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aille porter son action devant ce tribunal, si éloigné qu'il puisse être! Le mari, par exemple, et aussi la femme sont domiciliés à Paris; et si le tuteur ad hoc est domicilié à Marseille, c'est devant le tribunal de Marseille que l'action en désaveu devra être portée, c'est-à-dire dans un pays où ne se trouveront aucun des éléments nécessaires pour l'ins truction et la décision du procès ! Ne devrait-on pas craindre aussi, dans le cas où ce serait le conseil de famille qui nommerait le tuteur ad hoc, que la famille maternelle ne s'efforçât, par ce moyen, de paralyser l'action en désaveu dans les mains du mari ? et dans tous les cas, ne serait-ce pas restreindre, en fait, nécessairement, d'une manière très-regrettable, le choix du conseil de famille (ou du tribunal), qui ne pourrait pas, sous peine de déplacer la compétence et d'envoyer peut-être fort au loin l'action en désaveu, désigner comme tuteur ad hoe un parent intelligent et dévoué de la mère, qui serait le choix le meilleur dans son intérêt et dans celui de son enfant!

« Cette solution du reste n'implique pas l'idée que les actes de procédure adressés au tuteur ad hoc pourraient être signifiés à la personne du mari, qui désavoue, pas plus que l'exploit introductif d'une instance en séparation de corps ne peut être adressé par le mari demandeur à

sa propre personne. >>

C'est ainsi que s'exprimait fort justement notre regrettable collègue, G. Besnard, dans les observations qu'il a insérées, sur l'arrêt de la Cour de Caen, dans le Recueil de M. Dalloz (1857, II, 94).

Nous concluons donc que l'action en désaveu doit être portée devant le tribunal du domicile du mari; et quoique cette conclusion soit, à beaucoup d'égards, en fait, moins satisfaisante, dans le cas où il s'agit d'époux entre lesquels la séparation de corps a été prononcée, il ne nous paraît pas néanmoins, en droit, qu'il soit possible d'admettre de distinction. (Comp. Cass. 14 févr. 1854, X..., Dev., 1854, I, 225.)

173. Nous avons toujours parlé jusqu'à présent du désaveu formé par action principale.

Rien ne s'oppose à ce qu'il soit formé, suivant le droit commun, par une demande incidente, comme par exemple incidemment à une demande en séparation de corps (art. 337 procéd.; comp. Grenoble, 5 févr. 1836, Galamin, D., 1837, II, 3; Cass., 9 mars 1847, Benoît, D., 1847, I, 137; voy. aussi Paris, 9 févr. 1846, Benoît, Dev., 1849, II, 101).

N° 5.

Quels sont les effets du jugement qui rejette ou qui admet le désaveu?

174.-L'enfant conçu ou même seulement né pendant le mariage est protégé par une présomption de légitimité qui, tant qu'elle existe, constitue son état envers et contre tous (art. 312, 1352).

Cette présomption pourtant n'est pas irrefragable; mais la loi a voulu que le débat, par suite duquel elle pourrait tomber, ne pût s'engager qu'entre le mari ou ses héritiers d'une part, demandeurs nécessaires, et l'enfant ou ses héritiers d'autre part, défendeurs nécessaires dans un tel procès et seuls députés de la loi, comme dit Proudhon, pour débattre la question de désaveu (Traité de l'Usufruit, t. III, no 1334 ; art. 312-313).

De là deux conséquences:

1o Le jugement qui rejette la demande en désaveu formée par le mari ou par tous ses héritiers contre l'enfant ou contre tous ses héritiers a l'autorité de la chose jugée envers et contre tous; et c'est tout simple! la présomption légale est restée debout, puisque ceux-là seuls qui pouvaient la renverser n'y ont pas réussi (art. 100, 1351).

175. - 2o Réciproquement, le jugement qui admet le désaveu formé par le mari ou par tous ses héritiers contre l'enfant ou contre tous ses héritiers a l'autorité de la chose jugée envers et contre tous; non-seulement donc envers les parents paternels non successeurs. du mari qui

n'auraient pas pu former le désaveu, mais aussi envers les parents maternels de l'enfant. Et c'est tout simple encore ! la présomption légale a été renversée par tous ceux qui avaient seuls exclusivement le droit de la débattre ensemble. L'enfant ou ses héritiers ont été vaincus par les seuls adversaires qu'ils pouvaient avoir; et les tiers n'ont jamais qualité pour figurer dans une instance en désaveu, pas plus comme défendeurs que comme demandeurs. Il faut donc dire alors, avec la loi romaine : « .... placet ejus rei judicem jus facere. » (L. 1, § 16, L. 2 et 3, ff. de Agnos. lib.; Merlin, Rép., t. XVII, v° Question d'état, § 3, art. 1, no 5 ; Duranton, t. III, n° 99, 100). 176. En conclurons-nous que le mari ou ses héritiers, étant les seuls contradicteurs légitimes en pareil cas, représentent ainsi les tiers, et en quelque sorte toute la société ? Je ne veux pas préjuger d'autres questions fort graves (infra, no 313); et je me borne à dire que nous n'avons pas besoin ici de cette proposition; il nous suffit de déclarer que l'action en désa veu a été concentrée dans les mains du mari et de ses héritiers.

177. Mais que décider, si le jugement a été rendu: Soit entre l'enfant et quelques-uns seulement des héritiers du mari;

Soit entre le mari ou tous ses héritiers et quelques-uns seulement des héritiers de l'enfant;

Soitenfin entre quelques-uns seulement des héritiers de l'enfant et quelques-uns seulement des héritiers du mari?

Ce jugement pourra-t-il nuire ou profiter: 1° à ceux qui avaient qualité pour figurer comme demandeurs ou comme défendeurs dans l'ins tance en désaveu, et qui n'y ont pas été parties; 2° aux tiers, qui n'avaient aucune qualité pour y figurer?

Et d'abord, en ce qui concerne les héritiers soit du mari, soit de l'enfant, qui n'ont pas été parties dans l'instance par suite de laquelle le désaveu a été admis ou rejeté, il nous paraît bien impossible que le jugement puisse leur profiter

ou leur nuire. La chose jugée n'a d'effet qu'entre ceux qui y ont été parties ou représentés (art. 100, 1351); or, l'un des héritiers soit de l'enfant, soit du mari, ne représente pas ses autres cohéritiers; donc, le jugement rendu pour ou contre lui est, à l'égard des autres, res inter alios acta. Je dis que l'un des héritiers ne représente pas les autres; car chacun d'eux a succédé, pour sa part, à son auteur; chacun d'eux a pour sa part le droit également principal et indépendant soit de former, comme héritier du mari, la demande en désaveu, soit d'y défendre comme héritier de l'enfant ; et les partisans de la doctrine des légitimes contradicteurs (infra, n° 312) doivent eux-mêmes en convenir.

Objectera-t-on que l'état des personnes est indivisible? (Cass., 9 mars 1847, Benoît, D., 1847, I, 137.)

L'état lui-même dans sa nature abstraite, peut-être ; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit des effets positifs de cet état, des conséquences juridiques de la filiation; or tout cela est parfaitement divisible; et rien ne s'oppose à ce que l'enfant exerce ses droits dans la famille vis-à-vis de l'un des parents, sans pouvoir néanmoins les exercer vis-à-vis d'un autre parent. Tel est l'effet essentiellement relatif à la chose jugée (Angers, 11 avril 1821, René Vaudelon, Sirey, 1822, II, 277; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 591).

178. A l'égard des tiers, qui n'ont pas qualité pour figurer dans l'instance en désaveu, la question paraît plus difficile.

Un jugement, par exemple, admet la demande en désaveu formée par l'un des deux héritiers du mari; et voilà qu'un tiers, un parent maternel, soutient que l'enfant est illégitime; il lui dit je n'aurais pas eu, il est vrai, personnellement qualité pour vous désavouer; mais je puis vous opposer le jugement obtenu contre vous, par ceux qui avaient qualité; or, l'héritier du mari était bien de ce nombre.

Mais l'enfant a certainement le droit de répondre : l'autre héritier du mari, qui n'a pas été partie dans le procès,

par suite duquel son cohéritier m'a désavoué, ne pourrait pas se prévaloir contre moi de ce jugement. Or, il serait inouï qu'un tiers qui n'a pas l'action en désaveu, fût, à cet égard, plus favorisé que le tiers qui aurait contre moi cette action; et si la présomption légale de légitimité me protége encore contre l'héritier du mari, qui n'a pas été partie dans l'instance où j'ai succombé, a fortiori me doit-elle protéger contre vous! la présomption a donc été non pas détruite, mais entamée seulement, dit trèsbien M. Valette (sur Proudhon, t. II, p. 66, 67, not. a, III); et ce qui en reste suffit pour abriter l'enfant contre quiconque n'a pas qualité pour la faire tomber (Zachariæ, Aubry et Rau, loc. supr. cit.).

179.-Le mieux assurément est de prévenir toutes ces complications et les regrettables contrariétés de jugements qu'elles peuvent produire; aussi l'article 856 du Code de procédure autorise-t-il les juges à ordonner, même d'office, la mise en cause de toutes les parties intéressées.

180. -L'enfant contre lequel le désaveu a été admis, cesse d'appartenir civilement à la famille du mari et à celle de sa mère; mais il se rattache encore à sa mère elle-même, en qualité seulement d'enfant adultérin; on dirait en vain que la présomption légale de paternité et de légitimité étant détruite, l'acte de naissance ne fait pas foi même de la filiation maternelle (art. 349). Il serait bien étrange que la chose jugée, qui vient de constater cette filiation même, eût pour résultat d'en détruire la preuve. Cette preuve, légalement constatée dans le principe, demeure donc toujours; et c'est là effectivement un des cas rares où la filiation adultérine est légalement certaine (voy. notre t. III, no 345).

181. -Le mari pourrait-il renoncer au bénéfice du jugement qui aurait admis le désaveu et restituer ainsi la légitimité à l'enfant?

L'affirmative pourrait parfois sembler bien favorable. Ce mari, par exemple, a été égaré par la jalousie, par un con

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