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perdent dans la vaste harmonie du tableau. Les faits les plus graves furent ceux qui se passèrent à Limoges, où les ouvriers porcelainiers, irrités de l'insuccès de leurs candidats, brisèrent les boîtes du scrutin, dispersèrent les votes et désarmèrent la garde natiomale; du moins, il n'y eut pas de sang versé et les insurgés veillerent eux-mêmes à la sûreté des personnes et des propriétés. A Ronen, au contraire, il y eut combat et grande effusion de sang, mais ce fut seulement quelques jours après le vote (le 27) et par uite des provocations imprudentes de la garde nationale contre les uvriers dont la liste, trop exclusive aussi, avait succombé.

Somme toute, les élections d'avril 1848, donnèrent raison aux toyens courageux qui n'avaient pas hésité à instituer et appliquer mmédiatement le suffrage de tous, elles ratifièrent la politique énérale du gouvernement provisoire et produisirent une Assemlée dont la majorité, sincèrement républicaine, eût dès lors et olidement fondé la République, si elle n'eût commis deux fautes : fabord, mettre le suffrage universel en lutte avec lui-même, enaite, céder trop facilemenf à l'intrigue qui provoqua le mouvement actice de la dissolution prématurée.

Le suffrage universel n'a pas toujours répondu aux espérances qui furent mises en lui. Cependant, plaçant la justice et le droit an-dessus des intérêts temporaires, aucun de ceux qui l'ont inaugure ne s'est repenti de son œuvre. Ils savaient qu'on n'apprend pas à se servir d'un droit en ne l'exerçant pas. Ils ont fondé le principe du droit public de la France actuelle; ce principe a déjà reçu la consécration du temps, et ceux même qui en sont les adversaires lui rendent hommage, jusque par les détours qu'ils essayent de prendre pour y porter d'impuissantes atteintes.

L'Assemblée devait se réunir le 4 mai. Durant ses derniers jours d'existence, le gouvernement provisoire rendit encore un certain nombre de décrets dont les principaux eurent pour objet la réunion les banques départementales, l'abolition de l'esclavage dans les cololes françaises, la conversion des salles d'asile en écoles maternelles et la création, à Paris, d'une école normale de ce genre, l'achèveLaent du Louvre, la refonte des monnaies de cuivre, etc.

§ V. LETTRES, ARTS, SCIENCES. Le gouvernement provisoire, en tant la France du suffrage universel et en fixant la majorité civine au même âge que la majorité civile, ne se dissimulait pas que ombre des nouveaux citoyens n'auraient pas la capacité morale que réclame l'exercice du droit politique. C'était une nécessité tem

poraire qu'il fallait subir. Pour relever de cette incapacité les géné rations à venir, le gouvernement savait que le plus puissant, sino le seul moyen, c'est la plus large diffusion possible de l'enseigne ment. Aussi, voulait-il l'enseignement libre, gratuit, obligatoire, e pour rehausser la valeur de l'enseignement populaire, il voula que les maîtres chargés de le dispenser pussent arriver aux på hautes dignités administratives de l'instruction publique. Le go vernement provisoire eut à peine le temps de préparer un plá d'exécution de ce programme. Lorsque, après lui, la liberté de l'ei seignement fut établie, on la combina de telle sorte qu'elle profiter à peu près exclusivement au parti clérical (loi Fallo Paricu) et, sous l'action du parti de l'ordre et des restaurateurs l'ordre moral, les instituteurs furent graduellement rejetés da une sorte de domesticité administrative.

Le gouvernement provisoire savait aussi quelle est la puissan des arts, des grands spectacles, des belles œuvres, et des splendides pour élever les âmes et les esprits. Il ouvrit un conce pour l'exécution d'une figure symbolique de la République; b coup d'artistes y prirent part; rien de remarquable n'en sortit.

Un musée de dessins originaux des maîtres de l'art fut co mencé au Louvre, sous la direction de M. Jeanron et par les soins M. Jules André, conservateur. Cette collection importante a été tinuée depuis.

Des représentations gratuites des chefs-d'ouvre dramatiq furent instituées au théâtre de la République (Comédie-Française à l'Odéon, à l'Opéra. Pour éviter le désordre de la prise d'assa des théâtres, le soin de distribuer les billets était confié aux main et aux officiers de la garde nationale. Ces représentations était très-recherchées du public populaire; les artistes dramatiques les directeurs étaient très-frappés de l'attention, du goût et discernement de ces spectateurs en face des œuvres les plus bi

téraires.

Le gouvernement provisoire organisa quelques fêtes publiqua auxquelles il voulut donner une signification morale. L'ordonnan en parut rappeler de trop près les fêtes de l'antiquité et celles d la Révolution. Ce n'était peut-être pas là un démérite et, doute, si la pratique en eût été poursuivie, on serait arrivé à conceptions mieux adaptées à nos mœurs actuelles.

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Le gouvernement provisoire eut aussi la pensée de convoquer Paris une exposition universelle des produits de l'Industrie. Les

industriels français repoussaient ce projet par crainte de la concurrence étrangère. L'idée fut, peu après, réalisée en Angleterre.

Bien que le langage officiel fût habitué à vanter toutes nos institutions administratives comme enviées par le monde entier, les hommes qui avaient pu les voir fonctionner de près n'ignoraient pas que la routine en était le fond et la règle, et ils savaient que, chez nos isins, nous pouvions apprendre beaucoup. Le gouvernement proisoire fonda, du moins en principe, une École d'administration, cù es règles de l'administration française devaient être, non-seulement aseignées, mais comparées à celles des autres États, ce qui eût mené inévitablement la réforme de nos machines administratives, compliquées, si incommodes pour les administrés, si réfractaires tout progrès. Pour montrer l'importance qu'il attachait à cette stitution, le gouvernement choisit parmi ses membres les tituaires honoraires de l'enseignement; l'École fut annexée au Collége France en attendant que les ressources financières permissent e lui assurer une existence indépendante. Elle fut supprimée vant d'avoir pu donner les fruits qu'on en espérait. Le gouverement fonda aussi, à Versailles, un Institut agronomique dont le ort suivit de près celui de l'École d'administration.

Les grandes écoles destinées à recruter les services publics, Ecoles polytchnique, de Saint-Cyr, Normale, étaient soumises à un prix de pension très-élevé. Le gouvernement provisoire y établit la gratuité, que l'école Normale a seule conservée.

Ces efforts, tentés pendant un court espace de deux mois, qui fut une crise permanente, ne pouvaient produire et ne produisient pas de résultats bien appréciables. Ils prouvent, du moins, que le gouvernement provisoire comprenait, lui aussi, que la misdon du pouvoir n'est pas seulement d'ordre matériel mais encore d'ordre moral ». Ce n'est pas par des rigueurs qu'il entendait y travailler; c'est par le développement des intelligences. Si ce fut tre faute ou une erreur, ce fut l'erreur ou la faute de grands arurs, de vrais citoyens. Par là encore, il remontait aux vraies sources de la Révolution.

CHAPITRE III

Ouverture de l'Assemblée constituante.

du 15 mai; réaction.

Commission exécutive. — Journ Bourbons et Bonaparte. Journées de Juin.

vaignac chef du pouvoir exécutif. - Élection du président.

§ I.

OUVERTURE DE L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

L'ancien

salle des séances du palais Bourbon étant trop petite pour recev les neuf cents membres de la seconde Assemblée Constituante, un salle provisoire avait été rapidement construite dans la cour d'h neur du palais.

C'est là que s'ouvrit, le 4 mai 1848, la session de l'Assemb chargée de constituer la République établie par la Révolution de vrier. Bien que cette assemblée, nommée pour donner une cons tution à la France, fût bien et dûment investie de la souverain nationale, il n'avait nullement été prétendu dans les élections e ne fut pas davantage prétendu à la tribune que le « pouvoir com tuant » pût lui donner le droit de rétablir la monarchie. Convoqu par la République, élue sous la République, elle ne songea pas instant à détruire la République. S'il y avait des intentions hostile et on ne peut guère le mettre en doute, elles se taisaient alors attendaient de l'avenir des occasions favorables.

Le parti républicain, travaillait déjà à les faire naître. Ca dont les élections n'avaient pas satisfait l'ambition ou les the ries parlaient hautement de chasser une « fausse représentatio nationale» et d'y substituer une dictature créée par la souvera neté nationale. Si les républicains étaient justifiables d'avoir, s la monarchie, attaqué à main armée le gouvernement et en avec lui des luttes sanglantes, c'est parce qu'ils représentaie la majorité des citoyens privés de droits politiques au profit d'un minorité censitaire. Mais, sous le gouvernement du suffrage un versel, toute tentative de violence contre la représentation natio nale est un crime contre la souveraineté nationale. Les idées qu ne sont pas encore parvenues à conquérir assez de suffrages pour se donner un représentant particulier n'ont d'autre droit à réclame que celui de pouvoir se produire librement devant l'opinion påblique par la presse ou par la discussion dans des réunions pobliques. Mais, en 1848, beaucoup de gens croyaient encore a la légitimité des coups d'État populaires.

La séance du 4 mai était présidée par le doyen d'âge, Audry de Puyraveau, un des vieux adversaires de la Restauration, un des vétérans de 1830.

Le gouvernement provisoire, réuni au ministère de la Justice, se rendit en corps, à travers une immense affluence, au palais législatif pour déposer ses pouvoirs entre les mains des représentants du peuple français.

Lorsque le gouvernement provisoire entra dans la salle, tous les *présentants se levèrent et le saluérent du cri de vive la Répulique! Dupont (de l'Eure) termina par le même cri l'allocution 'il prononça en remettant à l'assemblée les pouvoirs du gouversement, et l'assemblée le répéta dans une immense acclamation qui fut renouvelée plusieurs fois pendant le cours de la séance.

Courtais, commandant en chef de la garde nationale, vint dire l'Assemblée que le peuple demandait à la voir. Aussitôt tous les eprésentants se rendirent sous le pérystile du palais, au sommet grand escalier. Le président, au nom de l'Assemblée, proclama République et s'écria: Vive la République! Une foule immense e citoyens, de gardes natoinaux et soldats couvraient le quai, la me voisine, le pont et la place de la Concorde, refluant jusque dans es Champs-Élysées, dans les Tuileries, dans les rues Royale et de Bivoli. Toute cette foule répéta à son tour, avec un formidable retentissement ce cri, auquel se mêlaient le bruit du canon et le roulement des tambours.

Les représentants descendirent alors le vaste escalier, se mêlérent quelques moments au peuple, puis rentrèrent en séance. La période révolutionnaire de la seconde République était fermée; le gouvernement régulier s'installait.

« La révolution de Février a été pacifique. La société, un moment branlée sur ses bases, a promptement recouvré le sentiment de sa force et n'a pas dévié de ses immortelles destinées. Les combattants eux-mêmes, il faut le dire à leur honneur, jusque dans l'exaltation du succès, ont réprimé le désordre; la conscience publique n'en tolérait pas la pensée.

« Aucune révolution n'a échappé aussi promptement aux agitations inséparables de toute commotion populaire. Il n'en est pas qui ait enfanté, dans le même délai, un état de choses régulier, qui ait consacré aussi libéralement tous les droits, sans renoncer aux garanties essentielles de tout gouvernement représentatif. C'est le premier triomphe vraiment national, car il ne laisse pas après lui

3.

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