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Delescluze, tué en traversant un des champs de bataille, ne portait point d'armes, et l'on peut croire que sa mort fut un suicide plus qu'un accident. La plupart prirent la fuite; Raoul Rigault, arrêté à son domicile, fut immédiatement fusillé. D'autres, arrêtés plus tard, ont passé devant les Conseils de guerre; quelques-uns, condamnés à mort, ont subi leur peine.

La Commune, durant son règne, trop long dans sa brièveté, n'a pas même émis une idée pratiquement utile à la population ouvrière, dont elle prétendait représenter et défendre les intérêts; elle n'a fait qu'ajouter l'horreur de la guerre civile aux désastres de la guerre étrangère.

L'Assemblée laissa à M. Thiers le soin de diriger la lutte; elle n'y prit pas la part active que l'Assemblée de 1848 avait prise à la bataille de juin. Aucun représentant ne crut devoir s'interposer entre les deux partis; aucun ne jugea nécessaire de prendre part aux opérations militaires.

Dans son mécontentement contre Paris, s'appuyant sur son droit incontestable, elle avait repoussé toute tentative de conciliation qu'eût rendue possible, aux premiers jours, la confusion du mouvement du 18 mars. Pendant la lutte, elle ne s'associa par aucun acte aux promesses que M. Thiers adressait aux « égarés» de l'insurrection. Après la victoire, loin de chercher l'apaisement dans une amnistie partielle, elle désarma du droit de gråce le pouvoir exécutif, et en investit, pour les faits relatifs à la Commune, une commission, dite des grâces, composée de 30 députés. Cette commission maintint tels quels les cinq septièmes environ des condamnations.

M. Thiers promettait la liberté et la vie aux « égarés » qui déposeraient les armes. Personne ne se présenta. La chose, d'ailleurs, n'était pas facile : on surveillait de près les hommes suspects.

Les pertes de l'armée ont été évaluées à 4,000 hommes; celles des fédérés ne sauraient être appréciées. La Commune n'avouait pas le nombre des hommes tués dans les combats de chaque jour. Sait-on le nombre des exécutions nocturnes qu'elle a ordonnées? On n'a pas davantage compté ceux qui tombèrent en combattant ou furent passés par les armes pendant la semaine infernale » du 21 au 28 mai. On en a estimé le nombre total de 15 à 20,000; ce n'est peut-être pas trop.

Le chiffre des arrestations faites après la lutte a dépassé 40,000. Près de 34,000 détenus ont été relâchés après plusieurs mois de

captivité. Ceux qu'on a retenus ont comparu devant les 22 conseils de guerre institués pour les juger. Des condamnations à mort ont été prononcées et exécutées. D autres ont été suivies de commutations de peine 1.

En même temps qu'il avait à lutter contre l'insurrection de Paris, M. Thiers avait à se débattre contre les impatiences et contre les attaques de l'Assemblée. On allait jusqu'à lui reprocher de faire des tentatives de conciliation. Lassé de ces continuelles agressions et de ces tracasseries, il posa nettement, le 11 mai, la question de confiance, et termina par ces mots : « Il faut nous compter ici et nous compter résolument; il ne faut pas nous cacher derrière une équivoque... Je dis qu'il y a parmi vous des impru dents qui sont trop pressés. Il leur faut huit jours encore; au bout de ces huit jours, nous serons à Paris. Il n'y aura plus de danger; la tâche sera proportionnée à leur courage et à leur capacité... Quatre cents voix contre neuf votèrent un ordre du jour de pleine confiance.

Quelques jours après (25 mai), sur la proposition de deux menbres de la majorité, MM. Jaubert et Depeyre, l'Assemblée veta la reconstruction, aux frais de l'État, de l'hôtel de M. Thers; le 3 juin, elle y affecta un crédit de 1,053,000 francs.

Voir l'État des Conseils de guerre et de la Commission des grâces, dans le Rapport fait par M. Depeyre à l'Assemblée nationale, au nom de la Com mission d'amnistie, le 15 juillet 1874.

Les Conseils de guerre ont été saisis de 50,957 affaires, se répartissant ainsi

9,231 refus d'informer.

24,519 ordonnances de non-lieu.

9,768 jugements de condamnations contradictoires.

3,140

2,318 acquittements.

par contumace.

1,871 affaires restaient à terminer lors du Rapport.

Les décisions de la Commission des graces étaient au nombre de 4,170, dont 1,580 avis favorables et 5,790 rejets.

CHAPITRE XI

Traité de Francfort. — Abrogation des lois de l'exil. - Enquêtes sur la défense nationale. - Emprunt de deux milliards. - Élections partielles. - Lois diverses. - Négociations avec l'Allemagne. - Vacances parlementaires. Les trois empereurs. - Rentrée de l'Assemblée. Nouvelles élections partielles. - Discussions du budget. - Première démission e M. Thiers. Lettre du comte de Chambord. - Souscription pour la libération du territoire. Élection de W. Rouher.-Suite de la session.-La loi militaire. -- Exigences de la droite - L'emprunt de trois milliards. Propagande pour la dissolution. Extérieur. Interpellation Changarnier. - Proposition Kerdrel. — Proposition Dufaure. Commission des Trente - Pétitions pour la dissolulion. Mort de Napoléon III. — La municipalité de Lyon.

§ I. TRAITÉ DE FRANCFORT. — Le 13 mai, M. Jules Favre, un des négociateurs du traité du 10 mai, vint en donner communication à l'Assemblée, qui nomma une commission chargée de l'examiner. Le 18, la commission fit son rapport concluant à l'adoption, et la discussion s'ouvrit. Tous les points essentiels étaient les mêmes que dans le traité provisoire. Toutefois, la Prusse y avait introduit quelques dispositions à son avantage, notamment des échanges de territoires autour de Belfort contre d'autres territoires, à peu près équivalents en étendue et en population, le long de la frontière luxembourgeoise. La Prusse se faisait ainsi payer les facilités qu'elle avait accordées pour combattre la Commune.

Peut-être eût-il mieux valu accepter sans débat un acte qu'on n'avait pas la puissance de modifier. Cependant l'échange projeté fut attaqué, surtout au point de vue stratégique, par les généraux Chanzy et Chareton, dont l'opinion fut combattue par M. Thiers et par le colonel Denfert, le vaillant défenseur de Belfort. L'échange fut voté par 433 voix contre 98.

L'article 7 prolongeait la durée de l'occupation des départements de Seine, Seine-et-Marne et Seine-et-Oise; un autre stipulait pour la Prusse des avantages commerciaux. L'Assemblée dut les subir sans débat et ratifia l'ensemble du traité1.

Le traité de Francfort arrachait à la France 1,487,374 hectares du territoire et 1,628,132 habitants.

Outre les sacrifices imposés par ce traité, il y a lieu de relever d'autres pertes non moins graves.

Dans le Rapport au Conseil de la Société française de secours aux blessés

Le 21 mai, en apprenant l'entrée des troupes dans Paris, l'Asseinblée déclara que « les armées de terre et de mer, le chef du pouvoir exécutif et le maréchal de Mac-Mahon ont bien mérité de la patrie. » Un article, additionnel, promettant une large mesure de clémence, n'eût pas déparé ce vote et eût peut-être abrégé la lutte dans les rues de Paris.

Un peu auparavant, le 16 mai, la Commune étant encore debout,

de terre et de mer sur le service médico-chirurgical des ambulances et des hôpitaux, par le D' J.-C. Chenu (2 vol. in-4°. Paris, Hachette, 1874), on trovera l'indication du nombre des homines qu'a coûté la guerre de 18% 1871.

D'après les statistiques allemandes, le nombre des tués et blesses & l'armée allemande serait de 175 à 180,000 hommes, non compris les ma lades, qui ont été évacués au fur et à mesure.

Les pertes de l'armée française se répartiraient ainsi :

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Soit ensemble 615,918 hommes atteints.

Ce nombre pouvant être décomposé ainsi :

Total des hommes tués ou disparus.

Total des hommes blessés. . .

Le total des hommes frappés en com-
battant est donc..

138.871

157.626

276 197

Parmi les 339,421 hommes entrés dans les hôpitaux, il y a lieu de fare des distinctions entre le plus ou moins de gravité des cas qui les yon' amenés (voir le détail des cas dans le Rapport du D' Chenu, 1a parte, t. I). Il y a également lieu d'ajouter, au nombre des hommes morts a combat, celui des hommes morts plus ou moins rapidement par suite de maladies et de blessures contractées pendant la campagne. Il est plus facile d'imaginer que de chiffrer la quantité totale de ces pertes.

Les pertes de la population civile sur tout le territoire envaht sont core moins aisément appréciables.

On se rendra compte de l'importance des sacrifices d'argent infligés a la France par la guerre et le traité qui la termina, en comparant ces chiffres:

Le service de la dette publique et des dotations était, pour
l'année 1870, de.

Et pour l'année 1876, de.

535 millions. 1 milliard, 31 millions.

.

La différence en plus est donc de. 478 millions, ce qui représente (en chiffres ronds) un capital de 10 milliards.

la majorité repoussa, d'urgence, une proposition de M. Alphonse Peyrat, tendant à déclarer que la République était le gouvernement définitif de la France. Ce vote eût peut-être arrêté la lutte.

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§ II. ABROGATION DES LOIS D'EXIL. M. Jean Brunet demanda l'abrogation de toutes les lois d'exil. La commission fut favorable au projet. La discussion publique occupa toute la séance du 8 juin. M. Thiers, qui y avait d'abord été opposé, s'y était ensuite rallié; il exposa ses motifs dans un discours fort étendu où, après avoir rappelé l'état présent de la France, il montra la nécessité d'écarter tous prétendants et d'éviter tout changement de personnes dans le gouvernement. Ce débat lui fournit l'occasion de faire cette déclaration solennelle : « Oui, messieurs, quoique j'aie dit « l'a• venir est réservé... au risque de servir la République, je gou• vernerai le moins mal que je pourrai... J'ai pris un engagement « avec une loyauté complète; je ne m'en écarterai jamais : le fait qu'on m'a livré, que j'ai accepté en dépôt, c'est la République ; « je ne trahirai pas la République. »

Puis M. Thiers, au sujet du prince de Joinville et du duc d'Aumale, élus tous les deux le 8 février, mais dont l'élection était encore à valider, affirma que tous deux lui avaient fait savoir ceci : « Qu'ils ne seraient point un obstacle, qu'ils ne paraîtraient jamais « dans le sein de cette Assemblée et qu'ils ne justifieraient jamais aucune des craintes qui m'avaient tant préoccupé... »

Sur la foi de cette promesse, M. Thiers se ralliait au projet d'abrogation, en se réservant le droit d'agir, si la France était menacée dans son présent ou son avenir.

L'abrogation des deux lois fut votée par 475 voix contre 97, puis l'élection des princes validée par 554 voix contre 111.

SII. ENQUETES SUR LA DEFENSE NATIONALE.- Le 23 mai, à la suite du rapport d'une pétition faite par le colonel de Villenoisy pour provoquer une enquête sur la capitulation de Metz, le général Changarnier défendit le maréchal Bazaine contre toute imputation de trahison.

M. Thiers déclara que le maréchal l'avait supplie d'ordonner l'enquête comme un acte de justice qu'il réclamat. Le ministre de la guerre annonça que tous les généraux et officiers ayant capitulé seraient traduits devant des conseils d'enquête.

C'est encore par antagonisme contre la République que, dans la séance du 3 juin, des enquètes furent décrétées sur les actes du gouvernement de la Défense nationale et des délégations de Tours

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