Page images
PDF
EPUB

distribué aux divers corps de l'armée, le 10 mai, des drapeaux nouveaux surmontés des aigles et où les initiales du « prince » rem plaçaient celles de la République française, comme son effigie avait déjà remplacé sur les monnaies celle de la République. C'était la démonstration matérielle que l'épée et le trésor de la France étaient désormais à la disposition personnelle d'un seul individu. Dans cette cérémonie contrefaite, l'acteur principal eut bien soin de faire remarquer que la réapparition de l'aigle n'était pas «< une menace contre les étrangers, mais le symbole de notre indépendance. Il fallait bien rassurer les souverains européens sur l'avé nement d'un nouveau Napoléon et surtout l'opinion publique contre les souvenirs de guerre permanente.

§ VIII. VOYAGE DU PRINCE-PRÉSIDENT.- En septembre, Louis Bonaparte s'en alla faire un tour triomphal de France, visitant le nord et le sud, l'est et l'ouest, accueilli partout par l'enthousiasme obligatoire des fonctionnaires qu'il avait nommés, par l'adulation servile des gens officiels, par l'empressement trivial des populations pour tout spectacle inusité. Partout, préfets et autres orateurs de circonstance lui répétèrent à l'envi que la nafion voulait le rétablissement de l'empire et ne serait heureuse qu'après avoir répudié ce mot de République dont la signification. était, au fond, toute révolutionnaire. Lui, protestait de sa soumission à la volonté nationale, de son dévouement à sauver la France, à accomplir sa mission providentielle. A Bordeaux fut dite la famense et décevante parole qui devait entraîner l'adhésion du monde commercial, industriel, financier : « L'empire, c'est la paix ! » On la répéta sur tous les points et sur tous les tons, on en fit le thème sur lequel brodérent tous les adorateurs des soleils levants, le mot magique qui devait ouvrir à tous un avenir des Mille et une nuits. Bordeaux, alors gouverné par M. Haussmann, fit graver ces paroles mémorables sur le piédestal d'une statue équestre élevée, par souscription, à Napoléon III.

A Strasbourg, on lut, entre autres inscriptions adulatrices, celleci« A Louis-Napoléon, l'Alsace reconnaissante! »

A Roanne, on vit les suivantes : « la ville de Roanne se donne à Napoléon. — A Louis-Napoléon le cœur de la ville de Roanne. » A Nevers, on inaugura le titre de « Napoléon III. »

Le voyage eut son épisode mélodramatique. On annonça avec fracas la découverte, à Marseille, d'une machine infernale « pouvant tuer des hommes par centaines. » C'était l'œuvre de révolu

EMPIRE.- TROISIÈME RÉPUBLIQUE. tionnaires qui voulaient s'en servir pour faire sauter des quartiers entiers dans les grandes villes, puis se livrer au pillage. Pendan tout le mois d'octobre et une partie de novembre, la presse offi cieuse relata les incidents de cette affaire, qu'évoqua la cour d'ap pel d'Aix, et qui, tout à coup, tomba dans le silence et l'oubli après le plébiscite impérial.

Dans le même temps (28 septembre), à Paris, la police correc tionnelle condamnait, de deux ans à un mois de prison, pour f brication d'armes de guerre (canons faits avec des tuyaux de de cente des eaux ménagères), quinze personnes, dont deux femme arrêtées, le 20 juin, rue de la Reine-Blanche.

Ces complots préparaient et stimulaient les votes pour le ret blissement de l'Empire.

Louis Bonaparte rentra à Paris, le 16 octobre. Ce qu'on appelait grands corps de l'État et tout le personnel officiel l'attendaient à gare d'Orléans, dans une salle où l'on avait installé un trône. Quan le voyageur passa devant cette assemblée privilégiée, il fut salué cri de vive l'empereur ! Le préfet de la Seine, M. Berger, le mair des barricades de février, en tête du conseil municipal, pronon au nom de ce conseil et de la population parisienne qu'il ne repré sentait pas, un discours où il pressa «monseigneur » de céde « aux vœux d'un peuple entier dont la providence empruntait voix pour lui dire de terminer la mission qu'elle lui avait confiée en reprenant la couronne de l'immortel fondateur de sa dynastie Ce n'est, disait le préfet, qu'avec le titre d'empereur que vous po vez accomplir les magnifiques promesses du magnifique programme que, de Bordeaux, vous venez d'adresser à l'Europe entière. »

Le « prince-président, » suivi d'un nombreux état-major, prit le pont d'Austerlitz, alla gagner les boulevards en passant au pied de la colonne qui rappelle le 14 Juillet 1789 et les journées de Juillet 1830, et parcourut cette longue ligne, sous les arcs de triomphe, au milieu des acclamations sincères ou soldées, sans songer, un seul instant, que c'était, en partie, le même chemin qu'avait suivi Louis XVI, le 21 janvier 1793. Le curé de la Madeleine, l'attendait au passage avec son clergé, et lui donna la bénédiction. Autour de l'église, on avait réuni les enfants des écoles communales et municipales et on leur fit crier: Vive l'empereur, sans doute pour leur donner une leçon de morale pratique. Sur la place de la Cor corde, Louis Bonaparte passa sous un dernier arc triomphal portat cette inscription anticipée et mensongère: A Napoléon III, s

veur de la civilisation moderne. » Au même endroit, s'était jadis élevée la statue de Louis XV entourée de figures symbolisant toutes les vertus. C'est la revanche de la dignité humaine que la bassesse ne sache pas varier ses avilissants hommages.

SIX. L'EMPIRE. Le lendemain 17, le Moniteur annonçait que les manifestations éclatantes en faveur du rétablissement de l'empire faisaient un devoir au président de consulter le Sénat à ce sujet. En conséquence, le Sénat était convoqué pour le 4 novembre. S'il adoptait une résolution tendant à changer la forme du gouvernement, le sénatus -consulte rendu à cet effet serait soumis à l'approbation du peuple. Comme le vote du Sénat n'était pas douteux, le même décret convoquait le Corps législatif pour faire le dépouillement et proclamer le résultat du scrutin. Ainsi devait être consacrée la légitimité du nouveau pouvoir.

SX. DEUXIÈME PLEBISCITE. Le Sénat vota ce qu'on attendait de i. Le suffrage universel fut appelé à se prononcer, le 4 novembre, sur un plébiscite formulé en ces termes : « Le peuple français veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive, et lui donne le droit de régler l'ordre de succession, ainsi qu'il est dit dans le sénatus-consulte du 7 noTembre 1852. »

La discussion ne fut pas plus permise en 1852 qu'elle ne l'avait été l'année précédente. Le plébiscite, comme toujous, donna l'approbation voulue. Sur 8,140,404 votants, 7,824,129, répondirent oni; 253,149 dirent non; 63,126 bulletins furent déclarés nuls. C'était, sur le scrutin de 1851, une augmentation de 20,000 votants et de plus de 400,000 oui; une diminution de 200,000 opposants et un accroissement de 30,000 annulations. Le suffrage universel se faisait docile.

A Billault, l'ancien tribun de l'extrême gauche, échut l'honneur, tomme président du Corps législatif de 1852, d'aller, dans la soiree du 1 décembre, porter à Saint-Cloud, aux pieds du « princeprésident », le résultat officiel du scrutin et de saluer, le premier, du Tieux titre de Sire le président de la République devenu empereur. L'orateur prétendit que la dynastie impériale ne fut point renversée par des mains françaises. » M. Mesnard, vice-président du Sénat, qui parla ensuite, se garda de rappeler que la déchéance de Napoléon I avait été prononcée d'acclamation par le Sénat luitème. Le nouvel empereur fit à tous deux la réponse suivante :

[ocr errors]

« Lorsqu'il y a quarante-huit ans, dans ce même palais, dan cette même ville et dans des circonstances analogues, le Séna 5 vint offrir la couronne au chef de ma famille, l'empereur répondit Mon esprit ne serait plus avec ma postérité le jour où elle cesse «rait de mériter l'amour de la grande nation. » Eh bien! aujou d'hui, ce qui touche le plus mon cœur, c'est de penser que l'estr de l'empereur est avec moi, que sa pensée me guide, que son e bre me protége, puisque, par une démarche solennelle, vous nez au nom du peuple français, me prouver que j'ai mérité la cam fiance du pays. Je n'ai pas besoin de vous dire que ma prévurma tion la plus constante sera de travailler avec vous à la grandeure la prospérité de la France. »

Cette allocution fut reçue, aux cris obligés de vive l'empereur Le lendemain, 2 décembre, date glorieusement et sinistreme falidique, le résultat du plébiscite fut solennellement promul par le même préfet Berger, sur la place de l'Hôtel-de-Ville Paris, et celui qu'on appellera désormais Napoléon III, fit une trée non moins solennelle dans sa capitale.

Le soir, il y eut représentation de gala à l'Opéra. On y vit el-Kader que, l'année précédente, Louis Bonaparte avait remis liberté, lors de son passage à Amboise.

Ainsi l'empire fut relevé à Saint-Cloud, où avait été commis 18 brumaire, où avait été inauguré le premier empire: il n'y ma quait, en 1852, que la gloire et le génie.

§ XI. LETTRES, SCIENCES, INDUSTRIE. Victor Hugo, exilé en gique, y publia, en 1852, Napoléon-le-Petit, que tous les soins la police ne purent empêcher de franchir la frontière en gra nombre d'exemplaires. En France, Alexandre Dumas fils débute théâtre par la Dame aux Camélias, M. Mignet publia son Histo de Marie Stuart.

Un élève de l'école française d'Athènes, M. Beulé, retrouve l'esca lier de l'Acropole.

De nombreuses concessions de chemins de fer, notamm celles de Lyon à la Méditerranée, de Bordeaux à Cette et de l'a à Rennes et à Cherbourg, la fondation des sociétés du Credit » bilier et du Crédit foncier, donnent aux opérations financières ** essor qui va jusqu'aux plus graves abus.

Un décret du 12 mars avait ordonné la réunion du Louvre et des Tuileries. Plus de 3,000 ouvriers furent employés à ces trav qui commencèrent la transformation de Paris. Un autre décret, le

la même époque, ordonna la remise à neuf des façades de toutes les maisons, de dix ans en dix ans.

-

§ XII. NECROLOGIE. Avec la seconde .République, mourut un des hommes qui avaient le plus contribué à en préparer l'avènement, Armand Marrast (10 mars 1852). A la Tribune d'abord, au National ensuite, il avait conquis une grande et légitime renommée d'écrivain politique. Membre du gouvernement provisoire au 24 février, puis maire de Paris, représentant du peuple et président de l'Assemblée constituante, il avait compris, des premiers, que le parti républicain, arrivé au gouvernement, ne devait plus être un camp fermé, mais devait s'ouvrir à tous les hommes de bonne et sincère volonté. Il s'efforça de les attirer à la République. A cause de cela, il fut injurié, calomnié à outrance par les réacteurs, délaissé ou même accusé par une partie des républicains.

Non réélu à la Législative, il rentra dans la vie privée au mois de décembre 1851, il était gravement atteint d'une maladie que l'ingratitude politique avait accrue et qu'aggrava encore la nouvelle du coup d'Etat. Il revint mourir dans la maison de la rue NotreDame-de-Lorette, d'où il était parti pour l'llôtel-de-Ville. Son convoi fut suivi d'un trop petit nombre d'amis, et ceux-ci durent se cotiser pour donner une modeste sépulture à cet homme qu'on avait accusé de concussion.

En 1852, moururent aussi les maréchaux Marmont, Gérard, et Excelmans, le sculpteur Pradier, le dessinateur Tony Johannot et madame Sophie Gay.

L'érudition fit deux grandes pertes, celle de Walckenaer et celle de Burnouf, le traducteur du Lotus de la bonne foi.

All. FIN DE LA SECONDE RÉPUBLIQUE -On peut dire que si l'empire a été proclamé le 2 décembre 1852, la République avait cessé d'exister depuis le 2 décembre 1851, ou, pour parler plus justement, depuis le jour où la France, ignorant ou oubliant toutes les traditions républicaines, avait porté au pouvoir suprême un homme qui, jusqu'alors, n'avait jamais prouvé aucune capacité politique, The s'était fait connaître que par deux échauffourées ridicules et n'avait pour toute raison d'exister que celle-ci : qu'il était l'héritier d'un monarque déchu. L'élévation de cet homme ne fut point un effet du hasard, elle fut simplement le résultat logique de l'ignorance populaire; elle fut surtout la conséquence de fautes politiques commises par tous les partis. Le gouvernement de la Restauration, par sa conduite envers tous ceux qui avaient à un fitre

« PreviousContinue »