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combien il lui avait fallu écraser d'oppositions violentes pour arriver à faire la guerre de 1866, et comment les haines même les plus violentes contre M. de Bismarck s'étaient tout à coup transformées en une complète soumission ou en une admiration profonde au lendemain de ses victoires. Elle n'avait pas le droit d'ignorer, qu'en dépit de certaines oppositions, qui subsistèrent, les Chambres prusiennes avaient voté suivant le gré de M. de Bismarck, et qu'il avait uffi que Guillaume Ier déclarât que « de son consentement pas moindre village ne sera arraché du sol germanique, » pour que Parlement Constituant se mit à son entière dévotion'. On ne aurait mieux définir la situation du roi de Prusse et de M. de Bisparck vis à vis de l'Allemagne qu'en transcrivant les paroles de de Bismarck lui-même, dans une conversation particulière le août 1866 : « Avant quinze jours, nous aurons la guerre sur le hin, si la France persiste dans ses revendications territoriales. Elle ous demande ce que nous ne pouvons ni ne voulons lui donner. Prusse ne cédera pas un pouce du sol germanique; nous ne le ourrions pas sans soulever contre nous l'Allemagne tout entière, s'il le faut, nous la soulèverons plutôt contre la France que ontre nous. » Or si tel était le sentiment prussien au lendemain le Sadowa, alors que les difficultés de sa politique intérieure n'éaient pas vaincues, à plus forte raison cela devait-il être sa volonté bien arrêtée lorsqu'il était assuré d'avoir toutes les forces de l'Allemagne entre ses mains. Prendre possession du Luxembourg, Sous quelque forme que ce fût, c'était plus que « arracher un village du sol germanique ».

Le roi de Hollande, comprenant le danger qu'il y aurait pour lui faciliter une telle opération, en fut effrayé. A la veille de signer son traité avec Napoléon III (28 mars), il dévoila la négociation au ministre de Prusse à La Haye. M. de Bismarck qui, suivant toutes les apparences, avait encouragé les négociations, se montra trèsfroissé et empêcha à leur exécution. La diplomatie impériale avait été complétement trompée. L'affaire resta donc à l'état de projet avorté, et n'aurait pas eu plus de retentissement que plusieurs autres demandes de compensations territoriales faites par l'ambassade française, et auxquelles le cabinet de Berlin avait chaque fois

1874.

Voir Histoire de l'Allemagne depuis Sadowa, par Eug. Véron. Paris,

* Vour l'OEuvre de M. de Bismarck, par J. Vilbort. Paris, 1869.

opposé un refus formel, si, le 1 avril 1867, une interpellation énergique des députés prussiens ne l'avait mise en plein jour. Cet incident ayant pris un caractère officiel, un conflit se produisit, qui pouvait aboutir à la guerre. C'est alors que les puissances s gnataires du traité qui, en 1839, avait attribué une partie du Luxembourg à la Belgique, et une autre partie (celle qui se trouvait en litige) à la Hollande, intervinrent et proposérent la réunion d'une conférence chargée de résoudre la question. La Prusse ne put décliner la proposition. La conférence se réunit à Londres au mois de mai 1867, et, le 11 dudit mois, conclut un traité en vertu duquel le roi des Pays-Bas conserva son titre de grand-da et la souveraineté du grand-duché, à la condition par lui de dé molir les fortifications de Luxembourg. D'autre part, la garniso prussienne dut évacuer la forteresse. Ce traité reçut immediate ment un plein accomplissement.

Bien que dénouée pacifiquement, l'affaire du Luxembourg coût au Trésor français 158 millions de dépenses de guerre inutiles; donua naissance, au Corps législatif de France (15 juillet), à un dehal où n'ont brillé ni la diplomatie impériale, ni la droiture du ministr d'État. Là, comme à propos de l'emprunt mexicain, M. Rouber enleva le vote en arguant d'une dépêche qui n'existait pas.

§ VII. MEXIQUE. — C'est à propos du budget, comme pour Luxembourg, que fut traitée, au Palais-Bourbon, la question di Mexique: Les dernières troupes françaises, parties de la Vera-tra au mois de mars, étaient rapatriées, non sans laisser au Mexique à peu près tous les chevaux et un immense matériel; mais, si farmée française était désormais désintéressée des choses du Mexique, la France avait encore un intérêt moral dans la conduite de l'affaire et un intérêt pécuniaire par les sommes qui lui étaient dues et l situation des souscripteurs français à l'emprunt contracté par Maximilien. Un vif débat s'engagea, sur le côté politique de l'affaire, dans les séances des 9 et 10 juillet. MM. Thiers et Jules Favre mirent en evidence toutes les fautes accumulées, comme à plaisir, par le gouvernement. M. Rouher se borna à prétendre que les fautes n'étaient que des malheurs; sentant la faiblesse de cet argument, il déclara qu l'opposition voulait « désolidariser » la majorité d'avec le gouv”nement, et il supplia la majorité de ne pas cesser de faire case commune avec le pouvoir. Cet appel fut entendu, et la Chambre passa à l'ordre du jour.

Il en fut de même le 25 pour la question financière traite par

Berryer. Il demanda, de concert avec M. Ernest Picard, des expli cations sur les combinaisons financières établies entre le Trésor français et le Trésor mexicain. Tous deux demandèrent ce qu'il était advenu des indemnités réclamées au Mexique en faveur de créanciers français, et qui avaient été l'une des causes premièresde la guerre. Ils s'enquirent de la solution de l'affaire des bons Jecker. Ils trouvèrent les réponses du gouvernement insuffisantes; mais leur talent et leur éloquence ne parvinrent pas à convaincre la majorité.

Triste pour la France, le dénouement de l'aventure mexicaine fut terrible pour Maximilien. Trahi par celui qui l'y avait entraîné, le malheureux empereur, sans argent, sans soldats, abandonné de tous, dut quitter sa capitale, fut livré par un de ses officiers aux troupes mexicaines, traduit devant une cour martiale, condamné à mort et fusillé, le 15 juin 1867, à Queretaro. C'était l'application du décret signé par lui deux ans auparavant.

Son corps fut rendu aux représentants de sa famille et transporté en Autriche.

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- LOIS DIVERSES.

§ VIII. DISCUSSION DU BUDGET. Beaucoup de questions d'intérêt général qui ne pouvaient plus être traitées à cause de la suppression de l'adresse et de la difficulté avec laquelle le Corps législatif autorisait certaines interpellations, furent posées dans la discussion du budget. La fraction de la majorité qui s'intitulait le tiers parti fit des critiques assez sévères sur la façon dont était interprété le décret du 19 janvier, qu'elle considérait comme le fruit de ses conseils et de son influence. Elle se plaignait de ce qu'on eût omis de consulter le Corps législatif au sujet des affaires du Luxembourg et de ce que, contrairement aux lois, on eût fait des virements de fonds. M. Rouher reconnut l'illégalité des actes, mais émit cette opinion qu'on pouvait, en certains cas, « faire fléchir pour un instant les règles financières au profit des intérêts de la paix. L'opposition répliqua par cet argument que, suivant la Constitution, l'empereur ayant le droit de tout faire était responsable de tout ce qui se faisait en son nom. M. Emile Ollivier ne laissa pas échapper cette occasion d'attaquer M. Rouher, qu'il traita device-empereur sans responsabilité », et pour l'accuser de fausser l'esprit de son maître. Il prétendit que l'empereur était empêché par ses ministres d'exécuter ses intentions libérales. Le lendemain de cette discussion, l'empereur envoyait à M. Rouher une plaque de grand-croix de la Légion d'honneur en diamant, ac

compagnée d'une lettre disant : « Au milieu des attaques injustes dont vous êtes l'objet, une attention amicale de ma part vous fera oublier, je l'espère, les ennuis inséparables de votre position. ■ Nétait-ce pas répondre assez clairement que toute la politique du ministre d'État n'était autre que celle de l'empereur même.

Le tiers parti se le tint pour dit et n'entama plus la lutte durant la fin de la session.

Dans le cours de la session le Corps législatif vota, entre au tres, une loi qui, sans astreindre encore chaque commune à poe séder une école pour les filles, rendit cependant obligatoire un plas grand nombre de ces écoles et améliora le traitement des insti tutrices. La même loi éleva aussi le traitement des instituteurs et étendit les limites de la gratuité. Toutefois les préfets resteren en possession du droit de nommer et de révoquer les instituteur (10 avril). Cette loi ne fut pas votée sans avoir été vivement criti quée par la portion cléricale de l'Assemblée, qui redoutait de voi Finfluence de l'éducation congréganiste diminuer au profit l'Université, qu'un des députés ne craignit point de qualifier ces termes : « L'Université, c'est encore le communisme mo conduisant au communisme social. »

Une loi sur les conseils municipaux fournit à l'opposition l'e casion de réclamer pour Paris et pour Lyon une représentati municipale. Les députés de Paris, notamment, mirent au jour les inconvenients graves du système par lequel la fortune de la ville de Paris était laissée aux mains du préfet de la Seine et d'une commission purement consultative dont tous les membres étaient à la dévotion du pouvoir.

Une loi, du 15 avril, abolit la contrainte par corps, sauf pour ies dettes envers l'Etat.

Une autre loi (8 mai) alloua, à titre de récompense nationale, a Lamartine, une somme de 500,000 francs, dont il devait toucher le revenu pendant sa vie, et dont, après sa mort, le capital appar tiendrait à sa succession. Le grand poète n'eut d'ailleurs, pas len temps à protiter de cet argent. Votée an 1848, cette allocatisa n'eut été qu'un acte de justice nationale; venant en 1867, et eferte par le régime impérial, elle ne parait qu'une sorte d'aumin destinée à rattacher au 2 décembre, un glorieux écrivain qui se debattait contre le defaiilances de son génie et le désordre de so attaires.

La session fut close le 24 juillet,

IX. EXPOSITION UNIVERSELLE.

-

Un décret du 22 juin 1865 avait

décidé qu'une exposition universelle des Beaux-arts et de l'Industrie aurait lieu à Paris en 1867. Cette exposition fut ouverte, le 1 avril, avec beaucoup d'éclat. Il y eut de la part de toutes les nations du globe une vive émulation. On y compta 60,000 exposants; le poids brut des produits exposés a été évalué à 28,000 tonnes. Une force motrice de 1,000 chevaux-vapeur avait été installée pour la mise en mouvement des diverses machines 1. L'Exposition était établie non-seulement dans un bâtiment colossal, qui occupait à lui seul une surface de plus de 13 hectares, mais encore dans une série d'édifices de toute nature, de tous les styles et de tous les pays, qui couvraient, dans le Champ-de-Mars, 27 hectares encare, et formaient autour de l'édifice principal un cortège vérita blement féerique de constructions, dont les proportions, les formes, les couleurs, les origines si diverses, depuis les vastes palis orientaux jusqu'aux plus misérables huttes, éveillaient et ravivaient sans cesse la curiosité. Ce fut un spectacle tel que jamais peut-être on ne vit le semblable. Cette exposition devint l'occasion de fêtes qui en firent presque disparaître le caractère élevé, sérieux et utile. Pendant tout le temps qu'elle dura, malgré les graves événements qui l'accompagnèrent, Paris fut réellement la ville de plaisit de l'univers entier. La plupart des nations y avaient exhibé leurs matériels de guerre, armes, équipements, ambulances; la Prusse notamment y avait envoyé des modèles de ses canons Krupp, dont s'occuperent peu les chefs de notre armée. Près d'une centaine de souverains et souveraines, de princes et princesses de tout ordre, vinrent successivement ou simultanément se distraire à Paris des soucis de la politique. On remarqua surtout, dans cette foule de Majestés et d'Altesses, les empereurs de Russie et d'Autriche, le roi de Prusse, assisté de M. de Bismarck, le sultan et le vice-roi d'Égypte.

On essaya de faire à l'empereur Alexandre II une popularité rappelant celle dont avait joui, en 1814, son aïeul Alexandre Ir. Le monde officiel s'empressa autour de lui, mais si la population parisienne n'oublia pas que ce prince avait récemment, de son plein gré, sans aucune pression de la part de son peuple et en dipit de toute la noblesse russe, aboli le servage, c'est-à-dire

Voir le Moniteur du 2 juillet 1867.

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