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de ne pas se laisser enfermer forcément dans ce cercle. Pourquoi ne pourrait-il pas conclure à ce que le tribunal et la cour l'admissent d'abord à prouver que le réclamant n'est pas l'enfant de sa femme, sous la réserve expresse, dans le cas où il en serait autrement décidé, de prouver ensuite qu'il n'est pas, lui, le père de cet enfant? Ce ne serait pas là une action en désaveu ; le mari n'en a pas à former, et n'en peut pas former. Il n'a je le reconnais, qu'à se défendre. Mais il faut qu'il puisse se défendre convenablement; et il est facile de voir que l'obligation qui lui serait imposée de combattre hypothétiquement, dans la même contre-enquête, une présomption de paternité qui n'existe pas, que cette obligation peut gêner beaucoup sa défense en ce qui concerne la maternité, c'est-à-dire l'objet principal» et direct de l'action. Le mari donc pourrait demander qu'il fût préalablement statué sur ce chef. Il ne l'avait pas fait dans l'espèce de l'arrêt que je viens de rapporter ; et comme les délais de l'enquête étaient expirés, il n'était plus à temps de le faire.

262. Il résulte de l'article 325 que l'action en réclamation d'état d'enfant légitime peut finalement aboutir à la preuve judiciaire d'une maternité adultérine; c'est, en effet, ce qui arrivera, toutes les fois que la maternité ayant été prouvée par le réclamant, le mari établira de son côté qu'il n'est pas le père. Le succès de cette contestation de légitimité produira ici le même résultat que le succès de l'action en désaveu. La filiation adultérine de l'enfant n'en demeurera pas moins constatée à l'égard de sa mère.

Mais, direz-vous, n'est-ce pas là une violation de l'article 342, qui défend la recherche de la maternité adultérine? Entendons-nous le réclamant ne recherchait pas, certes, une filiation adultérine; tout au contraire! puisqu'il se prétendait enfant légitime des deux époux; ce n'est donc que par un résultat précisément

contraire à celui qu'il poursuivait, qu'il se trouve déclaré adultérin. Tel n'était pas l'obje de sa demande, quoiqu'elle ait fini par là! Cette déclaration judiciaire de la maternité adultérine est alors une conséquence forcée de la situation, comme dans le cas d'une action en désaveu.

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263. L'objection a du vrai pourtant; et le principe qu'elle invoque pourrait être appliqué à notre hypothèse et y produire d'importantes conséquences.

Supposez, par exemple, qu'avant même qu'il ait été statué sur la maternité de la femme, la preuve soit dès à présent acquise pour les magistrats que le mari n'est pas le père de l'enfant; supposez que le réclamant a déjà été déclaré, par un jugement passé en force de chose jugée, n'être pas l'enfant du mari; ou bien il a été reconnu comme enfant naturel dans son acte de naissance par un tiers autre que le mari, et il a la possession constante d'état d'enfant naturel de ce tiers. Sans examiner ici la question de savoir si l'article 322 est applicable à l'enfant naturel, les magistrats pourraient, certes, très-bien voir dans ces faits la preuve que le réclamant, en supposant qu'il fût l'enfant de la femme, ne serait pas celui du mari, et rejeter en conséquence son action en réclamation d'état tout entière.

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Mais pourtant n'est-ce pas là conférer aux magistrats une faculté qui ne leur appartient pas, une faculté qui n'appartient qu'au mari, savoir: celle de désavouer la légitimité du réclamant? La réponse est encore qu'il ne s'agit pas ici d'une action en désaveu; il s'agit d'une action en réclamation d'état, dans laquelle le mari joue le rôle de défendeur; d'une action intentée par un individu qui n'était protégé par aucune présomption légale, et qu'il appartient dès lors aux magistrats d'apprécier dans toute la liberté de leur conviction; or, s'ils reconnaissent que cette réclamation ne

tend finalement à constater qu'une filiation adultérine, ils peuvent et doivent la rejeter. (Comp. Cass., 13 fév. 1839, Tronquoy; Cass., 22 janv. 1840, Delair, Dev., 1840, I, 118-122; Cass., 22 fév. 1843, Gallanty, Dev., 1843, I, 180; Aix, 14 juin 1866, Guien, Dev., 1867, II, 144.)

S II.

Devant quels tribunaux doit être formée l'action en réclamation

d'état.

264.- La réclamation d'état est une action essentiellement réelle (voy. notre tome II, no 20), qui soulève une question de propriété dont la connaissance appartient, en première instance, aux tribunaux civils d'arrondissement, et en appel, aux cours impériales. Le caractère et l'importance toute spéciale de cette action justifient d'ailleurs cette compétence, et même peuvent la rendre exclusive contrairement aux principes du droit commun (art. 326).

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265. C'est ainsi que, malgré la règle d'après laquelle le juge compétent pour statuer sur la demande principale, est également compétent pour statuer sur les questions incidentes auxquelles cette demande peut donner lieu (L. I, Cod. de Ordine judiciorum), règle applicable aussi pourtant, à certains égards, aux questions d'état (supra, n° 110), les tribunaux de commerce ne peuvent pas, même incidemment, décider une question d'état. L'article 9 du titre xi de l'ordonnance de 1673, en leur permettant de connaître des questions incidentes aux affaires de leur compétence, ajoutait pourvu qu'il ne s'agisse pas de l'état ou qualité des personnes; et l'article 426 du Code de procédure est conçu dans le même esprit (Cass., 13 juin 1808, Morel; Merlin, Rép., t. X, v° Quest. d'état, § 2).

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266. Il en est de même des juges de paix, en ce sens qu'ils sont aussi incompétents pour statuer sur des

conclusions qui ne seraient prises même qu'incidemment devant eux sur une question d'état. Quoique juges civils, ils n'ont pourtant, comme les juges commerciaux, qu'une compétence, à vrai dire, exceptionnelle (arg. de l'article 14 procéd.; Merlin, Rép., t. X, vo Quest. d'état, no 3, et t. XVII., eod. verb., § 1, no 1 ; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 558; Vallette sur Proudhon, t. II, p. 115, note a).

267. La compétence des tribunaux civils en matière de questions de filiation n'est que l'application des règles du droit commun, lorsque la réclamation ne suppose pas un crime ou un délit, lorsque, par exemple, c'est par des accidents fortuits que la preuve de la filiation réclamée a été détruite.

Mais le plus souvent c'est par fraude que l'enfant a été privé de son état; et celte fraude constitue un crime ou un délit réprimé par la loi pénale (art. 345 C. pén.).

Or, d'après le droit commun, lorsqu'un fait lèse tout à la fois un particulier, dans ses intérêts privés, et la société, dans ses intérêts généraux, deux actions naissent simultanément, l'une civile, l'autre publique (art. 1 Instr. crim.); et voici, pour ce qui concerne, en pareil la compétence, trois propositions certaines dans notre droit criminel:

cas,

4° L'action civile peut être poursuivie en même temps. et devant les mêmes juges que l'action publique (art. 3 Instr. crim.);

2o Elle peut aussi l'être séparément; dans ce cas, l'exercice en est suspen du, tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile (art. 3 eod.);

3° La renonciation à l'action civile ne peut arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique (art. 4 eod.). Si donc nous appliquions à notre sujet ces trois règles du droit commun, nous devrions dire:

1° Que l'action civile en réclamation d'état peut être

poursuivie devant les mêmes juges que l'action publique, devant la Cour d'assises;

2° Qu'elle peut être poursuivie séparément; mais que, dans ce cas, elle est suspendue par la poursuite de l'action publique;

3° Que la renonciation ou l'inaction de la partie civile ne peut suspendre ni arrêter l'exercice de l'action publique.

Eh bien au contraire, nous allons voir ici trois exceptions aux règles du droit commun.

268.1° « Les tribunaux civils seront seuls comp tents pour statuer sur les réclamations d'état. » (Ast. 326.)

Or, il est clair que cet article 326 a pour but d'enlever aux tribunaux criminels non pas la compétence directe et principale, qui ne pouvait en aucun cas leur appartenir à l'égard de ces sortes d'actions, mais la compétence indirecte, qui serait résultée pour eux de l'article 3 du Code d'instruction criminelle, Ir partie;

Donc, l'article 326 du Code Napoléon déroge à la première partie de cet article 3.

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269.2° « L'action criminelle contre un délit de suppression d'état ne pourra commencer qu'après le jugement définitif sur la question d'état. » (Art. 327.)

De cet article résulte très-certainement aussi une dérogation à la seconde partie de l'article 3 du Code d'instruction criminelle; et tandis que, d'après le droit commun, c'est le criminel qui tient le civil en état (ajout. art. 239, 240 procéd.), ici au contraire c'est le civil qui tient le criminel en état; la règle est renversée.

270. — 3o Mais ne faut-il pas même aller plus loin, et reconnaître que l'article 327 du Code Napoléon déroge également à l'article 4 du Code d'instruction criminelle? Cette troisième proposition a été vivement contestée; on a dit:

Les articles 326 et 327 ont seulement voulu remédier

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