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le 8 février, pour procéder, conformément au décret du 8 septembre qui remettait en vigueur la loi électorale de 1849, à l'élection d'une Assemblée nationale de 750 membres, chargée de décider « si la guerre devait être continuée, ou à quelles conditions la paix devait être faite. » Le décret de convocation n'ajoutait rien à ces termes de l'armistice, ne définissait ni le mandat de l'Assemblée ni la durée de sa session. Il est présumable que ce ne fut pas là un oubli, mais que le gouvernement ne se crut pas le droit de limiter autrement les pouvoirs ni l'existence de la future Assemblée. Le décret du 8 septembre convoquait une Assemblée constituante.

La convocation des électeurs à bref délai, l'état général des esprits ne laissaient pas le loisir des discussions préliminaires et des longues professions de foi. Il y eut peu des unes et des autres. Aucun des candidats ne protesta, même indirectement, contre la proclamation de la République, faite le 4 septembre; aucun, non plus, ne se présenta comme champion du second Empire. Les aspirants législateurs, se tenant dans le dilemme posé par l'armistice, se prononçaient pour la guerre ou pour la paix. Le plus grand nombre était pacifique et répondait ainsi au sentiment de la trèsgrande majorité des électeurs. Les partisans de la paix quand même, à tout prix, furent nommés, sans qu'on leur demandat d'où ils venaient et où ils prétendaient aller, la paix une fois faite.

Paris cependant, l'Alsace, la Lorraine, et quelques autres départements choisirent des députés moins résolus à s'incliner quand même devant la force victorieuse.

Un second décret du 29 janvier avait suspendu l'application des motifs d'inéligibilité inscrits dans la loi de 1849, réédictée par les décrets du 8 septembre et du 28 janvier, ne laissant subsister que l'interdiction pour les préfets et sous-préfets d'être élus dans leur ressort administratif. Par un hasard qu'explique l'état des moyens de communication à ce moment, le Journal officiel du 29 janvier contenant ces deux décrets ne parvint pas à Bordeaux.

Le 30, la Délégation rendit un décret frappant d'exclusion tous les anciens candidats officiels; un autre décret du même jour étendit l'exclusion à tous les membres des familles ayant régné en France, et permit aux préfets de se porter candidats dans les départements qu'ils administraient.

§ II. CONFLIT ENTRE PARIS ET BORDEAUX. Ces deux décrets, inspirés par un sentiment de défiance qu'il est facile de comprendre,

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EMPIRE. TROISIÈME RÉPUBLIQUE. mais intempestif, comme l'événement l'a prouvé, faillirent être la cause d'un conflit entre le gouvernement de Paris et la délégation de Bordeaux. M. Jules Simon, parti de Paris le 30 janvier, arrivé le lendemain à Bordeaux, conjura ses collègues de renoncer aux deux décrets qui soulevaient les réclamations des électeurs et d'une partie de la presse. N'obtenant pas cette renonciation volontaire. M. Jules Simon exhiba un décret par lequel il était investi de tous les pouvoirs nécessaires pour faire exécuter les prescriptions du gouvernement de la Défense. Le bruit courut, à cette époque. que M. Gambetta eut l'intention de résister par la force et que M. Jules Simon fut sur le point de le faire arrêter. Rien n'est venu à l'appui de ces rumeurs, M. Gambetta résigna sa part de pouvoir n'étant plus en complète conformité d'idées avec le gouvernemer! (6 février).

M. Emmanuel Arago, qui venait d'arriver à Bordeaux, fut aussitôt nommé ministre de l'Intérieur.

Outre les protestations nées en France contre le décret des incapacités électorales, il eu arriva d'ailleurs une fort inattendue, datée de Versailles, 13 février, adressée à M. Gambetta et signée Bismarck

« Au nom de la liberté des élections stipulées par la conventici d'armistice, je proteste contre les dispositions émises en votre nom pour priver du droit d'être élus à l'Assemblée des catégories nombreuses de citoyens français. Des élections faites sous un régime d'oppression arbitraire ne pourront pas conférer les droits que la convention d'armistice reconnaît aux députés librement élus. ›

M. Thiers fut élu dans 27 départements, M. Gambetta dans neuf, M. Jules Favre dans huit, Garibaldi dans quatre, MM. Jules Grévy et Ledru-Rollin chacun dans trois départements. Le prince de Joinville fut élu deux fois, son frère, le duc d'Aumale fut nommé dans l'Oise. Quatre ou cinq bonapartistes seulement réussirent, dans la Charente-Inférieure et en Corse où la légende napoléonienne est une sorte de patrimoine commun.

§ III. L'ASSEMBLÉE. - L'armistice avait désigné Bordeaux comme lieu de réunion de l'Assemblée. Le gouvernement fit disposer pour la tenue des séances la salle du grand théâtre; c'est là qu'au jour fixé, 12 février, se trouvèrent environ 300 députés qui, malgré cette infériorité numérique, se constituèrent sous la présidence de M. Benoist d'Azy, doyen d'âge1.

Voir, pour cette période, Histoire de la Révolution de 1870-71 (tome

A la séance du lendemain, le président donna lecture d'une lettre ainsi conçue « Citoyen président de l'Assemblée nationale, comme un dernier devoir rendu à la cause de la République française, je suis venu lui porter mon vote, que je dépose entre vos mains. Je renonce aussi au mandat de député dont j'ai été honoré par divers départements. Je vous salue. Signé GARIBALDI. »

M. Jules Favre prit ensuite la parole pour donner lecture de la déclaration suivante: « Les membres du gouvernement de la Défense nationale, soussignés, tant en leur nom qu'au nom de leurs collègues, qui ratifieront les présentes, ont l'honneur de déposer leurs pouvoirs entre les mains du président de l'Assemblée nationale. Ils resteront à leur poste pour le maintien de l'ordre et l'exécution des lois, jusqu'à ce qu'ils en aient été régulièrement relevés. »

M. Jules Favre ajouta : « Nous ne sommes plus rien, si ce n'est vos justiciables, prêts à répondre de tous nos actes, convaincus que nous ne rencontrerons dans leur examen que la loyauté qui inspirera chacune de vos délibérations.

Des applaudissements accueillirent cet appel à la loyauté.

Le président venait de lever la séance quand Garibaldi demanda la parole. Étranger, il lui était permis de ne pas bien connaître nos règles parlementaires; pendant quatre mois il avait combattu, avec énergie et non sans éclat, pour la défense de notre territoire, la simple courtoisie faisait un devoir de l'écouter. La majorité royaliste et cléricale lui refusa brutalement la parole, au milieu de l'indignation d'une partie de la salle et de l'auditoire public. Garibaldi sortit de l'Assemblée et partit, quelques heures après, pour Caprera.

Le 16, M. Jules Grévy fut nommé président de l'Assemblée, par 519 voix sur 536 votants.

Le même jour, fut déposée une proposition, signée de sept députés et ainsi formulée :

M. Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif de la République française.

Il exercera ses fonctions sous le contrôle de l'Assemblée nationale, avec le concours des ministres qu'il aura choisis et qu'il présidera. »

par Jules Claretie; Histoire de l'Assemblée nationale de 1871 (8 février 1871, 24 mai 1875), par Edmond Frank.

La proposition fut renvoyée à l'examen d'une commission spéciale de quinze membres, nommée séance tenante.

Le 17, au début de la séance, M. Keller, député d'Alsace, demanda à l'Assemblée de prendre en considération une déclaration par laquelle les députés du Bas et du Haut-Rhin, de la Moselle et de la Meurthe, rappelant que, depuis deux siècles, l'Alsace et la Lcrraine sont associées à la bonne et à la mauvaise fortune de France, signifient à l'Allemagne la volonté de ces deux provinces de rester françaises, protestant que le suffrage universel lui-mèr ne peut couvrir ou ratifier des exigences destructives de l'intéri nationale; que l'Europe ne peut consentir ni ratifier un të abandon, que la paix faite à ce prix ne serait qu'une paix ruinesse et non définitive, qu'Alsaciens et Lorrains seront prêts à reco mencer la guerre aujourd'hui, demain, à toute heure.

« En foi de quoi, ajoutait la déclaration, nous prenons n concitoyens de France, les gouvernements et les peuples du moi entier à témoins que nous tenons d'avance pour nuls et non we nus tous actes et traités, vote ou plébiscite qui consentirat l'abandon en faveur de l'étranger de tout ou partie de nos provinces d'Alsace et de Lorraine.

Nous proclamons, par la présente, à jamais inviolable le dr des Vosgiens et des Lorrains de rester membres de la nation française, et nous jurons, tant pour nous que pour nos comettants, nos enfants et leurs descendants, de le revendiqer éternellement et par toutes les voies, envers et contre tous s usurpateurs. >>

M. Keller demanda l'urgence pour la prise en considération dec document, dont la lecture causa la plus profonde émotion.

Sur la proposition de M. Thiers, l'Assemblée décida de se retirer sur-le-champ dans ses bureaux où l'on discuter nettement, librement, la proposition présentée par M. Keller.

Après quatre heures de délibération non publique, l'Assemblée rentra en séance. M. Beulé, rapporteur d'une commission à laquelle la proposition des Alsaciens-Lorrains avait été soumise, annonça que la commission substituait au projet lu' par M. Keller une décăration rédigée en ces termes :

« L'Assemblée nationale, accueillant avec sympathie la déclaration de M. Keller et de ses collègues, s'en remet à la sagesse et at patriotisme de ses négociateurs. »

Ce texte fut adopté à une immense majorité.

Après ce grave incident, M. Victor Lefranc vint, au nom de la commission nommée la veille, proposer l'adoption du proje de loi relatif à la constitution du pouvoir exécutif. Le texte primitif fut voté sans modification. Le préambule de la loi disait, « L'Assemblée nationale, dépositaire de l'autorité souveraine, « Considérant qu'il importe, en attendant qu'il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement aux nécessités du gouvernement et à la conduite des négociations...

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C'est des mots soulignés dans ces considérants que la majorité a déduit plus tard, le pouvoir constituant qu'elle s'est attribué.

Dans la séance du 19, M. Thiers remercia l'Assemblée de la preuve de confiance qu'elle lui avait donnée et fit connaitre la composition du ministère: M. Dufaure, à la Justice; M. Jules Favre, ux Affaires étrangères; M. Ernest Picard, à l'Intérieur; M. Jules Simon, à l'Instruction publique; M. de Larcy, aux Travaux publics; M. Lambrecht à l'Agriculture et commerce; le général Leflò à la Guerre; l'amiral Pothuau, à la marine. Le cabinet représentait ainsi les grandes fractions d'opinion de l'Assemblée.

M. Thiers exposa ensuite son programme de gouvernement qui consistait à faire cesser le plus tôt, le plus complétement possible, l'occupation étrangère au moyen d'une paix, courageusement débattue, et qui ne sera acceptée que si elle est honorable... >> Puis, « pacifier, réorganiser, relever le crédit, ranimer le travail..... Ayant opéré notre reconstitution sous le gouvernement de La République, nous pourrons prononcer en connaissance de cause sur nos destinées, et ce jugement sera prononcé, non par une minorité, mais par la majorité des citoyens, c'est-à-dire par la volonté nationale elle-même... »

Les applaudissements de l'Assemblée ratifièrent ce programme qui fut presque une prédiction..

L'Assemblée vota ensuite, d'abord la nomination, dans les bureaux, de huit commissions de 45 membres chacune, chargées d'éclairer l'Assemblée sur l'état des forces militaires, de la marine, des finances, des voies de communication, des relations postales et télégraphiques, des départements envahis, de l'administration intérieure, du commerce général de la France, puis d'une commission de quinze membres pour assister les négociateurs de la paix, recevoir leurs communications, donner son avis et faire son rapport à l'Assemblée.

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