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ploi est réputé fait à une personne incapable de recevoir, pour en conclure que ce payement est nul absolument et sans examen du point de savoir si le mari est ou non solvable. Ce principe, en effet, n'est luimême qu'une exagération qui ne résisterait pas à une critique sérieuse ; et s'il se trouve implicitement consacré par le Code, ce n'est certes pas comme idée juste et rationnelle, mais seulement comme maintien de ce qui existait autrefois. C'est donc avec ses anciennes limites que la règle doit être admise; or, le recours de la femme n'était que subsidiaire dans l'ancien droit (1).

Aucune de ces règles ne s'applique plus quand le contrat de mariage ne contient pas de clause d'emploi. Le mari, qui aurait alors la propriété de l'immeuble qu'il achèterait avec les capitaux reçus, est parfaitement libre de n'en pas acheter; et on ne comprend pas que des débiteurs aient pu avoir dans ce cas la prétention de ne payer qu'à la condition d'un emploi. Il va sans dire que cette prétention a été repoussée (2).

IV.

-

Si, dans le cas prévu par notre art. 1553 d'une constitution de deniers faite purement et sans clause d'emploi, c'était la femme, après avoir fait prononcer sa séparation de biens (art. 1563), qui achetât un immeuble, soit avec les sommes dotales que lui restitue le mari, soit avec celles que lui payent ses débiteurs, ou qui reçût l'immeuble en payement de ces sommes, cet immeuble ne serait pas plus dotal dans les mains de la femme qu'il ne l'eût été dans celles du mari avant la séparation de biens, et c'est évidemment à tort qu'on a quelquefois jugé le contraire. D'après l'ancien droit déjà cet immeuble n'était pas dotal, et la Cour suprême a cassé en 1849 une décision contraire de la Cour de Nîmes (3); mais alors même que ce point serait douteux d'après l'ancien droit, il ne saurait toujours l'être d'après le Code, puisque notre art. 1553 déclare formellement, sans distinguer entre le mari et la femme, que ni l'immeuble acquis avec les deniers dotaux, ni celui qui est reçu en payement de ces deniers, ne sont dotaux. C'est, en effet, ce que reconnaissent la plupart des arrêts (4).

Mais deux de ces arrêts (ceux de 1817 et de 1843), et comme eux quelques jurisconsultes, notamment M. Tessier (1, note 410), tout en proclamant le principe de non-dotalité de l'immeuble, arrivent bientôt à le détruire en méconnaissant ses conséquences. Selon eux, il faut alors que les deniers de la femme se retrouvent toujours et quoi qu'il arrive si l'immeuble est par elle aliéné ou hypothéqué par un em

:

(1) Salviat (vo Dot); Lapeyrère (lett. C); Benoît (no 112); Toullier (XIV, 154); Zachariæ (III, p. 576); Troplong (IV, 3122).

(2) Caen, 27 juin 1825; Cass., 23 janv. 1824; Grenoble, 22 juin 1827, 24 mars 1828; Toulouse, 31 juill. 1833, 23 déc. 1839 (Dev., 40, 1, 242).

(3) Cass., 25 fév. 1817; Bordeaux, 5 fév. 1829; Poitiers, 5 juill. 1839; Riom, 8 août 1843; Cass., 20 fév. 1849 (Dev., 39, 2, 546; 44, 2, 590; 49, 1, 241).

(4) Cass., 25 fév. 1817; Bordeaux, 5 fév. 1829; Poitiers, 5 juill. 1839; Riom, 8 août 1843; Cass., 20 fév. 1849; Riom, 23 nov. 1852; Montpellier, 21 fév. 1851 et 18 fév. 1853; Toulouse, 24 fév. 1860; Caen, 27 déc. 1860 et 18 mars 1861 (Dev., 39, 2, 546; 44, 2, 590; 49, 1, 241; 53, 2, 673; 60, 2, 305; 61, 2, 284; J. Pal., 55, 2, 470; 61,

prunt, et que l'argent qu'elle a reçu pour prix de la vente ou comme prêt se trouve perdu, elle pourra, dit-on, refuser effet à l'hypothèque ou faire payer l'acquéreur une seconde fois... C'est une erreur manifeste; car du moment que l'immeuble n'est pas dotal, il est clair que l'aliénation ou l'hypothèque qui en sont régulièrement consenties doivent avoir leur effet ordinaire. Ainsi, quand le mari, qui ne devait à sa femme obtenant la séparation de biens qu'une somme d'argent, lui a livré un immeuble par dation en payement, est-ce que ce mode de payement peut procurer à la femme un privilége qu'elle n'aurait pas eu si le mari l'avait payée en argent comme il le pouvait? En recevant du mari des deniers, la femme l'eût pleinement libéré par sa quittance et n'eût eu aucun recours ultérieur en cas de perte de son argent; or quand, après avoir reçu l'immeuble en place d'argent, elle le vend ou le grève d'hypothèque, n'est-il pas clair que les deniers à elle livrés par l'acheteur ou le prêteur la mettent dans la même position que si le mari, dès l'origine, l'avait payée en argent? n'est-il pas clair qu'elle ne peut pas plus avoir de recours, dans le second cas que dans le premier, pour défaut d'un emploi que son contrat ne stipule pas?... Encore une fois, l'immeuble n'étant pas dotal, son aliénation et son hypothèque restent dès lors soumises au droit commun, comme l'enseigne fort bien M. Troplong (n° 3189-3193).

2° Inaliénabilité des immeubles dotaux.

1554. Les immeubles constitués en dot ne peuvent être aliénés ou hypothéqués pendant le mariage, ni par le mari, ni par la femme, ni par les deux conjointement, sauf les exceptions qui suivent.

I.

SOMMAIRE.

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Observations sur l'inaliénabilité dotale. Elle s'applique sans conteste aux immeubles.

II. Elle ne s'applique point à la dot mobilière.

III. Mais celle-ci ne peut être aliénée que par le mari, tant qu'il n'y a pas séparation de biens. Après la séparation, elle peut l'être par la femme erreur et contradiction de la jurisprudence. IV. L'indisponibilité des immeubles dotaux s'étend à leurs revenus, pour la partie nécessaire aux besoins du ménage : erreur de M. Troplong. Quant au superflu, il est pleinement disponible, et il répond, aux mains de la femme séparée de biens, de tous les engagements qu'elle a valablement contractés : erreur de la jurisprudence.

V.

La séparation de biens ne fait pas cesser la dotalité; elle se combine seulement avec elle erreur de Toullier et de Delvincourt.

VI. Cette combinaison des deux régimes ne pourrait pas être établie par le contrat de mariage.

VII. La dotalité cesse par la dissolution du mariage, mais pour l'avenir seulement, et dès lors les immeubles ne répondent pas des engagements contractés par la femme pendant son union : erreur de Toullier et de M. Troplong. - Il n'y a pas à distinguer si la poursuite se fait contre la femme ou contre ses héritiers: erreur de M. Troplong et d'un arrêt.

VIII. Nouvelle réfutation de l'erreur signalée au no IV, in fine. Critique d'une autre erreur analogue.

I. Voici le texte qui pose pour notre France moderne le fameux principe de l'inaliénabilité des fonds dotaux; principe exotique, em

prunté à d'autres mœurs, à un autre pays, et qui se trouve si peu en harmonie avec l'esprit de notre législation nationale; principe étrange, qui, assimilant des choses essentiellement privées aux choses publiques, et créant pour les héritages dotaux un privilége dont ne jouissent ni les biens des mineurs, ni ceux des communes ou des départements, ni ceux de l'État lui-même, déclare les premiers inalienables, imprescriptibles, soustraits à la circulation, au commerce de l'homme, aux transactions sociales, absolument comme les places de guerre, les monuments publics, les fleuves, les routes, les églises et cimetières; principe funeste, qui sacrifie, à l'esprit étroit et obstiné de conservation absolue et quand même, toute idée de progrès, toute augmentation du patrimoine, l'avenir de la famille, l'aisance du ménage, l'intérêt des tiers, la bonne foi dans les conventions, et fait naître à lui seul près du tiers des procès qui retentissent dans nos tribunaux; principe, enfin, qui se trouve absurde aujourd'hui, puisque son but était de faciliter les seconds ou subséquents mariages de la femme, tandis que notre droit français voit ces mariages d'un œil défavorable et s'efforce de les empêcher... (1) Du reste, si fâcheuse que puisse être la règle de notre article, il est clair qu'on doit l'appliquer sincèrement : dura lex, sed lex; mais il est clair aussi qu'on doit bien se garder de l'exagérer.

Et d'abord la règle doit être strictement suivie. Ainsi l'immeuble dotal ne pourra jamais, hors les cas d'exception prévus par les articles suivants, être aliéné, ni pour le tout, ni pour partie, ni quant à la propriété, ni quant à quelque démembrement de cette propriété : on ne pourrait concéder sur cet immeuble aucun droit d'usufruit ni d'usage, aucune servitude. Sans doute il serait soumis comme tout autre aux servitudes légales, et, par exemple, à la nécessité de livrer passage au fonds voisin en cas d'enclave, puisque ce n'est pas ici la volonté de l'homme, mais la loi elle-même, qui impose la servitude, et qu'il n'y a plus dès lors aliénation, c'est-à-dire acte d'un propriétaire transférant son droit à autrui (2). Mais l'établissement de la moindre servitude conventionnelle constitue une aliénation et ne saurait par conséquent avoir lieu.

En même temps que l'aliénation, notre article prohibe aussi l'hypothèque, et c'est tout simple. D'une part, l'hypothèque contient en germe l'aliénation, et le droit d'hypothéquer n'existe, aux termes de l'art. 2124, que là où se trouve le droit d'aliéner; en sorte que la prohibition résulterait encore de cet art. 2124, alors même qu'elle ne serait pas écrite dans le nôtre. Il y avait d'ailleurs, pour la défense d'hypothèque, un motif plus fort encore que pour la défense d'aliéner: c'est la facilité plus grande avec laquelle la femme accorderait souvent l'hypothèque, dans l'espoir d'un remboursement qui peut ensuite se

(1) Voy. les art. 386, 395, 390, 400. · Voy. aussi, plus haut, sur l'inaliénabilité dotale, les observations qui précèdent l'art. 1549. — Quant à l'effrayante multiplicité de procès que le régime dotal fait naître, il suffirait presque pour en juger de remarquer le nombre des arrêts que nous avons à citer dans ce chapitre.

(2) Conf. Troplong (IV, 3277 et suiv.). Voy. cependant l'arrêt de rejet du 20 janv. 1847 (Dev., 47, 1, 129).

trouver impossible; en sorte qu'elle arriverait ainsi, indirectement et contre son gré, à une aliénation que directement elle n'eût jamais consentie. Aussi la loi Julia, tout en permettant l'aliénation au moyen du concours des deux époux, prohibait-elle l'hypothèque même avec ce concours : c'est Justinien qui prohiba, plus tard, l'aliénation comme l'hypothèque (1).

II. - Mais s'il faut donner tout son effet à la prohibition, il ne faut pas l'exagérer; et puisque le Code ne parle que des immeubles, il faut bien se garder d'étendre l'inaliénabilité à la dot mobilière... Ce sont les immeubles constitués en dot que notre art. 1554 déclare inaliénables. Les art. 1557, 1558, 1559 et 1560 ne parlent également que de l'immeuble dotal ou du fonds dotal. La rubrique même de notre section déclare s'occuper de l'inaliénabilité du fonds dotal, expression d'autant plus significative, que les rédacteurs viennent d'y parler des droits du mari sur les biens dotaux. Et cette distinction de la rubrique entre les biens dotaux en général, pour lesquels la loi va régler les droits du mari, et le fonds dotal, dont elle va édicter l'inaliénabilité, se retrouve, en effet, dans les dispositions de la section, puisque la première partie (art. 15491553) s'occupe de toutes les espèces de biens dotaux, immeubles, objets mobiliers, capitaux, tandis que la seconde (art. 1554 et suiv.) ne parle plus que de l'immeuble dotal. On prétendrait en vain que les meubles sont compris dans l'expression biens dotaux des art. 1555 et 1556: il est trop clair que, ces deux articles n'étant que des exceptions au principe de l'art. 1554, les biens dont ils parlent sont nécessairement ceux dont parle le précédent, c'est-à-dire des immeubles, puisqu'on ne peut excepter d'une règle que ce qui s'y trouve compris. La restriction de l'inaliénabilité aux seuls immeubles dotaux est donc une idée manifeste et qui se trouve prouvée, trois fois pour une, par le texte précis de notre art. 1554, par l'ensemble et le rapprochement des diverses dispositions de la section, et par la rubrique même de cette section.

La jurisprudence pourtant proclame, mais pour un cas particulier seulement (et non point comme règle générale, ainsi qu'on le croit trop souvent, et que donne lieu de le croire, en effet, quand on n'y regarde pas d'assez près, le langage étrangement inexact de la plupart des arrêts), l'inaliénabilité de la dot mobilière. Le principal argument de cette doctrine, le seul qui ait quelque chose de spécieux, consiste à dire que la dot mobilière était tenue pour inaliénable dans l'ancien droit, et que, le Code n'ayant voulu rien changer aux anciens principes, il en doit dès lors être de même aujourd'hui. Mais cet argument est doublement inexact. Car, d'un côté, quand même le prétendu principe de l'inaliénabilité des meubles dotaux aurait été constant autrefois, il n'en serait pas moins inadmissible aujourd'hui, en présence de notre section si le Code a entendu maintenir les anciennes règles, ce n'est certes pas dans les cas pour lesquels il en a formellement tracé de différentes. D'un autre côté, il est faux que l'inaliénabilité de la dot mo

(1) Cass., 19 nov. 1862 (Dev., 63, 1, 131).

bilière ait jamais été un point constant, un des principes constitutifs du système dotal.

A Rome, d'abord, l'inaliénabilité ne frappait que l'immeuble dotal: dotale prædium, dit la loi Julia (Caii Comm. II, 63); dotale prædium, répète Justinien dans ses Institutes (II, t. 8, pr.), en ajoutant que luimême a étendu la prohibition, des immeubles de l'Italie, aux immeubles de la province; ailleurs il dit encore que la règle s'applique désormais non super italicis tantummodo FUNDIS, sed pro omnibus. Tous les anciens commentateurs (Brisson, Voet, Vinnius, Noodt, Cujas) répètent à l'envi qu'il ne s'agit que des immeubles, et que les meubles sont parfaitement aliénables : in rebus tantum soli, dit le premier, locum habere, mobiles vero res alienari posse; et tous les autres développent la même idée. Quant à notre ancien droit français, il est très-vrai que le Parlement de Bordeaux et quelques autres localités avaient étendu à la dot mobilière l'inaliénabilité des immeubles; mais il s'en faut de beaucoup que cette dotalité corrigée et augmentée soit jamais devenue la règle générale, et la plus grande partie de nos pays de droit écrit n'a jamais admis que le système romain.

En résumé, l'inaliénabilité est une règle profondément exorbitante et rigoureuse qui ne pourrait s'appliquer aux meubles comme aux immeubles qu'autant qu'il apparaîtrait à cet égard d'une volonté certaine du législateur. Or, on ne trouve nulle part ni la preuve, ni même le moindre indice de cette volonté : pas dans le texte, puisque notre section, soit dans ses articles pris isolément, soit dans la combinaison de ses dispositions, soit dans sa rubrique, n'admet que l'inaliénabilité des immeubles; pas dans les traditions du passé, puisque le droit romain ne connut jamais l'inaliénabilité des meubles, et que si elle fut admise par une partie de nos pays de droit écrit, elle fut repoussée par la partie la plus considérable, de sorte qu'elle n'a été qu'un écart des principes dotaux, et que la véritable inaliénabilité traditionnelle du système dotal est uniquement celle des immeubles; pas enfin dans l'esprit général du Code, dans cette pensée (que les arrêts invoquent pourtant fréquemment) que la dot mobilière mérite la même protection que la dot immobilière, puisque le Code, au contraire, est partout dominé par cette idée qu'on ne donne jamais aux meubles la même importance qu'aux immeubles, qu'on n'a point pour eux autant d'attachement, qu'on ne tient point autant à les conserver, et que leur aliénation, dès lors, doit être permise beaucoup plus facilement n'est-ce pas ainsi que le mari commun peut faire donation des valeurs mobilières de la communauté, si considérables qu'elles soient, quoiqu'il ne puisse donner le moindre immeuble de cette communauté? N'est-ce pas ainsi que le tuteur, qui ne peut exercer sans l'autorisation du conseil de famille aucune action immobilière, n'a pas besoin de cette autorisation pour les actions mobilières, si importantes qu'elles soient?...

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La doctrine contraire, d'ailleurs, ne se condamne-t-elle pas assez par le résultat absurde auquel elle conduirait? S'il était vrai, en effet, comme on l'a trop souvent répété, que tout bien est inalienable par

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