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au scrutin un vote alfirmatif; vous conjurerez les menaces de révolution, vous assoirez sur une base solide la liberté, et vous rendrez plus facile, dans l'avenir, la transmission de la couronne a mon fils.

Ces derniers mots donnent le secret du plébiscite. Le vote de 1852 établissait l'hérédité dans la descendance mâle de l'empereur: mais ce n'était là qu'un principe posé. En 1870, Napoléon III, atteint dans sa santé par les excès d'une vie d'aventures, d'entions violentes et de plaisirs, inquiet de l'avenir, voulait assurer la couronne à son fils, encore mineur, que déjà l'on associal, autant que possible, aux cérémonies officielles pour le mettre en évidence.

Il se forma aussitôt deux Comités généraux, assistés de nombreu comités locaux qui, tous, rivalisèrent d'ardeur pour exciter les élec teurs, l'un à voter oui, l'autre à voter non.

La lutte entre les partisans et les ennemis de l'Empire fut encore plus violente qu'aux élections de 1869. S'il s'agissait officiellement de ratifier une constitution, en fait réel il n'était question que de dire à l'Empire « reste » ou de lui dire « va-t-en ». Beaucoup d'électeurs qui détestaient l'empire votèrent pour lui par crainte de l'inconnu. Les émeutes, les propos extravagants tenus dans les réunions publiques, les agitations démagogiques les effrayaient, Une minorité turbulente d'hommes décidés à employer tous les moyens possibles pour arriver au pouvoir leur inspirait des craintes sérieuses. Le programme de ces hommes était, comme ils l'avaient à plusieurs reprises publié 1, celui de la revanche des journées de jui

La terreur de l'internationale, nouveau spectre rouge, sans cesse agité devant eux avec habileté par le gouvernement, jointe à l'espor de voir se développer le régime de liberté promis par ce dernier. les décidèrent à voter oui. C'est à cet appoint très-nombreux que l'empereur dut une large part de sa majoritė.

C'était une conception absurde de faire prononcer par un menosyllabe sur une constitution ne comptant pas moins de 45 arti

L'une de leurs déclarations, datée de l'année 1869, portait :

Laissons ergoter à leur aise les scolastiques de la démocratie et ceu

qui ne sont que les vaincus de Décembre.

- Les vaincus de Juin ne discutent pas avec leurs meurtriers, ils afterdent.

⚫ Signé RAOUL RIGAULT, GENTON, E. Chauvière, Gaillard PÈRE

« Suivent 150 signatures. »

cles dont chaque citoyen pouvait approuver une partie et rejeter une autre. La Suisse avait déjà donné l'exemple de plébiscites analogues, mais, outre que la liberté des votes y était scrupuleusement respectée, il y avait cette différence capitale que la Constitution était préalablement étudiée par les assemblées générales et les assemblées locales, c'est-à-dire le conseil fédéral, les conseils cantonaux, les municipalités et les assemblées libres.

Le scrutin fut ouvert pendant toute la journée du dimanche 8 mai, au chef-lieu de chaque commune. Sur 10,939,384 électeurs inscrits, 9,044,703 exprimèrent leurs suffrages; 7,358,786 votèrent oui, 1,571,959 votèrent non; il y eut 113,978 bulletins nuls. La formule officielle du plébiscite, promettant qu'il n'y aurait plus de révolutions et annonçant la liberté, était calculée de manière à entraîner les électeurs, malheureusement trop nombreux, qui n'étaient pas capables de se faire, par eux-mêmes, une opinion sur la valeur du sénatus-consulte. De plus, et outre le manifeste impérial, outre les comités plébiscitaires, outre la pression administrative, le gouvernement avait, à la dernière heure, frappé un grand coup de théâtre.

Depuis environ deux mois, la police faisait grand bruit de la déCouverte de bombes Orsini, introduites à Paris par un agent de Gustave Flourens, nommé Roussel, qui avait su se rendre invisible et introuvable. L'opinion s'en était médiocrement émue et soupçonnait la police d'avoir, sinon inventé, du moins fort exagéré ce prétendu complot. Elle ne se souvint pas assez généralement que la manœuvre avait été employée lors du plébiciste de 1851, au moyen d'un complot semblable découvert alors à Marseille.

Le 5 mai, presque à la veille du plébiscite, le Journal officiel publia un rapport adressé au ministre de la Justice par le procureur général près la cour impériale de Paris, et réclamant la convocation de la Haute cour de Justice pour juger des individus accusés de complot contre la vie de l'empereur. Ce document, aussitôt reproduit par tous les journaux, fut rapidement propagé par la presse officieuse, qui l'accompagna de commentaires propres à effrayer les gens timides, en leur montrant prêtes à se réaliser les menaces de révolution dont parlait le manifeste de l'empereur. Le gouvernement fut enivré de son triomphe : « C'est un Sadowa à l'intérieur, » dit M. Émile Ollivier. Étrange et lugubre pensée de mettre l'empire sous l'invocation d'une victoire prussienne.

Comme aux élections générales, toutes les grandes villes avaient

donné des votes négatifs, soit en majorité, soit en très-forte proportion. Le département de la Seine, sur 335,251 votants, donna 184,086 non contre 139,528 oui; celui des Bouches-du-Rhône, sur ¡ 93,790 votants, donna 52,975 non et 39,572 oui. Les deux dépar tements du Rhin fournirent 171,616 votes affirmatifs contre 30,275 négatifs; la Moselle 82,510 contre 12,974.

L'armée (France et Algérie) donna 275,657 oui et 46,210 man, ensemble 321,867 suffrages : c'était donc là le chiffre de notre e fectif militaire. On s'en étonna un peu en France; on l'enregistra avec satisfaction ailleurs.

Au demeurant l'empereur pouvait désormais dire que la majorité numérique de la Nation lui avait une fois de plus donné le pouvoir de faire de la France ce que bon lui semblerait. Il pouvait sans exagération prétendre que le vote avait été émis après des discussions suffisantes, sinon absolument libres, dans une lutte qui n'était ni plus loyale ni plus falsifiée que celles de la plupart des pays de liberté. Quelques fautes qu'il commit désormais, il ava un collaborateur et peut être un complice: la Nation elle-mère re présentée par la majorité des électeurs. Il restait néanmoins res ponsable de l'état d'abaissement des consciences qui ratifiaient connaissance de cause le crime originel de l'Empire.

Le 20 mai, une députation du Corps législatif se rendit à SaintCloud, où le président Schneider annonça officiellement à l'empe reur le résultat du dépouillement du scrutin. Napoléon III, dans réponse, se félicita du nouveau témoignage de confiance que la na tion venait de lui donner. « Les adversaires de nos institutions. dit-il, ont posé la question entre la Révolution et l'Empire. Le pays l'a tranchée en faveur du système qui garantit l'ordre et la liberté. Puis, promettant de respecter la volonté nationale, il continua: « Nous ne devons plus avoir qu'un but: rallier autour de la consttution les honnêtes gens de tous les partis, assurer la sécurite, amener l'apaisement des passions, préserver les intérêts sociaux de la contagion des fausses doctrines, rechercher, avec l'aide de toutes ■ les intelligences, les moyens d'augmenter la grandeur et la prospérité de la France... Nous devons, plus que jamais, aujourd hii, envisager l'avenir sans crainte. Qui pourrait, en eflet, s'opposer à la marche progressive d'un régime qu'un grand peuple a fondé au milieu des tourmentes politiques et qu'il fortifie au sein de la par et de la liberté? »

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session après le vote du plébiscite, discuta et adopta un certain nombre de lois, entre autres: sur la compétence du jury en matière de délits de presse (25 mai); sur l'extension des attributions des conseils généraux (17 juin); sur le choix des maires parmi les conseillers municipaux (29 juin); sur la réduction d'un centime sur le timbre des journaux (15 juin).

La constitution plébiscitaire accordait au Corps législatif le droit de recevoir des pétitions. Parmi les premières qui lui furent adressées s'en trouvait une des princes d'Orléans, qui réclamaient l'abrogation de la loi de bannissement portée contre leur famille. Les républicains se divisèrent sur l'accueil qui devait être fait à cette pétition. Les uns l'appuyèrent au nom de l'humanité, les autres la repoussèrent au nom de la prudence politique. La discussion eut lieu en séance publique, le 2 juillet, et amena un incident remarquable.

Parmi les députés qui combattirent la pétition se trouva M. Jules Grévy. Il résuma son opinion en ces termes : « Je ne tiens ni de mes commettants ni de ma conscience le devoir de rouvrir à me royauté les portes de la France, pas plus à la royauté de droit divin qu'à la royauté de 1850. » Une voix de la gauche s'écria: C'est parler en soutien du gouvernement! » M. Grévy répondit : C'est parler en républicain qui ne veut être ni dupe ni complice du rappel de la royauté ! »

Un discours de M. Émile Ollivier fit rejeter la pétition par 173 voix contre 31.

La chambre vota ensuite la loi du contingent que, d'accord avec la commission, le gouvernement réduisit de 100,000 hommes à 90,000.

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§ 1. AFFAIRE HOHENZOLLERN 1. — Après avoir voté le contingent mihtaire, le Corps législatif abordait la discussion du budget quand

* Consulter: Ma Mission en Prusse, par le comte Benedetti. Paris, 1871. Plon. La chute du second empire, par Aug. Deschamps Paris, 1871. LaHistoire de la révolution de 1870-1871, par Jules Claretie. Paris La France et la Prusse avant la guerre, par le duc de Gramont ·Souvenirs du 4 septembre, par Jules Simon. - Le Journal offi

CROIX

1872.

Paris, 1871.

un journal (les Débats) vint jeter au milieu du public, non encore remis des émotions du plébiscite, la nouvelle inattendue que le général Prim avait offert la couronne d'Espagne au prince de Hohenzollern Sigmaringen, appartenant à une branche de la famille royale de Prusse, et que ce prince avait accepté l'offre.

La nouvelle était vraie. A la suite de l'expulsion d'Isabelle, le général Prim, qui en avait été le principal promoteur, ne voulant pas proclamer la République, fit décréter la vacance du trône et établir une régence confiée au maréchal Serrano. Un peu plus tard. les cortès décidèrent le rétablissement de la monarchie. L'Espagre toujours fort agitée, dans un état de révolution pour ainsi dire permanent, repoussait les prétendants qui se proposaient; Prim chercha un candidat parmi les princes en disponibilité et finit par choi sir, après plus d'un refus, le prince Léopold de llohenzollern Sigmaringen. Les pourparlers engagés à ce propos, en 1869, avaient été connus du cabinet des Tuileries qui n'y mit aucun obstacle. Le prince tenait un peu à la famille Bonaparte, étant petit-fils de l princesse Antoinette Murat. L'affaire n'aboutit pas et depuis plo sieurs mois il n'en était plus question quand la nouvelle donne par les Débats la remit en lumière.

La campagne de Sadowa avait fait naître, des deux côtés du Rhin la pensée qu'un jour ou l'autre la France et la Prusse devaient s'en trechoquer pour se disputer l'influence prépondérante en Europe L'opinion française était disposée à voir partout la main de l Prusse et les artifices de M. de Bismarck. On n'hésita donc pas lui attribuer l'invention de la candidature Hohenzollern. Vainement Prim lui-même déclara-t-il que cette candidature était née en Espagne; on n'en resta pas moins persuadé que c'était une ma nœuvre du diplomate prussien.

Un député, M. Cochery, demanda à interpeller le gouvernement! à ce sujet. Le 6 juillet, jour fixé pour la discussion, on vit monter à la tribune le duc de Gramont, qui avait récemment remplacé M. Daru aux Affaires étrangères, diplomate de profession avec des ! allures presque belliqueuses. Il lut une déclaration confirmon! l'offre de Prim et l'acceptation du prince; « mais, ajouta-t-il, le i peuple espagnol ne s'est point encore prononcé et nous ne connaissons pas les détails vrais d'une négociation qui nous a été cachée. ' Le ministre demanda, en conséquence, l'ajournement de la discussion, proclamant, d'ailleurs, les sympathies de l'empire pour le peuple espagnol et sa résolution de ne s'immiscer en rien dans les

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