Page images
PDF
EPUB

preuve de cette filiation ignorée? L'ordre public, sans doute, peut y être fort intéressé, en fait d'empêchements de mariage (voy. notre tome III, n° 107), mais est-il bien utile de s'écarter des règles du droit commun pour révéler à la société des faits déplorables, pour qu'elle sache, par exemple, que l'accusé a commis non pas un meurtre, mais un parricide? (Comp. Cass., 25 juillet 1834, Louis Bossu, Bulletin criminel de la Cour de cassation, 1834, n° 541; Chauveau et Faustin Hélie, Théorie du Code pénal, t. V, p. 182-184.)

La jurisprudence paraît néanmoins, ainsi que je l'ai dit, fixée désormais en sens contraire :

La juridiction criminelle a le droit et le devoir d'apprécier tous les faits élémentaires du crime dont la connaissance lui est déférée; or, la qualité de père ou d'enfant, constitue dans les hypothèses qui précèdent, un des éléments de la criminalité, qui doit être apprécié par le jury dans une Cour d'assises; donc, cet élément, qui ne serait qu'une question, de droit au civil, dégénère au criminel en une question de fait; donc, il doit être décidé par les jurés, dans la pleine liberté de leur conviction (art. 342 Instr. crim.). Et en conséquence cette théorie s'attache particulièrement à la possession d'état, comme mode de preuve de la filiation en matière criminelle. Sur ce terrain, et dans cette limite, je ne demande pas mieux que de m'y rallier moi-même : 1° parce qu'en matière criminelle, en effet, c'est le fait qui est tout; c'est à la vérité, à la réalité, à la notoriété publique qu'on s'attache; 2° parce que cette doctrine ainsi entendue n'a pas des dangers aussi sérieux qu'on pourrait le croire. La preuve directe du fait générateur de la filiation ne serait pas recevable; on ne devrait établir que des faits de possession d'état, mode de preuve admis, suivant nous, par la loi civile elle-même. (Comp. note du 5 nov. 1813, de la Cour de cassation, sur les questions préjudicielles, n° 9, rapportée par

1

Leseyllier, t. IV, p. 224; Cass., 19 sept. 1839, Prayer, Bulletin criminel, 1839, no 301; Cass., 25 mars 1843, Pierre Rieux, Bulletin criminel, 1843, n° 70; Cass., 23 mars 1844, Éloi Vaquez, Bulletin criminel, 1844, no 116.) 277. Les tribunaux français seraient-ils compétents pour statuer sur une action en réclamation d'état entre étrangers?

La négative me paraît résulter des mêmes principes par lesquels j'ai déjà essayé de prouver leur incompétence sur ce qui concerne les questions relatives à l'état et à la capacité personnelle des étrangers (voy. notre Traité du Mariage et de la Séparation de corps, t. I, no 432; Paris, 4 janvier 1847, dlle B..., D., 1847, II, 34).

S III.

Par qui et dans quel délai l'action en réclamation d'état peut-elle être formée?

[ocr errors]

278. L'action en réclamation d'état n'a pas les mêmes caractères et n'est pas soumise de tous points aux mêmes principes, suivant qu'on la considère :

1o Dans la personne de l'enfant lui-même encore vivant ;

2° Après lui, dans la personne de ses successeurs. Il est donc utile de distinguer ces deux hypothèses. 279. Première hypothèse : dans la personne de l'enfant, l'action en réclamation d'état a deux objets : l'un, direct et principal, savoir: l'état lui-même, la qualité d'enfant, c'est-à-dire un objet hors du commerce; l'autre, indirect et secondaire, savoir les droits pécuniaires qui dérivent de cet état, c'est-à-dire un objet tout à fait dans le commerce; ou plutôt même l'action dans la personne de l'enfant n'a qu'un obje unique, son état; le reste n'en est que la conséquen c légale et virtuelle.

De là les propositions suivantes :

4o La réclamation, en tant qu'elle a pour objet l'é tat

lui-même, est imprescriptible à l'égard de l'enfant, sola temporis longinquitate minime mutilari.... (L. 3, Cod. de long. temp. Præscript.);

2o Au contraire, les successions et autres droits pécuniaires qui en dérivent sont soumis aux règles générales de la prescription.

280. - Et d'abord, que l'enfant ne puisse perdre, par aucun laps de temps, le droit de réclamer sa filiation elle-même, c'est ce que déclare l'article 328, qui ne fait en cela que consacrer consacrer une vérité de principe (voy. notre tome I, n° 17). L'état des personnes n'est pas dans le commerce (art. 6, 1128); il ne saurait être perdu par l'effet d'une aliénation, ni par conséquent d'une prescription, puisque la prescription repose, en grande partie, sur une présomption d'aliénation (L. 26, ff., de Verbor. signific.; art. 2226).

Et puisque tel est le motif de l'article 328, il faut en conclure qu'aucune renonciation de la part de l'enfant ne pourrait opérer, dans sa personne, l'abandon de cette action qui tient à l'ordre public. Il ne pourrait donc ni compromettre sur son état (art. 1004 Procéd.);

ni transiger (art. 2045);— ni se désister du fond de droit; - ni même acquiescer au jugement qui aurait rejeté sa demande; je veux dire acquiescer expressément, car l'espèce d'acquiescement tacite, qui résulte de l'expiration du délai d'appel, aurait ici, comme toujours, pour résultat d'imprimer au jugement l'autorité irrévocable de la chose jugée (voy. notre tome IV, n 487, 488).

On opposerait en vain l'article 330 pour soutenir que, de la part de l'enfant, le désistement est valable, ainsi que la Cour de Paris l'a jugé par un arrêt que Delvincourt approuve (t. I, p. 86, note 8; Paris, 3 juill. 1812, de Brioude, Sirey, 1814, II, 42). L'article 330 est inapplicable à l'enfant lui-même; son seul but est de déterminer dans quels cas l'action en récla

mation d'état peut passer, après lui, à ses héritiers; et nous reconnaîtrons bientôt que les principes, qui gouvernent cette action dans l'une et l'autre hypothèse, sont en effet très-différents. Ce qu'on peut dire seulement, c'est que lorsque l'enfant se désiste d'une action qu'il a intentée, le défendeur lui-même peut demander que la question soit néanmoins jugée (Toullier, t. II, n° 908; Proudhon et Valette, t. II, p. 116, 117; Duranton, t. III, no 143-145; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 557; Marcadé, art. 328, no 1).

Il faut aussi en conclure que l'aveu fait par l'enfant contre sa propre légitimité, ne le rendrait pas non recevable à la revendiquer ensuite (voy. toutefois Richefort, t. 1, n° 161).

[ocr errors]

281. Au contraire, les actions relatives aux droits pécuniaires, qui sont non pas l'objet, mais seulement la conséquence de l'action en réclamation d'état, étant, bien entendu, dans le commerce, il s'ensuit qu'elles sont tout à la fois aliénables et prescriptibles.

Paul vient aujourd'hui de se faire déclarer fils légitime de Pierre et de Sophie; et il revendique contre d'autres membres de cette famille, désormais reconnue la sienne, une succession ouverte depuis plus de trente ans; il sera déclaré non recevable (art. 137, 2262), si d'ailleurs la prescription n'a pas été suspendue par quelque cause de droit commun (art. 2252). On appliquera les règles générales à sa pétition d'hérédité contre les héritiers apparents, et à ses actions en revendication ou autres contre les tiers, soit débiteurs de la succession (art. 1240), soit acquéreurs de biens héréditaires (voy. notre Traité de l'Absence, n° 214 et suiv.).

Ainsi le veulent les principes d'accord avec l'intérêt général de la société. (Comp. Demante, t, II, n° 54 bis, I.)

TRAITÉ DE LA PATERNITÉ.

19

232.

Les créanciers de l'enfant peuvent-ils exer

cer en son nom l'action en réclamation d'état ? Cette question est complexe :

1° Les créanciers peuvent-ils, lors même qu'il n'y a aucun intérêt pécuniaire actuel, intenter, au nom de leur débiteur, l'action pure et simple en réclamation d'état?

2° Peuvent-ils du moins l'intenter, lorsqu'il existe un int éêt pécuniaire, lors, par exemple, qu'une succession est ouverte, à laquelle leur débiteur serait appelé, si son état était reconnu ?

Dans la première hypothèse, je n'hésite pas à penser que l'action des créanciers est absolument irrecevable. La réclamation ne présente alors, en effet, qu'un objet purement moral, et ne peut avoir, quant à présent, que des résultats tout à fait personnels à leur débiteur; c'est une démonstration d'ailleurs qui résultera bientôt a fortiori des motifs par lesquels j'essayerai d'établir qu'en aucun cas cette action ne peut être exercée par les créanciers. Aussi, parmi les auteurs qui leur accordent au contraire le droit de l'exercer, quelques-uns exceptent formellement le cas où ils se borneraient à intenter une action pure et simple en réclamation d'état, indépendamment de tout intérêt pécuniaire et actuel (Zachariæ, t. II, p. 336, et t. III, p. 664; Marcadé, t. IV, art. 1166, n° 2; comp. notre Traité des Contrats ou des Obligations conventionnelles en général, t. II, no 68).

283. La seconde hypothèse est plus délicate. Une succession est ouverte, et les créanciers prétendent que leur débiteur est le fils du défunt et qu'il est appelé en conséquence à la recueillir. Cette prétention peut encore, dans ce cas, se présenter de deux manières diffé

rentes:

4° Sous la forme d'une action directe en réclamation d'état;

2° Sous la forme d'une action en pétition d'hérédité, à

« PreviousContinue »