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Mais l'article 1304 institue une prescription, laquelle ne court pas contre les mineurs ou les interdits (comp. notre Traité des Contrats ou des Obligations conventionnelles en général, t. VI, no 134);

Tandis que l'article 316 institue un délai préfix, qui n'est suspendu ni par la minorité ni par l'interdiction. 160. Rien n'empêche d'ailleurs les héritiers du mari de prendre l'offensive et de former l'action en désaveu avant même que l'enfant les ait troublés dans la possession de l'hérédité. L'enfant pourrait vouloir attendre le dépérissement des preuves, le décès des témoins, l'altération de leurs souvenirs, etc. ; il importe aux héritiers du mari de déjouer ce calcul, et, en tous cas, de ne pas demeurer exposés à une action en délaissement (Cass., 25 août 1806, Degrady, Sirey, 1806, II, 952; Richefort, t. I, no 58 ; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 589; Massé et Vergé, t. I, p. 303; Demante, t. II, no 43 bis, XIII).

La Cour de cassation paraîtrait, à certains égards, avoir consacré une doctrine contraire (5 avril 1854, Michelet, Dev., 1854, I, 293).

Mais il est à remarquer que, dans l'espèce de cet arrêt, il s'agissait d'un enfant qui ne se rattachait à leur famille ni par son acte de naissance, ni par la possession d'état; et à ce point de vue, cette décision nous paraît aussi trèsjuridique (supra, n° 145, 146).

161. Je n'admettrais pas toutefois, malgré l'opinion contraire de Zachariæ (t. III, p. 648), que le désaveu pût, en aucun cas, être formé contre l'enfant seulement conçu et avant sa naissance, ni par le mari ni par Ses héritiers.

Régulièrement l'enfant ne devient une personne que par la naissance; et s'il arrive quelquefois que l'on considère l'enfant conçu comme déjà né, c'est par une fiction uniquement introduite dans son intérêt (voy. notre t. I, n° 151); aussi la loi n'autorise-t-elle le désaveu que contre l'enfant né (art. 314, 315), et ne fait-elle courir le

délai qu'à compter de sa naissance (art. 316). Et cela est tout à la fois sage et moral. Le désaveu ne pourrait être formé, si l'enfant ne naissait pas vivant et viable; pourquoi donc se presser si fort d'exercer une action, qui pourrait n'avoir aucune espèce d'intérêt ! une telle action surtout, si fâcheuse, si regrettable! Mais il y a plus ; dans le cas des articles 314 et 315, comment pourrait-on admettre le désaveu avant la naissance, puisque précisément la cause du désaveu dépend alors de l'époque même de la naissance? On peut bien nommer alors un curateur au ventre (art. 393); mais il faut attendre l'accouchement pour contester l'état de l'enfant (Liége, 12 fructidor, an xш. Degrady; et Cass., 25 août 1806, mêmes parties, Sirey, 1806, II, 24 et 952; Bedel, de l'Adultère, p. 149; Magnin, des Minorités, I, 209; Aubry et Rau, sur Zachariæ, t. IV, p. 589; Massé et Vergé, t. I, 303, 304).

161 bis. Une instance en désaveu avait été introduite contre l'enfant, auquel un tuteur ad hoc avait été nommé; et la mère, mise en cause, était en effet présente. Mais au cours de l'instance, l'enfant meurt!

Il meurt avant d'avoir atteint l'âge de deux mois et sans avoir recueilli ni succession, ni donation, ni legs, ne laissant, dans sa succession, ni actif, ni passif.

L'instance en désaveu pouvait-elle être continuée ou reprise?

Telle est la question, que nous avons eu à résoudre, sur une espèce qui s'est présentée.

Et nous avons répondu négativement, dans une Consullation, qui a été reproduite in extenso par le Recueil des arrêts des Cours d'appel de Caen et de Rouen; avec le jugement du Tribunal civil de Pont-l'Evêque, qui a consacré cette solution (17 janvier 1878, Prevost, Recueil précité, 1878, p. 163).

Sans intérêt, en effet, point d'action!

Eh! contre qui donc cette instance, désormais éteinte

TRLITÉ DE LA PATERNITÉ.

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par la mort de la seule partie défenderesse, aurait-elle pu être continuée ou reprise?

162. Nous avons déjà dit que l'action en désaveu pouvait, en outre, être repoussée par des fins de non recevoir résultant d'actes ou de faits, par lesquels le mari ou ses héritiers y auraient renoncé, en considérant euxmêmes l'enfant comme légitime (supra, noa 74-76).

N° 4. Comment l'action en désaveu doit-elle être intentée?

163. Aux termes de l'article 318, « l'action en « désaveu doit être formée contre un tuteur ad hoc donné << à l'enfant, et en présence de sa mère ».

La mère de l'enfant, dont on attaque l'état, devrait être nécessairement appelée à ce procès; son honneur y est intéressé; et sa tendresse maternelle doit vouloir conserver à son enfant tous les avantages que lui assurait sa naissance. Ajoutez enfin que personne n'est plus à portée que la mère de fournir tous les renseignements à la défense, et d'établir ses relations avec le mari à l'époque de la conception.

Toutefois, il ne convenait pas non plus que la mère seule fût exclusivement chargée de la défense de l'enfant, surtout lorsque c'est le mari qui le désavoue.

Placée sous son autorité, elle pouvait n'avoir pas toute la liberté nécessaire à cette défense.

Coupable, elle pouvait chercher à obtenir le pardon ou l'indulgence aux dépens de l'enfant et par le sacrifice de son état.

Voilà pourquoi on a voulu qu'un tuteur ad hoc fût aussi nommé pour défendre, au nom de l'enfant, à cette action.

164. Le Code Napoléon s'est placé dans l'hypothèse ordinaire et générale, où le désaveu est formé contre l'enfant encore mineur. Mais il est clair qu'il n'y aurait pas lieu à la nomination d'un tuteur ad hoc, si l'enfant était majeur, à moins pourtant qu'il ne fût interdit; car,

dans ce dernier cas, il ne pourrait pas se défendre luimême; et l'identité des deux situations rendrait l'article 348 applicable (arg. de l'article 509).

Du reste, dans le cas même où l'enfant serait majeur, la mère devrait, je crois, toujours être aussi mise en cause; car elle a toujours, en effet, son honneur à défendre. (Comp. Demante, t. II, no 44 bis, II.)

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165. Faudrait-il nommer un tuteur ad hoc à l'enfant qui aurait déjà un tuteur ordinaire?

Il est assez vraisemblable que l'article 318 a exigé ce tuteur, parce que le plus ordinairement l'enfant n'aura pas de tuteur, si le mariage existe encore (art. 489), ou qu'il aurait pour tuteur, en cas de dissolution du mariage, l'époux survivant (art. 490), c'est-à-dire la mère, qui, par les motifs que nous venons de dire, ne peut pas seule le défendre, ou le mari, qui le peut encore moins, puisqu'il l'attaque! Mais si la mère survivante, par exemple, avait refusé la tutelle (art. 394), et qu'un autre tuteur eût été nommé, la nécessité d'un tuteur ad hoc se ferait moins sentir.

Néanmoins, le texte étant général et exigeant un tuteur spécial et ad hoc, je pense qu'il y a lieu, dans tous les cas, à cette nomination. Il se peut, en effet, que le tuteur ne convienne pas à cette mission particulière; par exemple, si c'était, comme il arriverait presque toujours, un parent soit du mari, soit même de la mère, intéressé lui-même au succès du désaveu (Colmar, 15 juin 1831, Hertzog, Dev., 1833, II, 39; voy. aussi notre Traité du Mariage et de la Séparation de corps, t. II, no 86).

166.-L'article 318 ne dit point par qui sera nommé co tuteur ad hoc; et de là des dissidences.

Les uns concluent de ce silence même qu'il n'y a ici rien de spécial, et que le tuteur doit dès lors être nommé suivant le droit commun, c'est-à-dire par le conseil de famille, composé de parents pris moitié du côté paternel, moitié du côté maternel (Montpellier, 12 mars 1833,

R..., D., 1833, II, 215; art. 406; Cass., 14 févr. 1854, X..., Dev., 1854, I, 225; Paris, 21 fév. 1863, Cantarel, Dev., 1863, II, 36; Cass., 13 juin 1864, Delmas, Dev., 1864, II, 305; Dijon, 24 janv. 1872, A...., Dev., 1872, II, 4; Cass., 19 août 1872, A....,Dev. 1878, I, 75; Cass., 18 août 1879, Grandier, Dev. 1880, 1, 342; Cass., 21 nov. 1880, Coyrad, la France judiciaire, 1881, p. 129; Toullier, t. II, no 843; Proudhon, t. II, p. 59; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 590; Massé et Vergé, t. I, p. 304).

Des parents paternels dans un tel conseil de famille!... Mais c'est mettre l'ennemi dans la place, a dit une seconde opinion, qui ne veut en conséquence y appeler que des parents maternels et des amis (Cass. 25 août 1806, Degrady, Sirey, 1806, II, 952; voy. aussi Caen, 31 janv. 1836, de Sainte-Marie, Dev., 1838, II, 482; Marcadé, art. 318, no 1; Richefort, t. I, no 71).

J'apprécie ce motif, et si bien que je ne voudrais, pour ma part, m'en rapporter ici ni aux parents paternels, ni aux parents maternels. Les uns et les autres me paraissent suspects, parce qu'ils ont tous un intérêt contraire à celui de l'enfant. Ma conclusion serait donc que ce tuteur tout spécial devrait être nommé par le tribunal. L'enfant, je le sais bien, est en possession de sa légitimité; et il appartient aux deux familles, tant que le désaveu n'est pas admis. Oui; mais l'action en désaveu met cette légitimité même en question; finalement il s'agit ici de le défendre le mieux et le plus sûrement possible. Tel est le but essentiel de l'article 318.

L'article 968 du Code de procédure prouve que lorsque la loi veut qu'un tuteur spécial soit nommé par la famille, elle prend le soin de s'en expliquer. (Comp. aussi art. 2208; Trib. civ. de la Seine, 7 févr. 1866, de Magnoncour, le Droit du 11 févr. 1866; Delvincourt, t. I, p. 85, note 4; Valette sur Proudhon, t. II, p. 59, note a; Toullier, t. I, p. 389; Ducaurroy, Bonnier et Roustaing, t. I, n° 447; Demante, t. II, no 44 bis, V).

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