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tion, ils en admettent cependant à peu près les résultats, et reconnaissent que dans bien des cas la prescription ne naîtra pas, quoique la delivrance soit dûment accomplie (1). Mais alors pourquoi présenter la délivrance comme un principe de prescription? Encore une fois, la délivrance et la possession à l'effet d'acquérir sont deux choses qui n'ont rien de commun.

2. Frais de la délivrance, où et quand elle doit se faire.

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1608. Les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur, et ceux de l'enlèvement à la charge de l'acheteur, s'il n'y a eu stipulation contraire.

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1609. La délivrance doit se faire au lieu où était, au temps de la vente, la chose qui en a fait l'objet, s'il n'en a été autrement con

venu.

1610. Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur.

1611. - Dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur, du défaut de délivrance au terme convenu.

1612. Le vendeur n'est pas tenu de délivrer la chose, si l'acheteur n'en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le payement.

1613. - Il ne sera pas non plus obligé à la délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le payement, si, depuis la vente, l'acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix; à moins que l'acheteur ne lui donne caution de payer au terme.

SOMMAIRE.

I. Règles pour les frais de la délivrance et de l'enlèvement. Et pour le lieu de la livraison renvoi.

:

II. Règles pour le temps de la livraison : solutions et renvois.

-

I. La délivrance à faire de la chose vendue étant une obligation qui incombe au vendeur, c'est donc à lui d'en supporter les frais; mais comme la délivrance, ainsi qu'on vient de le voir ci-dessus, ne consiste que dans le délaissement de la chose, non dans la prise de possession, qui doit être le fait de l'acheteur, c'est donc à ce dernier à payer les frais de l'enlèvement : c'est aussi ce que déclare l'art. 1608. En conséquence, c'est au vendeur de supporter les frais de pesage, comptage ou mesurage, ainsi que le salaire de la personne qui devrait tenir les

(1) Troplong (I, 281 et 282); Duvergier (I, 251 et 253).

magasins ouverts, quand l'acheteur viendra prendre livraison; c'est à l'acheteur, au contraire, de payer les frais d'emballage, de chargement et de transport. Il est évident, au surplus, qu'il peut être dérogé à ces principes par la convention, soit expresse, soit tacite, des parties; et comme il y a toujours convention tacite de suivre les usages du pays où l'on se trouve, ces usages, à moins de déclaration à cet égard, devraient être suivis en ce qu'ils auraient de contraire à la disposition de l'art. 1608.

C'est également par la convention expresse ou tacite des parties que se règle le lieu de la livraison, et ce n'est encore qu'à défaut de convention contraire qu'on applique la règle de l'art. 1609, qui veut que la chose soit livrée au lieu où elle était au moment de la vente. Ceci se trouve suffisamment expliqué sous l'art. 1247, dont la disposition est d'ailleurs plus complète que la nôtre, et auquel nous renvoyons. Ajoutons que, si l'on avait désigné deux localités alternativement, sans indiquer à quelle partie le choix appartiendrait, ce choix appartiendrait au vendeur, puisque c'est lui qui est débiteur de la livraison à faire.

Nous avons maintenant à examiner les règles relatives au temps où doit se faire la délivrance, et qui sont posées par les art. 1610-1613.

II. — La délivrance doit, bien entendu, se faire au moment fixé par la convention. S'il n'a été rien dit à cet égard, l'acheteur peut exiger la livraison à l'instant, à moins, toutefois, qu'il ne s'agisse de choses pour la livraison desquelles un certain délai se trouve nécessaire à raison de circonstances que l'acheteur connaissait; car, dans ce cas, il y a convention tacite que le vendeur jouira de ce délai.

Le vendeur peut refuser la délivrance tant que l'acheteur qui n'a pas de terme pour le payement de son prix n'offre pas ce prix; car l'une des parties ne saurait être contrainte à exécuter son obligation tant que l'autre n'exécute pas l'obligation corrélative (art. 1612). Dans le cas où la convention donne un terme à l'acheteur, le vendeur peut encore refuser la livraison, l'acheteur perdant le bénéfice de son terme, quand celui-ci, depuis la vente, est tombé en faillite ou en déconfiture, ou qu'il a diminué les sûretés qu'il avait données au vendeur par son contrat, à moins toutefois que cet acheteur ne donne bonne et valable caution pour le payement au terme convenu (art. 1613 et 1188) (1). Que si l'acheteur eût été déjà en faillite ou en déconfiture au moment de la vente, le vendeur ne pourrait refuser à l'acheteur le bénéfice du terme, et exiger le payement immédiat ou une caution, qu'en prouvant qu'on lui a frauduleusement dissimulé l'état de faillite ou de déconfiture.

(1) Il a été décidé, en ce sens, que le vendeur d'un fonds de commerce qui a stipulé un délai pour la livraison peut obtenir, même avant le délai fixé, la résiliation du traité, si la solvabilité de l'acheteur est diminuée au point de mettre le payement en péril. Paris, 11 juill. 1853 (J. Pal., 53, 2, 376). Comp. Cass., 9 janv. 1854; Paris, 22 janv. 1856; Cass., 26 nov. 1861; Lyon, 18 mai 1864 (J. Pal., 56, 2, 552; 56, 1, 217; 62, 332; Dev., 64, 2, 242).

Si, en dehors des cas où il est ainsi autorisé à refuser la livraison, le vendeur manque de la faire à l'époque voulue, et que ce défaut ou ce retard d'exécution provienne de sa faute ou de son fait, l'acheteur a le choix de faire prononcer par la justice ou sa mise en possession de la chose ou la résolution du contrat (art. 1610), en obtenant d'ailleurs, dans un cas comme dans l'autre, des dommages-intérêts, si le défaut ou le retard de l'exécution lui a causé un préjudice (art. 1611). On sait, du reste, que ni la résolution du contrat, ni même des dommages-intérêts, ne peuvent être demandés qu'après une sommation de délivrer restée sans effet, à moins 1o qu'il n'ait été formellement convenu que le vendeur serait mis en demeure par la seule échéance du terme et sans qu'il soit besoin d'aucune sommation, ou 2o lorsque la chose vendue ne pouvait être utilement livrée à l'acheteur que dans un délai que le vendeur a laissé passer, comme si je vous avais acheté, pour telle foire, des marchandises que vous deviez m'expédier, au plus tard, la veille de cette foire, et que vous ne l'ayez pas fait (art. 1139 et 1146). Et nonseulement, hors de ces deux cas, l'acheteur ne peut pas demander la résolution, ni même des dommages-intérêts avec exécution, avant une sommation restée sans effet, mais les juges saisis de la demande peuvent encore, selon les circonstances, accorder au vendeur un délai pour exécuter (art. 1184). Rappelons enfin que si le vendeur prouve que le défaut de livraison provient d'événements de force majeure, il pourrait bien encore y avoir lieu, selon les cas, à prononcer la résolution (par exemple, dans le cas d'achat fait pour une foire, après laquelle l'acheteur n'a plus besoin des marchandises), mais non pas à condamner le vendeur à des dommages-intérêts (art. 1148).

Ces diverses solutions ne sont, on le voit, que des applications de principes développés dans le titre Des Obligations, et nous renvoyons, à cet égard, à l'explication des différents articles qui viennent d'être cités. Nous renvoyons également à l'explication des art. 1150 et 1151 pour l'étendue que peut avoir, selon les cas, la dette des dommagesintérêts, et pour l'ancienne distinction des dommages soufferts extrinsecus ou propter rem ipsam.

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3. Quel doit être l'objet de la délivrance.

1614. La chose doit être délivrée en l'état où elle se trouve au moment de la vente.

I.

Depuis ce jour, tous les fruits appartiennent à l'acquéreur.

SOMMAIRE.

L'état de la chose doit être considéré au jour de la vente, quant aux changements imputables au vendeur; il doit l'être au jour de la livraison pour ceux provenant de force majeure. Observation pour le droit aux fruits.

II. Renvoi pour les ventes conditionnelles. Quid de l'acquisition des fruits dans ce cas? Renvoi et nouvelle discussion.

I.

Puisque c'est du jour même de la vente que l'acheteur est propriétaire de la chose vendue et que le vendeur est débiteur de cette

chose, celui-ci doit donc la délivrer dans l'état où elle était alors, c'est-àdire non détériorée par une cause qui lui serait imputable. C'est là ce que signifie notre art. 1614; c'est dans ce sens, purement relatif à l'obligation du vendeur de ne pas changer l'état de la chose dans l'intervalle de la vente à la livraison, et nullement dans un sens absolu, qu'est écrite cette règle que la chose doit être délivrée en l'état où elle se trouve au moment de la vente. Il est évident, en effet, que, l'acheteur étant propriétaire du jour du contrat, c'est pour lui, c'est à son profit ou à son détriment, que s'accomplissent, à partir de ce jour, sans aucune possibilité d'augmentation ou de diminution du prix, tous les événements de force majeure qui peuvent accroître et améliorer, ou amoindrir et détériorer la chose vendue; en sorte que, pour ce qui est de ces événements de force majeure, c'est, au contraire, dans l'état où la chose se trouve au jour de la livraison, qu'elle doit être livrée et reçue. Mais pour ce qui est des modifications provenant du fait du vendeur, c'est l'état au jour de la vente qui sert de point de départ : ainsi le vendeur serait responsable de toute détérioration qui lui serait imputable, et si, réciproquement, il avait fait sur cette chose des travaux d'amélioration, l'acheteur serait tenu d'en payer le montant ou de laisser remettre les choses au même état que devant; il devrait également rembourser toutes les dépenses que le vendeur aurait été forcé de faire pour la conservation de la chose.

Le principe que l'acheteur est propriétaire de la chose du jour de la vente, et avant toute délivrance, emporte cette autre conséquence, également exprimée par notre article, que c'est à partir de ce jour que lui appartiennent les fruits, soit naturels, soit civils, de la chose vendue. Sans doute la convention peut déroger à cette règle; on peut convenir, et on convient souvent, que l'entrée en jouissance de l'acquéreur n'aura lieu qu'à telle époque ultérieure. Quelquefois même cette réserve de la jouissance par l'acheteur devra se voir, quoiqu'on n'ait employé ni ce mot de jouissance ni le mot de fruits: dire, par exemple, que le vendeur ne fera la délivrance d'une ferme qu'après la prochaine récolte, c'est bien dire que cette récolte sera pour lui. Mais à défaut de convention spéciale, tous les fruits sont pour l'acheteur à partir de la vente.

II. Si la vente était conditionnelle, on appliquerait les règles que nous avons expliquées sous les art. 1179 et 1182.

On y a vu notamment que l'accomplissement de la condition, en faisant exister la vente et la propriété de l'acheteur du jour même du contrat, attribue par conséquent les fruits à cet acheteur à partir du même jour, à moins d'intention contraire chez les parties. Il est vrai que la doctrine opposée de Toullier et de M. Duranton est également suivie par M. Troplong (I, 322) et par M. Duvergier (I, p. 321, note); mais ni l'un ni l'autre n'ajoute aucune raison solide, ni même spécieuse, à celles que nous avons déjà réfutées. M. Troplong commence par reproduire les motifs déjà indiqués, en disant que le vendeur, pendente conditione, fait les fruits siens comme propriétaire et comme

possesseur; or ceci est d'abord contradictoire, puisque les deux qualités de propriétaire et de simple possesseur de bonne foi s'excluent l'une l'autre; mais on a vu d'ailleurs qu'une fois la condition accomplie, le vendeur se trouve n'avoir été ni propriétaire, puisque la vente, acte d'aliénation, se trouve avoir existé dès le moment du contrat, ni possesseur de bonne foi, puisque la nature résoluble de son droit lui était parfaitement connue. Et après avoir cité, d'abord, un passage de Cujas qui parle de ce qui arrive ante conditionem impletam, tandis qu'il s'agit ici de ce qui arrive post conditionem impletam, puis une loi romaine qui ne touche ni de près ni de loin à la question (1), M. Troplong donne pour dernière raison qu'il serait injuste que l'acheteur reçût les fruits alors qu'il ne paye pas les intérêts de son prix. M. Duvergier, qui reconnaît que les autres raisons ne valent rien, trouve cette dernière décisive. Or elle est, au contraire, la plus mauvaise de toutes et tombe complétement à faux, puisque si la perfection de la vente, en remontant au jour même du contrat, attribue dès ce jour à l'acheteur le droit de propriété et toutes ses conséquences, c'est aussi dès ce même jour, évidemment, qu'elle le rend débiteur du prix convenu, en sorte qu'il doit payer les intérêts échus depuis ce jour, en prenant les fruits nés depuis le même jour. On a enfin imaginé une autre raison, en disant que la rétroactivité opère sur les droits, mais non sur les faits, et que l'accomplissement de la condition ne saurait effacer le fait de la perception (2); mais ce ne sont là que des mots. Sans doute ni la règle de la rétroactivité des conditions, ni aucune autre règle que ce soit, ne peut détruire un fait. La destruction d'un fait est chose impossible, et la loi, pas plus que Dieu lui-même, ne peut faire l'impossible. Mais si la loi ne peut pas effacer un fait, elle peut parfaitement effacer les conséquences légales que ce fait devait produire, les droits qu'il devait engendrer, en sorte que, si l'accomplissement de la condition ne peut pas enlever le fait matériel de la perception accomplie par le vendeur, elle enlève très-bien le droit de propriété que ce fait devait lui donner sur les fruits perçus.

Ainsi, des quatre ou cinq motifs qu'on a successivement imaginés, pas un ne supporte l'examen. C'est qu'en effet, la règle étant ici, comme tout le monde le reconnaît, que, par l'accomplissement de la condition, la vente se trouve avoir été pure et simple ab initio, c'est donc ab initio que les fruits appartiennent à l'acheteur et les intérêts du prix au vendeur. Ainsi le veulent et le principe de la rétroactivité, et cette disposition de notre art. 1614 que c'est du jour de la vente que tous les fruits appartiennent à l'acquéreur. L'intention contraire des parties peut seule déroger à cette règle; et, par conséquent, les fruits ne pourront rester au vendeur, et les intérêts du prix à l'acheteur, que quand on décidera en fait que ces parties l'ont ainsi entendu.

(1) C'est la loi 31 (Dig., De legatis, 20); or cette loi ne s'occupe que d'une question d'affranchissement, et ne parle nullement de fruits.

(2) M. Mourlon, dans ses Répétitions sur le deuxième examen, p. 534, présente ce motif comme donné par M. le professeur Valette.

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