Page images
PDF
EPUB

capable d'aliéner ses biens, de les hypothéquer et de les engager, comme si elle était mariée en communauté légale (art. 1391, n° VI).

TITRE VI.

DE LA VENTE.

(Décrété le 6 mars 1804. Promulgué le 16.)

Après avoir posé, dans les titres III et IV, les principes communs aux diverses obligations et à tous les contrats pécuniaires, le Code passant du général au particulier, s'est occupé, dans le titre V, de celui de ces contrats qui est le plus important par son objet, le contrat de mariage; il va s'occuper ici, dans le titre VI, de celui qui est le plus fréquent, le contrat de vente. Ce titre est divisé en huit chapitres, qui traitent le 1er, de la nature et de la forme de la vente; le 2o, de ceux qui peuvent acheter ou vendre; le 3o, des choses qui peuvent être vendues; le 4o, des obligations du vendeur; le 5o, des obligations de l'acheteur; le 6o, de deux causes spéciales de résolution: la stipulation de rachat et la vileté du prix ; le 7o, de la licitation, ou vente de la chose commune à plusieurs; le 8° et dernier, de la vente des choses incorporelles.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA NATURE ET DE LA FORME DE LA VENTE.

1582. La vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.

Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé. 1583. Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

SOMMAIRE.

I. La vente est aujourd'hui un contrat translatif de propriété : erreur de Toullier. II. Elle produit le transfert immédiat de la propriété et non pas seulement l'obligation de la transférer, sauf quelques cas exceptionnels.

III. Renvoi pour la restriction de l'art. 1583.

IV. Différence entre la vente et la dation en payement. De la convention appelée

mohatra.

V. L'écrit n'est exigé que pour la preuve. La convention accessoire de rédaction ultérieure d'un acte ne suspend point l'efficacité de la vente.

I.

La définition que l'art. 1582 donne de la vente est formulée en termes impropres et qui pourraient induire en erreur, si on ne les expliquait pas par les art. 1583 et 1138. A Rome et dans notre ancien

droit, la vente n'avait pour effet, de la part du vendeur, que de créer contre lui l'obligation de procurer à l'acheteur la libre jouissance de la chose, et non la propriété de la chose : ut rem emptori habere liceat, non etiam ut ejus faciat (Dig. L. 19, t. 1, l. 30, § 1). Sans doute on aurait pu faire à Rome un contrat dans lequel l'une des parties, pour prix de la somme d'argent que l'autre lui payait, aurait transféré à celle-ci, ou promis de lui transférer, la propriété même d'une chose; mais ce contrat n'aurait point été le contrat de vente, il aurait constitué l'un de ces nombreux contrats auxquels la législation n'avait point donné de désignation particulière et qu'on appelait pour cela contrats innomés quant à la vente, elle n'engendrait contre le vendeur que l'obligation de procurer à l'acheteur la libre possession du bien. Or si l'on s'en tenait à l'art. 1582 en l'isolant de ceux qui expliquent sa pensée, on pourrait croire qu'il consacre cette ancienne nature de la vente, puisqu'il la définit une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et c'est, en effet, ce sens d'un simple droit de jouissance et de possession que Toullier admet ici (XIV, 240).

Mais c'est une grave erreur. Cette ancienne nature du contrat de vente, déjà critiquée autrefois par beaucoup de nos auteurs français (1), a été répudiée par le Code, et c'est aujourd'hui la transmission de la propriété de la chose vendue qui fait l'objet du contrat de vente : ni les travaux préparatoires du Code, ni son texte même, ne permettent d'en douter. D'une part, en effet, il a été dit et répété, lors de la confection du Code, que la transmission de propriété est aujourd'hui l'objet de la vente, que c'est là le but unique de ce contrat (Fenet, XIV, p. 157, 192, etc.). D'un autre côté, on sait que le Code entend généralement par obligation de livrer l'obligation de transférer la propriété, comme le prouve l'art. 1138, qui, après avoir dit que toute obligation de livrer est parfaite par le seul consentement, ajoute comme conséquence qu'elle rend le créancier propriétaire de la chose dès l'instant où celleci a dû être livrée. Et c'est si bien là le sens de notre art. 1582, que l'art. 1583 ajoute immédiatement que dès que la vente, cette convention de livrer, est parfaite par l'accord des parties sur la chose et sur le prix, la propriété est acquise à l'acheteur. C'est enfin par application de ce principe nouveau que la vente de la chose d'autrui, qui était valable à Rome et dans notre ancien droit (2), est déclarée nulle dans notre Code (art. 1599). Quand, en effet, le vendeur n'était tenu que de procurer à l'acheteur la libre possession et jouissance de la chose, il n'avait pas besoin d'être propriétaire, et l'acheteur, pourvu qu'il ne fût pas troublé dans sa possession, n'avait pas à réclamer; mais aujourd'hui que le vendeur doit transférer la propriété, il faut qu'il l'ait luimême (puisqu'on ne peut pas donner ce qu'on n'a pas), et il y a dès lors nullité de la vente du bien d'autrui. Aussi tous les commentateurs du Code, même le continuateur et annotateur de Toullier, M. Duver

(1) Voy. notamment Caillet (cité par Pothier, Vente, no 48); Denisart (t. IX, vo Garantie); Argou (Instit., liv. 3, ch. 23); Bourjon (t. 1, p. 458).

(2) Dig. (liv. 18, t. 1, 28); Pothier (Vente, no 7).

gier (I, 12), reconnaissent-ils le changement apporté sur ce point aux anciens principes.

II. Cette première différence avec les anciens principes en entraîne une seconde que les auteurs n'ont pas également mise en relief, et n'ont pas même toujours aperçue, quoiqu'elle soit pourtant indiquée deux fois pour une dans le Code. Alors même que la vente aurait eu pour but, dans l'ancien droit, la translation de la propriété, elle ne l'aurait toujours pas produite immédiatement et par l'effet direct du contrat; elle ne l'aurait opérée que médiatement, ex post facto, et au moyen de la tradition faite en vertu de ce contrat; il y aurait eu deux choses à distinguer alors: 1° le contrat de vente, faisant naître uniquement l'obligation de transférer le domaine de la chose; 2o la tradition, faite en exécution de cette obligation et réalisant la translation. Aujourd'hui il en est autrement, et c'est le contrat de vente qui opère immédiatement, indépendamment de tout fait postérieur, la translation de la propriété. On a vu, en effet, que l'art. 1138, à l'explication duquel nous renvoyons, pose en principe que toute convention de transférer la propriété d'une chose se trouve, par le seul effet du consentement, immédiatement parfaite (c'est-à-dire réputée mise à exécution, et censée suivie d'une tradition civile qui remplace la tradition matérielle), et que dès lors elle rend le créancier propriétaire à l'instant même et avant que la tradition ait été faite. Et la loi, faisant ici au contrat de vente l'application de ce principe, répète dans l'art. 1583 que, dès que les parties sont d'accord sur la chose et sur le prix, dès que la convention est formée, la vente se trouve parfaite et la propriété acquise à l'acheteur, quoique la chose n'ait pas été livrée (1). Il ne faut donc pas, pour corriger la rédaction de l'art. 1582, définir la vente, comme le fait M. Duvergier (no 17), un contrat par lequel l'un des contractants s'oblige à transférer la propriété d'une chose, mais bien un contrat par lequel l'un des contractants transfère la propriété d'une chose moyennant un prix en argent que l'autre partie s'oblige à payer. Car, encore une fois, c'est par l'effet immédiat et instantané de la convention que la translation de propriété s'accomplit, en sorte que l'obligation d'opérer cette translation ne peut pas même exister.

Du reste, si la translation instantanée de la propriété est aujourd'hui l'effet normal et ordinaire de la vente, elle n'en est pas un effet nécessaire, et la vente peut, dans certains cas exceptionnels, ne produire immédiatement que l'obligation de rendre l'acheteur propriétaire ultérieurement. C'est ce qui arrive, 1° quand, l'objet de la vente n'étant pas déterminé dans son individu, ou le prix n'étant pas encore connu,

(1) Cela s'applique même au cas de vente d'une chose future. Lyon, 29 mai 1849 (Dev., 50, 2, 25). Mais la formation du contrat, dans ce cas, est subordonnée à la réalisation de la chose vendue; en sorte que si cette chose ne se réalisait pas, la nonréalisation rendrait le contrat nul pour défaut d'objet. Lyon, 18 mai 1854 (Dev., 54, 2, 426); à moins, toutefois, que les parties n'eussent entendu se lier définitivement et quel que fût l'événement ultérieur, c'est-à-dire la réalisation ou la non-réalisation de la chose. Voy. Pothier (De la Vente, no 6); Toullier (VI, 104 et 503); Duranton (X, 301); Troplong (De la Vente, no 204).

T. V..

10

la vente n'est pas encore parfaite, comme on le verra sous l'art. 1585; 2o quand les parties, malgré la détermination précise de l'objet et du prix, conviennent de suspendre l'effet ordinaire du contrat, en stipulant que l'acheteur ne deviendra propriétaire qu'après un certain délai.

III. Pour ce qui est de la restriction que l'art. 1583 semble apporter au principe de la translation de propriété par l'effet instantané du contrat, en disant que, par le seul consentement, la propriété est acquise à l'acheteur à l'égard du vendeur, elle a été expliquée sous les art. 1140, 1141. On y a vu que la question de savoir si la transmission de propriété des immeubles serait efficace même vis-à-vis des tiers par le seul effet du contrat, ou si elle ne le serait qu'au moyen de la transcription de ce contrat, avait été renvoyée à notre titre et à celui des hypothèques, et que, restée encore indécise dans notre matière de la vente, comme on le voit par notre art. 1583, elle a enfin été résolue plus loin dans le sens de la translation absolue et erga omnes par la seule convention. Quant à la transmission de propriété des meubles, on y a vu également que, si elle n'admet non plus aucune exception ni restriction, la propriété des choses mobilières se transmettant aussi à l'égard de tous par le seul consentement, cette propriété peut du moins se trouver détruite pour l'acquéreur par la prescription qui résulte instantanément de la possession de bonne foi d'un tiers, aux termes de l'art. 2279.

Mais il ne faut pas oublier que, à côté de la question d'existence du droit, il y a la question de sa preuve en cas de dénégation; et comme les actes sous seing privé n'ont pas de date certaine par eux-mêmes visà-vis des tiers, il s'ensuit que l'acheteur a besoin, en fait d'immeubles, pour sa pleine sécurité, d'avoir un acte authentique ou un acte enregistré, de même qu'il a besoin, en fait de meubles, d'être mis en possession.

IV. - Bien entendu, c'est par les termes du contrat et par l'ensemble des circonstances que l'on apprécierait ici comme partout quelle a été la pensée des parties, et que l'on déciderait si elles ont fait véritablement une vente ou quelque autre contrat lui ressemblant plus ou moins, mais ne produisant pas les mêmes effets (1). C'est ainsi, par exemple, qu'il faudrait distinguer la vente, soit de la dation en payement, soit du prêt usuraire connu sous le nom de mohatra.

La dation en payement présente aujourd'hui, d'après les nouveaux principes de la vente, une grande analogie avec celle-ci, surtout quand c'est en payement d'une somme d'argent que la chose est livrée, puisqu'on y trouve alors une chose dont on transfère la propriété, et un prix formé par la somme que devait l'aliénateur, en sorte qu'il y a ici, comme dans la vente, res, pretium et consensus. Mais elle en diffère toujours par son but, qui n'est autre que la libération de l'aliénateur. Sans doute un débiteur peut aussi consentir à son créancier, et pour prix de la somme qu'il lui doit, une véritable vente de sa chose, de sorte qu'il sera quelquefois difficile de savoir lequel des deux contrats on a

(1) Voy. Caen, 31 janv. 1851 et 12 fév. 1853 (J. Pal., 53, 2, 294 et 430).

entendu faire; mais la difficulté de les distinguer ne les empêche pas d'être différents, et l'aliénateur, qui livre dans un cas comme vendeur, ne livre dans l'autre que comme débiteur désintéressant son créancier. Par conséquent, tandis que les clauses obscures ou ambiguës du contrat s'interpréteraient, en cas de vente, contre l'aliénateur, aux termes de l'art. 1602, elles s'interpréteront à son avantage au cas de dation en payement, la libération étant toujours favorable. Une autre différence, c'est que, si l'aliénateur prouvait plus tard que la somme qu'il croyait devoir n'était pas due, il ne serait, en cas de vente, qu'un vendeur non payé, et ne pourrait dès lors réclamer que le prix de la vente, tandis sque, dans le cas de dation en payement, il peut répéter le bien en nature, puisque le détenteur ne l'avait reçu qu'à titre de créancier et n'est pas créancier : ce bien a été indûment payé, il y a donc lieu de le reprendre (Pothier, Vente, no 603).

Quant à la convention appelée mohatra, et qui n'est qu'un prêt usuraire déguisé sous la forme de deux ventes du même objet (dont l'une au comptant et à bas prix, l'autre à un prix plus élevé et à terme), on conçoit que ce n'est pas par la teneur de l'acte, comme pour la dation en payement, qu'on pourra la reconnaître, mais par les circonstances seulement. Ainsi, quand je déclare vous vendre ma bibliothèque moyennant 3000 francs payables dans un an, et que vous déclarez, aussitôt après, me la revendre moyennant 2 000 francs comptant, tout se réduit à ceci que je vous livre aujourd'hui 2000 francs pour que vous m'en rendiez 3000 dans un an, ce qui forme un prêt à 50 pour 100 par an. Il en sera de même si c'est vous qui me vendez votre bibliothèque pour 2000 francs comptant, et que je vous la revende aussitôt pour 3000 francs payables dans un an. Sans doute, il peut arriver souvent dans le commerce que des choses achetées aujourd'hui à bas prix se vendent demain fort cher, quoique la vente en soit, dans les deux cas, très-loyale et très-sincère; mais la double opération pourra souvent aussi n'être qu'une fraude, et ce serait aux tribunaux de décider, d'après les circonstances, si ce sont de véritables ventes qui ont eu lieu, ou si l'on n'a fait qu'un prêt à un taux réprouvé par la loi.

V. Le second et dernier alinéa de l'art. 1582 nous dit que la vente peut se faire, soit par acte public, soit par acte privé; mais, bien entendu, il ne s'agit là que de la preuve du contrat pour une valeur de plus de 150 francs. Il est bien évident, en effet, que la loi n'a pas entendu soumettre un contrat aussi fréquent que la vente à des difficultés exceptionnelles, et qu'il reste soumis aux règles du droit commun. Toutes les fois donc qu'il s'agira de 150 francs au plus, la preuve testimoniale, et par conséquent les simples présomptions, seraient admissibles, sans qu'il soit besoin d'un acte; et si, au-dessus de 150 francs, la vente verbale qu'une des parties refuserait d'exécuter était avouée par elle, la convention aurait tout son effet (1).

Il va sans dire que si, dans une vente verbale, ou dans une vente

(1) Voy. Cass., 25 avr. 1853 (Dev., 53, 1, 368).

« PreviousContinue »