Page images
PDF
EPUB

l'art. 1701; et c'est avec raison que le seul auteur qui ait prévu la question avec M. Zachariæ, et le seul arrêt qui l'ait jugée, la décident dans ce sens (1).

On se demande enfin, toujours quant au point de savoir sur quels objets porte la prohibition, si l'article s'étend aux conventions connues sous le nom de pactes de quotâ litis. On appelle ainsi le traité par lequel le créancier d'un droit litigieux en cède une portion, une quote (la moitié, le tiers, le quart) à une personne, comme prix de ce que celleci s'oblige à faire pour procurer le payement de la créance. M. Duvergier (I, 201), se fondant sur ce que ce n'est pas précisément là une vente (ce qui est vrai, puisque la cession, au lieu d'être faite pour un prix en argent, est au contraire le prix ou le salaire d'un travail à faire, en sorte qu'il y a plutôt louage d'ouvrage que vente), décide que notre article est inapplicable. Nous ne saurions adopter son sentiment. Sans doute ce n'est pas là une véritable vente; mais quoique notre article et les précédents soient placés au titre de la vente et sous la rubrique qui peut acheter ou vendre, on a vu déjà que la loi n'entend pas seulement y prohiber les ventes proprement dites, puisque l'art. 1595 ne prohibe entre époux, sous ce même nom de ventes, que de simples dations en payement. Le Code, dans sa rubrique, entend donc parler, soit de ventes, soit de còntrats ayant, quant au résultat qui le préoccupe, des effets analogues à ceux de la vente et devant produire les mêmes inconvénients. Or, tels sont les pactes de quotâ litis, qui, en effet, ont toujours été défendus aux personnes dont parle notre article aussi bien que les ventes de droits litigieux (2). D'ailleurs, notre article embrasse tous cessionnaires; or celui qui acquiert par le pacte de quotâ litis est aussi bien cessionnaire que celui qui achète; et c'est si bien ainsi que les rédacteurs du Code l'ont entendu, que c'est précisément du pacte de quotá litis que M. Maleville s'occupe dans son analyse de cet article (III, p. 365). C'est aussi dans ce sens que prononce le seul arrêt rendu sur la question (3).

III. Le troisième point à examiner sur cet article, c'est celui de savoir quelles sont la nature et la portée de la nullité prononcée par notre article pour les cessions dont il s'agit. Trois systèmes sont ici en présence: 1o M. Duranton (XVI, 115) enseigne que la nullité est purement relative et que, prononcée dans le seul intérêt du cédé, elle ne peut être proposée que par lui, jamais par le cessionnaire ni par le cédant; 2o M. Zachariæ (II, p. 573), tout en admettant aussi que la nullité est simplement relative, accorde au cédant comme au cédé le droit de l'invoquer, et ne le refuse qu'au cessionnaire; 3° M. Duvergier, enfin, et tel paraît être aussi le sentiment de M. Troplong (n° 196), qui toutefois ne s'en explique pas, soutient (I, 200) que la nullité est d'ordre public, par conséquent absolue et de nature à être invoquée

(1) Duranton (XVI, 142); Nîmes, 25 mai 1840 (Dev., 40, 2, 539).

(2-3) Prévot de la Jannès (II, p. 218); Troplong (I, 196); Douai, 18 mars 1843 (Dev., 43, 2, 411).

par tous les intéressés, aussi bien par le cessionnaire lui-même que par

le cédant et le cédé.

Cette dernière doctrine est la seule exacte. Car si notre prohibition tend à protéger les tiers débiteurs, elle tend aussi à sauvegarder la dignité de la justice, et elle constitue dès lors une disposition d'ordre public et d'intérêt général autant que d'intérêt privé. Or si ce fait condamne la doctrine de M. Duranton (que repousse aussi un arrêt de rejet du 14 nivôse an 12), il ne condamne pas moins celle de M. Zachariæ, puisque, du moment que la nullité est d'ordre public, elle est dès lors proposable par tous intéressés. En vain M. Duranton invoque la maxime nemo ex delicto suo actionem consequi debet: c'est prendre le change que de raisonner ainsi. Sans doute, on ne peut pas conquérir un droit par son délit, par un acte illicite; mais la conséquence de ceci est précisément le contraire de celle qu'en tire le savant professeur : la conséquence de ceci, c'est que, du moment que le contrat est illicite, ni le cédant, ni le cessionnaire, n'en peuvent demander l'exécution; il est sans valeur pour l'un comme pour l'autre, il est nul pour l'un comme pour l'autre, et l'un comme l'autre dès lors peuvent et doivent argumenter de sa nullité! Si l'une ou chacune des parties était privée de la faculté d'invoquer la nullité de l'acte, l'autre pourrait donc agir pour contraindre à l'exécution de cet acte; or c'est alors précisément que le délinquant aurait une action, un droit naissant de son fait illicite!... L'obligation sur cause illicite ne peut produire aucun effet (art. 1131); or, ce serait faire produire un effet au contrat, dit avec raison M. Troplong, que d'empêcher le cédant d'argumenter de la nullité d'une pareille convention et de le maintenir ainsi dans les liens que cette convention engendre. Et il en est de même pour le cessionnaire; ce serait aussi donner effet à ce contrat, qui n'en peut produire aucun, que de prétendre qu'il lie ce cessionnaire. Le contrat ne lie personne, il est frappé d'une nullité radicale et demeure légalement inexistant et non avenu (art. 1131, II, et 1133, II). Et c'est ce que M. Duranton lui-même finit par reconnaître implicitement, en renversant ainsi sans le remarquer le prétendu principe qu'il avait posé d'abord; car, après avoir refusé au cédant (1er alinéa) le droit d'invoquer la nullité, il arrive à dire (3o alinéa) que si le cédé, poursuivi par le cédant, prétendait que celuici n'a plus de droit contre lui puisqu'il a transporté ce droit, le cédant pourrait lui répondre que la cession étant nulle, elle n'a rien transporté. Mais argumenter ainsi de ce que la cession est nulle, c'est precisément en invoquer la nullité!

C'est qu'en effet, et encore une fois, la convention est radicalement nulle et légalement inexistante. De là découlent ces diverses conséquences 1o qu'aucune des parties ne peut contraindre l'autre à l'exécution; 2o que si le cessionnaire a payé son prix, il peut le répéter comme payé indûment, en restituant, bien entendu, ce qu'il aurait pu recevoir du débiteur cédé ; 3° que de son côté le cédant peut toujours répéter contre le cessionnaire ce que celui-ci aurait reçu du débiteur, en lui remboursant le prix de la cession; 4° que le débiteur, qui peut,

BODL

sur la poursuite du cessionnaire, répondre à son action en l'acceptant comme mandataire de son créancier, peut aussi repousser cette action en invoquant la nullité de la cession; 5° que si ce même débiteur, sur la poursuite du cédant, argumentait de la cession pour soutenir que le demandeur a cessé d'être son créancier, celui-ci pourrait néanmoins le contraindre à payer en faisant constater l'inexistence légale de cette cession.

Que si la cession se trouvait être à la fois dans l'hypothèse de notre article et dans celle de l'art. 1699, c'est-à-dire s'il y avait déjà procès et procès sur le fond du droit, dès le moment de la cession, et qu'on ne fût pas d'ailleurs dans l'une des trois exceptions de l'art. 1701, le débiteur ne pourrait-il pas exercer la faculté que lui donne cet art. 1699 de se libérer en payant le prix (peut-être très-minime) pour lequel la cession a été faite? La raison de douter vient de ce que, la cession étant radicalement nulle, il semble que le cédant et le cessionnaire pourraient dire au cédé que sa prétention n'est pas admissible, puisque, légalement, il n'existe pas de cession. Mais cette objection devrait être écartée, comme tendant à faire tourner le délit au profit des délinquants et au détriment du débiteur. Puisque, si le cédant et le cessionnaire avaient eu seulement le tort de traiter d'un droit litigieux (étant d'ailleurs capables de le faire), le cédé jouirait du bénéfice de l'art. 1699, comment voudrait-on que le second tort, plus grave que le premier, qu'ils ont ajouté à celui-ci, enlevât au débiteur ce bénéfice, et leur donnât à eux un avantage? Sans doute le cédant et le cessionnaire peuvent, en principe, argumenter de la nullité; mais ils ne le peuvent plus quand il s'agirait ainsi d'en tirer un bénéfice qu'ils n'auraient pas sans elle, car ce serait alors actionem ex delicto consequi. Du reste, comme c'est le cessionnaire qui est le principal coupable, comme c'est à lui que la prohibition s'adresse, et que c'est lui qui est déclaré par notre article passible des dépens et dommages-intérêts, c'est donc lui qui subirait la perte, et si, un droit qui valait 4 000 francs ayant été cédé pour 2000, le débiteur se libérait par le payement de ces 2000, le cédant pourrait contraindre le cessionnaire à lui tenir compte de la différence.

1598.

[ocr errors]

CHAPITRE III.

DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE VENDUES.

Tout ce qui est dans le commerce, peut être vendu, lorsque des lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation.

SOMMAIRE.

I. On ne peut vendre les choses hors du commerce. De ce nombre est la démission d'un office public autre que ceux dont parle l'art. 91 de la loi de 1816.

II. Les œuvres de l'esprit sont aussi hors du commerce sous certains rapports : conséquences.

III. Prohibitions et restrictions apportées à la vente de certaines choses qui sont dans le commerce.

I.

La vente est impossible, 1° pour les choses qui, par leur nature même, sont hors du commerce; 2° pour celles que quelque disposition spéciale de loi interdit de vendre.

Il est plus facile de sentir que de bien définir quelles sont les choses que leur nature met hors du commerce; et s'il en est pour lesquelles le doute n'est pas possible, notamment les choses publiques, soit de l'État, soit des communes (voir l'explication des art. 538-542), il en est d'autres pour lesquelles, au contraire, il y a vive controverse.

Ainsi, c'est un point sur lequel les arrêts sont très-divisés que de savoir si le titulaire d'une fonction publique (autre que les offices pour lesquels la présentation d'un successeur est autorisée par la loi du 28 avril 1816) peut vendre à prix d'argent sa démission. Pour notre part, nous n'hésitons pas à dire non : nous voyons là, comme M. Troplong, un traité profondément contraire à l'ordre public; et, comme M. Duvergier, nous ne concevons même pas comment des cours ont pu déclarer valables de pareilles conventions. Est-ce que ce n'est pas uniquement pour l'intérêt général qu'un fonctionnaire est revêtu de sa fonction? est-ce que, quand il la résigne, sa seule pensée ne doit pas être, comme elle doit être celle du gouvernement, qu'il y soit remplacé, non pas par le candidat auquel il s'intéresse davantage, mais par le plus méritant et le plus digne? est-ce que ses vœux comme ses efforts ne doivent pas tendre à ce but ? Sans doute, il s'en faut de beaucoup qu'il en soit ainsi en fait; mais ce n'est pas des faits qu'il s'agit ici, c'est du droit, c'est des principes; or il n'est pas douteux que d'après les vrais principes, le citoyen qui reçoit ou résigne une fonction, comme le gouvernement qui la donne ou la reprend, ne doivent se préoccuper que d'une seule chose, le bien public. Mais cela étant, comment y aurait-il place ici à un traité pécuniaire, à un trafic de la démission? —M. Chardon, en constatant que la fonction n'est pas dans le commerce, prétend (ou plutôt suppose, sans en donner aucun motif) que la démission y est; mais c'est une grave erreur. La démission ne peut avoir ce caractère ni quant à la fonction, ni quant à l'émolument qui s'y trouve attaché : pas quant à la fonction, puisque la renonciation à une fonction ne comporte que des motifs puisés dans l'ordre moral; pas quant à l'émolument, puisque cet émolument n'étant que l'indemnité affectée à l'exercice de la fonction, celui qui se dépouille de l'emploi se dépouille par là même du droit à l'émolument; en sorte que (à part d'autres raisons) celui qui trafique de cet émolument en se démettant, trafique d'une chose qui ne lui appartient pas. Est-ce que la démission n'est pas, et pour la fonction et pour l'émolument, qui n'en est que l'accessoire inséparable, un acte qui ne peut se passer qu'entre le fonctionnaire et l'autorité. Pour qu'un acte pût devenir une convention d'intérêt privé, un traité pécuniaire, il faudrait avant tout qu'il pût s'accomplir entre personnes privées; or c'est ce qui n'a pas lieu ici : la démission ne comporte pas d'autres parties que le titulaire qui la donne et l'autorité qui la reçoit, et elle ne peut pas dès lors être acte de commerce. Sans doute, il y a exception dans les cas où la loi spéciale de 1816, en substi

tuant à la démission simple et absolue une démission faite nominativement au profit de tel candidat et sous la condition que ce candidat et non pas un autre sera nommé, permet ainsi de décomposer la démission en deux actes, dont l'un se passe entre le titulaire et une personne privée, tandis que l'autre s'accomplit entre le titulaire et l'État (toujours libre de conférer la fonction à qui il veut): le premier de ces actes est alors une convention privée, un traité pécuniaire parfaitement légal; mais l'exception confirme la règle, et un traité pécuniaire reste dès lors impossible dans tous les cas laissés en dehors de cette loi spéciale. Notre ancien droit lui-même démontre bien la vérité de notre thèse; car pendant tout le temps que la vénalité des offices n'y fut pas admise, les traités dont il s'agit y étaient prohibés de la même manière et aussi sévèrement que la vente même de la charge; partout on trouve, sur la même ligne que la défense d'acheter et vendre la charge, la proscription de tout traité vénal entre un démissionnaire et l'aspirant. L'art. 33 de l'ordonnance de 1407 fait défense aux officiers DE TIRER AUCUN PROFIT DE LA RÉSIGNATION DE LEURS OFFICES; l'art. 54 de celle de 1450 défend aux officiers DE RECEVOIR AUCUNE PROMESSE NI DON POUR FAIRE AVOIR NI OBTENIR AUCUN office, sous peine de payer le quadruple de ce qui leur aurait été promis ou donné, et d'être punis sévèrement; l'article 68 de celle de 1493 ordonne qu'aucun n'achète office de président, conseiller ou autre office, NI, pour iceux avoir, BAILLER NI PROMETTRE ARGENT, et que DE CE le candidat soit tenu DE FAIRE SERMENT SOLENNEL AVANT D'ÊTRE INSTITUÉ; enfin l'art. 100 de l'édit de 1579 ordonne que ceux qui auront vendu directement OU INDIRECTEMENT des offices perdent le prix et soient condamnés au double, et que ceux qui les auront achetés ou fait acheter, DONNÉ OU PROMIS ARGENT POUR PARVENIR AUXDITS OFFICES, en soient privés et déclarés indignes et incapables de tenir aucuns offices royaux... Ainsi, tout trafic sur la démission est assimilé à la vente de la charge, et avec raison; car qui ne voit que vendre ma démission d'une charge dont la loi n'admet pas la vénalité, c'est vendre la charge elle-même autant que, de fait, il est en mon pouvoir de la vendre ?... Tout démontre donc que de pareils traités sont radicalement nuls, et si l'on est heureux de constater qu'un seul auteur a soutenu le contraire, on peut s'étonner qu'il ait même pu s'en trouver un (1).

Et puisque ces traités sont frappés d'inexistence légale comme contraires à l'ordre public et portant sur une chose qui n'est pas dans le commerce, le prix qui aurait été payé en exécution d'un tel traité pourrait donc être répété, pendant trente ans, comme payé indûment,

(1) Pour la validité : Chardon (Dol et fr., III, 405); Amiens, 18 janv. 1820; Amiens, 18 juin 1822; Rej., 2 mars 1825; Grenoble, 5 juill. 1825; Bordeaux, 5 déc. 1845 (Dev., 46, 2, 328). Pour la nullité: Toullier (V, 161); Troplong (I, 228); Duvergier (I, 207); Coulon (Quest., III, p. 563); Paris, 23 avr. 1814, 8 nov. 1825; Nancy, 12 nov. 1829; Paris, 18 nov. 1837 (Dev., 38, 2, 65); Paris, 8 fév. 1840 (J. Pal., 40, 1, 188); Rennes, 3 juill. 1840 (Dev., 40, 2, 414); Nîmes, 7 déc. 1848 (Dev., 49, 2, 629).

Est valable la cession de la clientèle attachée à la charge d'un agréé près le tribunal de commerce. Cass., 14 déc. 1847; Bordeaux, 23 mai 1865 (J. Pal., 66, 107).

« PreviousContinue »