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Le législateur, et avec raison, n'a pas voulu qu'il en fût ainsi. Du moment que le marché portant sur les deux fonds s'est fait pour un seul et même prix, il n'y a donc qu'une seule vente dont les deux fonds réunis forment l'objet unique, et dès là que cet objet, en offrant en plus dans l'une de ses parties ce qu'il offre en moins dans l'autre, présente, soit exactement, soit à moins d'un vingtième près, la contenance indiquée pour l'ensemble, on ne doit admettre ni diminution ni augmentation du prix.

Ainsi, la pensée du législateur, dans cet article, c'est que l'unité du prix emporte unité de vente, malgré la pluralité, non-seulement dans les fonds vendus, mais encore dans les déclarations de contenance de ces fonds. De là découlent plusieurs conséquences. La première, c'est que, bien que l'article ne parle que de deux fonds, la règle serait toujours la même s'il y en avait trois ou quatre du moment qu'il n'y a qu'un seul prix, il n'y a qu'une seule vente, et partant, un seul calcul à faire pour la contenance totale de l'objet vendu; si donc l'excédant que présente un seul des fonds compense assez le déficit existant dans deux ou trois autres pour que ce déficit, en définitive, devienne nul ou inférieur à un vingtième, il n'y aura pas diminution; et de même, si l'excédant qui se trouve dans deux ou trois fonds est suffisamment compensé par le déficit d'un seul, l'augmentation ne sera pas due. La seconde, c'est que, quoique l'article ne parle que du cas où il y a tout à la fois un excédant d'une part et un déficit de l'autre, et, par suite, une compensation plus ou moins complète, la règle n'en serait pas moins applicable, alors qu'il y aurait excédant sans déficit ou déficit sans excédant, et par conséquent absence de compensation. Ainsi, que le pré contienne 8 hectares et demi, alors que la vigne contient bien les 12 hectares annoncés l'excédant d'un demi-hectare devant s'appliquer à la contenance totale de 20 hectares, et n'étant ainsi que d'un quarantième, il n'y aura pas lieu à augmentation, tandis que le vendeur eût pu exiger cette augmentation, s'il y avait eu deux ventes et que le calcul se fût ainsi fait pour chaque fonds séparément, puisque alors l'excédant eût été d'un seizième. Réciproquement, si le pré ne contenait que 7 hectares et demi, la vigne ne présentant pas d'excédant aux 12 hectares annoncés, l'acheteur ne pourra pas demander de diminution, puisque, par suite du calcul sur la contenance totale, le déficit ici, comme l'excédant plus haut, n'est que d'un quarantième.

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On comprend, au surplus, que si nous parlons ici de calculer par la contenance, c'est parce que, les deux espèces de terrain ayant, dans notre hypothèse, la même valeur, le calcul sur la contenance est en même temps le calcul sur la valeur; mais s'il en était autrement, si la valeur des deux terrains n'était pas la même, c'est par la valeur comparée du déficit, de l'excédant, ou de l'un et de l'autre, et non pas par leur contenance, qu'il faut calculer. Ainsi, quand je vous ai vendu pour 80000 francs 15 hectares de vigne que l'on reconnaît valoir 4 000 francs l'hectare, et 20 hectares de taillis qui ne vaut que 1000 francs, un déficit de 2 hectares de taillis que ne compense aucun excédant de vigne

ne donnera pas lieu à diminution de prix, quoique présentant plus du vingtième de la contenance totale de 35 hectares, parce que ce déficit ne forme que le quarantième de toute la valeur, 2000 sur 80 000; et il en sera de même réciproquement pour un excédant. Au contraire, une différence, soit en plus, soit en moins, d'un seul hectare de vigne que ne compense aucune différence dans le taillis, donnera lieu à augmentation ou à diminution, puisque cet hectare, quoique ne présentant qu'un trente-cinquième de la contenance, forme le vingtième de la valeur. Que si enfin il y avait sur le taillis une différence s'élevant jusqu'à 4 hectares, il suffirait d'une différence quelconque en sens contraire dans la vigne pour empêcher toute augmentation ou diminution du prix, puisque cette différence dans la vigne diminuerait l'importance de la différence dans le taillis, laquelle n'étant que de 4000 francs, c'est-à-dire du vingtième tout juste de la valeur, tomberait, par la compensation, au-dessous de ce vingtième.

En un mot, la pensée de l'article, pensée simple et large qu'exprime mal la rédaction trop restreinte du texte, et que nous verrons bientôt nettement indiquée dans le Rapport au Tribunat, c'est que l'indication séparée des diverses contenances de plusieurs fonds, quand elle n'est pas accompagnée de l'indication également séparée de prix divers pour chacun de ces fonds, n'empêche pas l'acte de ne former qu'une vente unique dont les divers fonds réunis sont l'objet également unique, en sorte qu'on ne peut calculer le déficit ou l'excédant que pour l'ensemble de ces fonds.

II. — Maintenant ce principe, qui s'applique sans conteste au cas prévu par l'art. 1619, d'une vente faite pour un prix indiqué en bloc, s'appliquera-t-il aussi au cas prévu par l'art. 1617, d'une vente faite pour un prix indiqué à tant la mesure? Ainsi, quand je vous ai vendu ma vigne de 12 hectares et mon pré de 8 hectares, non plus pour le prix général de 80 000 francs, mais à raison de 4 000 francs l'hectare, la règle de notre article sera-t-elle applicable?

M. Troplong (no 356, en note) répond négativement, sans en donner aucune raison, et en se contentant de dire qu'il ne lui paraît pas contestable que notre art. 1623 est étranger au cas de l'art. 1617. Mais M. Duvergier (n° 295), en prenant toutefois un biais qui nous paraît bien inutile, veut que la règle soit la même dans les deux cas : il enseigne que cette règle sera suivie, au cas de l'art. 1617, moins par application de notre art. 1623 que comme conséquence naturelle de la convention. Cette distinction ne nous semble en rien nécessaire, et nous n'hésitons pas à dire que la pensée comme le texte de la loi commandent d'appliquer la règle aux deux cas.

L'article, d'une part, parle de toute vente faite pour un seul et même prix, sans distinguer si ce prix est fixé en bloc et par une somme totale, ou s'il l'est à tant la mesure. Or, de même que tout est vendu pour un seul et même prix, quand je vends ce premier fonds et ce second fonds pour une seule somme de 80 000 francs, au lieu de vous vendre le premier pour 60 000 francs et le second pour 20 000, de même il n'y a ici

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qu'un seul et même prix, quand je vends ces deux fonds pour un même chiffre de 4000 francs l'hectare, au lieu de vendre le premier pour 4000 francs et le second pour 1 000, 2000, 500 ou tout autre chiffre. Le seul et même prix n'est-il pas mis par opposition à deux ou plusieurs prix, à autant de prix qu'il y a de fonds? Si l'on a fixé autant de prix que de fonds, il y a plusieurs ventes; s'il n'y avait qu'un même prix pour les différents fonds, c'est une seule vente. Cette pensée de la loi n'apparaît-elle pas bien, d'ailleurs, par la place même qu'occupe notre article, puisqu'il ne vient qu'à la suite de deux autres dispositions également applicables aux deux hypothèses de l'art. 1617 et de l'art. 1619? Le législateur règle sa première hypothèse dans les deux art. 1617, 1618; il passe immédiatement à la seconde dans les deux art. 1619, 1620; puis il pose les règles communes aux deux cas dans les trois art. 1621-1623, pour s'occuper ensuite d'un autre ordre d'idées dans l'art. 1624. Et comment, en effet, notre règle ne s'appliquerait-elle pas au cas de l'art. 1617? Comment! votre déficit d'un demi-hectare de vigne valant 2000 francs sera compensé par l'excédant d'un demi-hectare de pré de même valeur, quand j'ai déclaré vendre les 20 hectares pour 80000 francs, et la compensation n'aurait plus lieu, quand j'ai déclaré vous vendre le tout pour 4000 francs l'hectare! Comment! cette estimation écrite au contrat va empêcher que les 2000 francs que vous perdez d'un côté se compensent avec les 2000 francs que vous gagnez de l'autre ? Comment! vous pourriez prétendre qu'il y a dans ce cas deux ventes, que par conséquent vous ne me devez pas d'augmentation pour l'excédant d'un demi-hectare sur les 12 hectares de vigne (puisqu'il n'y a pas un vingtième), et que je vous dois, moi, une diminution sur les 8 hectares de pré, non pas seulement pour un demi-hectare qui manquerait, mais pour une parcelle quelconque (puisque l'art. 1617, à la différence de l'art. 1619, admet la diminution pour tout déficit, si faible qu'il soit): ainsi les 3 ou 400 francs que vous perdez sur le pré ne seraient pas compensés par les 2 000 francs que vous gagnez sur la vigne !... Ce serait d'une monstrueuse injustice, et l'esprit de la loi, dès lors, de même que son contexte, commandent de voir une seule vente, et partant un seul calcul de déficit ou d'excédant, aussi bien quand les fonds sont vendus pour un seul prix à tant la mesure que quand ils le sont pour un seul prix général.

Au surplus, cette pensée de l'article, ainsi manifestée déjà par ses termes, par la place qu'il occupe et par le but qu'il se propose, ne laisse plus de doute quand on recherche comment l'ont entendu les auteurs du Code. D'une part, le rapporteur du Tribunat, après avoir analysé notre article en tant qu'il « sert à régler, dit-il, de quelle manière doit être appliquée la disposition que je viens d'analyser », c'est-à-dire celle des art. 1619, 1620, s'élève ensuite à ce principe général, par nous précisé plus haut, que c'est la circonstance d'un seul et même prix qui ait considérer les différents fonds comme objet unique d'une seule vente; puis il ajoute que la même règle doit être suivie, TOUTES LES FOIS

que la contenance réelle de l'un des fonds est différente de celle exprimée au contrat (Fenet, t. XIV, p. 164). D'un autre côté, M. Maleville, l'un des quatre rédacteurs, après avoir expliqué que la compensation commandée par notre article est celle des valeurs et non celle des contenances, ajoute que « cette compensation faite, on n'a égard à l'excédant ou au déficit qu'autant qu'il est d'un vingtième, à moins que la vente n'ait été faite à tant la mesure, cas où un déficit quelconque est suffisant (t. III, p. 381). » Ce cas de vente à tant la mesure est donc soumis, aussi bien que l'autre, à la règle de compensation posée par notre article.

III. Il ne nous reste à parler, sur cette matière de l'objet de la délivrance, réglée par les dix art. 1614-1623, que de la sixième des hypothèses dont le Code n'a prévu que deux, celle des ventes faites avec indication de contenance, mais avec convention qu'il ne sera dû aucune garantie de cette contenance.

Ce cas ne saurait présenter aucune difficulté. Toute convention étant la loi de ceux qui l'ont faite, il est clair que du moment que le vendeur et l'acheteur sont convenus, soit expressément, soit tacitement, que l'indication de contenance ne produira pas d'effet et que le terrain serait pris avec l'étendue, telle quelle, qu'il se trouve avoir, c'est à cette idée qu'il faut se tenir, en sorte qu'il n'y aura ni diminution de prix pour déficit, ni augmentation pour excédant, si considérable que cet excédant ou ce déficit puisse être. L'art. 1619, quand il admet la diminution ou l'augmentation de prix pour la différence de moins d'un vingtième en cas de stipulation spéciale à cet égard, ne fait qu'appliquer le principe général de la liberté des conventions, en vertu duquel réciproquement la différence de plus du vingtième sera sans effet, si telle est la stipulation des parties. On ne conçoit pas que deux cours d'appel, celle de Paris (16 juin 1807) et celle de Bourges (12 juillet 1808), aient pu juger que la stipulation que le vendeur ne sera point garant du défaut de mesure n'a d'effet qu'au-dessous du vingtième. L'erreur est d'autant moins douteuse, qu'on s'en était formellement expliqué lors de la rédaction du Code. M. Berlier, en proposant le chiffre d'un vingtième, faisait observer que « cette décision ne nuira point aux stipulations propres à rédimer le vendeur qui aura vendu le fonds tel qu'il est et se comporte ou sans aucune garantie de contenance. » (Fenet, t. XIV, p. 28.)

Du reste, les deux mêmes cours ont plus tard abandonné l'une et l'autre cette fausse doctrine (1) pour suivre la doctrine contraire, consacrée par la Cour suprême (Rej., 18 novembre 1828) et professée depuis par M. Troplong (I, no 341) et M. Duvergier (1, no 305).

4o Des risques depuis la vente jusqu'à la délivrance.

1624. La question de savoir sur lequel, du vendeur ou de l'ac

(1) Paris, 9 juill. 1827 (c'est l'arrêt maintenu par le rejet de 1828); Bourges, 31 août 1831 (Dev., 33, 2, 9).

quéreur, doit tomber la perte ou la détérioration de la chose vendue avant la livraison, est jugée d'après les règles prescrites au titre Des Contrats ou des Obligations conventionnelles en général.

I. C'est d'après les principes généraux des obligations que se décidera, selon les différentes circonstances, la question des risques de la chose vendue. Nous renvoyons, à cet égard, aux explications que nous avons données sous les art. 1302, 1245 et surtout 1137 sur la théorie des fautes. Il faut y ajouter aussi ce que nous avons dit du transport de la propriété et des risques, dans le contrat de vente, sous les articles 1585, 1586, et 1587, 1588.

1625. :

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SECTION III.

DE LA GARANTIE.

La garantie que le vendeur doit à l'acquéreur, a deux objets le premier est la possession paisible de la chose vendue; le second, les défauts cachés de cette chose ou les vices rédhibitoires.

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I. Le vendeur est tenu de garantir son acheteur, c'est-à-dire de le protéger et défendre ou subsidiairement de l'indemniser, à raison, 1o de tout ce qui peut faire obstacle à la pleine et libre possession qu'il doit procurer à cet acheteur sur la chose vendue; 2o des défauts cachés qui anéantissent ou diminuent considérablement l'usage de cette chose, défauts qui, permettant à l'acheteur de résilier son achat, redhibere, se nomment pour cela vices rédhibitoires.

Ce double objet de la garantie est ici réglé dans deux paragraphes, dont le premier va traiter de l'éviction ou dépossession, soit totale, soit partielle. Ce paragraphe, après avoir posé d'abord les principes. généraux de la matière (art. 1626-1629), s'occupera successivement: 1o de l'éviction totale (art. 1630-1635); 2o de celle qui ne porte que sur une partie de la chose (art. 1636 et 1637); 3° de celle qui résulte de l'existence de charges non apparentes et non déclarées à l'acheteur (art. 1638); 4o du renvoi aux principes généraux des obligations, pour les questions non prévues ici (art. 1639); 5° enfin des causes qui font cesser la dette de garantie (art. 1640).

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1626. Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente.

1627. Les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l'effet; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie.

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