Page images
PDF
EPUB

tions partielles dans la Seine, les Bouches-du-Rhône, la Gironde, la Corrèze, le Jura et le Morbihan, qu'un décret présidentiel avait fixées au 27 avril. D'autres siéges étaient vacants encore dans plusieurs départements, Rhône, Loir-et-Cher, Nièvre, HauteVienne et Charente-Inférieure. Le ministre de l'intérieur avait d'abord retardé les élections, puis, par un décret ultérieur; il les fixa au 11 mai.

L'élection parisienne prit une importance exceptionnelle. Quelques maires eurent l'idée de proposer la candidature à M. de Rémusat, qui l'accepta. L'intervention des maires, qui ne sortaient pas de l'élection, encore qu'ils n'eussent agi qu'en leur nom personnel, froissa la susceptibilité d'un certain nombre d'électeurs.

Soudain surgit la candidature de M. Barodet, maire de Lyon, qui fut aussitôt acceptée et soutenue par cette fraction des républicains que l'on désigne sous la vague dénomination de radicaux. Beaucoup de républicains qui n'acceptaient pas cette étiquette se rallièrent à la candidature du maire de Lyon, non-seulement pour donner un avertissement à M. Thiers », qu'ils trouvaient trop facile à céder aux exigences de la droite, mais surtout pour protester contre l'esprit de la proposition Chaurand. L'heure était mal choisie et le moyen dangereux, comme le prouva l'événement, qu'il n'eût pas été difficile de prévoir.

M Barodet avait été nommé maire de Lyon par M. Thiers; c'était un homme personnellement modéré de doctrine et de langage; les partis réactionnaires en firent un véritable spectre rouge, une personnification de la Commune. Ils attaquèrent avec non moins de violence la candidature de M. de Rémusat, qu'ils qualifièrent de candidature officielle; certains journaux républicains accueillirent et accréditèrent cet argument.

Bon nombre de légitimistes s'allièrent aux bonapartistes pour susciter un candidat conservateur et choisirent un bonapartiste avoué, l'ex-lieutenant-colonel Stoffel. Cette troisième candidature fut officiellement proclamée dans une réunion publique où des champions du comte de Chambord siégeaient à côté des prôneurs du fils de Napoléon III.

Au scrutin du 27 avril, M. Barodet fut élu par 180,145 voix contre 135,028 données à M. de Rémusat, M. Stoffel en eut 27,000. Toute la presse réactionnaire jeta une clameur d'épouvante, qui réussit à effrayer beaucoup d'esprits faibles et servit de prétexte à des ennemis perfides pour sonner l'alarme.

Le 11 mai, le Bhône, qui avait deux députés à élire, nomma un Lyonnais, M. Guyot, et un conseiller municipal de Paris, M. Rane, qui, en 1871, avait été, pendant quelques jours, membre de la Commune. Le Loir-et-Cher, la Nièvre, la Haute-Vienne nommerent trois républicains. Dans la Charente-Inférieure, un ancien préfet de l'Empire réussit, non sans peine.

CHAPITRE XIII

Reprise de la session. - Le 24 Mai. Démission de M. Thiers.

[ocr errors]

SI. REPRISE DE LA SESSION. Les députés de la droite revinrent à Versailles sous l'impression de ce double événement électoral, qui constituait pour eux une éclatante défaite, aggravée encore par la perte d'un des portefeuilles confiés à un des leurs. A la suite d'un conflit entre M. Jules Simon et M. de Goulard, ces deux ministres avaient donné leur démission. M. Thiers appela M. Casimir Périer au ministère de l'intérieur, M. Waddington à l'instruction publique, M. de Fourtou aux cultes, et aux travaux publics M. Bérenger, alors président d'un groupe parlementaire qui tendait à rapprocher le centre droit du centre gauche. C'était done un pas, bien timide, mais réel, vers le centre gauche. La druile en fut profondément irritée et résolut d'inaugurer la reprise de la session par une bataille décisive.

[ocr errors]

§ II. LE 24 MAI. C'est le lendemain, 19 mai, que l'Assemblée rentra en séances. Des deux côtés presque tous les députés étaient présents on sentait venir une crise et chacun comprenait qu'il fallait en finir avec l'équivoque.

Dès le début de la séance, le président, M. Buffet, communiqua à l'Assemblée une motion ainsi formulée :

« Les députés soussignés, convaincus que la gravité de la situation exige à la tête des affaires un cabinet dont la fermeté rassure le pays;

« Demandent à interpeller le ministère sur les modifications opérées dans son sein et sur la nécessité de faire prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice. »

Le mot «< conservateur » est une de ces locutions politiques qui ont l'avantage de dire tout ce que chacun de ceux qui les emploient,

veut leur faire dire: Ici les « conservateurs étaient des légitimistes, des orléanistes et même des bonapartistes.

Un député ayant demandé les noms des signataires, une voix de la droite répondit : « Il y en a bien trois cents. >>

C'était beaucoup, mais ce n'était pas assez pour faire une majorité s'il ne se produisait pas de défection.

M. Dufaure obtint, avec quelque difficulté, que la fixation du jour de l'interpellation fut remise à la séance suivante afin que le gouvernement eût le temps d'en délibérer. Ce renvoi consenti, le garde des sceaux déposa les projets de lois sur l'organisation des pouvoirs publics et la création d'une seconde Chambre. La majorité refusa d'entendre la lecture de ces projets dont elle avait prescrit la préparation.

Dans la séance du 20, après l'élection du bureau, M. Dufaure présenta le projet de loi électorale. L'exposé des motifs établissait l'urgence d'installer un gouvernement définitif et constatait que l'état actuel de la France ne comportait d'autre régime possible que la République. » Il déclara ensuite que le gouvernement acceptait la discussion de l'interpellation pour le vendredi 23.

A l'ouverture de cette séance du 23, séance historique, qui se prolongea jusque dans la nuit du 24 au 25, M. Dufaure donna lecture de la pièce suivante, datée du 20 mai :

«Le conseil des ministres, après en avoir délibéré, déclare que l'interpellation déposée dans la séance du 19 de ce mois sur le bureau de l'Assemblée, se rattachant à la politique générale du gouvernement et engageant ainsi la responsabilité du président de la République.

« Le Président exercera le droit de prendre part à la discussion, droit qui résulte pour lui des dispositions de l'article 4 de la loi du 13 mars 1873. »

Aussitôt après cette lecture, le président donna la parole au duc de Broglie, chargé de développer l'interpellation des trois cents. I commença par déclarer que l'interpellation portait sur deux choses:

La nécessité reconnue de voir à la tête des affaires, dans la gravité de la situation présente, un cabinet dont la fermeté rassure le pays; l'impatience de savoir si le cabinet avec les modifications qu'il avait subies, répondait à cette nécessité.

Aux yeux des signataires, dit-il, la gravité de la situation se résume en ceci la possibilité révélée par les dernières élec

tions de voir arriver, dans un délai plus ou moins prochain, le parti radical à la tête des affaires par la voie du suffrage universe!, tel qu'il est organisé aujourd'hui. La possibilité du triomphe da parti radical, voilà ce qui constitue à leurs yeux la gravité de li situation.

Si le parti radical était un parti politique comme ceux qu divisent ordinairement les Assemblées, le triomphe de ce porti sur un autre serait une de ces vicissitudes auxquelles tous doiven s'attendre et dont personne ne doit ni s'effrayer ni s'indigner. Mais le parti radical n'est pas un parti politique ordinaire; c'es avant tout et surtout, chacun le sait, un parti social. »

Puis, après des attaques personnelles contre plusieurs de ses collègues de la gauche, dite radicale, qu'il assimilait aux gens de la Commune, M. de Broglie, tout en se défendant d'accuser le gou vernement de complicité avec les radicaux, dit que dans les conseils du gouvernement deux tendances se combattaient : l'une onvertement décidée à agir énergiquement contre le parti radical, l'autre décidée, dans le but d'apaiser les passions, à user avec fan de douceur, de patience, à ne pas aller jusqu'au bout des moyens légaux, à ne réprimer, que l'excès du désordre matériel, n'entrer en conflit avec lui qu'à la dernière extrémité, et en tempérant, par la bonne grace des relations, ce que pouvait avoir de rude la répression légale. Après avoir montré que plusieurs conales électoraux avaient soutenu M. de Rémusat en attaquant la loi sur la municipalité lyonnaise, il en fit retomber la responsabilité sur le gouvernement, « car, dit-il, ce qu'un gouvernement laisse faire, u le fait,» théorie étrange dans un État supposé libre.

Il montra ensuite que par les modifications ministérielles du 18 mai, le cabinet « était un peu plus dans la voie des conces sions, des ménagements, des compromis vis-à-vis du parti radical. »

M. Dufaure, prenant la parole pour répondre à ce réquisitore, déclara que, non moins que M. de Broglie, il réprouvait les doctrines radicales et les croyait incapables de produire une socié régulière puis, arrivant aux reproches articulés contre le go vernement. i revendiqua, pour le Gouvernement, le droit de n'ètre jugé que sur ses actes publics.

«El bien dit-il, quels ont été les actes du gouvernement! Des puis la victoire sur la Commune, a-t-il failli un moment? Permet tez-moi de vous le dire, quelquefois vous vous êtes associés ave

éloge aux tentatives qu'il a faites, précisément pour réprimer les excès du parti demagogique. »

M. Dufaure rappela alors la loi sur l'Internationale, la loi sur les associations, la loi sur le jury, toutes présentées, soutenues, mises à exécution par le cabinet tout entier de tels actes répondaient bien, suivant le ministre, « à des propos de salons et de cabinets. » Il déclina toute solidarité du gouvernement avec des journaux où il serait aussi facile de trouver des attaques contre lui que des témoignages de sympathie accidentelle; il affirma que la retraite de M. de Goulard avait été motivée par des impressions toutes personnelles, mais non par des dissidences de principes, car il était d'accord avec ses collègues pour la présentation des lois dites constitutionnelles récemment déposées, dont l'une avait pour objet la reconnaissance formelle du gouvernement républicain.

Au moment où le président allait mettre aux voix la clôture de la discussion, il reçut du président de la République un message par lequel, « conformément à la loi du 13 mars 1873 », celui-ci le priait d'informer l'Assemblée de l'intention où il était d'intervenir dans la discussion, usant ainsi, ajoutait M. Thiers, du droit que me confère la loi, et que la raison seule suffirait à m'assurer si la loi n'existait pas.

Après un débat confus sur l'interprétation de la loi du 15 mars, l'Assemblée renvoya la séance au lendemain, samedi, neuf heures du matin, pour entendre M. Thiers.

Cette heure matinale était rendue nécessaire par la prescription de cette même loi, qui voulait que la séance fut levée après le discours du président de la République, et que l'Assemblée délibérat hors de sa présence. La droite, pressée d'arriver au dénouement, ne voulait pas siéger le dimanche ni laisser quarante-huit heures s'écouler entre la discussion et le vote.

Le samedi 24, M. Thiers prit la parole dès que l'Assemblée fut en séance. Le discours du président de la République est un document historique qu'il faut lire en entier dans le Journal officiel. C'est une réfutation éloquente, péremptoire, digne et calme, des accusations portées contre lui et son gouvernement. M. Thiers eût pleinement persuadé des juges équitables; mais il parlait devant des ennemis dont la résolution était prise.

Conformément à la loi du 13 mars, la séance fut suspendue après le discours de M. Thiers, et renvoyée à deux heures de l'après-midi.

« PreviousContinue »