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remplie que les trois preuves de la filiation légitime sont admises (art. 319, 320, 323).

215. Rappelons seulement que la possession d'état d'enfant légitime peut elle-même, dans l'hypothèse prévue par l'article 197, contribuer à établir aussi la preuve de la légitimité de l'enfant. La question de filiation est donc alors plus étroitement liée qu'en aucun autre cas à la question de légitimité (voy. notre Traité du Mariage et de la Séparation de corps, t. I, n° 392 et suiv.).

216. B. La preuve de la filiation légitime résultant de la seule possession d'état n'est pas irréfragable (arg. de l'article 322).

Quoiqu'il ne soit guère probable qu'un mari et une femme élèvent constamment comme leur enfant un individu étranger, le fait n'est pas néanmoins impossible; et la loi a dû réserver à tous les intéressés la faculté de prouver que la possession d'état, dont on se prévaut contre eux, est usurpée et mensongère.

Ils pourraient donc établir soit que les époux n'ont jamais eu d'enfant, soit que l'enfant qu'ils auraient eu, est décédé (Cass., 2 mars 1809, Jourdain, Sirey, 1809, II, 300).

Ils pourraient aussi produire un acte de naissance, qui attribuerait à l'enfant une filiation différente de celle que sa possession d'état paraissait lui conférer; car l'article 320 déclare positivement que ce n'est qu'à défaut de titre que la possession d'état est suffisante (comp. Proudhon, t. II, p. 84, 85; Toullier, t. II, no 880; Marcadé, art. 320, 324, n° 2; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 550).

217.- Paul a la possession d'état d'enfant légitime de Pierre et de Sophie; mais on établit qu'il était déjà né avant la célébration de leur mariage. Sa filiation est-elle néanmoins prouvée?

La possession d'état d'enfant légitime ne prouve la fi

liation que parce qu'elle fait présumer que l'enfant a été conçu ou qu'il est né, pendant le mariage, du commerce des deux époux; or, nous supposons qu'il est constant que Paul était né avant le mariage de Pierre et de Sophie; donc, sa possession d'état ne saurait prouver qu'il est leur enfant légitime.

Mais s'il n'est pas légitime, n'a-t-il pas été du moins légitimé? Ceci est une autre question. La légitimation ne peut avoir lieu qu'autant que l'enfant a été reconnu avant le mariage ou dans l'acte même de célébration (art. 331). Si Paul a été reconnu, qu'il invoque done cette reconnaissance, bien plutôt encore que sa possession d'état. S'il n'a pas été reconnu, la légitimation n'a pas pu s'accomplir.

Mais pourtant si, dès avant le mariage de ses père et mère, il avait eu la possession d'état de leur enfant ? Ceci est une autre question encore, la question de savoir si la possession d'état d'enfant né hors mariage peut prouver la filiation naturelle (infra).

218.

SECTION III.

CONCOURS DE L'ACTE DE NAISSANCE ET DE LA POSSESSION D'ÉTAT.

SOMMAIRE.

La preuve de la filiation légitime qui résulte soit du titre seulement, soit seulement de la possession d'état, n'est pas irréfragable.

219.

--

Au contraire, le concours du titre et de la possession forme une preuve, qui ne peut être détruite par personne.

220.

Suite.

Motifs.

221. Sous quelles conditions la preuve de la filiatión légitime est-elle absolue?

222.- Il faut que l'identité de l'individu qui a la possession d'état, avec l'enfant désigné dans l'acte de naissance, soit certaine.

223. Quid, si on demande à prouver qu'après la rédaction de l'acte de naissance, l'enfant auquel il s'appliquait, est mort, et qu'un autre enfant lui a été substitué? ou encore qu'il y a eu, chez la nour

rice, substitution d'un enfant à un autre?

224 - Quid, si on demande à prouver que c'est avant la rédaction de

l'acte de naissance qu'a eu lieu soit le décès de l'enfant, soit la substitution d'un enfant à un autre?

225.

Serait-il permis de prouver que l'acte de naissance a été falsifié après coup pour le rendre conforme à la possession d'état de l'enfant?

226. Quid, si on demande à prouver que l'enfant a été inscrit sous de faux noms ?

227. L'article 322 est-il applicable à la filiation naturelle ? Renvoi.

228.- La preuve qui résulte du titre et de la possession conforme établit la filiation légitime et non pas la légitimité même.

229.

Suite.

230. · L'enfant, qui aurait en sa faveur titre et possession d'état conforme, pourrait-il être néanmoins désavoué ?

218.- Jusqu'à présent nous nous som mes occupé séparément d'abord de l'acte de naissance, ensuite de la possession d'état; et nous avons vu que la preuve de filiation légitime, qui en résulte, n'est absolue ni contre l'enfant :

pour ni

Elle n'est point absolue pour lui; car, s'il peut se prévaloir de l'état que lui confère son acte de naissance ou sa possession, on peut combattre cette preuve et contester cet état;

Elle n'est point absolue contre lui; car, si on peut lui opposer l'état que lui confère son acte de naissance ou sa possession, il peut combattre lui-même cette preuve et répudier cet état. La filiation légitime, prouvée seulement par l'un de ces deux moyens, est donc de part et d'autre contestable.

219. En est-il encore de même, lorsque cette filiation est prouvée par l'acte de naissance et la possession d'état réunis et d'accord?

L'article 322 répond en ces termes :

<< Nul ne peut réclamer un état contraire à celui que «<lui donne son titre de naissance et la possession con«forme à ce titre;

« Et réciproquement, nul ne peut contester l'état e «< celui qui a une possession conforme à son titre de << naissance. >>

La preuve est donc cette fois irréfragable envers et contre tous, soit pour l'enfant contre les autres intéressés, soit pour les autres intéressés contre l'enfant. C'est qu'il faut bien qu'il y ait quelque chose de certain; c'est que l'accord du titre de naissance et de la possesion d'état, c'est-à-dire des deux fondements les plus solides de l'état des hommes, imprime alors à la filiation un caractère de vérité irrécusable. Il ne sera pas impossible encore sans doute, que ces deux moyens se réunissent pour protéger une fraude, une usurpation, une suppression d'état. Un homme et une femme mariés et sans enfants, pourraient, il est vrai, faire présenter à l'officier de l'état civil, et élever en suite comme leur propre enfant un étranger; mais ce sera toujours là une hypothèse très-rare, très-exceptionnelle; tandis qu'au contraire la règle ellemême protége constamment un nombre infini de situations et consolide, pour le plus grand bien de tous, l'état des personnes, le repos des familles, le bon ordre de la société.

Aussi, déjà dans notre ancienne jurisprudence, vers le commencement du dix-huitième siècle, cette maxime avait-elle fini par prévaloir (voy. le 102 plaidoyer de Cochin); et si des exemples trop célèbres l'ont quelquefois démentie, si Marie-Aurore a bien pu se faire déclarer fille adultérine du maréchal de Saxe, malgré son acte de naissance et sa possession d'état qui lui attribuaient une filiation légitime, c'est que la règle, alors purement doctrinale, n'avait pas été législativement consacrée, et qu'il arrivait là ce que, par malheur, on peut trop souvent remarquer dans l'histoire juridique de ce temps, que les grands noms et les hautes puissances profitaient scandaleusement parfois de ces indécisions de la doctrine [voy. Nouveau Denizart, v° État (quest. d)].

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220. - Notre article 322 est très-clair, et quelques observations suffiront pour déterminer :

A. Les conditions sous lesquelles il produit la preuve, que la loi y attache;

B. Le degré de force de cette preuve elle-même.

A. Le fait prévu et régi par l'article 322 est celui-ci. Un acte de naissance, inscrit sur les registres de l'état civil, déclare Paul fils légitime de Pierre et de Sophie; et ce même Paul a, en effet, la possession constante de l'état de fils légitime de Pierre et de Sophie.

C'est dans cette hypothèse que la loi déclare deux choses que Paul ne pourra réclamer aucune autre filiation, ni naturelle ni légitime, et que, réciproquement, nul ne pourra lui contester cette filiation et soutenir qu'il n'est pas l'enfant légitime de Pierre et de Sophie.

221. On voit les conditions juridiques que ce fait exige; il faut :

1° Qu'il y ait un titre de naissance (art. 322), c'est-àdire un acte de naissance inscrit sur les registres de l'état civil (art. 319);

2o Qu'il y ait une possession d'état (art. 320, 321) conforme à cet acte de naissance.

En un mot, pour que l'article 322 soit applicable, il faut que toutes les conditions exigées par les articles 319, 320 et 321 se trouvent réunies dans la même personne.

222.- Dans la même personne, dis-je; car l'identité de celui qui a la possession d'état, avec l'enfant qui est désigné dans l'acte de naissance, peut être contestée; et l'article 322 n'est, bien entendu, applicable que lorsque cette identité est, avant tout, bien établie. Autrement la possession d'état ne serait pas conforme à l'acte de naissance; il y aurait séparément titre de naissance pour un individu et possession d'état pour un autre individu; nous n'aurions plus la réunion et la force collective de nos deux preuves.

223. Le principe est certain; mais les applications

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