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de vente, ni encore moins à contraindre l'acheteur à le payer, sous prétexte de punition ou de donation (voy. art. 555, no VI; 1235 et 1376, n° I).

II. Quand la chose n'est détruite qu'en partie au moment de la vente, la loi donne à l'acheteur le choix, ou de se contenter d'une diminution proportionnelle du prix, ou de se départir du marché. M. Duranton (XVI, 184) et M. Troplong (I, 252), interprétant cette disposition par celle de l'art. 1636, qui, en cas d'éviction partielle, ne permet à l'acheteur de faire résilier le contrat qu'autant que la partie enlevée à cet acheteur est assez considérable pour que sans elle il n'eût pas acheté, pensent que l'acheteur ne pourrait ici se départir de la vente que sous cette même condition. Il nous paraît difficile d'admettre cette assimilation complète des deux cas. Ces deux cas, d'abord, ne sont pas absolument semblables: dans l'art. 1136, le contrat s'est formé, il a eu sa pleine et entière existence, et il s'agit de faire résoudre, pour une cause postérieure, une vente parfaitement valable; ici, au contraire, la question est précisément de savoir si l'on ne doit pas, à raison de ce que l'objet du contrat n'est pas ce qu'on le croyait être, permettre de regarder ce contrat comme ne s'étant pas formé. Or, quand, en présence de cette différence dans les positions, on voit le Code permettre ici formellement à l'acheteur de se départir de la vente, par cela seul qu'il y avait destruction partielle de la chose, tandis qu'il n'autorise la résolution dars l'art. 1636 qu'autant qu'on reconnaît que, sans la partie enlevée, l'acheteur n'aurait pas traité, ne serait-ce pas refaire la loi, au lieu de l'expliquer telle qu'elle est faite, que de ne tenir aucun compte de cette différence des deux règles? Nous le pensons, pour notre part, et nous disons, comme M. Duvergier (I, 237) et M. Zachariæ (II, p. 486), que la seule chose que permettent ici les principes, c'est de dire que les magistrats pourront écarter la demande de l'acheteur, quand la partie périe sera d'une importance relative assez faible pour qu'on puisse juger que sa perte n'est qu'un prétexte dont l'acheteur s'empare pour se soustraire à son engagement (1).

Du reste, nous n'hésitons pas à dire que si l'acheteur avait eu connaissance de la destruction partielle alors qu'il achetait, il ne pourrait ni se départir du contrat, ni même demander une diminution de prix. Il serait tout naturellement réputé avoir reconnu que la chose valait encore le prix qu'il en donnait. Ce n'est plus ici comme dans le cas de destruction totale, où la convention ne peut pas se former et où, dès lors, la connaissance qu'a l'acheteur ne saurait produire d'autre effet qu'une dette de dommages-intérêts: ici le contrat se forme, et la connaissance que l'acheteur a de l'état de la chose ne lui permet pas de se plaindre ensuite de cet état.

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III. Il va sans dire que si l'on avait vendu, non pas précisément la chose qui est périe en tout ou partie, mais bien la chance ou l'espérance d'avoir ce qui peut exister de cette chose; si, par exemple, ap

(1) Comp. Cass., 10 juin 1856 (Dev., 56, 1, 819; J. Pal., 57, 867).

prenant, vous et moi, qu'un incendie a dévoré le tiers d'une commune dans laquelle j'ai une maison, ou qu'une maladie a tué la moitié des bestiaux d'une contrée dans laquelle je possède un troupeau, je vous vends ce qui peut rester de cette maison ou de ce troupeau, la vente serait parfaitement valable, alors même qu'on saurait ensuite qu'il ne restait absolument rien. C'est évident, puisque l'objet de la vente n'est alors que l'espoir, plus ou moins fondé, de retrouver quelque chose, la chance d'avoir tout, peu ou rien.

Il va sans dire aussi, en sens inverse, que les deux règles posées par notre article, quoiqu'on n'y parle que de la vente d'une seule chose, s'appliqueraient également au cas de vente, faite pour un seul et même prix, de plusieurs choses dont l'une n'aurait pas été achetée sans les autres, et dont l'une ou toutes n'existeraient plus au moment de la vente.

CHAPITRE IV.

DES OBLIGATIONS DU VENDEUR.

SECTION PREMIÈRE.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES.

1602. Le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige.

Tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur.

I. D'après le principe général de l'art. 1162, lorsque les différents moyens d'interprétation laissent encore du doute sur le sens d'une clause, c'est contre la partie qui a stipulé dans cette clause, et en faveur de celle qui s'y est obligée, que la clause doit être entendue. En matière de vente, il en est autrement : notre article, en laissant subsister ce principe contre le vendeur pour toutes les clauses par lesquelles l'acheteur s'oblige envers celui-ci, lui impose en outre la responsabilité des rédactions obscures ou ambiguës, même dans les clauses par lesquelles il s'oblige envers l'acheteur, en sorte que c'est contre lui que doit s'interpréter toute clause douteuse, sans distinguer s'il y est stipulant ou promettant. La règle générale que tout pacte obscur s'interprète contre le stipulant est donc remplacée ici par cette autre règle que, dans la vente, tout pacte obscur s'interprète contre le vendeur.

M. Duvergier (I, 242) critique vivement cette règle; il prétend qu'elle est tout à la fois inutile et injuste: inutile, parce qu'il est impossible, dit-il, qu'un magistrat judicieux n'arrive pas à découvrir toujours la pensée des contractants, et soit jamais réduit à cette incertitude absolue qui fit rendre autrefois le fameux jugement des bûchettes (1); injuste,

(1) Messire Pierre-Saturnin Houlyer, juge civil et criminel au siége royal de Melle, ne pouvant parvenir à démêler la vérité entre les allégations contraires de deux par ties, ne trouva rien de mieux à faire que de remettre le jugement à la providence divine, et pour ce, de prendre deux courtes pailles ou bûchettes entre le poulce et le doigt

parce que la vente n'est pas plus l'œuvre du vendeur que celle de l'acheteur.

Nous ne saurions partager ces idées. Si le jugement des bûchettes est et doit sans doute rester chose unique dans notre histoire, il n'en est pas de même de l'embarras qui lui a donné lieu; et l'entière incertitude du magistrat sur le vrai sens d'une clause, loin d'être une chose impossible, comme le dit M. Duvergier, peut, au contraire, se présenter assez souvent. Comment ne trouverait-on pas de ces phrases à double sens dans les actes émanant quelquefois de personnes qui ne connaissent ni les affaires ni même les règles du langage, alors qu'on en trouve jusque dans les textes du Code, et qu'il est telle disposition entre les deux sens de laquelle le jurisconsulte le plus sagace serait parfois tenté de tirer aussi à la courte paille comme le bon juge Houlyer? Notre règle, de même que celle de l'art. 1162, est donc loin de ne pouvoir rencontrer des cas d'application. Quant au reproche d'injustice, il nous paraît se réfuter complétement par ces trois observations: 1° que la règle n'est écrite, comme on l'a bien expliqué devant le Corps législatif, que pour les clauses qui sont véritablement constitutives du contrat de vente, c'est-à-dire relatives à la chose, au payement de son prix, et aux deux obligations de délivrer et de garantir, mais non point pour les stipulations exceptionnelles ou particulières que l'acheteur aurait pu introduire dans la convention, lesquelles resteraient soumises au principe que le doute doit se trancher contre le stipulant (1); 2° que pour ce qui appartient essentiellement au contrat de vente, le vendeur est bien autrement que l'acheteur en position d'expliquer clairement les choses, de tromper l'autre partie par des expressions ambiguës ou des réticences, et qu'il existe toujours pour ce dernier un danger qui faisait dire à Loisel (liv. 3, t. 4, 2) qu'il y a plus de fols acheteurs que de fols vendeurs; 3° enfin, que la règle n'est d'ailleurs posée que pour le cas où l'on aurait épuisé tous les moyens d'interprétation: notre article ne faisant que remplacer, pour le contrat de vente, le principe de droit commun posé par l'art. 1162 pour tous les autres contrats, et cet art. 1162 ne s'appliquant, comme on l'a vu par son explication, que quand on reste dans le doute, après avoir vainement employé tous les moyens de découvrir la véritable pensée des contractants, c'est donc dans ce cas aussi seulement que le nôtre s'appliquerait contre le vendeur.

1603. Il a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.

I. Le Code va s'occuper successivement, et dans deux sections

index, et d'enjoindre aux parties de tirer chacune l'une d'icelles, en déclarant que celle des parties qui tireroit la plus grande bûchette gagneroit sa cause. — - Le texte de cette curieuse sentence, du 24 septembre 1644, est rapporté tout au long par M. Boncenne (II, p. 505).

(1) Duranton (XVI, 187); Troplong (I, 258); Fenet (XIV, p. 194).

distinctes: 1o de l'obligation de délivrer la chose, 2o de l'obligation de la garantir. Quant à l'obligation d'en transférer la propriété, il n'en parle pas et n'avait pas à en parler, puisque cette obligation s'accomplissant de plein droit à l'instant même où elle naît, comme on l'a vu sous les art. 1138 et 1583, l'acheteur devient propriétaire par le fait même de la vente la propriété se trouvant ainsi transférée à l'acheteur dès l'instant même et avant toute livraison, il est clair que l'obligation, pour le vendeur, de la transférer ensuite, ne peut pas même exister.

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Puisque l'acheteur est aujourd'hui, par l'effet immédiat de la vente et avant toute livraison, propriétaire de la chose, il est donc évident que l'action qu'il veut intenter contre son vendeur pour obtenir la possession de cette chose est réelle en même temps que personnelle, et constitue ainsi une action mixte. C'est avec grande raison qu'un arrêt de la Cour suprême (2 fév. 1809) et M. Troplong (I, 262) le décident ainsi, et on ne comprend pas la doctrine contraire de Poncet (Actions, p. 180), Carré (Compét., I, p. 517) et M. Duvergier (I, 258). Ce dernier, tout en reconnaissant bien que l'acheteur est propriétaire et se trouve dès lors avoir une action réelle, prétend que cette action n'existe que vis-à-vis des tiers, et que de l'acheteur au vendeur il n'y a rien autre chose que l'action personnelle résultant de l'obligation que le contrat impose au vendeur d'opérer la délivrance. N'est-ce pas là une erreur manifeste? L'acheteur étant propriétaire, il est clair qu'il l'est aussi bien vis-à-vis de son vendeur que vis-à-vis de tous les autres, et que celui-ci est tenu de respecter son droit de propriété tout autant qu'un tiers détenteur. Lors donc que l'acheteur vient demander sa mise en possession au vendeur, son action, en même temps qu'elle est fondée sur l'obligation imposée au vendeur par le contrat d'opérer la délivrance, se trouve également fondée sur le droit de propriété que ce même contrat lui a transmis, et s'il est vrai qu'il ne pourrait agir contre un tiers qu'en la qualité de propriétaire, tandis que contre le vendeur il a aussi la qualité de créancier, il est bien évident que cette seconde qualité ne saurait effacer la première, et qu'il est ici par conséquent créancier et propriétaire tout ensemble. Son action est donc réelle et personnelle tout à la fois. C'est la conséquence inévitable de ce que la vente n'est plus, comme autrefois, un contrat simplement productif d'obligation, mais aussi et en même temps un contrat translatif de propriété, un acte contenant aliénation, et que cette aliénation ne peut pas avoir moins d'effet vis-à-vis de l'aliénateur que vis-à-vis des tiers.

SECTION II.

DE LA DÉLIVRance.

Le Code va nous dire successivement: 1o ce que c'est que la délivrance et quels actes la constituent (art. 1604-1607); 2° aux frais de qui elle est, où et quand elle doit se faire (art. 1608-1613); 3° ce qu'elle doit comprendre (art. 1614-1623); 4o enfin, pour qui sont les risques de la chose depuis la vente jusqu'à la délivrance (art. 1624).

1604.

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1. Ce qu'est la délivrance et quels actes la constituent.

La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.

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1605. L'obligation de délivrer les immeubles est remplie de la part du vendeur lorsqu'il a remis les clefs, s'il s'agit d'un bâtiment, ou lorsqu'il a remis les titres de propriété.

1606. La délivrance des effets mobiliers s'opère,

Ou par la tradition réelle,

Ou par la remise des clefs des bâtiments qui les contiennent,

Ou même par le seul consentement des parties, si le transport ne peut pas s'en faire au moment de la vente, ou si l'acheteur les avait déjà en son pouvoir à un autre titre.

1607.La tradition des droits incorporels se fait, ou par la remise des titres, ou par l'usage que l'acquéreur en fait du consentement du vendeur.

SOMMAIRE.

1. Ce que c'est que la délivrance. Subtilités des anciens docteurs rejetées par le Code. Critique de M. Duvergier.

II. La délivrance des immeubles peut se faire, quelquefois, même par la simple livraison des titres ou des clefs, ou par le simple consentement. Mauvaise rédaction de l'art. 1605.

Trois modes sont

III. La délivrance des meubles peut se faire de cinq manières. applicables, selon les cas, pour celle des choses incorporelles. IV. La délivrance n'est point un fait générateur de la prescription: profonde différence entre elle et la prise de possession utile pour prescrire; réfutation d'une grave inexactitude.

I. La délivrance est, ni plus ni moins, la mise de la chose vendue en la pleine puissance et possession de l'acheteur, et la définition fort exacte que nous donne à cet égard l'art. 1604 doit servir à expliquer et à compléter les règles de détail contenues dans les trois autres articles.

Les anciens docteurs distinguaient diverses espèces de délivrances ou traditions. On opposait à la tradition réelle les traditions feintes ou symboliques et allégoriques; par exemple, la remise des clefs du bâtiment contenant des meubles vendus, remise qui devait se faire devant la porte du bâtiment apud horrea, in re præsenti, était considérée comme une allégorie de la remise des choses elles-mêmes. En regard de la prise de possession ordinaire et effective, on admettait une possession de longue main que l'acheteur prenait en jetant de loin son regard sur la chose, l'œil étant considéré comme une main plus longue dont l'acheteur se servait pour s'emparer de la chose. De même, quand l'acheteur se trouvait déjà, dès avant la vente, en possession de fait de la chose comme dépositaire, locataire ou autrement, l'ancienne doctrine, au lieu de dire tout simplement que la délivrance s'opère alors par le consentement même, et qu'il n'est aucun besoin de tradition, voulait que l'acheteur fût réputé avoir remis la chose au vendeur qui

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