Page images
PDF
EPUB

Les élections législatives causèrent une émotion plus profond mais, malgré quelques regrettables incidents locaux, l'ensemble fut imposant de calme et de régularité.

La proclamation du 24 février déclarait que le gouverneme voulait, entre autres choses, « l'unité de la nation, formée de to tes les classes de citoyens qui la composent, et le gouverneme de la nation par elle-même; » le décret du même jour, dissolve la chambre des députés, portait, en outre : « Une Assemblée tionale sera convoquée aussitôt que le gouvernement aura réglé li mesures nécessaires pour le vote de tous les citoyens. » Ces der actes posaient en principe le suffrage universel. Telle était, en fet, la pensée et la volonté de tous les hommes du gouvernem provisoire.

Après comme avant le 24 février, il ne manquait pas de gens déclaraient solennellement le suffrage universel dangereux et praticable. Lors même, disaient-ils, qu'on pourrait mettre en sence tant d'hommes animés de passions contraires sans que lutte électorale dégénérât en guerre civile, on ne parviendrait matériellement à les faire voter avec ordre et méthode, füt-ce plusieurs jours.

Le gouvernement ne s'arrêta ni aux prédictions ni aux objectio Le 5 mars, il fit mettre au Moniteur que, dans la séance du avait fixé la convocation des électeurs au 9 avril, la réunion l'Assemblée au 20 et adopté pour bases du décret électoral en paration :

Que l'Assemblée ferait une constitution;

Que l'élection aurait pour base la population;

Que les représentants seraient au nombre de 900;

Que le suffrage serait direct et universel, sans condition de c Que tout Français serait électeur à vingt et un ans et élig vingt-cinq;

Que le scrutin serait secret.

Le gouvernement décida ensuite que tous les électeurs d'un mèn département concourraient à l'élection des députés dudit départ ment, par scrutin de liste; que l'on pourrait employer des bul tins écrits d'avance ou imprimés; que l'armée prendrait part vote; que tout électeur devrait justifier de six mois de résidenă dans la commune, avec des facilités pour les électeurs tempora ment absents; qu'enfin le vote aurait lieu au canton.

Le décret contenant ces dispositions parut le 6 mars et fut suivi

d'instructions complémentaires expliquant ou réglant tous les détails pour la pratique matérielle du vote.

Le gouvernement décréta, en outre, que, pour assurer plus de liberté à la discussion des candidatures, le timbre des journaux serait suspendu dix jours avant l'ouverture du scrutin.

Pour la première fois donc, la nation tout entière était appelée à élire ses représentants.

Les élections, fixées d'abord au 9 avril, furent remises au 23 avril, non pour complaire à la fraction extrême du parti républicain qui en voulait l'ajournement indéfini, mais parce que les commissaires du gouvernement constataient l'impossibilité matérielle d'y procé der à la date primitivement désignée. La réunion de l'assemblée fut, en même temps, reportée au 4 mai.

Il était naturel et légitime que le gouvernement se préoccupât vivement des élections et qu'il les désirât républicaines. Entre les candidats qui allaient se présenter, sa préférence devait appartenir ceux qui, de longue date, avaient fait preuve d'attachement à la République. Sans dissimuler ce sentiment, le ministre de l'intérieur recommanda, avant tout et par-dessus tout, le respect pour la liberté des électeurs, ce respect n'était pas incompatible avec des conseils donnés, d'une manière générale, aux électeurs dans cette première expérience d'un système électoral que tant de gens déclaraient impraticable.

La révolution du 24 février avait, tout d'abord, été accueillie sans objection dans les départements. Mais là, comme à Paris et plus qu'à Paris, l'hostilité s'était bientôt produite, au nom de l'ordre. Dans certaines villes, à Bordeaux, à Rouen, à Lille, à Besançon, etc., les commissaires du gouvernement furent mal reçus, obligés même de repartir, sans qu'il y eût contre eux aucun grief sérieux, si ce n'est qu'ils froissaient des prétentions locales. Quelques choix regrettables, au point de vue de la tenue, non de l'honnêteté, indisposèrent les populations; ce fut dans un très-petit nombre de localités. On fit grand bruit au sujet d'un commissaire qui avait subi une condamnation infamante il fallut reconnaître que le ministre avait fait cette nomination avec trop de confiance, sur la recommandation d'un archevêque. A Lyon, M. Emmanuel Arago eut à lutter contre les défiances que l'armée inspirait aux ouvriers et contre l'indiscipline des soldats réclamant l'épuration des officiers. Il faillit être fusillé, mais il parvint à maintenir ou rétablir l'autorité du gouvernement sans effusion de sang.

Toutes ces circonstances étaient exploitées contre la Républiqu Le ministère de l'intérieur publiait, avec l'assentiment et sous] surveillance plus nominale que réelle du gouvernement, un bulleti de la République qui était envoyé, affiché dans toutes les commun et dont le but était de mettre en continuelle communication le go vernement et les populations. Cette publication n'avait suscité a cune attaque sérieuse, lorsque, en tête du numéro 16, daté 15 avril et traitant des élections, on lut ce passage malenc treux :

«Citoyens, nous n'avons pu passer du régime de la corruptie au régime du droit dans un jour, dans une heure. Une heure d spiration et d'héroïsme a suffi au peuple pour consacrer le print de la vérité. Mais dix-huit ans de mensonge opposent au régime la vérité des obstacles qu'un souffle ne renverse pas; les élection si elles ne font pas triompher la vérité sociale, si elles sont l'expr sion des intérêts d'une caste, arrachée à la confiante loyauté peuple, les élections, qui devaient être le salut de la Républiqu seront sa perte, il n'en faut pas douter. Il n'y aurait alors qu'u voie de salut pour le peuple qui a fait les barricades, ce serait manifester une seconde fois sa volonté et d'ajourner les décisio d'une fausse souveraineté nationale. »

On détacha de l'ensemble du texte cette dernière phrase dould ment regrettable et parce qu'elle pouvait être prise pour une exc tion à la violence par la masse ignorante de l'exercice de ses dri politiques, et aussi parce qu'elle ne pouvait manquer d'être explai tée par les partis hostiles. Ils ne s'en firent pas faute. On la répét on l'imprima isolément, on la présenta comme une résolution, mot d'ordre émanant du gouvernement, comme une menace dire aux électeurs. Ainsi isolée, la phrase pouvait paraître telle, mas suite du Bulletin prouve clairement que le rédacteur ne voulait qu signaler une éventualité périlleuse; en effet, il dit plus loin :

«... Il ne faut pas que vous en veniez à être forcés de viole vous-mêmes le principe de votre propre souveraineté. Entre danger de perdre cette conquête par le fait d'une Assemblée incapa ble ou par celui d'un mouvement d'indignation populaire, le gou vernement provisoire ne peut que vous avertir et vous montrer péril qui vous menace. Il n'a pas le droit de violenter les esprits d de porter atteinte au principe du droit public. Élu par vous, il at peut ni empêcher le mal que produirait l'exercice mal compris d'un droit sacré, ni arrêter votre élan, le jour où, vous apercevant vous

mêmes de vos méprises, vous voudriez changer dans sa forme, l'exercice de ce droit. »

On ne tint pas compte de ces paroles, on ne s'attacha qu'à la phrase isolée et ce fut le texte de clameurs indignées de la part des mêmes hommes qui avaient applaudi aux manœuvres électorales de M. Duchâtel.

Un autre document fournit aussi un moyen de calomnier les tenfances du gouvernement républicain. Dans une circulaire aux receurs à propos des élections, M. Carnot, ministre de l'instruction mblique, disait : « La plus grande erreur contre laquelle il faille rémunir les populations de nos campagnes, c'est que, pour être eprésentant, il soit nécessaire d'avoir de l'éducation ou de la forane. Quant à l'éducation, il est manifeste qu'un bon paysan, avec bon sens et de l'expérience, représentera infiniment mieux à Assemblée les intérêts de sa condition, qu'un citoyen riche et lettré, tranger à la vie des champs ou aveuglé par des intérêts différents ceux de la masse des paysans. Quant à la fortune, l'indemnité i sera allouée à tous les représentants de l'Assemblée suffira aux us pauvres. >>

On s'empara aussi de cette phrase pour montrer le ministre de Instruction publique préconisant l'ignorance et voulant une Assemblée nationale toute composée d'illettrés. Il n'y eût pas assez de radleries contre M. Carnot; il proclamait la souveraineté de l'ignorance, comme Ledru-Rollin celle de la violence.

Le gouvernement crut devoir prévenir les effets de cette colère actice par une proclamation où il protestait hautement de son resect pour la liberté électorale et faisait appel, encore une fois, à 'union de tous les citoyens.

Pour préparer effectivement cette union, il avait décidé que, le avril, aurait lieu une fête dite de la Fraternité, dans laquelle devaient re distribués de nouveaux drapeaux à la garde nationale et à l'arFe; c'était aussi un moyen de rapprocher les citoyens et les soldats. La fête eût lieu avec un ordre admirable et un enthousiasme ncère. Légions et régiments marchaient fraternellement côte à côte, fleurs aux fusils, des guirlandes aux canons. Le gouvernement ~geait sur une vaste estrade élevée devant l'Arc de Triomphe de Étoile. Chaque chef de légion ou de corps, en arrivant au pied de -trade, y montait et recevait un drapeau que, gardes nationaux, idats, spectateurs, saluaient de longs cris de Vive la République! Vive le gouvernement provisoire !

Malheureusement, ce grand élan de patriotisme et de concord sembla s'éteindre avec la journée même qui l'avait vu éclater et bon effet ne s'en prolongea pas durant les trois jours qui séparére des élections la fête de la Fraternité.

Les élections eurent lieu, dans toute la France, à la date fixée donnèrent un éclatant démenti aux sinistres prophéties des enn mis du suffrage universel. Immense fut le nombre des votants, tous comprenaient l'importance du scrutin ouvert et les abste tions volontaires furent rares. Le 23 avril était le jour de Paque Le clergé, qui avait déjà trouvé d'excellentes raisons théole pour accueillir la République, sut concilier les exigences du avec celles du devoir civique. Partout, il prit une part active lutte et, là où son influence était grande, il fit les candidature En beaucoup de lieux, les paysans allèrent au scrutin en prod sion, curé et bannières en tête.

Si l'on ne regardait qu'aux professions de foi, la France ent était devenue subitement républicaine : cléricaux, royalistes ou cadets, bonapartistes, tous étaient républicains, et républica honnêtes et modérés, comme on disait déjà. Plusieurs poussa la modération jusqu'à emprunter quelque chose au program des « rouges » voire à celui des socialistes. Jamais encore ne tait étalé avec autant d'impudence « le cynisme des apostasies Les historiens qui ont écrit en détail les événements de celle que ont conservé les principaux monuments de cette bassesse de cette immoralité des partis monarchiques. C'est un lamenta mais instructif spectacle.

Les diverses fractions du parti républicain, qui auraient pu, faillir à leurs principes, montrer plus d'habileté et s'entendre les candidatures, se divisèrent, selon leur usage, et chacune fitt liste exclusive. Les socialistes agirent de même. Mais, si les nu ces extrêmes ont souvent l'avantage dans des élections partielle elles ne l'ont jamais dans des élections générales. Les candda modérés, plus ou moins sincères, l'emportèrent à peu près pa tout. On peut dire que la note dominante du suffrage universel, 1848, fut donnée par les dix élections de Lamartine. A Paris, cel aussi une liste modérée qui triompha, portant en tète tout gouvernement provisoire.

Jamais élections d'Angleterre, ou d'Amérique ne présenterent spectacle de calme et grandiose majesté qu'offrit ce premier s du suffrage universel en France. Quelques ombres regrettables s

« PreviousContinue »