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Filiation, t. VIII, p. 544), je n'hésite pas à considérer cette proposition comme éminemment logique et nécessaire (Cass., 23 nov. 1842, Henry, Dev., 1843, I, 6; Duranton, t. III, no 43; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 576).

Et elle a été, en effet, consacrée encore par un nouvel arrêt de la Cour de cassation, très-explicite en ces termes :

« Attendu que l'arrêt attaqué reconnaît à bon droit que, en matière de désaveu, l'impossibilité matérielle de cohabitation résultant de l'article 312 du Code Napoléon peut être réunie à l'impossibilité morale résultant de l'article 313, lorsqu'elles s'ajoutent l'une à l'autre sans solution de continuité, et embrassant ensemble un intervalle de temps de plus de trois cents jours antérieur à la naissance de l'enfant désavoué.... » (8 nov. 1859, Tocu, Dev., 1860, I, 437.)

39. Le mari a été dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa feinme, depuis le trois centième jusqu'au cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant.... Mais cet enfant n'est pas né viable; le mari est-il fondé à le désavouer? Oui, suivant Toullier (t. II, no 822; Delvincourt, t. I, p. 84, note, 5, et Proudhon, t. II, p. 33-35): 1° parce que, d'après le texte même de la loi, la non-viabilité de l'enfant n'élève une fin de nonrecevoir contre le mari que lorsqu'il s'agit d'un enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage (art. 314), et que l'article 312 ne renferme rien de semblable; 2° parce qu'en effet les deux situations sont très-différentes : le mari, lorsque l'enfant a été conçu pendant le mariage, a toujours intérêt et qualité à l'effet de prouver l'adultère de sa femme et d'obtenir contre elle la séparation de corps; tandis qu'il ne peut pas, bien entendu, l'accuser d'adultère dans le cas où la conception remonte à une époque antérieure au mariage.

Et de là, ces auteurs concluent que son action en désaveu est recevable.

L'action en désaveu! mais elle est véritablement impossible; car on ne peut pas plaider sans intérêt ni sans adversaire; or, le mari n'aurait alors ni adversaire ni intérêt : il n'aurait pas d'adversaire; l'action en désaveu doit être, en effet, dirigée contre l'enfant lui-même (art. 348; infra; no 163); or, l'enfant non viable est légalement réputé n'avoir jamais existé; il est aux yeux de la loi comme l'enfant mort-né, contre lequel apparemment lé désaveu ne serait pas proposable; donc, il ne l'est pas davantage contre l'enfant non viable. Le mari, par suite, n'aurait pas d'intérêt; car l'enfant non viable, de même que l'enfant mort-né, n'a pu légalement rien recueillir ni rien transmettre (art. 725 et 906).

Aussi me paraît-il certain que jamais l'action en désaveu ne peut être intentée contre un enfant non viable : ni par le mari, dans le cas des articles 312 et 313, ni par ses héritiers, dans le cas de l'article 315. L'article 314 exprime donc, à cet égard, non pas une exception, mais une règle absolue.

Ajoutez que la non-viabilité de l'enfant permet trèssouvent de douter si la grossesse a eu la durée suffisante, et qu'elle ébranle ainsi la base même sur laquelle est fondée l'action en désaveu, car l'impossibilité de cohabitation entre les époux à l'époque de la conception ne peut plus être affirmée, dès qu'on ne peut plus, même approximativement, déterminer cette époque. Ce dernier motif, toutefois, ne serait pas à lui seul péremptoire, si, par exemple, l'enfant même non viable était né à une époque si rapprochée du retour ou de la guérison du mari qu'il fût évidemment impossible qu'il eût été conçu de ses œuvres. Le mari donc, je le reconnais, pourrait avoir une action dans le cas même de non-viabilité de l'enfant..., mais laquelle et contre qui? Une action, pour cause d'adultère, en séparation de corps contre sa femme; la naissance d'un enfant, viable ou non sera, sans doute, au nombre de ses meilleures preuves à l'appui de

son grief d'adultère. Sous ce dernier rapport même, la différence établie par Proudhon ne sera pas non plus, selon moi, de tous points exacte; car j'ai pensé que le mari pourrait demander la séparation de corps, même contre la femme qui accoucherait avant le cent quatrevingtième jour du mariage, non point, il est vrai, pour cause d'adultère, mais, du moins, pour cause d'injure grave (t. IV, n° 392; voy. aussi Duranton, t. III, n° 34; Zachariæ, t. III, p. 641; Duvergier sur Toullier, t. II, no 822, note A; Valette sur Proudhon, t. II,note A; Marcadé, art. 315, n° 1).

40.2o La seconde cause de désaveu est écrite dans l'article 313. Le mari ne pourra désavouer l'en

fant :

« .... Même pour cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée; auquel cas il sera admis à proposer tous les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père. »

On voit qu'il s'agit ici non plus d'une impossibilité physique de cohabitation entre les époux, mais d'une sorte d'impossibilité morale. C'est ainsi que notre ancienne jurisprudence avait qualifié cette cause de désaveu; et ces expressions ont été plusieurs fois aussi reproduites dans les discussions du Conseil d'État et par les orateurs du gouvernement (Locré, Législ. civ., t. VI, p. 69, 227, 241, 285). Si on a évité de les employer dans le texte, c'est sans doute afin de prévenir les abus d'interprétation, auxquels avait autrefois donné lieu cette cause trop vague alors et trop peu définie; mais toujours est-il que le désaveu est encore aujourd'hui fondé, dans ce cas, sur l'impossibilité morale, en ce sens que la présomption légale de paternité du mari n'est point ici attaquée directement et en face par la preuve même d'une impossibilité matérielle. Ce n'est que par voie d'induction, à l'aide de certains faits préalablement connus, que l'on arrive indirectement jusqu'à elle.

Ces faits ou plutôt ces conditions sont au nombre de trois. Il faut :

1° Que la femme soit coupable d'adultère;

2° Qu'elle ait caché au mari la naissance de l'enfant;

3o Que tous les faits établissent que cet enfant n'est pas celui du mari.

41.- Telles sont, dis-je, les conditions cumulativement exigées pour que cette cause de désaveu soit admise; c'est donc à celui qui la présente qu'est imposée l'obligation de prouver chacune d'elles; car il est demandeur, et doit par conséquent justifier que son action est fondée; or, elle ne peut l'être qu'autant qu'il prouvera l'accomplissement des trois conditions, sous lesquelles seulement la loi l'autorise (L. 2, ff. de Probat.).

Delvincourt en a toutefois excepté le recel de la naissance de l'enfant : comment imposer au demandeur en désaveu l'obligation de prouver qu'il n'a pas connu la naissance? C'est là un fait négatif dont la preuve ne saurait être mise à sa charge (t. I, p. 84, note 7).

Mais le texte ne dit pas que le mari devra prouver qu'il a ignoré, qu'il n'a pas connu la naissance de l'enfant; ce qu'il exige, c'est qu'on la lui ait cachée, c'est que la femme ait pris des précautions pour lui en faire un secret et un mystère; or, toutes ces précautions sont des faits positifs qui peuvent être très-bien prouvés ; donc, il n'y a aucun motif d'exception à la règle qui veut que le demandeur justifie ces trois conditions, sans lesquelles, encore une fois, sa demande ne serait pas fondée. (Comp. Aix, 11 janv. 1859, de Mostuëjouls, J. du P., 1860, p. 707; Zachariæ, Aubry et Rau, t. IV, p. 577; Massé et Vergé, t. I, p. 300; Duranton, t. III, no 50; Valette sur Proudhon, t. II, p. 32, note A; Marcadé, art. 313, no 3.)

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L'adultère doit, disons-nous, être prouvé...; mais comment?

On pourrait ici compter quatre opinions différentes! A. Toullier a soutenu que la preuve de l'adultère de la femme devait être préalablement établie par un jugement ad hoc, dès avant l'introduction de la demande en désaveu; de telle sorte que cette demande elle-même serait jusque-là non recevable (t. II, no 815).

Mais l'article 313 n'exige pas cette condition; et il faut d'autant moins l'y ajouter, que le délai très-court dans lequel l'action en désaveu peut être formée se trouverait presque toujours expiré avant qu'il ait pu être statué sur l'instance en adultère (art. 316-318). Il en résulterait d'ailleurs que les héritiers du mari, qui ne peuvent pas dénoncer directement l'adultère de la femme, seraient privés de l'action en désaveu fondée sur cette cause; et quoique Proudhon l'ait ainsi prétendu (t. II, p. 55, 56), cette action leur est certainement toujours transmise, quelle qu'en soit la cause (art. 317, infra, n° 121).

43. B. Merlin, sans exiger qu'une décision judiciaire constate l'adultère antérieurement à l'instance en désaveu, se contente d'un jugement ad hoc rendu incidemment à cette instance; mais il prétend que ce jugement doit être en effet rendu avant la décision du fond (Rép., t. VII, vo Légitimité, section 1, § 2, no 5).

Il est vrai que les discours prononcés au Corps législatif paraissent exiger cette condition.

« Le projet de loi, disait le tribun Duveyrier, n'admet l'exception de l'impossibilité morale fondée sur l'adultère que sous trois conditions formelles il faut que l'adultère soit constant, et il ne peut l'être que par un jugement public; il faut que la femme ait caché à son mari la naissance de l'enfant adultérin; et ces deux conditions remplies, il faut encore que le mari présente la preuve des faits propres à justifier qu'un autre est le

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