fois il plaira au roi de choisir quelques-uns de ses membres pour s'occuper des affaires du royaume. L'Université et le corps de la ville sauront bien ne faire nulle chose qui ne soit à faire. »

Ce refus du Parlement de prendre part à la révolution devait la rendre violente et impuissante. Paris et l'Université pouvaient dès lors faire ce qu'ils voulaient, obtenir des réformes, de belles ordonnances; il n'y avait personne pour les exécuter. Il faut aux lois des hommes pour qu'elles soient vivantes, efficaces. Le temps, les habitudes, les mœurs, peuvent seuls faire ces hommes.

Je dirai ailleurs tout au long ce que je pense du Parlement, comme cour de justice. Ce n'est pas en passant qu'on peut qualifier ce long travail de la transformation du droit, cette œuvre d'interprétation, de ruse et d'équivoque 1. Qu'il me suffise ici de regarder le Parlement du point de vue extérieur, et d'expliquer pourquoi un corps qui pouvait agir si utilement refusa son concours.

Le Parlement n'avait pas besoin de prendre le pouvoir des mains de l'Université et du peuple de Paris; le pouvoir lui venait invinciblement par la force des choses. Il craignit avec raison de compromettre, par une intervention directe dans les affaires, l'influence indirecte, mais toute-puissante, qu'il acquérait chaque jour. Il n'avait garde d'ébranler l'autorité royale, lorsque cette autorité devenait peu à peu la sienne.

La juridiction du Parlement de Paris avait toujours gagné dans le cours du XIVe siècle. Ceux qui avaient le plus réclamé contre elle finissaient par regarder comme un privilége d'être jugé par le Parlement. Les églises et les chapitres réclamaient souvent cette faveur.

Suprême cour du roi, le Parlement voyait, non-seulement les baillis du roi et ses juges d'épée, mais les barons,

1 App., 128.

les plus grands seigneurs féodaux, attendre à la grand'salle et solliciter humblement. Récemment il avait porté une sentence de mort et de confiscation contre le comte de Périgord . I recevait appel contre les princes, contre le duc de Bretagne, contre le duc d'Anjou frère du roi (1328, 1371). Bien plus, le roi, en plusieurs cas, lui avait subordonné son autorité même, lui défendant d'obéir aux lettres royaux, déclarant en quelque sorte que la sagesse du Parlement était moins faillible, plus sûre, plus constante, plus royale que celle du roi 2.

« Le Parlement, dit-il encore dans ses ordonnances, est le miroir de justice. Le Châtelet et tous les tribunaux doivent suivre le style du Parlement. »

Admirable ascendant de la raison et de la sagesse ! Dans la défiance universelle où l'on était de tout le reste, cette cour de justice fut obligée d'accepter toute sorte de pouvoirs administratifs, de police, d'ordre communal, etc. Paris se reposa sur le Parlement du soin de sa subsistance; le pain, l'arrivage de la marée, une foule d'autres détails, la surveillance des monnayeurs, des barbiers ou chirurgiens, celle du pavé de la ville, ressortiront à lui. Le roi lui donna à régler sa maison 3.

Les seules puissances qui résistassent à cette attraction, c'étaient, outre l'Université, les grandes cours fiscales, la Chambre des comptes, la Cour des aides. Encore voyonsnous, dans une grande occasion, qu'il est ordonné aux réformateurs des aides et finances de consulter le Parlement. On croit devoir expliquer que si les maîtres des comptes sont juges sans appel, c'est « qu'il y aurait inconvénient à transporter les registres, pour les mettre sous les yeux du Parlement 7. >>

1 App., 129. - V. Ordonnances, passim, particulièrement aux années 1344, 1359, 4389, 1400. — 3 Ord., ann. 1358, 1369, 1372, 1382. 4 Ord., ann. 1366.

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Ord., ann. 1374. - Ord, ann. 1108.

Il fut réglé en 4388 et 1400, ordonné de nouveau en 1413, que le Parlement se recruterait lui-même par voie d'élection1. Dès lors il forma un corps, et devint de plus en plus homogène. Les charges ne sortirent plus des mêmes familles. Transmises par mariage, par vente même, elles ne passèrent guère qu'à des sujets capables et dignes. Il y eut des familles parlementaires, des mœurs parlementaires. Cette image de sainteté laïque que la France avait vue une fois, en un homme, en un roi, elle l'eut immuable dans ce roi judiciaire, sans caprice, sans passion, sauf l'intérêt de la royauté. La stabilité de l'ordre judiciaire se trouve ainsi fondée, au moment où l'ordre politique va subir les plus rapides variations. Quoi qu'il advienne, la France aura un dépôt de bonnes traditions et de sagesse; dans les moments extrêmes où la royauté, la noblesse, tous ces vieux appuis lui manqueront, où elle sera au point de s'oublier ellemême, elle se reconnaîtra au sanctuaire de la justice civile.

Le Parlement n'a donc pas tort de se refuser à sortir de cette immobilité si utile à la France. Il regardera passer la révolution, il lui survivra, pour en reprendre et en appliquer à petit bruit les résultats les plus utiles.

Le Parlement se récusant, l'Université n'en alla pas moins son chemin. Cette bizarre puissance, théologique, démocratique et révolutionnaire, n'était guère propre à réformer le royaume. D'abord, elle avait en elle trop peu d'unité, d'harmonie, pour en donner à l'État. Elle ne savait pas même si elle était un corps ecclésiastique ou laïque, quoiqu'elle réclamât les priviléges des clercs. La faculté de théologie, dans la morgue de son orthodoxie, dans l'orgueil de sa victoire sur les chefs de l'Église, était Eglise pourtant. Elle semblait diriger, mais au fond elle était

i On ajoute qu'on élira aussi des nobles, ce qui prouve qu'ordinairement la chose n'arrivait guère. Ord., ann. 1407-8.

menée, violentée par la nombreuse et tumultueuse faculté des Arts (c'est-à-dire de logique)'. Celle-ci, peu d'accord avec l'autre, ne l'était pas davantage avec elle-même; elle se divisait en quatre nations, et, dans ce qu'on appelait une nation, il y avait bien des nations diverses, Danois, Irlandais, Écossais, Lombards, etc.

Une révolution avait eu lieu dans l'Université au XIVe siècle. Pour régulariser les études et les mœurs, on avait peu à peu, par des fondations de bourses et autres moyens, cloîtré les écoliers dans ce qu'on appelait des colléges. La plupart des colléges semblaient être au fond la propriété des boursiers, qui nommaient au scrutin les principaux, les maîtres. Rien n'était plus démocratique 2.

Ces petites républiques cloitrées de jeunes gens pauvres étaient, comme on peut croire, animées de l'esprit le plus inquiet, surtout à l'époque du schisme, où les princes disposaient de tout dans l'Église, et fermaient aux universitaires l'accès des bénéfices. Dans ces tristes demeures, sous l'influence de la sèche et stérile éducation du temps, languissaient sans espoir de vieux écoliers. Il y avait là de bizarres existences, des gens qui, sans famille, sans amis, sans connaissance du monde, avaient passé toute une vie dans les greniers du pays latin, étudiant, faute d'huile, au clair de la lune, vivant d'arguments ou de jeùnes, ne descendant des sublimes misères de la Montagne, de la gouttière de Standonc 3, de la lucarne d'où fut jeté Ramus, que

Les règlements de ces deux facultés se modifièrent en sens inverse. La faculté de théologie prolongea ses cours; elle exigea six ans d'étude au lieu de cinq avant le baccalauréat. La faculté des arts réduisit ses cours de six ans à cinq, puis à trois et demi, et enfin, en 1600, à deux. La scolastique perdait peu à peu son importance. (Bulæus.)

2 App., 130.

Fils d'un cordonnier de Malines, il vint à Paris comme domestique ou marmiton, selon l'histoire manuscrite de Sainte-Geneviève le jour il était à sa cuisine, la nuit il se retirait au clocher de l'église, et y étudiait au clair de lune. Il entra au collège de Montaigu, releva ce collége

pour disputer à mort dans la boue de la rue du Fouarre ou de la place Maubert.

Les moines Mendiants, nouveaux membres de l'Université, avaient, outre l'aigreur de la scolastique, celle de la pauvreté; ils étaient souvent haineux et envieux par-dessus toute créature; misérables, et faisant de leur misère un système, ils ne demandaient pas mieux que de l'infliger aux autres. On a dit (et je crois qu'il en était ainsi pour beaucoup d'entre eux) qu'ils ne comprenaient le christianisme que comme religion de la mort et de la douleur. Mortifiés et mortifiants, ils se tuaient d'abstinences et de violences, et ils étaient prêts à traiter le prochain comme eux-mêmes. C'est parmi eux que le duc de Bourgogne trouva sans peine des gens pour louer le meurtre.

Le mépris que les autres ordres avaient pour les Mendiants était propre à irriter cette disposition farouche. Or, parmi les Mendiants, il y avait un ordre moins important, moins nombreux que les Dominicains et les Franciscains, mais plus bizarre, plus excentrique, et dont les autres Mendiants se moquaient eux-mêmes. Cet ordre, celui des Carmes, ne se contentait pas d'une origine chrétienne; ils voulaient, comme les Templiers, remonter plus haut que le christianisme1. Ermites du mont Carmel, descendants d'Élie, ils se piquaient d'imiter l'austérité des prophètes hébraïques, de ces terribles mangeurs de sauterelles qui, dans le désert, luttaient contre l'esprit de Dieu 2.

Un carme, Eustache de Pavilly, se chargea de lire la remontrance de l'Université au roi. Cet Elie de la place Maubert parla presque aussi durement que celui du Carmel.

alors ruiné, et en fut comme le second fondateur. Il n'en est pas moins célèbre pour la violence avec laquelle il prêcha contre le divorce de Louis XII.

1 App., 131.

2 La règle des Carmes était très-propre à développer l'exaltation: de longs jeunes, de longs silences, les jours et les nuits passés dans une cellule.

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