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les traces lamentables de cette oppression qui partage un peuple e vainqueurs et en vaincus.

«La révolution de Février a établi en France le suffrage univer sel; elle a appelé, et ce sera son éternel honneur, à la vie publiqu sans troubles ni difficultés, la nation entière. L'égalité politique e venue compléter et fortifier l'égalité civile. La nation s'appartia désormais et tous les citoyens concourent au gouvernement Une révolution qui a fait d'aussi grandes choses mérite de rest dans la mémoire et de prendre place dans la reconnaissance peuples... >>

Qui parlait ainsi de la révolution de Février, et à quelle époque Ce n'était ni au début de la Constituante, ni un républicain de veille, dans le lyrisme de la victoire; c'était un homme peu suste tible d'enthousiasme, un des chefs du parti réactionnaire, ministre de la présidence napoléonienne, un des hommes sans le prévoir, rendirent possible le coup d'État du 2 Decembe mais qui, le crime accompli, eut le courage de refuser publiqu ment d'en devenir le complice: c'est Léon Faucher, ministre l'intérieur, qui, le 15 février 1849, portant la parole au nom gouvernement, dans un discours préparé, médité, donnait éloges officiels à la Révolution de 1848. (Moniteur du 16.)

A toutes les calomnies qui l'ont accablée depuis et que le tem n'a pas encore complétement anéanties, la révolution de Févri peut opposer ce témoignage d'un homme qui ne lui était pas ami, mais qui disait sincèrement sa pensée.

Le 5 mai, l'Assemblée nomma son bureau définitif, composé Buchez président, Recurt, le général Cavaignac, Corbon, Guinar Cormenin, Sénart, vice-présidents.

L'Assemblée ainsi constituée, chacun des membres du gouve nement provisoire vint rendre compte de sa gestion. Garnier-Pa exposa l'administration financière, sans qu'aucune voix osát repro duire les accusations de prodigalité et de dilapidations honteuse qui circulaient déjà. Depuis, à deux époques, deux commission parlementaires, dont l'une au moins était hostile aux républicains ont minutieusement examiné, épluché les comptes du gouverne ment provisoire. Elles n'ont pu qu'en constater la parfaite larité et la sévère économie.

Ledru-Rollin releva les calomnies lancées contre les c missaires, « les proconsuls » du gouvernement provisoire, et, sis nier que des fautes eussent été commises, détia qu'on signală me

seule atteinte grave portée par eux aux droits des citoyens. Personne ne répondit.

Aprés que chaque ministre eût ainsi rendu ses comptes, Lamartine, qui avait déjà fait le tableau général de la conduite du gouvernement, en développa la politiqne extérieure dans un discours fréquemment interrompu par les applaudissements de l'Assemblée qui en ordonna l'impression et l'envoi à la toute les communes de France et aux puissances étrangères.

Le 8, sur la proposition de Dornès, l'Assemblée décréta que le ouvernement provisoire avait bien mérité de la patrie.

§ II. COMMISSION EXÉCUTIVE. Dans la même séance, le même eprésentant proposa de confier le pouvoir exécutif à une commission de cinq membres, qui nommerait, hors de son sein, des ministres responsables et révocables, et qui, à la fin de sa gestion, à rendrait compte à l'Assemblée.

La proposition fut renvoyée à une commission au nom de laquelle dans la séance du 9, le représentant Peupin fit un rapport. A côté projet de Dornès, ce rapport en exposait un second qui consisait dans l'élection au scrutin, par l'Assemblée, de neuf ministres à portefeuille, et d'un dixième ministre sans portefeuille qui présiderait le conseil.

Les deux propositions mettaient en présence non pas seulement dex théories diverses, mais deux tendances, sinon encore deux partis, déjà existants dans l'Assemblée.

A la proposition Dornès se rallièrent ceux qui voulaient mainleur au pouvoir les opinions que représentait le gouvernement provisoire. Leur intention était d'appeler à faire partie de la commission, Lamartine, Arago, Garnier-Pagès, Ledru-Rollin.

Les partisans de l'autre proposition voulaient rompre avec le gouvernement provisoire afin d'abroger certains de ses actes. Sur 18 membres de la commission, quatorze avaient voté pour cette combinaison.

La question souleva un vif débat que ferma un éloquent discours de Lamartine en faveur de la proposition Dornès qui fut adoptée.

Le lendemain 10, le scrutin pour la nomination des membres de la commission exécutive donna les chiffres suivants: Arago, 725 voix, sur 794 votants; Garnier-Pagès, 715; Marie, 702; Lamartine, 643; Ledru-Rollin, 458.

Les hommes d'ordre » faisaient ainsi expier à Lamartine la

preuve de sagesse et de fidélité qu'il avait donnée en refusant répudier ses collègues de l'Hôtel de Ville. Ce fut le premier trait d la mémorable ingratitude dont furent récompensés les services d Lamartine.

Après cette élection, Louis Blanc prit la parole et reproduis devant l'Assemblée la demande, qu'il avait naguère appuyée aup du gouvernement provisoire, de la création d'un ministère du pr grès; il n'obtint et ne pouvait obtenir plus de succès. Alors, lai Albert se démirent de la présidence et de la vice-présidence de commission des travailleurs. L'Assemblée nomma immédiatenes une commission parlementaire, chargée de faire une enquête le sort des travailleurs. Travailleurs, ce mot élastique et vag remplaçait le mot d'ouvrier qui, dans la langue usuelle désignel hommes occupés de travaux manuels; «travailleurs » semblait vendiquer pour eux seuls le mérite de vivre par le travail. vrai qu'en ces derniers temps, on avait abusé du titre d'ouvrie jusque-là qu'il avait suffi à un ancien chef de division de ministe de se qualifier d'ouvrier pour être élu représentant à Paris. fraude fut découverte et l'élection annulée.

La commission exécutive nomma un ministère composé ains Recurt à l'Intérieur, Trélat aux Travaux publics, Flocon au Con merce, Bethmont aux Cultes, Duclerc aux Finances, Bastide a Affaires étrangères, l'amiral Cazy à la Marine, Charras à la Gue par intérim, Crémieux restait à la Justice et Carnot à l'Instructi publique. MM. Jules Favre et Carteret furent nommés sous-sect taires d'État, le premier aux affaires étrangères, le second à l'in térieur. Caussidière fut maintenu à la préfecture de police.

§ III. - JOURNÉE DU 15 MAI. RÉACTION. - Les chefs des ultra-rés lutionnaires, de ceux qui, mécontents des élections, voulaien chasser l'Assemblée, étaient à l'affût d'une occasion favorable. En ce temps d'agitation, l'occasion ne pouvait tarder beaucoup; elle se présenta le 15 mai.

La sympathie produite par une de ces infortunes dont la granj deur dépasse celle des fautes qui l'ont amenée, une longue confra ternité d'armes, certaine similitude de génie national ont donn en France une popularité persistante à la cause de la Pologne. Er 1848, dans l'ébranlement universel qui suivit la révolution de Février, les Polonais eurent, encore une fois, l'espoir de recouvrer leur indépendance. Si Lamartine déclara à une députation de réfugiés polonais que le gouvernement provisoire ne ferait pas la

guerre pour délivrer leur patrie, toutes facilités furent données à ceux qui voulurent quitter la France pour retourner en Pologne. Il y eut dans ce malheureux pays des mouvements insurrectionnels que l'Autriche et la Prusse comprimèrent à la façon allemande, c'est-à-dire avec une férocité sauvage. La nouvelle en provoqua à Paris une vive émotion; les clubs décidèrent qu'une pétition en faveur de la Pologne serait portée à l'Assemblée.

Les pétitionnaires se rassemblèrent, le 15 au matin, place de la Bastille et se mirent en route par les boulevards vers le palais Bourbon, la colonne se recrutant inévitablement, dans le trajet, de ouveaux adhérents ou de curieux. Le plus grand nombre n'avait T'autre intention que de porter, en effet, la pétition à l'Assemblée, mais quelques hommes, notamment Blanqui, à la tête de son club, omptaient bien tirer parti de la démonstration.

Le président de l'Assemblée, averti, avait pris quelques mesures defensives; mais les bruits d'attaques se renouvelaient si souvent avec si peu de fondement que, le 15, ni la Commission exécuve, ni la mairie de Paris, ni la préfecture de police (celle-ci peuttre avec intention), ni le commandant en chef de la garde natiogale, n'avaient donné aucun ordre, soit pour empêcher la manifeslation de s'organiser, soit pour protéger le palais législatif.

La colonne pétitionnaire était conduite par Huber, condamné, comme républicain, sous la royauté, suspecté de s'être vendu à celle-ci, mais ayant repris quelque popularité depuis le 24 février. Au pont de la Concorde, elle rencontra un détachement de garde mobile qui, sur l'ordre de ses officiers, la laissa passer. Parvenue aux grilles du palais, elle les escalada sans résistance, monta le grand escalier et arriva bientôt à la salle des séances dont elle wapa d'abord les tribunes publiques, montrant plus de curiosité que d'hostilité. Ces premiers et pacifiques envahisseurs furent suivis de près par d'autres, plus résolus, qui se répandirent dans la salle. Les bancs des députés, l'hémicycle, la tribune, le bureau furent couverts d'une foule coufuse, bruyante, agitée. Le général Courtais, la tête perdue, donnait des ordres contradictoires. Le président Buchez, assailli, bousculé, menacé, écrivait, pour gagner du temps, des billets sans authenticité, défendant de battre le rappel. Mais déjà, il avait donné l'ordre officiel de le battre. Aussi lorsqu'on entendit le tambour, Buchez fut-il arraché de son siége, maltraité; quelques amis réussirent à grand peine à le sauver.

Lamartine, après avoir énergiquement mais vainement essayé

d'arrêter l'invasion, avait repris sa place. Ledru-Rollin, Cléme Thomas, Barbès, Louis Blanc avaient, sans plus de succès, hara gué la multitude. Raspail, à la tribune, lisait la pétition.

Blanqui arrive; porté, acclamé par la foule, il monte à la te bune, demande la reconstitution de la Pologne et le rétablisseme du travail. Après lui, Barbès essaye de s'emparer des espritsi demandant l'envoi immédiat d'une armée en Pologne et un imp d'un milliard sur les riches.

Tout cela se passe au milieu d'un tumulte effroyable dont pe sonne n'est maitre, que personne ne dirige. Au dehors de la salle Louis Blanc a essayé de persuader à la foule de se retirer pour his ser délibérer l'assemblée. On l'a écouté, mais sans lui obéir, puss l'a enlevé, rapporté dans la salle dont on lui fait faire le tour enfin, on le laisse exténué, désespéré sur son banc.

Vers trois heures et demie, l'organisateur de la manifestatio Huber, monte à la tribune et s'écrie : « Au nom du peuple, semblée nationale est dissoute! » puis il disparait. Raspail est chercher un peu d'air dans le jardin et s'y est évanoui; Lo Blanc est entraîné vers les Invalides par une foule dont son fr parvint à le dégager; Barbès et Albert se rendent à l'Hôtel de Vil la plupart des représentants sont partis, laissant la salle au pou des envahisseurs qui essayent, sans arriver à s'entendre, del un gouvernement provisoire.

Tout à coup, le tambour retentit, battant la charge; c'est deuxième bataillon de la garde mobile, avec son commanda Clary, qui arrive et pénètre, baïonnette croisée, dans la salle. A sitôt, la foule des factieux prend la fuite.

Les représentants rentrent alors et la séance reprend aux cris Vive la République. Mais d'autres scènes de violence succèdent celles qui viennent de se passer. Le général Courtais coupable seule ment d'ineptie, est entouré de gardes nationaux qui l'accusent trahison, lui arrachent son épée, ses épaulettes, le frappent, déchi rent son uniforme. L'intervention de quelques députés l'arrache la brutalité de ces furieux modérés.

En ce moment, Lamartine revient avec Ledru-Rollin, propose voter des remerciements à la garde nationale, condamne les actes séditieux de la journée et annonce qu'il va, avec son collègue, re Joindre la Commission exécutive à l'Hôtel de Ville.

Tous deux s'y rendent en effet, avec une force militaire imposante. Une partie du palais municipal avait été envahie par la foule;

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