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été celle de l'oriflamme qui fut, pendant plusieurs siècles, le drapeau national de la France. C'était vrai; mais, quand l'orateur repoussait, à cause de la présence de la couleur blanche, le drapeau tricolore qui avait été celui de la révolution et de la première république, il était peut-être étrange de rappeler que la couleur rouge était celle de l'ancien étendard monarchique. Depuis 1789, edrapeau rouge, accompagnement de la loi martiale, avertissegent suprême avant l'emploi de la force militaire, n'avait paru 'une seule fois à la déplorable catastrophe du 17 juillet 1791. Au 24 février, la garde nationale, les troupes ralliées au gouverement provisoire, la France entière ne connaissaient que le draeau tricolore; les dix-huit ans de paix à tout prix de Louis-Philippe e l'avaient pas plus deshonoré que les dix ans de despotisme imrial, et la première république l'avait entouré d'assez de gloire car que la seconde pût le garder avec honneur.

Le gouvernement provisoire crut que la démonstration du dracan rouge cachait une tentative pour exercer sur ses membres ne pression, une intimidation et le soumettre à la domination une fraction violente du parti démocratique. Il résolut de résister menace, repoussa le drapeau rouge et se présenta tout entier evant la foule pour annoncer cette résolution. Ce fut Lamartine porta la parole et il le fit en un langage qui entraîna tous les esprits. Le gouvernement rendit un décret qui maintint le drapeau tricolore, en ordonnant que les couleurs en seraient disposées me sous la première république.

ajouta que, comme signe de ralliement, la rosette rouge serait Jacée à la hampe du drapeau et portée à la boutonnière par les Jembres du gouvernement.

Cet incident, dont les causes et la portée ont été, alors et depuis, art exagérées, se termina aux cris de Vive la République! Vive le Surernement provisoire!

§ IV. LE DROIT AU TRAVAIL. Reprenant son œuvre interrompue, gouvernement décréta la réorganisation des gardes nationales issoutes par la royauté, la mise en liberté des détenus politiques, 'abolition du serment politique, la création de vingt-quatre batailons de garde nationale mobile avec solde de 1 fr. 50 par jour, et prescrivit des mesures pour assurer l'approvisionnement de Paris. Une fois encore, le gouvernement fut détourné de sa tâche pour venir répondre à une question autrement grave que celle du drapeau rouge.

Tandis qu'une masse d'ouvriers armés se répandait sur la plac de Grève, un ouvrier, fusil en main, que beaucoup d'autres su vaient, entre à l'Hôtel-de-Ville, pénètre jusqu'à la salle du gouver nement et, faisant retentir son arme sur le parquet, demande in périeusement la reconnaissance du droit au travail.

Pendant le règne de Louis-Philippe, ni le roi, ni les ministre ni les Chambres, ni les chefs d'industrie ne s'étaient occupés du m vement qui se faisait dans l'esprit de la population ouvrière. Les de celle-ci avait attiré l'attention de plusieurs publicistes qui avai agité le problème de l'amélioration matérielle et morale de sa dition. Différentes théories avaient été proposées dont aucune subit l'épreuve de la pratique. D'autre part, ceux que, depuis, appela des socialistes, imaginèrent des plans, plus ou moins piques, de rénovation subite et absolue de l'état social, oubliant ne sachant pas que la Constituante de 1789 a transformé tout leg gime de la société française, en donnant à tous la liberté, sanse blir une vaine distinction entre la révolution politique et la re tion sociale. Toutes ces publications furent lues par un cert nombre d'ouvriers qui en propagèrent plus ou moins inexacteme les doctrines. Si la liberté de réunion eût existé, la discussion] blique de ces doctrines serait arrivée à démontrer ce qui était ticable et ce qui était chimérique. Si l'on avait eu la liberté sociation, des expériences auraient pu être tentées au grand) qui auraient fait discerner le vrai du faux. En l'absence de ces de libertés, des esprits mal éclairés, des imaginations que la scien ne réglait pas, surexcités par des souffrances trop réelles, s rent d'idées dont la réalisation immédiate leur paraissait facile. ganisation du travail était du nombre: beaucoup d'ouvriers, ne mandant qu'à « vivre en travaillant », ce qui valait mieux que << mourir en combattant » croyaient, de très-bonne foi, qu'un go vernement et particulièrement la République, avait le pouvoir créer de l'occupation pour ceux qui en manqueraient de ce po voir supposé, ils concluaient au devoir effectif et réclamaient, com une chose juste et possible, le droit au travail. C'est là la théo que préconisait le livre de Louis Blanc.

Le gouvernement provisoire ne partageait pas cette croyance ronée. Cependant, il rendit un décret par lequel il s'engageait à! rantir l'existence de l'ouvrier par le travail, à garantir du tr à tous les ouvriers, et reconnut à ceux-ci le droit de s'associer entri eux pour jouir du bénéfice de leur production (25 février).

On ne saurait soupçonner le gouvernement d'avoir voulu leurrer les ouvriers pour échapper à une requête embarrassante : telle n'était pas son habitude. Il ne faut donc pas prendre le décret en un sens absolument littéral. Celui qui en a rédigé le texte, Louis Blanc, en a aussi donné la signification le décret ne promettait que la recherche des moyens pouvant assurer, de la part de l'État travail suffisant à l'ouvrier qui s'en trouverait momentanément fivé. Le droit au travail, ainsi entendu, remplaçait avantageuseent le droit à l'aumône qui se pratique en Angleterre. Les ousers parurent eux-mêmes le comprendre ainsi : ils mirent trois is de misère au service de la République.

C'est dans la même pensée que, le 28 février, à la demande création d'un ministère du progrès qui, comme tous les mitères, aurait promptement versé dans la routine, le gouverneent substitua une commission de gouvernement pour les travailrs qui dut siéger et siégea, en effet, au Luxembourg, sous la sidence de Louis Blanc et la vice-présidence d'Albert. Ces assises du travail » furent bien accueillies et des ouvriers même des chefs d'industrie, qui voyaient, avec terreur, éclater ne crise commerciale dès longtemps inminente. On a cherbé, depuis, à en faire un objet d'effroi; ce ne fut là qu'une maSuvre de parti. La commission du Luxembourg, siégeant dans un moment de fièvre, n'a pas résolu le problème dont la science cherthe encore aujourd'hui la solution; toutefois, sa session n'a pas été térile, elle a concilié bien des conflits entre patrons et ouvriers, mis fin à des grèves qui, comme celle des boulangers, auraient pu réer des embarras ou des périls; elle a encouragé, aidé la formaion d'associations coopératives d'ouvriers dont quelques-unes duent encore. Peut-être eût-elle fait davantage si le temps, le calme 4 les moyens d'action ne lui eussent manqué.

Cest encore pour venir au secours des ouvriers sans travail que gouvernement provisoire créa des ateliers nationaux, 26 février. betait un simple expédient, plusieurs fois employé dans des morents de crise et sur la valeur duquel ceux que les malveillants urnommèrent les « dictateurs » ne se faisaient pas illusion. La cessité l'imposait, et quelque sacrifice d'argent qu'il ait coûté, Lieux eût valu le prolonger un peu plus que de soulever le san-nt conflit des journées de Juin.

§V. DEVASTATIONS. Dans une grande cité comme Paris, où les pares éléments se trouvent à côté des meilleurs, une révolution n'é

clate pas, l'exercice de l'autorité n'est pas suspendu momentan ment, sans que les mauvais éléments en profitent. Le 24 février, Palais-Royal, les Tuileries avaient subi des dévastations que l'emp tement du combat peut expliquer, sans les justifier. Mais, le lend main et les jours suivants, les châteaux de Neuilly et du Raincy rent saccagés et pillés, celui de Suresnes, propriété de M. Salom de Rothschild fut pillé et brûlé; des gares, des ponts de che de fer furent incendiés, les voies détruites. Ces pillages éta l'œuvre de malfaiteurs; ces incendies, ces destructions étant vengeance stupide d'intérêts lésés par la création des chemins fer. Le gouvernement donna, dès qu'il le put, des ordres sever pour réprimer les actes de vandalisme et en rechercher les aute dont un certain nombre furent arrêtés et livrés aux tribunaux.

§ VI. LA PEINE DE MORT. Le 26 février, Louis Blanc, repren une pensée, émise, la veille, par Lamartine, proposa l'abolition la peine de mort en matière politique. Après quelques objecti juridiques, le gouvernement adopta la proposition et la conve en un décret dont il voulut aller, en corps, donner lecture foule qui stationnait toujours sur la place de Grève. Lamartine proclama dans une allocution qui se terminait ainsi : «..... Citoyen le gouvernement provisoire a voulu yous apporter lui-même dernier décret qu'il vient de délibérer et de signer dans cette séan mémorable : l'abolition de la peine de mort en matière politiqu « C'est le plus beau décret qui soit jamais sorti de la bouche đị peuple, le lendemain de sa victoire.

« C'est le caractère de la nation française qui échappe en und spontané de l'âme de son gouvernement. Nous vous l'apporton il n'y a pas de plus digne hommage au peuple que le spectacle sa propre magnanimité. »

D'immenses acclamations accueillirent ces paroles, prononcées même où s'était si souvent dressé l'échafaud politique.

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En 1830, les ministres de Charles X avaient été arrêtés (en partie) jugés, condamnés; les non-contumaces subirent partiellemen leur peine. En 1848, le gouvernement ne fit rien pour s'empare des ministres de Louis-Philippe. Le procureur général près la Cour d'appel de Paris crut devoir requérir, et la Cour ordonna des poursuites contre ces fonctionnaires; mais on n'alla pas au delà. Le gouvernement dédaigna ces ministres qui, d'ailleurs, une fois lear démission donnée, ne s'étaient plus mis en peine du sort de la monarchie perdue par leurs fautes.

§ VII. ADHÉSIONS. Si l'avènement de la République fut une « surprise », bien des gens durent être stupéfaits de découvrir en eux-mêmes une soudaine propension à accepter et à servir la République. Presque tous les fonctionnaires de la monarchie fussent volontiers restés en place, si le gouvernement provisoire eût voulu es y maintenir. Celui-ci dut être étonné de certaines adhésions qui ese firent pas attendre.

Le maréchal Bugeaud, celui-là même qui, le 23 février, proettait d'écraser l'émeute, mit son épée invaincue au service du uveau gouvernement; le général Changarnier lui offrit ce qu'il @craignit point d'appeler lui-même : « son habitude de vaincre ; » Moniteur fut rempli de ces conversions subites et empressées, tant de tous les points de la France.

Dés le 24 février, l'archevêque de Paris, M. Affre, ordonnait aux més de son diocèse des services en l'honneur des citoyens tombés is le combat, des quêtes pour les familles des morts et des lessés, et leur recommandait d'offrir leurs églises pour y établir, ■ besoin, des ambulances, « alors même que l'office du dimanche Brait être supprimé. »

Ce ne fut pas là un acte isolé. Partout le clergé se hata de subtuer le Domine salvam fac Rempublicam au Domine salvum fac egem, de dire des messes pour les inorts du 24. On le vit bientôt courir avec ardeur à la plantation des arbres de la Liberté.

Le journal monarchique et ultramontain l'Univers proclamait la Evolution de Février une « notification de la Providence. » — « Qui, isait-il, songe aujourd'hui, en France, à défendre la monarchie? ui peut y songer? La France croyait être monarchique, et elle était publicaine. Elle s'en étonnait hier, elle n'en est plus surprise Jourd'hui. Revenue d'un premier étonnenient, elle s'appliquera agement, courageusement, invinciblement à se donner des instiations en rapport avec les doctrines qu'elle a depuis longtemps Hinitivement adoptées. La pieuse feuille, organe presque offiel du parti catholique, finissait en déclarant : « La monarchie 'a plus aujourd'hui de partisans. »

Les légitimistes avaient vu avec joie la chute de « l'usurpateur,▸ thais ce n'était pas la République qu'ils eussent désirée pour lui succéder. Toutefois, il leur plut de la considérer comme le terme providentiel de la Révolution commencée en 1789. « C'est la Révolution qui finit d'elle-même, dit M. de Falloux dans un conciliabule légitimiste; gardons-nous donc de prolonger son agonie par

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