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En vertu du 2o paragraphe de l'article 8, ci-dessus, beaucoup de jeunes gens s'adressèrent à l'empereur pour obtenir des grades d'officiers. La loi n'indiquait aucune condition spéciale pouvant justifier la nomination à des grades quelconques. Le jugement particulier de l'empereur et l'influence des personnes qui se présentaient à son choix ou de celles qui appuyaient ces demandes de erminaient seuls la collation des grades. Les officiers ne recevant pas de traitement en temps de non-activité et devant s'équiper à leurs frais, il était par conséquent nécessaire qu'ils eussent une certaine fortune et des moyens d'existence leur laissant la libre disposition de leur temps. Le corps d'officiers fut donc formé, en majorité, de fils de familles riches, ayant pour la plupart une certaine éducation mais entièrement dénués des notions les plus élémentaires du métier de soldat. Ils reçurent d'abord leurs grades, puis furent conviés à prendre les premières leçons d'art militaire.

Lors de la discussion générale, l'opposition bláma vigoureusement l'ensemble du projet qui élevait à neuf années le temps de présence sous les armes. Elle montra tout ce qu'il y avait de déplorable dans le remplacement et combattit les articles de la loi qui plaçaient dans la garde mobile les jeunes gens des classes antérieures à 1868, qu'il y avait lieu, suivant elle, de considérer Comune définitivement libérés. M. Jules Simon rappela par suite de quelles fautes le gouvernement était arrivé à demander de tels sacrifices au pays: « quel que soit, dit-il, le gouvernement qui aurait mis mon pays à deux doigts de sa perte... (murmures), je suis loyalement d'avis que la première chose à faire c'est de combattre de toutes nos forces pour reconquérir la situation qu'il perdue ». Puis, il montra que la loi proposée n'augmenterait l'effectif que dans un délai assez éloigné, tandis que les événements pouvaient être très-proches. L'orateur gouvernemental qui lui répondit fit valoir les avantages des armées composées d'anciens soldats, soutint que cinq ans de service actif et quatre années dans la réserve ne faisaient en somme que cinq ans de service effectif et que le gouvernement pourrait dispenser du surplus. Cette théorie ne put convaincre tout le monde. Le tiers-parti ne fut pas moins ardent que la gauche pour attaquer la loi et à demander que la durée du service dans l'armée active fut moins longue en temps de paix, quitte à rendre le service obligatoire pour un plus grand nombre de jeunes gens.

Parmi les députés qui votèrent contre la loi, on remarque les noms de personnages qui furent. peu de temps après, appelés au ministère par l'empereur, notamment MM. Brame, Lambrecht, Plichon, de Grammont, Ollivier, Maurice Richard, Buffet.

La loi fut portée au Sénat où elle fut longuement commentée, plutôt que discutée; la haute Assemblée l'approuva de tous poin's. § VI. LOI SUR LA PRESSE.-— « Que la première de vos lois consacre à jamais la liberté de la presse, la liberté la plus inviolable, la pla. illimitée, la liberté sans laquelle les autres ne seront jamais con quises parce que c'est par elle seule que les peuples et les res peuvent connaître leur droit de l'obtenir, leur intérêt de l'accorier., Qu'enfin votre exemple imprime le sceau du mépris public sur front de l'ignorant qui craindra les abus de cette liberté » : Depuis le temps où Mirabeau adressait cet énergique appel aux États géne raux, la liberté de la presse a subi en France bien des vicissitudes Abolie par le premier empire, elle n'a cru renaître un moment, 1814, que pour tomber presque aussitôt sous le coup de lois succes sives dont la collection jusqu'à nos jours forme tout un arsen digne de l'Inquisition. On a pu lire, dans cette histoire, quel éloquentes et fières protestations elle a inspirées aux Victor Broglie, aux Benjamin Constant, aux Royer-Collard et à d'autre fermes esprits. Comprimée par les lois de septembre 1855, libere en 1848, elle est de nouveau garottée par le dictateur du 2 de cembre. Cependant, poussé par le mouvement des mœurs publiques, le second empire voulut relâcher un peu les liens qui enchainsi-ni la liberté de la presse et se donner, par là, une apparence de libé ralisme. Cette apparence consistait surtout à dispenser la press périodique et politique de demander au gouvernement l'autorisa tion d'exister, à l'affranchir des avertissements officiels et à reme placer les suspensions et suppressions administratives par des sup pressions et suspensions judiciaires, émanant non pas du jury mais de tribunaux correctionnels. Les entraves fiscales et autres les pénalités exorbitantes, l'immunité des fonctionnaires étaient surgneusement maintenues, en même temps que la vague définition des délits laissait toute carrière à l'arbitraire des juges. Depus plusieurs années le gouvernement avait refusé souvent, mas, moins souvent que par le passé, l'autorisation de publier des jouts naux. La loi qui supprimait la faculté qu'avait le gouvernement, d'interdire la fondation d'un organe de publicité, était donc un progrès. L'opposition dut accepter cette loi. comme le prisonnier

accepte un peu plus d'air et d'espace; mais M. Pelletan, M. Thiers, M. Jules Simon ont revendiqué les droits de la liberté et de la justice en des termes que ne désavoueraient aucun des grands orateurs de 1816 à 1830. Berryer, entre autres amendements, demanda que, à défaut de la juridiction du jury, les magistrats qui pourraient être appelés à juger les procès de presse ne fussent, plus choisis par le gouvernement, mais que la composition des Chambres fut faite par voie de tirage au sort. Il fit remarquer que pas un seul procès, jugé par des tribunaux composés par le gouvernement, n'avait été suivi d'acquittement. Le gouvernement s'éleva avec énergie contre des théories qui semblaient mettre en suspicion l'intégrité de la magistrature. L'opposition fit bien remarquer qu'elle n'attaquait que la justice politique. Cette opinion, qu'elle affichait, était la même que celle qu'émettait M. Rouher, dans une longue note confidentielle, adressée, quelques mois plus tôt, par lui à l'empereur: «Votre Majesté, disait-il, se plaint du défaut de fermeté de la justice; compter sur la fermeté de la justice est une illusion. »>> Les points de vue étaient opposés, les opinions étaient identiques. Ces conclusions n'étaient pas moins différentes. M. Rouher conseillait à l'empereur de poser la question d'opposition devant le pays, « lui demander sa décision, et du même coup reprendre les armes disciplinaires conférées à l'administration par le décret de 1852. »

Les orateurs du tiers-parti défendirent la liberté limitée de la presse, émettant cette opinion que, depuis 1852, la liberté avait toujours été progressant, et que le moment était venu où la liberté, loin d'ébranler le gouvernement, sera une force pour lui. Un d'eux, M. Martel, demanda même qu'on appliquât à la presse les lois de droit commun.

Une seule voix s'est fait entendre au Corps législatif pour glorifier le décret de 1852 et en demander le maintien : c'était celle d'un journaliste officieux de Louis-Philippe, M. Granier de Cassagnac, devenu député officieux du second empire. Il faillit entrainer la majorité. Il ne fallut pas moins que la volonté formelle de l'em pereur pour empêcher la loi d'être repoussée; elle fut votée par 240 suffrages contre un c'était celui de Berryer.

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Au Sénat la loi fut vivement attaquée, comme trop libérale, par M. de Maupas, le préfet de police du 2 décembre, et M. Ségur d'Aguesseau. M. de la Guéronnière, ancien journaliste, réfuta éloquemment les accusations dirigées contre la presse ; M. Bonjean S'éleva avec énergie contre l'opinion de ceux de ses collègues qui

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repoussaient la liberté que leur offrait le gouvernement. M. Rouher se fit le défenseur de la liberté de la presse, donnant pour raison que, puisque l'empereur jugeait qu'il était temps de renoncer as pouvoir discrétionnaire de 1852, il serait inconvenant que le Sura prétendit opposer son expérience à celle de l'empereur. Après 1. discours du ministre d'État, la clôture de la discussion est demandes mais non accordée; alors le parole est donnée à Sainte-Beuve, qu fait l'éloge de la politique promise par la lettre du 19 janvier, d suivant lui, entravée par le mauvais vouloir des serviteurs de le pereur. Certains de ses collègues affectent de lui tourner le grossièrement, d'autres lui lancent des interruptions de mais goût. La loi fut ratifiée, le 7 mai, par 94 voix contre 25. Au leng demain de cette loi, on vit apparaître de toutes parts des journau nouveaux, soit à Paris, soit en province. Ces journaux étaient tou opposés au gouvernement (s'ils lui avaient été favorables, ils auraie existé depuis longtemps, car ils auraient sans peine obtenu l'aud risation de se fonder). Le gouvernement impérial put tout de sui voir quel était le nombre et quelle serait la force de ses adversare ou de ses ennemis.

§ VII. DROIT DE RÉUNION. — D'après les termes de la lettre 19 janvier 1867, on pouvait croire que le gouvernement étendr les facilités d'association et de réunion. Il n'en fut rien. La loi pre sentée au Corps législatif ne s'occupa pas des associations. Qua aux réunions, la loi pouvait se résumer ainsi : « Les réunions publi ques, traitant de questions non politiques et non religieuses, so permises toutes les fois que l'autorité ne jugera pas à propos les interdire. » En effet, la tenue d'une réunion était entourée formalités préalables très-compliquées: l'autorité pouvait l'ide dire tout d'abord, et, alors même qu'il n'y avait pas eu interdicto préalable, elle pouvait l'interrompre et la faire cesser au cours la séance. Les réunions « peuvent avoir lieu sans autorisation préa # ble », disait l'article 1° de la loi; mais l'article 2o disait : « Chaque réunion doit être précédée d'une déclaration signée par sept per sonnes, domiciliées dans la commune où elle doit avoir lieu; et les art. 12 et 13 des dispositions générales ajoutaient « que le prést de police et les préfets des départements pouvaient ajournet les réunions, et le ministre de l'intérieur les interdire ».

On devait préalablement faire connaître, au préfet ou aux su préfets, « l'objet spécial et déterminé de la réunion »; on ne po vait se réunir que « trois jours francs» après la déclaration. Le

président de la réunion et ses deux assesseurs exigés par la loi étaient responsables des infractions aux lois qui se produiraient au cours des séances. Un « fonctionnaire de l'ordre judiciaire, délégué par l'administration », doit, « revêtu de ses insignes,» assister à la reunion a le droit d'en prononcer la dissolution, s'il pense que le bureau laisse mettre en discussion des questions étrangères à l'objet de la réunion, ou si la réunion devient tumultueuse ». La présence de ce fonctionnaire fut vivement critiquée au cours de la fiscussion de la loi. L'opposition fit remarquer que la présence de e surveillant était contraire aux notions les plus élémentaires de a liberté, et aurait fatalement, en pratique, pour effet d'exciter la nalignité des orateurs et celle des assistants. C'est ce qui arriva neffet; les agents du gouvernement furent souvent placés dans la ituation la plus fausse et la plus ridicule; obligés d'écouter les taques ou les allusions malveillantes contre leurs chefs, souvent isés eux-mêmes indirectement par ces allusions, ils devaient se Bêler à la direction des débats. Ils eurent le plus souvent pour onsigne de laisser les opinions les plus exaltées se produire avec Jute licence.

Les infractions en matière de réunion étaient punies de 300 à 0,000 francs d'amende, et de quinze jours à deux ans de prison. es pénalités s'étendaient jusqu'aux personnes ayant loué, ou prêté, le local ou se tenaient la réunion.

Des réunions électorales étaient permises dans la période de vingt jours précédant la date de l'élection, mais devaient cesser cinq jours avant cette date, sous prétexte de laisser aux électeurs le emps de réfléchir et de discuter en eux-mêmes les mérites de chaque candidat.

Ces restrictions furent encore étendues dans la pratique. Des comités électoraux furent poursuivis comme associations illicites, les réunions privées comme réunions publiques; les tribunaux adoptérent cette façon de voir.

§ VIII. BUDGET.

Le Corps législatif consacra presque un mois lu 29 juin au 28 juillet) à l'examen du budget. Les orateurs de l'opposition, dont le plus remarquable et le plus écouté fut M. Thiers, montrèrent que, malgré les annonces périodiques d'équilibre, le Fudget se soldait, chaque année, en déficit et que l'emprunt tendait à devenir le moyen normal de pourvoir aux découverts. Cette année, n effet, le gouvernement demandait à contracter un emprunt de 450 millions, destiné aux dépenses militaires et, pour une faible

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