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biens de cette société, c'est la règle de l'art. 1439 qui s'appliquerait.

II. Quand, au contraire, les deux époux parlent au contrat et déclarent tous deux doter l'enfant, tous deux sont liés. Chacun l'est pour la part indiquée, si le contrat s'explique à cet égard; sinon, chacun l'est pour moitié. Du reste, l'un ne répond pas de la part afférente à l'autre, à moins qu'il n'y ait déclaration expresse de solidarité (1).

1545.Si le survivant des père ou mère constitue une dot pour biens paternels et maternels, sans spécifier les portions, la dot se prendra d'abord sur les droits du futur époux dans les biens du conjoint prédécédé, et le surplus sur les biens du constituant.

1546. Quoique la fille dotée par ses père et mère ait des biens à elle propres dont ils jouissent, la dot sera prise sur les biens des constituants, s'il n'y a stipulation contraire.

I. Principe posé par l'art. 1546.

SOMMAIRE.

II. Développements sur l'art. 1545. Sa disposition finale ne s'applique que pour des parents dotaux : dissentiment avec M. Demante.

I. De ces deux articles, c'est le second qui contient l'idée générale dont le premier n'est qu'un développement et une application de détail. C'est donc par le dernier que doivent commencer nos observations.

La circonstance que l'enfant a des biens personnels, et que ses père ou mère en sont détenteurs et usufruitiers, ne permettrait pas de plein droit, et sans une déclaration ad hoc dans le contrat, d'imputer sur ces biens la dot que les père et mère ou l'un d'eux constituent. Ainsi, quand le père jouit, soit comme usufruitier légal, soit autrement, d'une somme de 50000 francs qui appartient à sa fille, soit comme lui provenant de la succession de la mère prédécédée, soit comme lui ayant été donnée par quelque parent ou ami, et que le père déclare sans autre explication constituer à sa fille une dot de 50 000 francs, il ne serait pas reçu à dire que la somme dont il a entendu parler est celle qui appartient à l'enfant entendue ainsi, la promesse du père serait une duperie pour la fille et le futur gendre; car ce n'est pas faire donation d'une dot que de livrer à l'enfant ce qui lui appartient. Si donc le père ne veut livrer que le bien de la fille et ne rien donner de suo, il faut, d'après notre art. 1546, qu'il ait soin d'écrire une stipulation ad hoc.

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II. Or cette stipulation expresse existe lorsque les biens qui appartiennent à la fille lui provenant de la succession de l'un de ses auteurs, l'autre constitue la dot pour biens paternels et maternels, ou̟ en tous autres termes exprimant la même idée. Il en serait de même, on

(1) Orléans, 5 déc. 1842 (Dev., 46, 2, 1); Roussilhe (De la Dot, II, 664); et MM. Tessier (I, p. 130, note 233); Pont et Rodière (1, 95). - Voy. cependant M. Odier (III,

le comprend, si, les père et mère vivant encore tous deux et l'enfant ayant des biens lui provenant d'une source quelconque, ces père et mère ou l'un d'eux déclaraient constituer la dot tant en biens de l'enfant qu'en biens à eux propres. Si, dans ces différents cas, le contrat indique la proportion dans laquelle contribueront les biens de l'enfant et ceux du constituant, l'indication sera suivie; et s'il arrivait que les biens appartenant à l'enfant ne fussent pas suffisants pour fournir la portion à eux attribuée, c'est le constituant qui devrait la parfaire : ainsi, quand le père a promis 100 000 francs dont moitié à prendre sur la succession maternelle, ou plus généralement sur les biens de l'enfant, et que les biens de l'enfant ne s'élèvent qu'à 45000 francs, le père sera tenu d'en donner de suo 55 000, parce qu'il faut avant tout que la somme promise soit fournie. Que si le contrat est muet sur les parts contributoires, on suit une règle que l'on n'aurait pas toujours appliquée si le Code, gardant le silence à cet égard, avait laissé au juge le soin d'interpréter la clause d'après les circonstances, mais qui est posée comme principe absolu dans notre art. 1545, et dont on ne peut dès lors pas s'écarter : la dot se prendra d'abord et jusqu'à épuisement sur les biens de l'enfant, et c'est seulement pour le surplus que le survivant donnera du sien. Ainsi, quand le père a promis de cette façon 100 000 francs, et que la fille n'en a que 40 000, le père en fournira 60 000; si la fille a 90000 francs, le père n'en donnera que 10 000; si la fille a 100 000 francs ou davantage, le père ne donnera rien. Sans doute ce résultat prête à la critique; car il n'est pas vrai de dire alors que la dot se constitue de biens paternels et maternels, elle consiste en biens maternels exclusivement. Aussi la Cour de Poitiers, en 1825, avait-elle cru, dans une espèce où le père avait promis la dot tant de son chef qu'à valoir sur la succession de la mère, devoir écarter cette règle pour faire contribuer chacun des patrimoines par moitié. Mais c'était là, du moment qu'il s'agissait de parents dotaux, une violation de notre art. 1546, qui pose ici comme règle absolue que la constitution pour biens paternels et maternels doit s'entendre dans ce sens que le constituant donne de suo, s'il est nécessaire, et seulement en cas d'insuffisance de la succession du conjoint. C'est donc avec raison que l'arrêt de Poitiers a été cassé par la Cour suprême le 17 décembre 1828.

Du reste, cette règle ne se trouvant ainsi posée comme principe absolu que pour les constitutions faites par des parents dotaux, les seules dont s'occupent nos trois articles, il s'ensuit que, dans le cas de parents communs, les juges du fait resteraient libres d'interpréter autrement la clause du contrat, en sorte qu'on ne peut pas admettre ici l'idée de M. Demante (Prog. III, note du no 214), qui pense que nos deux articles, bien qu'ils ne soient écrits comme le précédent que pour des constituants soumis au régime dotal, doivent, à la différence du précédent, s'appliquer en toute circonstance, par l'analogie et comme raison écrite. C'est vrai pour les autres dispositions de ces articles, qui ne font en effet que consacrer des idées parfaitement rationnelles et

qu'on devrait suivre alors même qu'elles ne seraient pas écrites dans le Code; mais celle qui nous occupe peut, en certains cas, se trouver peu d'accord avec la raison, peu satisfaisante pour la conscience du juge, comme le prouve bien l'arrêt de Poitiers, et le magistrat dès lors, du moment qu'il ne s'agit plus de parents dotaux, reste libre de l'écarter pour donner au contrat une interprétation plus conforme à la vérité.

1547.

De la garantie et des intérêts de la dot.

Ceux qui constituent une dot, sont tenus à la garantie des objets constitués.

1548. Les intérêts de la dot courent de plein droit, du jour du mariage, contre ceux qui l'ont promise, encore qu'il y ait terme pour le payement, s'il n'y a stipulation contraire.

I. Ces deux articles ne sont que la reproduction identique de l'art. 1440. On a vu sous ce dernier que la donation faite pour cause de dot participe de la nature des contrats à titre gratuit et de celle des contrats à titre onéreux, et qu'elle produit sous ce dernier rapport le double droit de garantie et d'intérêts, suffisamment expliqué alors pour que nous n'ayons pas à y revenir ici.

Mais si le double caractère d'acte gratuit et onéreux tout ensemble existe ainsi dans la constitution de dot faite par un tiers, il est clair qu'il n'existe pas dans la constitution que la femme se fait à elle-même : l'acte est alors purement et simplement à titre onéreux, puisque la femme ne fait nullement une donation, mais trouve l'équivalent de ce qu'elle abandonne au mari, c'est-à-dire de la jouissance des biens constitués, dans l'obligation du mari de soutenir les charges du mariage. Il suit de là que non-seulement le mari a droit à la garantie et aux intérêts contre la femme, de même que cette dernière y a droit contre son donateur en cas de donation, mais aussi que le profit qu'il tire de la jouissance des biens de la femme n'est point un avantage soumis aux règles des libéralités. Ainsi les enfants d'un précédent lit de la femme n'en pourraient pas demander la réduction, et si le mari se trouvait être l'un des cohéritiers de la femme, il n'en devrait point le rapport.

II.-Du reste, si, dans le cas de constitution de dot faite à la femme par un tiers, le contrat qui se forme alors est gratuit et onéreux tout ensemble, il est à remarquer qu'il se forme aussitôt, entre la femme et le mari, un second contrat qui est purement onéreux comme l'est la constitution que la femme se fait à elle-même. En même temps, en effet, que le tiers transfère à la femme la propriété du bien, celle-ci confère au mari le droit de jouissance de ce bien; de sorte que ce n'est pas du tiers constituant, mais de la femme seulement, que le mari tient son droit, puisque le constituant n'a fait sa donation qu'à la femme et non au mari.

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De là résultent, entre autres, deux conséquences remarquables. L'une est que le mari, en cas d'éviction, ne pourrait agir personnelle

ment en garantie que contre sa femme, et n'aurait de recours contre le constituant que comme ayant cause de cette femme et par application de l'art. 1166, ce qui prouve combien est profonde l'erreur, déjà signalée sous l'art. 1440, dans laquelle tombe Delvincourt, quand il enseigne que le recours en garantie contre le constituant n'appartient qu'au mari et non à la femme. La seconde, c'est que, dans le cas où la donation serait attaquée comme frauduleuse par les créanciers du constituant, la rescision, une fois prononcée contre la femme, ne pourrait s'étendre au droit d'usufruit du mari, qu'à la condition de prouver que ce dernier était lui-même complice de la fraude, puisqu'il est sousacquéreur à titre onéreux, et ne peut dès lors subir la rescision qu'autant qu'il a lui-même agi frauduleusement, comme nous l'avons prouvé ailleurs contre M. Zachariæ (art. 1167, n° IV) (1).

SECTION II.

DES DROITS DU MARI SUR LES BIENS DOTAUX, Et de l'inaliénabilité du fonDS DOTAL.

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1° Droits du mari sur les biens dotaux.

1549. Le mari seul a l'administration des biens dotaux pendant le mariage.

Il a seul le droit d'en poursuivre les débiteurs et détenteurs, d'en percevoir les fruits et les intérêts, et de recevoir le remboursement des capitaux.

Cependant il peut être convenu, par le contrat de mariage, que la femme touchera annuellement, sur ses seules quittances, une partie de ses revenus pour son entretien et ses besoins personnels.

SOMMAIRE.

I. Double droit d'administration et de jouissance du mari. Renvois pour plusieurs points.

II. Le mari n'est plus, comme à Rome, propriétaire des biens dotaux, mais il a toujours les mêmes droits exorbitants d'administration: erreur de deux arrêts; autre erreur de Proudhon et Toullier.

III. Mais il ne peut pas plus qu'autrefois provoquer le partage des biens dotaux; et ce partage doit toujours être fait en justice. Dissidence entre la jurisprudence et la doctrine.

IV. Il peut transiger, quand la transaction ne contient pas aliénation: erreur de M. Tessier.

I.-Les deux premiers paragraphes de cet article confèrent au mari, en les formulant d'une manière confuse et fort peu méthodique, deux droits importants sur les biens dotaux de la femme : le droit d'administration, dont s'occupent le premier paragraphe et la plus grande partie du second; le droit de jouissance, qui se trouve jeté dans ce second paragraphe au milieu des éléments du droit d'administration. Il est

(1) Le père qui, par le contrat de mariage de sa fille, s'est obligé à faire un emploi déterminé de la somme constituée dotale, est responsable de la perte résultant d'un emploi autre que celui stipulé. Paris, 27 janv. 1854 (Dev., 54, 2, 776; J. Pal., 54, 2, 160).

clair, en effet, que le droit de poursuivre les débiteurs et détenteurs en exerçant les diverses actions, et celui de recevoir les capitaux, font partie du droit d'administrer, comme on le voit, notamment, au titre de la Tutelle. Quant au droit de percevoir les fruits, il ne serait encore qu'un des éléments du droit d'administrer, s'il devait s'entendre à la lettre; mais on sait, et il est prouvé de reste par les art. 1540, 1562, 1571 et 1576, que la loi, sous cette expression trop restreinte, n'entend pas seulement le droit de percevoir les fruits, mais le droit de les garder, de se les approprier; en d'autres termes, le droit de jouissance des biens.

Nous reviendrons sur ce droit de jouissance ultérieurement, notamment sous l'art. 1571. D'autre part, c'est sous l'art. 1553 que nous aurons à parler de l'emploi des capitaux reçus. Enfin, notre troisième paragraphe, relatif à la clause restrictive, au profit de la femme, du droit de jouissance du mari, se trouve expliqué sous l'art. 1534, no I. Nous n'avons donc à insister ici que sur la nature toute spéciale et vraiment exorbitante du droit d'administration conféré au mari sous le régime dotal.

II. A Rome, le mari était déclaré propriétaire de la dot, dominus dotis. Il est vrai que le droit de propriété du mari sur les biens dotaux était, en présence de l'autre droit de propriété que l'on reconnaissait toujours appartenir à la femme, fort difficile à bien expliquer et à préciser, témoin les interminables disputes des interprètes à cet égard. Un bien qui demeurait, juridiquement, la propriété de la femme, en devenant, juridiquement aussi, la propriété du mari, c'est une idée qui ne paraît pas aussi simple que le pense M. Troplong (IV, no 3097-3104); et il est à remarquer que Cujas et Doneau, que le savant magistrat trouve d'accord sur ce point, arrivent à dire en définitive, l'un, que le mari n'est pas propriétaire naturellement et en fait, mais seulement jure civili; l'autre, qu'il ne l'est ni jure naturali ni jure civili. Quoi qu'il en soit, toujours est-il que, dans le droit romain, le mari avait le titre de propriétaire des biens dotaux; les textes le lui donnent à chaque pas, et c'était comme conséquence de cette qualité qu'on expliquait ses droits exorbitants d'administration et de disposition. Mais comme cette propriété simultanée de la femme et du mari, déjà peu intelligible à Rome, ne peut se concevoir sous notre Code civil, qui n'admet même pas la distinction romaine de deux propriétés, l'une quiritaire, l'autre bonitaire; comme il n'y a rien de plus arbitraire, de plus inadmissible aujourd'hui, que l'idée présentée par M. Troplong (no 3173), de deux domaines, l'un supérieur et naturel, l'autre civil et inférieur, dont le premier appartiendrait à la femme et le second au mari; comme, en effet, le Code se garde bien d'appeler nulle part le mari propriétaire des biens dotaux; que, loin de là, il l'assimile à l'usufruitier (art. 1562) et tient pour seul propriétaire la femme, si bien que l'aliénation, quand par exception elle est possible, n'est pas faite par la femme et par le mari, mais par la femme avec simple autorisation du mari (art. 1555 et 1556), celui-ci ne devenant propriétaire que

T. VI.

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