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un caractère divin. Aussitôt, le parti clérical jeta des cris d'indignation et exigea la fermeture du cours, à quoi le ministre Rouland obéit docilement en suspendant, le 26, les leçons du savant académicien, sous prétexte que le professeur « avait exposé des doctrines qui blessaient les croyances chrétiennes et qui pouvaient entrainer des agitations regrettables. » L'Inquisition ne procédait pas autrement. On offrit, plus tard, à M. Renan, une place de conservateur à la bibliothèque impériale; il refusa.

Par compensation, le même ministre interdit une procession publique, annoncée par l'archevêque de Toulouse pour célébrer le jubilé d'une victoire remportée par les catholiques sur les protestants en 1562. Ici, du moins, le ministre pouvait s'appuyer sur un texte de loi que transgressait le prélat toulousain.

Le gouvernement ordonna aussi la dissolution de la Société de Saint-Vincent de Paul qui, sous prétexte de secours aux ouvriers, cherchait à étendre sur eux l'influence cléricale.

A la fin de l'année, le ministre de l'instruction publique destitua M. de Laprade, professeur à la Faculté des lettres de Lyon et membre de l'Académie françuise, à cause d'une pièce de vers intitulée les Muses d'État.

A ces rigueurs s'ajoutèrent de nombreuses persécutions contre la presse.

§ III. PROCES MIRÈS. Le procès Mirès, commencé en 1861, terminé seulement en 1862, fut un véritable événement, qui tint en éveil, pendant plus d'un an, l'attention publique. On a vu que Dupin y avait fait allusion au Sénat.

Joseph Mirès était un homme habile, trop habile, qui, après des spéculations plus ou moins fructueuses, fonda, en 1854, avec M. Félix Solar, la Caisse générale des Chemins de fer, pour le soutien de laquelle il acheta les deux journaux le Constitutionnel, qu'il mit au service du gouvernement, et le Pays, journal de l'Empire. L'entreprise parut être, pendant quelques années, en pleine prospérité. La Caisse, fondée au capital de cinquante millions, en était venue à représenter plus d'un milliard d'affaires, lorsque, le 17 février 1861, Mirès fut arrêté et incarcéré à Mazas.

L'instruction fut longue et donna lieu, dans le public, aux plus étranges hypothèses. On assurait que des personnages très-haut placés, des fonctionnaires d'ordre supérieur étaient compromis par l'enquête ou le seraient par les révélations de l'accusé.

Le 26 juin, Mirès comparut en police correctionnelle. Il avait

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pour coaccusés, outre Solar absent, le comte Siméon, sénateur, président du conseil de surveillance de la Caisse, le vicomte de Pontalba, le comte Poret et le comte de Chassepot, membres dudit conseil. Mirès était inculpé d'abus de confiance, d'escroquerie et d'infraction à la loi sur les sociétés en commandite. Cette triple prévention atteignait aussi le contumace Solar. Les autres n'étaient accusés que d'avoir mal rempli leur mission de membres du con seil de surveillance.

Au passif de la liquidation figurait une somme d'environ douze millions, due par des personnes dont Mirės ne voulut on n'osa pas révéler les noms. L'instruction et les débats mirent en évidence les manœuvres par lesquelles se soutenaient ces grande spéculations, qui étaient vantées comme un signe de la pros périté publique.

Le 11 juillet, Mirés et Solar furent condamnés chacun à cinq ans de prison et 3,000 francs d'amende. Les autres furent acquittés, avec un blâme sévère.

Mirės appela en Cour impériale, où le jugement fut confirme puis se pourvut en cassation. L'arrêt fut cassé et renvoyé devant cour de Douai, où les débats se rouvrirent le 31 mars 1862. 21 avril, un arrêt longuement motivé infirma celui de la cour Paris et acquitta Mirès sur tous les chefs d'accusation. Ce nouvel arrêt fut déféré, dans l'intérêt de la loi, à la cour de cassation, qui le réforma complètement.

Mirès, remis en liberté, eut d'autres procès correctionnels soutenir. Il essaya de relever sa maison, que son arrestation avai ruinée en même temps que beaucoup de ceux qui avaient eu l'im prudence de lui confier leurs épargnes, dans l'espoir d'un gros e rapide bénéfice. Il mourut sans y avoir réussi.

L'année 1862 vit une application étrange de la loi de sûreté gé nérale. M. Taule, rédacteur en chef du Travail, avait demandé M. Martin Bernard l'adresse de Ledru-Rollin, pour lui envoyer son, journal. M. Martin Bernard donna l'adresse. La lettre et la réponse ayant été ouvertes à la poste, les deux correspondants furent tra duits en police correctionnelle, comme coupables de manœuvres a l'étranger. Il se trouva des juges pour condanner M. Taule à six mois de prison et 200 francs d'amende. M. Bernard fut acquitté. Ce premier essai ayant réussi, il y eut d'autres procès du mème genre.

§ IV. ROME ET L'ITALIE. – Au mois de mai, Napoléon III écrivit

encore une lettre à son ministre des affaires étrangères au sujet des relations de Rome avec l'Italie. Le ministre adressa, en conséquence, à l'ambassadeur français une dépêche indiquant une combinaison destinée à réaliser les vues de l'empereur.

Rome était alors toute occupée des préparatifs d'une cérémonie à laquelle un décret pontifical avait couvoqué tous les évêques de la chrétienté; il s'agissait de canoniser vingt-six jésuites massacrés ou martyrisés au Japon en 1597. A l'appel du pape répondirent deux cent quarante prélats. La cérémonie religieuse s'accomplit en l'église Saint-Pierre avec un grand luxe de mise en scène, le 8 juin. Le lendemain, dans un grand consistoire, Pie IX prononça une allocution où il condamna toutes les idées modernes en matière de religion et déclara que le pape ne pouvait être sujet d'aucun prince. Après quoi le doyen des cardinaux, Mattéi, lut une adresse des évêques, rédigée dans le même sens; il y ajouta une protestation contre l'usurpation des provinces du Saint-Siége.

C'est alors que l'ambassadeur français fit connaître les intentions de l'empereur. Il s'agissait d'une transaction qui acceptait les faits accomplis, assurait Rome au pape, en mettant la dette romaine à la charge de l'Italie, et de proposer aux états catholiques d'offrir au pape un subside annuel auquel la France contribuerait pour une rente de trois millions. Le cardinal Antonelli y répondit par une fin de non-recevoir absolue.

L'attention publique fut distraite de ce qui se passait à Rome par la tentative de Garibaldi pour s'emparer de cette ville, tentative arrêtée à Aspromonte, par les troupes italiennes. Dans un engagement très-court (29 août), Garibaldi fut blessé au pied. Retiré dans son ile de Caprera, il y reçut les soins de plusieurs maitres de la science. La balle qui l'avait frappé ne put être extraite que par un Français, le docteur Nélaton.

A la suite de la tentative de Garibaldi, le cabinet italien demanda à la France de retirer ses troupes de Rome. Le gouvernement impérial s'y refusa, ce qui amena un changement de ministère en Italie et la retraite de M. Thouvenel, que remplaça M. Drouyn de Lhuys, regardé comme plus clérical (15 octobre).

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§ V. GUERRE D'AMÉRIQUE. — Pendant que l'Europe se débattait au milieu de ces complications diverses, les États-Unis d'Amérique subissaient l'épreuve de la plus épouvantable guerre civile; le contrecoup s'en faisait sentir jusque dans l'Ancien Monde. L'Europe, en temps ordinaire, tirait des États-Unis une grande quantité de ma

tières premières en lui expédiant des produits fabriqués; tout ce transit se trouvait arrêté dès le mois de décembre. Le déchirement s'était produit dans la grande république. Les Américains du nord, qui sont plus particulièrement des industriels, voulaient abolir l'esclavage; ceux du sud, qui sont agriculteurs, le voulaient maintenir. A la suite des élections, qui portèrent à la présidence Lincoln, le candidat des partisans de l'abolition, divers états du sud se séparérent de l'Union et nommèrent un président, M. Jefferson Davis. Bientôt commença une série de combats où les armées les plus nombreuses que le monde ait vues jusqu'alors s'entrechoquèrent presque sans relâche et où furent mis en jeu les engins de guerre les plus formidables. De part et d'autre on improvisa une armée, des généraux, un matériel de guerre. E 1861 et 1862 les Séparatistes eurent de grands succès, mais des le commencement de 1863, les Unionistes reprirent l'avantage.

Si les États-Unis ne s'étaient point trouvés dans cette situation, il n'eussent certes point souffert que l'armée française s'installat au Mexique et n'eussent point permis qu'on établit une monarchie européenne sur le continent américain; néanmoins, jusqu'en 1863, ils n'avaient lancé aucune protestation officielle.

§ VI. LETTRES, ARTS, INDUSTRIE. — La suspension du cours M. Renan ne fut pas le seul événement littéraire qui marqua l'année 1862.

M. Thiers fit paraître le vingtième et dernier volume de l'His toire du Consulat et de l'Empire; Michelet, Louis XIV et le duc de Bourgogne, ainsi que La Sorcière, M. Gustave Flaubert, Salammbé. La maison Hachette commença la collection des Grands écrivaing de la France.

Victor Hugo publia son roman les Misérables, depuis longtemps annoncé. Emile Augier fit jouer, à la Comédie-Française, le Fils de Giboyer, qui est comme une suite des Effrontés. Cette pièce, retenue par la censure, fut représentée par ordre de l'empereur.

La même libéralité ne protégea pas les Conférences publiques, qu'interdit un ordre du ministre de l'instruction publique.

L'autorité suspendit les Lectures publiques, faites par les écrivains les plus modérés et les plus éminents et dont le produit était destiné à soulager les ouvriers de la Seine-Inférieure atteints par le chômage de la fabrication des cotonnades. Quarante départements souffraient de la suspension de la récolte du coton, causée

par la guerre de la sécession, qui se prolongeait aux États-Unis. Cette crise se faisait sentir dans toute l'Europe.

L'art a eu, cette même année, l'exposition de la partie du musée Campana achetée par la France.

1861 a vu mourir le compositeur Fromental-Halévy (mars), auteur de la Juive, de la Reine de Chypre, etc., Damiron, Jomard, Biot, Ch. Magnin, Goudchaux, Ch. Philipon, Gust. Vaez, Baude, Bocage, Vanderburch, le duc Pasquier et l'abbé Morlot, archevêque le Paris.

Inauguration de la ligne transatlantique de Saint-Nazaire au golfe du Mexique, et du service postal de France pour l'Indo-Chine jar Marseille.

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Traité de commerce avec Radama II, roi de Madagascar.

CHAPITRE X

Session de 1863.-Élections générales. - Décret du 25 juin. - Mort de Billault.
Insurrection de Pologne. - Lettres, Arts, Industrie. - Session de 1864.
Le Corps législatif, l'opposition, l'opinion publique.- Guerre de Danemark.
-Convention du 15 septembre.
Lettres et sciences

L'Internationale.

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§ I. SESSION DE 1863.- La session de 1863, ouverte le 12 janvier, par un discours où l'empereur se contenta d'énumérer toutes les choses excellentes que son gouvernement avait faites, fut très-écourtée. Le Corps législatif touchait au terme de son mandat; les léputés étaient préoccupés de leur réélection; le gouvernement ne tenait pas à entrer dans des discussions trop approfondies; le Senat ne voulait pas agiter les esprits. Tous les débats furent abrégés. Au sénat comme au corps législatif la discussion de Adresse fut rapide et dans l'une et dans l'autre assemblée elle Lussait percer l'inquiétude que la continuation de la guerre du Mexique occasionnait.

Au corps législatif elle fournit l'occasion de signaler l'attitude du pays et celle du gouvernement vis-à-vis de la Pologne. M. Jules Favre réclama contre l'occupation de Rome par les troupes françaises. Mais tous les discours et toutes les raisons se heurtèrent comme par le passé aux répliques tranchantes des organes du gouvernement et comme par le passé la majorité vota ce qu'on lui demandait.

Les ministres répondirent aux interpellations de l'opposition

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