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Barbés et Albert s'y trouvaient, tàchant d'improviser un gouvernement, tandis que, dans l'autre partie, Marrast et ses adjoints expé. dient des ordres à la garde nationale. Celle-ci arrive d'un côté, en même temps qu'arrivent de l'autre, Lamartine, Ledru-Rollin, et Clément Thomas, nommé au commandement de la garde nationale, en remplacement de Courtais.

"L'Hôtel de Ville fut cerné; on y arrêta Barbès et Albert; Blanqui, Raspail, Huber, Pierre Leroux, Sobrier et quelques autres furent Trêtés en différents endroits. Il y avait dans la garde nationale, in emportement, factice ou sincère, aussi furibond qu'il eût pu re chez les plus extrêmes révolutionnaires. L'assemblée ellebéme ne sut pas se défendre contre le ressentiment du danger s. Plusieurs de ceux que, de ce jour, on appela Réactionnaires, mandent des arrestations, des mises en accusation. Quelques tres exhortent l'assemblée à ne pas se laisser aller à l'animosité. martine, arrivant de l'Hôtel de Ville, calme un peu cette exaspétion en annonçant que l'ordre est partout rétabli. Cependant, procureur général demande l'autorisation de poursuivre Barbės Courtais.

Louis Blanc arrive, poursuivi par des gardes nationaux jusqu'au denil de la salle où il est protégé par des collègues, il veut parler à tribune, sa voix est couverte par des interpellations outrageantes. Les poursuites sont autorisées contre Barbès et Courtais, auxquels le procureur de la République fait ajouter Albert. Puis, l'assemblée décrete que la garde nationale, la garde mobile et l'armée ont bien ménité de la patrie, et la séance est levée.

Dans la soirée, les prisonniers furent conduits à Vincennes. La #iture qui les emportait dut faire un détour pour échapper à la talère des gardes nationaux occupant la place de Grève. Dans le faubourg Saint-Antoine, l'escorte eut quelque peine à les défendre contre l'irritation de la population ouvrière qui les poursuivit d'imprécations jusqu'au delà de la barrière du Trône.

Tous n'étaient pas coupables au même degré. Barbès et Albert ne s'étaient jetés dans le mouvement que pour en enlever la direction à Blanqui. D'autres ne voulaient qu'exercer une pression sur l'assemblée pour la ramener à des tendances, selon eux, plus démorratiques. Seul peut-être, Blanqui avait médité le renversement de la Commission exécutive et de l'Assemblée. Mais tous, quel que fût eur motif, avaient donné l'exemple d'une manière d'agir qu'il est impossible d'admettre sous le régime du suffrage universel. Ceux

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qui les avaient suivis, venaient de porter un coup terrible à la R publique et de donner à ses ennemis une arme qu'ils devaient h bilement tourner contre elle, en excitant par de perfides déclam tions un déplorable antagonisme entre « le bourgeois et l'ouvrier L'un et l'autre tombèrent dans le piége.

A la suite de l'attentat du 15 mai, Caussidière donna sa dém sion de représentant et de préfet de police; ses montagnards et garde républicaine furent licenciés, il eût été possible d'en ti parti, comme de la garde mobile; jetés brusquement, injuri sement et sans ressources sur le pavé, ils devenaient les soldats futures émeutes. M. Trouvé-Chauvel, ancien maire du Mans, re sentant, fut appelé à diriger la préfecture de police. Le club de El qui et celui des Droits de l'homme furent fermés; c'était rendre s terraine une propagande dont la lumière atténuait le danger. imposant silence à des doctrines, on ne les anéantit pas.

Jusqu'au 15 mai, la presse royaliste avait gardé encore une ap rente retenue dans ses invectives contre la République; après 15 mai, elle n'observa plus aucune mesure et usa à outrance de liberté illimitée que la République avait rendue aux journaux fraction du parti républicain qui avait su rester à peu près pour soutenir le gouvernement provisoire ne conserva pas cette sa attitude; elle se divisa, et ce fut pour faire à la Commission ex tive une guerre qui seconda les efforts de la réaction. L'haring n'existait pas davantage au sein même de la Commission qui montra presque en toutes choses inférieure à sa tàche.

Dans la séance du 31 mai, le procureur général Portalis et lep cureur de la République Landrin déposèrent une demande en aut risation de poursuites contre Louis Blanc, demande qui fut re voyée à une commission d'examen. Le 2 juin, Jules Favre, acce tant trop facilement pour vraies des allégations non contrôlées, un rapport qui concluait à l'autorisation. Louis Blanc n'eut pas peine à détruire les charges relevées contre lui. Cependant, était l'excès des passions à ce moment que l'autorisation fut re poussée par 32 voix seulement de majorité.

§ IV. BOURBONS ET BONAPARTE. A la suite d'options et de déni sions, le département de la Seine était appelé, le 5 juin, à élire ou représentants. Parmi les candidatures que suscitait la réactio trouvait celle du prince de Joinville, fils de Louis-Philippe. Lors st élections générales, au mois d'avril précédent, aucune candidature de prince n'avait osé se produire; après le 15 mai, les royaista

se sentaient plus hardis. La Commission exécutive ne crut pas devoir laisser le champ libre à cette tentative qui n'était qu'un premier pas vers la présidence de la République et, par suite vers le rétablissement de la monarchie. Elle proposa d'appliquer aux Bourbons de la branche cadette la loi que ceux-ci avaient fait voter, le 10 juillet 1852, contre les Bourbons de la branche aînée.

Le duc d'Aumale et le prince de Joinville réclamèrent hautenent contre cette mesure, rappelant leurs services passés et avec nel respect pour la volonté nationale ils avaient quitté l'Algérie. lais ils ne prenaient pas l'engagement de ne pas être des prétenants au trône; ils ne pouvaient répondre que leurs noms ne serviaient ja nais à couvrir des complots contre la République. Dans le débat, d'ailleurs très-court, qui s'engagea sur ce projet, erateur cita la loi, encore en vigueur, qui proscrivait les BonaBre; le fils de l'ex-roi Jérôme, qui siégeait dans l'Assemblée avec on cousin Pierre, fils de Lucien, réclama vivement le droit de oyens français. M. Ducoux ayant dit, à ce propos : « Aucun de gus ne songe à des espérances qui seraient évidemment criminelles, » MM. Jérôme et Pierre Bonaparte s'écrièrent : « Perinne! personne ! »

Malgré l'opposition de M. Louis Blanc qui repoussa le projet par les considérations très-élevées de justice et de raison, le décret fut Futé, le 26 mai, par 632 voix contre 65. Louis Blanc vota comme il wait parle. Il se trouvait certainement dans l'Assemblée plus de 12 membres ayant été orléanistes.

A l'election du 5 juin, Caussidière tenait la tête de la liste avec 47,400 voix. Ensuite, venaient MM. Moreau, Goudchaux, Changarer, Thiers, Pierre Leroux, Victor Hugo, Louis Bonaparte, Charles agrange, Boissel, Proudhon.

M. Thiers, élu dans trois autres départements et qui opta pour la eine-Inférieure, avait, après le 2 février, déclaré qu'il croyait la monarchie finie et avait envoyé son adhésion au gouvernement pro

are. Il devint cependant le chef politique de la réaction. Le gé. *ral Changarnier tendait à en devenir le chef militaire : son amalon devait être singulièrement déçue.

Louis Bonaparte était celui qui avait deux fois tenté, à Strasbourg eta Boulogne, de s'emparer du trône de France à main armée. A la suite de sa seconde équipée, condamné à un emprisonnement erpétuel, il fut incarcéré au château de Ham, d'où il s'évada peu d'années après. Durant sa captivité, il entra en rapports, plus ou

moins suivis, avec plusieurs républicains et avec des écrivains se cialistes.

Il emprunta à ceux-ci quelques formules, quelques théories q pouvaient se concilier avec la croyance fataliste, inspirée par mère1, qu'il était destiné à restaurer la dynastie et le régime ( son oncle. Par opposition à Louis-Philippe, des journaux républ cains avaient accueilli des articles ou loué les publications du pț sonnier de llam, des partisans, peu nombreux mais actifs, avai exploité ces réclames, sans doute sincères, mais certainement in prudentes. On a vu sa conduite après Février. Peut-être le gu vernement eut-il mieux fait de le laisser à Paris, à cette époquel ferveur républicaine où les souvenirs de l'Empire auraient eu p de prise sur les imaginations populaires. Les agents de ce prete dant propagèrent le nom du prince Louis» avec beaucoup dị deur et d'intrigue, le présentèrent aux ouvriers comme sociali et dévoué à leur cause, promirent aux paysans qu'il leur rembou serait l'impôt des 45 centimes; les gens d'ordre votèrent pour en haine de la République, si bien qu'il fut élu à Paris et deux autres départements.

L'élection de Louis Bonaparte était-elle valable? Cette questi se posa aussitôt devant l'Assemblée. Si le bannissement des Bot parte eût été voté en même temps que celui des Bourbons, il possible que la candidature du fils d'Hortense eût été écartée a bien que celle du fils de Louis-Philippe. Maintenant, l'élection fal on semblait discuter moins sur une mesure générale que sur individu. D'ailleurs, déjà deux Bonaparte et un Murat siégeaient l'Assemblée, et, le 10 juin, le ministre de la justice avait declai que la loi d'exil des Bonaparte était virtuellement abrogée. Assur ment, l'auteur des tentatives de Strasbourg et de Boulogne n'ava pas renoncé à ses projets et les poursuivait à l'aide de la Républi que. Les bonapartistes ne s'en cachaient pas, les rassemblement tumultueux que provoquait chaque jour le bruit que l'élection ser annulée en étaient une preuve manifeste; mais il était trop tar pour invalider l'élection. L'Assemblée subit cette nécessité, et malgré les efforts de Lamartine et de Ledru-Rollin, elle vota à une trèsgrande majorité l'admission de Louis Bonaparte. Louis Blanc l'av appuyée par des raisons analogues à celles qu'il avait produ

1 Voir Napoléon III, par Auguste Morel, ouvrage publié sous le sec

empire.

contre la proscription des Bourbons; il avait demandé que, pour écarter le danger de toute candidature princière à la présidence de la République, il n'y eût pas de président. On n'en était pas encore à discuter ce point de la Constitution.

Le 15 juin, le président lut à l'Assemblée une lettre à lui adressée par le nouvel élu dont voici le texte : « Monsieur le président, je partais pour me rendre à mon poste quand j'apprends que mon élection sert de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes. Je n'ai pas cherché l'honneur d'être représentant du peuple, parce que je savais les soupçons injurieux dont j'étais l'objet. Je rechercherais encore moins le pouvoir. Si le peuple m'imposait des devoirs, je saurais les remplir; mais je désavoue tous deux qui me prêtent des intentions que je n'ai pas. Mon nom est in symbole d'ordre, de nationalité, de gloire, et ce serait avec la plus vive douleur que je le verrais servir à augmenter les troubles et les déchirements de la patrie, Pour éviter un tel malheur, je resterais plutôt en exil. Je suis prêt à tout sacrifier pour le bonheur de la France. »

Était-ce une démission que cette lettre peu explicite, hautaine, menaçante même, qui ne parlait pas de la République et parlait des devoirs que le peuple pourrait imposer au signataire? L'AssemHée remit sa décision au lendemain. A la sortie du palais, les représentants traversèrent une foule épaisse qui criait: Vive l'empereur! A bas Thiers! A bas les représentants! De son côté, la garde nationale, réunie pour maintenir l'ordre, accueillait son commandant en chef par les cris de « A bas Clément Thomas! »

Le lendemain, 16, nouvelle lettre de Louis Bonaparte, contenant, cette fois, une démission formelle, motivée sur les troubles don son élection a été le prétexte et sur l'hostilité du pouvoir exécutif. Je désire, dit-il, l'ordre et le mamtien d'une République sage, grande, intelligente... Bientôt, je l'espère, le calme renaîtra et me permettra de retourner en France, comme le plus simple des citoyens, mais aussi comme un des plus dévoués au repos et à la prospérité de mon pays. »

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La seconde lettre ajournait la menace que renfermait la première. SV. JOURNÉES DE JUIN. Avant sa réunion, l'Assemblée apparaissait à tous comme le pouvoir souverain et magique qui devait mettre fin à tous les maux, réaliser toutes les espérances. Elle siézeait depuis six semaines et tout le monde se plaignait que la situa tion, loin d'être améliorée, fût devenue pire; c'était elle, elle seule

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