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d'interprétation me paraissent prouver peu. Il est incontestable que le texte est notre loi suprême, et que sa décision, bonne ou mauvaise, doit être obéie; mais on ne niera pas non plus qu'en cas de doute, les principes généraux du droit, les considérations d'ordre public, d'équité, d'intérêt général, ne soient, pour les jurisconsultes et pour les magistrats, de puissants moyens de décision. Et voilà bien ce qui agrandit notre domaine, ce qui élève et ennoblit notre mission!

Eh bien! ce que je nie, c'est que les textes du Code Napoléon aient tranché notre question d'une manière aussi indubitable qu'on le prétend. Est-ce que notre Code, au contraire, n'est pas plein d'obscurités et de lacunes précisément en ce qui concerne les enfants naturels ? Nulle part peut-être l'interprétation doctrinale et judiciaire n'a eu plus à faire, non-seulement en ce qui concerne la preuve de la filiation des enfants naturels, mais en ce qui concerne leurs droits. Leur réserve, par exemple, est-elle donc si clairement écrite dans le texte ? Et ici, en particulier, quand je vois un si grand nombre de jurisconsultes et d'arrêts de cours souveraines enseigner et juger que la possession d'état prouve la filiation naturelle, du moins à l'égard de la mère, je ne puis admettre qu'il y ait là un texte révélant sans équivoque la volonté contraire du législateur. Il est vrai que tous les auteurs et tous les arrêts refusent d'admettre la possession d'état comme preuve de la filiation naturelle à l'égard du père; je le reconnais, et ce sera même, après cette longue dissertation, mon excuse.

N'ai-je pas dû mettre toutes voiles dehors pour m'avancer contre une doctrine si unanime, si traditionnelle? Qu'adviendra-t-il de ce combat? Il ne m'appartient pas de le prévoir. Me sera-t-il toutefois permis de dire que j'espère dans le temps, ce puissant allié qui ne manque pas de faire triompher l'idée nouvelle, quand elle est la vérité. Je souhaite que la question s'élève enfin dans

une hypothèse qui présente, même pour les plus exigeants, toutes les conditions de la possession d'état. Elle se serait déjà sans doute présentée, et plus d'une fois même à ma connaissance, si la doctrine régnante n'eût point, par son autorité jusqu'alors incontestée, découragé toute prétention. Puissé-je du moins avoir appelé sur elle le doute et l'examen !

480 bis.- Nous n'avons pas réussi jusqu'à présent toutefois; et même, notre entreprise a eu cette singulière fortune que, tandis que nous nous efforcions d'obtenir que l'on décidât que la possession d'état fait preuve de la filiation naturelle non-seulement à l'égard de la mère, mais encore à l'égard du père, il est advenu, au contraire, que l'on a décidé qu'elle ne ferait pas preuve, non-seulement à l'égard du père, mais même à l'égard de la mère ! (Comp. les citations supra, no 478.)

C'est là, si l'on veut, à un certain point de vue, un succès de notre démonstration, qui tendait, en effet, à établir qu'aucune distinction n'est possible, en ce qui concerne la preuve résultant de la possession d'état, entre le père et la mère naturels.

Mais nous confessons volontiers qu'il s'en faut bien que ce soit ce succès-là que nous ayons poursuivi!

Et pourtant, malgré sa défaite, la possession d'état considérée comme preuve de la filiation naturelle, conserve encore certains avantages très-importants; c'est ainsi que, d'après la jurisprudence elle-même la plus iécente, la possession d'état fait preuve complète de l'identité de l'enfant, lorsque le nom de sa mère a été indiqué dans son acte de naissance (voy. infra, n° 504-506, et notre Traité de la Publication, des Effets et de l'Application des lois, etc., n° 297; Comp. Cass., Ir déc. 1869, Hervet, Dev., 1870, I, 101).

481.

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L'article 322 est-il applicable à la filiation naturelle? Quatre opinions se sont produites. Cet article n'est pas ici applicable.

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<< Nul ne peut réclamer un état contraire à celui quen << lui donnent son acte de naissance et la possession con« forme à ce titre;

« Et réciproquement, nul ne peut contester l'état de « celui qui a une possession conforme à son titre de nais

<<<sance. >>>

Il s'agit de savoir si cet article est applicable à la filiation naturelle; en d'autres termes : un enfant naturel reconnu par son père ou par sa mère, et qui a une pos session d'état conforme à l'acte de reconnaissance, peutil réclamer une autre filiation soit légitime, soit natu relle? et réciproquement, peut-on lui contester la filiation que lui donnent l'acte de reconnaissance et sa possession d'état?

C'est une question délicate et sur laquelle quatre opinions différentes se sont produites:

A. La première enseigne que l'article 322 est toujours applicable à l'enfant naturel aussi bien qu'à l'enfant légitime. Le texte d'abord le veut ainsi : nul ne peut réclamer, etc..., nul sans distinction entre l'une et l'autre filiation; et les motils sont en effet les mêmes. Le concours du titre et de la possession produit, dans tous les cas, une égale présomption de vérité. Ce n'est donc que dans le cas où l'acte de reconnaissance n'est pas soutenu par la possession d'état que l'article 339 permet de le contester: ce dernier article doit être, sous ce rapport, ainsi concilié avec l'article 322. (Comp. Rouen, 15 mai

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1826, Lhomme, Sirey, 1828, II, 43; Merlin, Rép., t. VII, vo Légitimité, sect. 11, n° 4; Toullier, t. II, no 899; Proudhon, t. II, p. 143; Delprat, Revue pratique de droit français, 1856, t. II, p. 281 et suiv.

B. Il faut distinguer l'article 322 sera applicable, si l'acte de reconnaissance de l'enfant naturel se trouve dans son acte même de naissance inscrit sur les registres de l'état civil; il ne sera point applicable, si la reconnaissance n'a eu lieu que postérieurement, soit par acte devant notaire, soit même devant un officier de l'état civil. Cette seconde opinion, proposée dans une note du Recueil de M. Devilleneuve, paraît même aussi, à quelques égards, autorisée par l'arrêt de la Cour de Bordeaux du 12 février 1838 (Tronquoy, Dev., 1838, II, 401-406).

C. MM. Aubry et Rau (sur Zachariæ, t. III, p. 665, note 16) semblaient même aller plus loin. L'article 322, disaient ces auteurs, ne distingue pas «si l'état contraire à l'état réclamé est un état d'enfant légitime ou un état d'enfant naturel; » et ils en concluaient que la fin de nonrecevoir, qui en résulte, s'applique au cas où la réclamation de l'individu, qui se dit enfant légitime, se trouve contredite par un acte de naissance et une possession conforme, qui lui attribue l'état d'enfant naturel d'une autre femme que celle dont il se prétend issu. Ainsi, d'après cette opinion, l'article 322 s'appliquerait, même indépendamment de toute reconnaissance de la part de la mère, à l'enfant inscrit dans son acte de naissance sous le nom de la femme, à l'égard de laquelle il aurait, en même temps, la possession d'état d'enfant naturel.

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Mais nos savants collègues, dans leur nouvelle édition (t. IV, p. 688), viennent de se départir de cette doctrine, pour se rallier à la dernière opinion, que nous allons présenter.

D. D'après cette dernière opinion, l'article 322 n'est point applicable à l'enfant naturel; et c'est le parti auquel je crois devoir m'arrêter. Ce qui me détermine, ce

n'est pas la place qu'occupe l'article 322 dans le chapitre II consacré aux enfants légitimes; car je pense que beaucoup de dispositions importantes de ce chapitre sont applicables aux enfants naturels. Ce n'est pas davantage, bien entendu, le motif tiré de ce que l'enfant naturel ne saurait avoir de possession d'état. Ces deux argumentslà sont, à la vérité, produits par les partisans de l'opinion que j'adopte en ce moment; mais pour ma part, je les désavoue; et voici les seules raisons qui me décident :

J'ai dit que les dispositions du chapitre 11, relatif aux enfants légitimes, n'étaient applicables aux enfants na turels, qu'autant que le chapitre ш ne les avait pas mo difiées expressément ou tacitement; or, il me semble que l'article 339 du chapitre ш renferme, sous ce rapport, une modification importante à l'article 322 du chapitre 1. Le texte de l'article 339 est en effet absolu; il ne paraît subordonner à aucune circonstance, à aucune condition, le droit de réclamation qu'il accode à l'enfant, pas plus que le droit de contestation qu'il accorde à tous les intéressés. Et des motifs particuliers, des considérations très-puissantes peuvent expliquer ici cette disposition spéciale; c'est qu'on doit craindre alors, bien plus que dans le cas de filiation légitime, les mensonges et les fraudes. Combien d'enfants sont mis ainsi sur le compte d'une femme qui n'est pas leur mère! c'est une jeune fille qui a commis une faute, et dont on veut sauver du moins la réputation par le secret; c'est une femme mariée, qui a trompé son mari, et qui lui cache son accouchement; et on trouve une autre femme qui, à telles ou telles conditions, accepte la maternité. Ne se peut-il pas même, et il y en a des exemples, que le complice de la femme mariée reconnaisse l'enfant de son adultère ! qu'il le reconnaisse, soit à l'insu du mari, qui ignore toute cette intrigue, soit même par un coupable accord entre lui et ce mari, qui répudie ainsi la paternité sans une action en désaveu. Mais cette action, elle n'aurait

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