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sa naissance ses père et mère avaient été capables de se marier, lors même qu'ils en auraient été incapables au moment de sa conception.

Le Code Napoléon sans doute n'a pas été jusque-là. Il distingue au contraire l'enfant déjà né de l'enfant simplement conçu au moment du mariage (comp. art. 314331); et cette distinction me paraît sage et logique: d'abord, parce que l'enfant simplement conçu n'est pas encore une personne, et que ce n'est que par la naissance qu'il prend place dans la société civile; parce que, si quelquefois il est considéré comme déjà né, c'est là une fiction introduite seulement dans son intérêt (voy. notre Traité de la Publication, des Effels et de l'Application des lois, etc., n° 151, p. 158); en second lieu, parce que la différence est bien grande en effet entre les deux situations.

Lorsque l'enfant est déjà né au moment de la célébration du mariage, il faut bien que la loi s'occupe de lui; car elle exige qu'il soit reconnu formellement; et obligée ainsi d'apprécier son origine, elle ne pouvait pas, sans scandale, lui accorder le bienfait de la légitimation, quand cette origine est par trop impure.

Au contraire, lorsqu'il s'agit d'un enfant seulement conçu au moment du mariage, la loi n'a pas à s'en occuper; il naît dans le mariage, cela lui suffit; et lorsque le mari garde le silence, elle ne veut pas même qu'on recherche si la conception était ou n'était pas antérieure à la célébration. J'irais presque jusqu'à dire que, par une sorte de fiction, ou plutôt de fin de non-recevoir, la loi présume conçu pendant le mariage tout enfant né depuis le mariage, dès que le mari ne dit rien. Oui, tout autre que le mari ou ses héritiers est, je le répète, non recevable à soulever cette question. Car, j'en reviens toujours là, cette question ne peut être soulevée que par une action en désaveu. C'est qu'en effet le scandale serait alors dans cette inquisition même, par laquelle des tiers

viendraient rechercher la situation personnelle et les rapports antérieurs des époux. Et cette différence est si vraie, qu'en Angleterre, où la légitimation par mariage subséquent n'est pas admise, l'enfant dont la femme était enceinte en se mariant est considéré comme légitime par le fait de sa naissance depuis la célébration du mariage (Code matrimonial, t. II, p. 683).

61. Je demande, en effet, aux partisans de la théorie que j'entreprends de combattre, je leur demande s'ils accorderont aux tiers la faculté de prouver qu'au moment de la conception de cet enfant né depuis le mariage, le mari était, pour cause d'éloignement ou d'accident, ou par tout autre motif, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec la mère; et qu'il n'est pas, dès lors, le père de cet enfant.

S'il s'agissait de la légitimation d'un enfant né avant le mariage, les tiers en auraient certainement le droit (art. 339; Cass., 10 févr. 1847, Leroux, Dev., 1847, I, 81; infra, no 366).

Or, d'après vous, l'enfant ainsi conçu avant et né depuis le mariage est seulement légitimé; il doit réunir toutes les qualités requises à cet effet.

Donc, vous devez dire que les tiers auront le droit de prouver que le mari a épousé une femme enceinte des œuvres d'un autre. Car, apparemment, s'il ne peut pas légitimer ainsi son enfant incestueux ou adultérin, il peut encore moins légitimer un enfant qui n'est pas le sien, l'enfant d'un autre.

Cette conséquence est inévitable; et vous ne pourriez pas opposer aux tiers, agissant en contestation de légitimité, cette fin de non-recevoir que vous opposez alors vous-même au mari: nemo auditur turpitudinem suam allegans. (Duranton, t. III, no 28; Zachariæ, t. III, p. 630.)

En vain vous diriez que, dans ce cas, c'est le fait même de la paternité du mari que l'on met en doute, et qu'il n'y a lieu, dès lors, qu'à une action en désaveu; tan

dis que, dans les autres cas de conception adultérine ou incestueuse, ce n'est point la paternité du mari que l'on méconnaît, puisque, au contraire, c'est le fait même de cette paternité qui forme l'obstacle à la légitimation de l'enfant (Aubry et Rau sur Zachariæ, p. 627, note 11). Cette distinction, que je reconnaîtrai volontiers comme très-ingénieuse et très-habile, ne me paraît pas décisive. Car, précisément, la loi résiste à toute espèce de distinction; et les termes absolus de l'article 314, combinés avec les articles 316-318, embrassent dans la même solution toutes les hypothèses possibles. Or, cette conséquence inévitable, je le répète, me paraît aussi tout à fait inadmissible; je dénie formellement à qui que ce soit une telle faculté. Bassesse ignoble ou dévouement héroïque, quel que soit le motif qui ait porté le mari à contracter ce mariage, la loi ne veut pas qu'on le recherche; elle veut, au contraire, l'ignorer; aux yeux de la loi, le mari est le père de l'enfant, dès qu'il se tait. Cette présomption est irréfragable; et voilà ce qu'a fort bien décidé l'arrêt précité de la Cour de cassation:

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« Sur le moyen tiré de la violation des articles 314 et 333: attendu que si la filiation des enfants nés dans le mariage est, en vertu d'une présomption légale, placée au-dessus de toule contestation, il n'en est pas de même de la filiation des enfants nés hors mariage; que le mariage subséquent de ceux qui les ont reconnus ne saurait mettre la reconnaissance, qui est le titre fondamental de leur filiation, à l'abri d'une contestation autorisée par

la loi.... »

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Et tout récemment encore la Cour de cassation, rejetant le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour de Chambéry du 3 mai 1869, a décidé que l'action en désaveu n'est pas recevable, lorsque, avant le mariage, le mari a eu connaissance de la grossesse, et lorsqu'il fonde son action sur l'impossibilité physique de cohabitation pendant la période de cent vingt jours, à laquelle doit se

rapporter le moment de la conception: (27 déc. 1869, Falcoz, le Droit du 1er janv. 1870.)

Décision, que nous considérons comme très-bien rendue, malgré le dissentiment de M. Beudant, qui a inséré, sur cet arrêt, dans le Recueil de Dalloz, des observations critiques d'ailleurs fort habiles. (D. 1870, I, 145-146.)

62. De là je conclus aussi que l'enfant né, même avant le cent quatre-vingtième jour du mariage, de deux personnes qui n'ont pu se marier qu'en vertu de dispenses pour cause de parenté ou d'alliance, comme l'oncle et la nièce, le beau-frère et la belle-sœur ; que cet enfant, dis-je, naît légitime, et je m'en réjouis sincèrement. Je me réjouis de n'être pas forcé d'étendre à cette hypothèse la solution très-dure que j'appliquerai moi-même à l'enfant déjà né de leur commerce antérieur (infra, no 352). 63. Mais je vois bien où l'on m'attend! et j'y ar

rive.

On me dit :

Déclarerez-vous donc aussi légitime l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage d'une femme et d'un homme qui, à l'époque de la conception, étaient, l'un et l'autre, et peut-être même tous les deux, engagés dans les liens d'un autre mariage?

Cette conséquence résulte, j'en conviens, nécessairement de ma théorie, et je ne me dissimule pas combien elle est grave; je l'accepte pourtant; car je ne saurais la répudier sans ruiner ma théorie elle-même tout entière.

Je ne la répudierai point, parce qu'elle me paraît conforme au texte, à ses motifs, aux principes du droit, et j'ose dire aussi à la morale et au bon ordre de la société et des familles.

Oui, la théorie elle-même est morale dans sa généralité, dans son but essentiel, et presque toujours dans ses résultats. Il sera toujours moral d'empêcher ces recherches, ces inquisitions sur les rapports du mari et de la

femme avant le mariage; il sera toujours moral de voir un enfant légitime dans cet enfant né depuis le mariage célébré avec dispenses entre l'oncle et la nièce, le beaufrère et la belle-sœur, mariage déterminé presque toujours par cette conception antérieure et cachée. Voilà les applications les plus ordinaires, les résultats les plus généraux de notre règle. Il sera très-triste, sans doute, que ce voile qu'elle jette si prudemment sur ce qui a pu se passer avant le mariage, puisse aussi protéger le fruit de l'adultère; mais ce sera là l'hypothèse la plus rare; mais, enfin, la règle elle-même, et tout entière, est à ce prix. Et quelle est la règle générale, même la plus salutaire, qui ne comporte pas certaines applications regrettables?

Le principe qui attribue au mari l'enfant conçu pendant le mariage est certainement aussi parfois très-choquant, surtout lorsque le mari, ayant notoirement une cause irrésistible de désaveu, ne veut pas la présenter et accepte cette paternité, et même en tire parti (infra, n°115); et pourtant voudriez-vous, à cause de cela, supprimer la règle elle-même?

J'approuve donc complétement l'arrêt de la Cour de Colmar, qui a décidé que l'état de l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour, depuis la dissolution du premier mariage du nouveau mari et la célébration de son second mariage, ne pouvait être attaqué que par une action en désaveu. Savez-vous comment ses adversaires procédaient? Par une simple action en rectification. de l'acte de naissance; car ils disaient, eux aussi : « Cet enfant est adultérin! il n'a pas pu être légitimé! et nous n'avons pas besoin contre lui du désaveu. » - C'est donc bien la même doctrine que je viens d'essayer de combattre, qui a été repoussée par cet arrêt (Colmar, 15 juin 1831, Uttard, Dev., 1831, II, 336; comp. Grenoble, 1er févr. 1868, Charreton, Dev., 1868, II, 97).

Notre savant collègue M. Valette vient de fortifier, de sa puissante adhésion, la doctrine que nous avons en

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