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donne celle que nous avons indiquée plus haut, que la réserve du droit d'aliéner ne comprend point celle du droit d'hypothéquer (1).

II. La réserve du droit d'aliéner comprend, bien entendu, toute espèce d'aliénation. Il en serait autrement de celle de vendre, qui n'emporterait même pas celle d'échanger, comme réciproquement celle-ci n'emporterait pas celle-là (2).

Mais le droit d'aliéner les immeubles emporte-t-il celui d'aliéner les meubles ? Le sens et la portée de cette question varient, on le conçoit, selon le parti qu'on adopte sur l'aliénabilité de la dot mobilière. Pour la jurisprudence, qui, tout en reconnaissant et proclamant nettement l'entière et libre disponibilité des meubles dotaux dans la position normale et ordinaire du régime dotal, arrive cependant (par l'unique effet d'une profonde inexactitude de langage et en violant les principes les plus clairs) à les déclarer inaliénables après la séparation de biens, la question est, pour ce cas particulier de séparation de biens, une véritable question d'inaliénabilité. Mais pour nous qui ne comprenons pas comment des choses que le régime dotal laisse disponibles pourraient devenir indisponibles par la séparation de biens, pour nous qui n'admettons pas, comme la jurisprudence le fait (sans le savoir, du reste, et par suite seulement de son langage impropre), que le régime de séparation de biens puisse créer l'inaliénabilité, pour nous cette difficulté ne peut pas exister, et la question se réduit à savoir si l'incapacité dans laquelle se trouve la femme, avant la séparation de biens, de disposer de ses meubles dotaux, quoique disponibles (le droit de les aliéner n'appartenant alors qu'au mari), cessera par l'effet de la stipulation d'aliénabilité des immeubles... Nous ne le pensons pas. Car le statut réel d'inaliénabilité des immeubles n'a rien de commun avec les règles purement personnelles qui fixent la capacité relative des époux ; et la femme, en stipulant que, par dérogation au principe de l'ar

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(1) Duranton (XV, 479); Benoît (I, 216); Devilleneuve (36, 1, 444, et 39, 1, 449); Zachariæ (III, p. 585); Taulier (V, p. 296); Pont et Rodière (II, 501 et 502); Aubry et Rau (IV, 8537); Massé et Vergé (IV, 8 670); Rej., 25 janv. 1830; Cass., 22 juin 1836, 31 janv. 1837; Lyon, 10 juill. 1837; Caen, 21 déc. 1837; Poitiers, 17 juill. 1838; Cass. (ch. réun.), 23 mai 1839; Amiens, 1er août 1840; Cass., 14 fév. 1843 (Dev., 36, 1, 434; 37, 1, 190, et 2, 466; 38, 2, 174; 39, 1, 450, et 2, 3; 42, 2, 431; 43, 1, 193). Contrà Bellot (IV, p. 117); Tessier (note 597); Odier (III, 1268); Troplong (no 3363-3394); Bordeaux, 22 déc. 1857 (Dev., 58, 2, 529). Comp. Cass., 21 août 1866 (J. Pal., 66, 1171). Jugé que le droit réservé par la femme d'hypothéquer et d'aliéner ses immeubles dotaux ne lui permet pas de subroger quelqu'un dans son hypothèque légale. Cass., 4 juin 1866 (J. Pal., 66, 750). Quant à un arrêt de Limoges, du 5 déc. 1844, cité par M. Troplong, il ne juge pas la question, car il est rendu dans une espèce où le droit d'hypothéquer était expressément réservé par le contrat. Nous ajouterons que, dans deux espèces récentes, la Cour de cassation vient de rendre deux arrêts dont cette dernière doctrine croira peut-être pouvoir s'autoriser. Voy. les deux arrêts du 13 déc. 1853 (Dev., 54, 1, 17). Mais on remarquera que le contrat de mariage, dans ces espèces, contenait faculté pour la femme d'aliéner les biens dotaux et de prendre tels engagements que bon lui semblerait. Cette dernière clause, dans sa généralité, embrassait évidemment l'hypothèque; en sorte qu'en réalité il n'y a rien à conclure de ces arrêts contre la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

(2) Lyon, 9 juill. 1861 (Dev., 62, 2, 15). Comp. Agen, 4 déc. 1854 (Dev., 55, 2, J. Pal., 55, 1, 421).

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ticle 1554, ses immeubles pourront être aliénés, n'apporte aucune modification à cet autre principe que l'aliénation des meubles ne peut être faite que par le mari et non par la femme (voy. art. 1554, nos II et III). Nous croyons donc, malgré la doctrine contraire (et non motivée, au surplus) de M. Troplong (no 3396), que la solution négative admise ici par la jurisprudence est très-exacte, quoique les motifs donnés par les arrêts ne soient pas acceptables (1).

Une autre question très-controversée, c'est de savoir si la réserve du droit d'aliéner emporte celui de compromettre (2). Pour la négative, on dit que le droit de compromettre ne résultant pas, d'après la loi, du droit de transiger, quoique pour transiger il faille avoir capacité d'aliéner (art. 1987, 2045), il s'ensuit bien que le pouvoir d'aliéner n'emporte pas celui de compromettre. On ajoute que, d'ailleurs, il est défendu de compromettre sur les causes qui sont communicables au ministère public, et que les causes relatives aux biens dotaux sont de ce nombre... Nous ne saurions admettre cette doctrine. D'une part, l'art. 1989 ne contient nullement l'idée qu'on lui prête: il parle d'un simple mandataire, qui ne peut faire, bien entendu, que ce pourquoi il a mandat, et qui, chargé seulement de transiger, n'a dès lors aucun pouvoir pour compromettre. Or tel n'est pas notre cas : il s'agit ici du propriétaire même de la chose, qui, ayant le droit de l'aliéner, d'en disposer, a par là même le droit de compromettre relativement à elle. Si l'argumentation de M. Duranton et autres était exacte, et qu'il fût vrai qu'aliéner n'est pas plus que transiger, il faudrait donc dire que le mandataire chargé de transiger a par là même le pouvoir d'aliéner! Évidemment, on abuse ici et de l'art. 1989 et de l'art. 2045... Quant à la nécessité de communiquer au ministère public, n'est-il pas clair qu'en l'établissant pour les biens dotaux, la loi n'entend parler que des biens véritablement dotaux, des biens frappés du vrai caractère de la dotalité, c'est-à-dire de l'inaliénabilité? N'est-ce pas précisément et uniquement à cause de cette inaliénabilité que la communication est imposée?... En résumé, du moment qu'il s'agit de biens dont le propriétaire a la libre disposition, on ne voit aucune raison pour que le compromis lui soit interdit.

III. Si le contrat de mariage permet quelquefois l'aliénation purement et simplement, il peut aussi ne la permettre, et ne la permet le plus souvent, qu'à la charge d'un bon et valable remplacement ou remploi. Alors, et contrairement à ce qui a lieu pour la communauté (art. 1497, n° III), l'acquéreur de l'immeuble est responsable de la ré

(1) Cass., 2 janv. 1837; Amiens, 19 avril 1837; Riom, 22 déc. 1846; Caen, 28 janv. 1865; Cass., 21 août 1866 (Dev., 37, 1, 975, et 2, 398; 47, 2, 195; 65, 2, 257; J. Pal., 65, 1013; 66, 1171). Contrà: Lyon, 2 août 1845 (Dev., 46, 2, 361). Mais on peut admettre que la faculté stipulée en termes généraux d'aliéner ses biens dotaux s'applique aux meubles comme aux immeubles. Rej., 1er juin 1853 (Dev., 53, 1, 730). (2) Neg. Duranton (XV, 481); Zachariæ (III, p. 585); Pont et Rodière (II, 502); Nimes, 26 fév. 1812; Lyon, 20 août 1828. — Aff. Boncenne (II, p. 284); Pigeau (I, p. 236); Tessier (I, note 596); Troplong (3398); Grenoble, 12 fév. 1846; Bordeaux, 5 juill. 1849 (Dev., 46, 2, 519; 50, 2, 93).

gularité et de l'utilité de ce remplacement ou remploi, et il peut être évincé si le remplacement n'est pas effectué ou se trouve mal fait. La raison en est simple; car l'immeuble dotal étant inaliénable en principe et n'étant devenu disponible que sous telles conditions déterminées, il est clair que, si ces conditions ne sont pas accomplies, le principe subsiste, le bien est ainsi demeuré indisponible, et l'aliénation dès lors en est révocable.

Il faut d'abord que le remploi soit effectué régulièrement, de la manière précise que le contrat indique. Ainsi, quand le contrat permet l'aliénation au mari seul, qui se trouve établi par là mandataire de la femme, le mari pourra vendre seul; mais si l'aliénation n'est permise qu'aux deux époux conjointement, il faudra que la femme et le mari concourent à l'acte (1); et il en sera de même à défaut d'explication sur ce point et quand le contrat dit seulement que les immeubles pourront être aliénés sans ajouter par qui, puisqu'il faut alors la volonté de la femme comme propriétaire du bien, puis celle du mari pour l'autorisation maritale. Ainsi encore, quand il est dit que le remploi sera fait en France, celui qu'on ferait en biens situés à l'étranger serait nul (2). De même, celui qui serait exigé en fonds de terre se ferait d'une manière inefficace en maisons. Mais quand on aura seulement dit en immeubles, il faut dire, avec M. Benech et M. Troplong, et comme un arrêt de Caen, que le remploi pourrait se faire même en actions immobilisées de la Banque ou en rentes sur l'État également immobilisées, puisque, légalement, ce sont aussi là des immeubles (3). Le remploi doit ensuite être fait utilement; et si la femme venait à être évincée de l'immeuble acquis en remplacement du sien, l'acquéreur de celui-ci pourrait être évincé à son tour. C'est pour éviter ce résultat (que, malgré les plus grandes précautions, on ne serait jamais sûr de prévenir autrement), que l'on conseille toujours aux acquéreurs de biens dotaux de ne payer que sur un jugement qui les condamne à le faire, en déclarant le remploi bon et valable.

Le remploi doit comprendre, bien entendu, la totalité de ce qu'a payé l'acheteur. Ainsi les sommes livrées à titre de pot-de-vin, d'épingles, etc., doivent être employées aussi bien que le prix principal de la vente, puisque le tout est la représentation de l'immeuble vendu. Mais que faut-il décider pour les frais et loyaux coûts de l'achat fait en remplacement du bien de la femme? Ainsi, quand l'immeuble dotal a été

(1) Cass., 12 août 1839 (Dev., 39, 1, 340). — Paris, 23 mai 1844 (Dev., 44, 2, 131); Benech (p. 199); Troplong (no 3422).

(2) Voy. les autorités citées à la note précédente.

(3) Caen, 8 mai 1838 et 27 mai 1851 (Dall., 40, 2, 13; Dev., 52, 2, 64). — Cependant un arrêt a décidé que si le remploi, en ce cas, peut être effectué en actions de la Banque de France immobilisées, il ne peut l'être en rentes sur l'État, ces rentes n'étant pas pour ce cas susceptibles d'immobilisation. Rouen, 7 mai 1853 (Dev., 54, 2, 177). Mais la loi du 2 juillet 1862 a tranché cette difficulté. L'art. 46, en effet, est ainsi conçu: «Les sommes dont le placement ou le remploi en immeubles est prescrit ou autorisé par la loi, par un jugement, par un contrat ou par une disposition à titre gratuit, entre-vifs ou testamentaire, peuvent être employées en rentes trois pour cent de la dette française, à moins de clause contraire. »

vendu 40 000 francs, suffira-t-il de le remplacer par un autre immeuble dont le prix est de 38 000 francs et les frais de 2 000? Dire oui, et faire ainsi supporter par la dot les frais de l'acquisition, c'est diminuer cette dot, et plusieurs ventes successives pourraient ainsi la réduire de 40000 francs à 33 ou 34 000. D'autre part, et quand la femme n'a rien autre chose que sa dot, on ne voit pas quel autre patrimoine que son patrimoine dotal pourrait subir cette perte. Un arrêt de Caen l'a mise à la charge de l'acquéreur de l'immeuble à remplacer. Mais les plus simples notions de justice et de raison ne disent-elles pas qu'une telle solution est inadmissible, et que l'acheteur qui a consenti à payer 40 000 francs de prix principal et 2000 pour ses frais, en tout 42, ne saurait être contraint à en payer 44? Est-ce que c'est à un étranger de fournir de sa bourse ce qui est nécessaire pour transformer en immeubles les prix de vente des biens de la femme et pour leur donner ainsi l'avantage de la stabilité?....... Et si la perte ne doit pas être subie par l'acheteur, elle ne doit pas l'être davantage par le mari, comme le voulait autrefois Salviat (p. 408), et comme la Cour de Caen l'a jugé par un arrêt postérieur. Parce que la femme a son patrimoine placé sous un régime extraordinaire de protection et de conservation, ce n'est certes pas une raison pour qu'elle jouisse de ce privilége aux dépens d'autrui; et si les avantages que la dotalité lui assure doivent quelquefois s'acheter par quelques sacrifices, il est en vérité bien naturel et bien juste que ce soit elle qui les paye et non les tiers. Il faut donc dire, avec M. Benech et M. Tróplong, que les frais d'achat seront supportés par la femme, qui les prendra sur ses paraphernaux, si elle en a, sur la dot ellemême dans le cas contraire (1). Ce n'est pas qu'on puisse dire, comme M. Troplong (p. 539), qu'au fond et en définitive il n'y a pas de perte, et que l'immeuble acheté par la femme pour 38 000 francs et 2000 fr. de frais pourrait se revendre plus tard 40 000. L'idée est très-inexacte : si l'on voit des immeubles (surtout parmi les terres) se revendant de plus en plus cher, on en voit aussi (surtout parmi les maisons) dont le prix de revente baisse de plus en plus; et, soit que la nouvelle vente se fasse plus cher ou moins cher, il y a toujours une perte pour les contractants puisque l'État, à chaque mutation, gagne une certaine somme, c'est évidemment que quelqu'un la perd... Il y a donc une perte réelle. Mais cette perte, encore une fois, ne peut concerner que le patrimoine dont la conservation exige ce sacrifice.

IV.

Il est d'un usage assez fréquent en Normandie de se servir de la faculté, écrite au contrat, d'aliéner les immeubles moyennant remplacement, pour éluder la disposition de l'art. 1558, qui ne permet d'aliéner, pour les causes prévues à ce même article, que par vente aux

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(1) Caen, 10 mars 1856; Cass., 16 nov. 1859 (Dev., 60, 1, 241; J. Pal., 61, Benech (p. 212); Troplong (IV, 3429); Aubry et Rau (IV, 8537). Contrà Caen, 18 déc. 1837; Caen, 7 juill. 1845 (Dev., 39, 2, 186; J. Pal., 45, 2, 609). La Cour de Caen avance, dans son premier arrêt, que le singulier système par lequel elle met les frais à la charge de l'acquéreur est consacré par la jurisprudence. L'assertion est étrange, car on ne trouve, dans ce sens, aucun autre arrêt que le sien.

enchères avec les formalités voulues... Une femme a des dettes antérieures au contrat de mariage et hypothéquées sur ses immeubles dotaux. Elle pourrait, d'après l'art. 1558, se faire autoriser par justice à vendre un de ses immeubles; mais la vente devrait se faire avec formalités judiciaires. Au lieu de cela, elle commence par vendre l'immeuble à l'amiable, puis elle se fait autoriser par le tribunal à employer le prix à l'acquittement des obligations hypothécaires; et sur le refus de l'acheteur de payer son prix, le même tribunal rend un jugement contradictoire qui le condamne au payement et lui donne ainsi (on le croit du moins) pleine sécurité.

M. Troplong (3425), tout en déclarant plus prudent de se conformer alors à l'art. 1558, trouve cependant qu'il faudrait être ultra-dotaliste pour critiquer cette manière de faire. Nous ne saurions être de son avis, et quoique nous soyons loin d'affectionner le funeste régime de la dot, nous devons cependant reconnaître qu'il y a là une violation manifeste de la loi, violation qui ne saurait manquer d'être réprimée par la Cour suprême, le jour où l'action serait portée devant elle. Il ne suffit pas, en effet, pour qu'il y ait remploi, d'une affectation du prix de l'immeuble à une destination vraiment utile; il n'y a remploi que dans l'acquisition d'un nouveau bien qui viendra remplacer l'immeuble vendu. Il n'y a donc pas remploi dans notre hypothèse d'acquittement de dettes antérieures au mariage. Sans doute c'est là un but d'aliénation très-respectable, et la loi l'a bien compris, puisqu'elle permet l'aliénation pour ce cas, comme pour le cas de grosses réparations à faire aux immeubles, et autres cas prévus par l'art. 1558; mais, encore une fois, ce n'est pas là un remplacement, et il est évident dès lors que si l'aliénation est alors permise, ce n'est pas en vertu du contrat qui stipule l'aliénabilité moyennant remploi, mais seulement par l'art. 1558. Or, puisque cet article, à tort ou à raison, ne permet l'aliénation qu'avec les formalités judiciaires, c'est donc violer la loi que déclarer valable, dans ce cas, une vente faite de gré à gré. Et M. Troplong luimême finit par proclamer cette vérité et se range ainsi, sans le remarquer, parmi ces prétendus ultra-dotalistes qu'il condamnait d'abord; car il arrive à dire que ces différents cas d'acquittement des dettes, de réparation des immeubles, et autres analogues, « ne sont pas de vrais remplacements, et que, par conséquent, ils ne peuvent aboutir à la vente du bien dotal qu'avec les formalités de l'art. 1558. » Qu'ici encore on critique le système dotal, tellement gênant, tellement entravant, que les tribunaux eux-mêmes en viennent, comme on le voit, à se faire complices des moyens d'y faire fraude, à la bonne heure; mais s'il est permis de blâmer la loi, on n'en doit pas moins l'interpréter et l'appliquer telle qu'elle est : dura lex, sed lex (voy. art. 1558, no VI, alin. 2).

1560.

4° Sanction du principe d'inaliénabilité.

- Si, hors les cas d'exception qui viennent d'être expliqués, la femme ou le mari, ou tous les deux conjointement, aliènent

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