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Dans cette seconde partie, M. Casimir Périer prit la parole, et réfuta les reproches adressés à lui, à M. Waddington et à M. Berenger par M. de Broglie. Il protesta contre la pensée de jamais entrer en concert avec le parti radical. «M. de Broglie, dit-il, nous a déclarés suspects en disant qu'il ne s'intéressait pas à nos paroles, qu'il fallait des actes. Or, nous n'avons pas encore fait un acte ni prononcé une parole. » M. Périer répliqua, avec beaucoup de netteté et de fermeté, que ses deux collègues et lui s'étaient ralliés à la république conservatrice comme à la seule institution qui pût vivre en France et maintenir le calme.

La clôture fut ensuite prononcée, et un membre de la droite, M. Ernoul, proposa un ordre du jour ainsi rédigé :

« L'Assemblée nationale, considérant que la forme du gouverne ment n'est pas en discussion; que l'Assemblée est saisie de lois constitutionnelles présentées en vertu d'une de ses dé ision, é qu'elle doit examiner. mais que, dès aujourd'hui, il importe de rassurer le pays en faisant prévaloir dans le gouvernement une pole tique résolument conservatrice, regrette que les récentes modifcations ministérielles n'aient pas donné aux intérêts conservateurs la satisfaction qu'elle avait le droit d'attendre, et passé à l'ordre du jour.»

M. Target, parlant au nom d'un groupe de quinze députés Labituellement hésitants entre le centre droit et le centre gauche, vint déclarer que ses amis et lui voulaient « tout en admettant la solu tion républicaine, adopter l'ordre du jour Ernoul, pour « manifester la pensée que le gouvernement du président de la République doit faire prévaloir désormais par ses actes une politique nette et énergiquement conservatrice. »

L'ordre du jour pur et simple ayant été demandé, dut avoir la priorité. Le Gouvernement s'y rallia. Il fut repoussé par 562 voi contre 548. La majorité absolue étant de 356 voix, le groupe Target avait décidé du sort de la journée.

L'ordre du jour pur et simple ainsi repoussé, l'ordre Ernoul devait être mis aux voix lorsque fut déposée une demande de scru tin à la tribune, sur laquelle l'Assemblée eut à voter et qui fut rejetée par 566 voix contre 342, On en vint alors à l'ordre du jour Ernoul, qui fut adopté par 360 voix contre 344.

M. Baragnon voulut presser les ministres de faire connaître immédiatement la résolution, c'est-à-dire la démission du gouvernement. M. Dufaure s'y refusa, déclarant que les ministres allaient

se rendre chez le Président de la République, mais que le gouvernement ne s'opposait pas à une séance du soir.

L'Assemblée renvoya la séance à huit heures du soir.

§ III. DEMISSION DE M. THIERS. Dans cette réunion nocturne, M. Dufaure monta à la tribune et déclara que les ministres avaient déposé leurs démissions entre les mains de M. Thiers, qui les avait acceptées, puis il transmit à M. Buffet, qui en donna lecture à l'Assemblée, un Message, signé : « A. Thiers, membre de l'Assemblée nationale, » et conçu en ces termes :

« J'ai l'honneur de remettre à l'Assemblée nationale ma démission des fonctions de Président de la République qu'elle m'avait conférées.

« Je n'ai pas besoin d'ajouter que le gouvernement remplira tous ses devoirs jusqu'à ce qu'il ait été régulièrement remplacé. Recevez l'assurance de ma haute considération. »

Puis, sans prendre soin de donner acte du Message, le Président lut la proposition suivante :

« Les soussignés, vu la démission de M. Thiers, Président de la République française, proposent à l'Assemblée de procéder immédiatement au scrutin sur la nomination de son successeur. »

Sur l'insistance du général Billot, le président donna acte du message; alors M. Foubert demanda, mais inutilement, que l'Assemblée remit au lendemain à statuer sur l'acceptation de la démission de M. Thiers. L'acceptation fut mise aux voix immédiatement et votée par 362 voix contre 331.

M. Buffet essaya de prononcer quelques mots de regret pour M. Thiers. La gauche ne le laissa pas parler.

Alors s'engagea une discussion confuse sur la proposition relative au choix du successeur de M. Thiers, et séance tenante, sans qu'aucune candidature eut été officiellement indiquée, on passa au scrutin, qui donna le résultat suivant :

Le maréchal de Mac-Mahon obtint 390 voix, M. Grévy une voix. Toute la gauche refusa de prendre part à ce scrutin.

Le président proclama le maréchal, Président de la République, et se rendit immédiatement auprès de lui, avec une députation du bureau. Il était alors onze heures du soir. A minuit moins un quart, la députation rentra et M. Buffet rendit compte de sa mission. La députation avait dù « pour vaincre la résistance, les objections et les scrupules de l'illustre maréchal, faire un énergique appel à cet esprit de dévouement et de sacrifice au pays dont le maréchal

a déjà donné tant de preuves et dont il donne aujourd'hui une preuve plus éclatante encore en acceptant les hautes, mais si difficiles fonctions que l'Assemblée lui confie. »

La séance fut levée à minuit moins dix minutes.

Le 25 mai, on lisait dans le Journal officiel une lettre de M. le maréchal de Mac-Mahon, adressée aux représentants, qui se terminait ainsi : ..... « Nous continuerons ensemble l'œuvre de la bibération du territoire et du rétablissement de l'ordre moral dans notre pays. Nous maintiendrons la paix intérieure et les principes sur lesquels repose la société. Je vous en donne ma parole d'honnête homme et de soldat. »

Le même jour, les journaux républicains publièrent un appel signé des députés de l'extrême gauche, adjurant tous les citoyens de rester calmes, d'éviter tout ce qui serait de nature à troubler l'ordre ou à augmenter l'émotion publique.

:

Le nouveau ministère fut ainsi composé: Affaires étrangères: M. de Broglie, vice-président du conseil; Intérieur: M. Beak: Justice M. Ernoul; Instruction publique: M. Batbie; Guerre: M. de Cissey; Marine M. le vice-amiral Dompierre d'horney: Finances M. Magne; Commerce: M. de la Bouillerie; Travaux publics: M. Deseilligny.

CHAPITRE XIV

Le gouvernement du maréchal de Mac-Mahon. - Les ultramo, tains. — La fusion. Entrevue de Froshdorf. Libération du territoire.

du Président de la République. Lettre du comte de Chambord.

Messa

§ I. LE GOUVERNEMENT DU MARÉCHAL DE MAC-MAHON. *— Le fait du 24 mai, pour avoir été accompli dans l'enceinte et par des moyens parlementaires, n'en fut pas moins une véritable révoJution. Il n'y eut pas, en effet, de changé que le ministère, il y eut le chef même, l'esprit et la direction du gouvernement. La plupart des fonctionnaires départementaux nommés par M. Thiers furent remplacés et en grande partie par d'anciens fonctionnaires de l'Empire, préfets, sous-préfets, maires, etc.

Le maréchal de Mac-Mahon avait promis le respect des institutions existantes; ceci s'appliquait à l'intérieur. M. de Broglie,

dans une circulaire diplomatique annonça ne vouloir rien changer à la politique extérieure du gouvernement précédent.

§ II. LES ULTRAMONTAINS. Le mouvement religieux commencé par les pèlerinages s'étendait chaque jour plus hardiment, et les ultramontains créaient, par les prétentions politiques contenues dans leurs discours religieux, des difficultés sérieuses au gouvernement et éveillaient les susceptibilités des pays voisins en demandant, en même temps que le rétablissement de la royauté en France, la reconstitution du pouvoir temporel du pape, ce qui équivalait à la destruction de l'unité italienne. En outre, ce mouvement contrecarrait la politique de M. de Bisinarck, qui venait d'entrer dans une lutte contre les ultramontains allemands. M. de Montalembert, qui les connaissait bien, a défini en ces termes les ultramontains:

« Une école a surgi, qui s'est crue autorisée à renier tous ces antécédents, à démentir tous les principes proclamés par les catholiques sous le régime parlementaire. Sous l'empire des plus tranges illusions, en dépit de tous les avertissements, et sans aucun souci de l'humiliante déconvenue que lui réservait un avenir si prochain, cette école a donné l'exemple de la palinodie la plus éclatante et la plus coupable que l'histoire moderne ait à enregistrer. Elle a substitué des théories hardiment serviles aux précieuses garanties de la vie publique, et des aspirations frénétiques vers la compression universelle à l'invincible élan des âmes généreuses vers la liberté. Elle a courbé une portion trop nombreuse du clergé sous la tyrannie de ses invectives et de ses dénonciations. Elle a fait de la raison une ennemie, de l'éloquence un péril public, de la liberté une chimère antichrétienne, « du goût de la « servitude » une sorte d'ingrédient de la vertu.

Dans le passé, elle a entrepris de remettre en honneur les pages les plus sombres qu'il soit possible de découvrir dans les annales du catholicisme; elle a réhabilité Philippe II et le duc d'Albe, justifié l'inquisition espagnole et la révocation de l'édit de Nantes, donné pour type de la société politique, tantôt l'empire romain, tantôt le régime napoléonien de 1812, tantôt Louis XIV entrant au parlement le fouet à la main. Elle a soutenu que la France de l'ancien régime était un pays où il n'y avait rien à réformer, puisqu'il avait la plus sage des constitutions, la plus parfaite et la plus libre des monarchies ».

Dans le présent, elle proscrit la tolérance, même civile, des

cultes non catholiques; elle déclare que la Constitution be'ge, Lite par les catholiques nos voisins, et si longtemps invoquée par tous les nôtres, crée un état anormal et antisocial: elle se moque cyniquement des catholiques assez naifs pour réclamer la liberte des autres en même temps que la leur, ou, comme elle disait autrefois elle-même, pour demander la liberté de tout le monde. Elle affirme que l'Église, seule, doit être libre, et que cette liberté est la seule dont les honnêtes gens aient besoin: qu'on ne doit laisser parler et écrire que ceux qui se confessent; que la liberté de conscience, utile, sans doute, à la conquête de la vérité, doit être restreinte à mesure que la vérité se fait connaître. Quant à la liberté politique, elle ne veut ni peser ni discuter ses droits, elle les nie tous. Elle ajoute que chercher des garanties contre le pouvoir est, en politique, ce qu'est, en géométrie, la quadrature du cercle, et que les chartes constitutionnelles ne sont que la profes sion publique du mensonge.

<<< Ces doctrines ont été données pour base et pour programme à ce qu'on appelait, par une profanation adulatrice, la restauration de la monarchie chrétienne, et ce qui ne pouvait aboutir, comme je me suis déjà permis de le dire, qu'à une coalition ephemere entre le corps de garde et la sacristie.

« Et ce n'a pas été là l'aberration passagère ou obscure de quelques esprits excentriques, sans écho et sans ascendant; ç'a été, pendant dix ans, la prétention quotidienne et bruyante d'un oracle docilement écouté et religieusement admiré par le clergé français, qui lui avait vu décerner le titre de grande institution catholique.»

Sans doute, le gouvernement n'était pas responsable de tout ce que publiaient ses alliés; mais il subissait la solidarité d'amis compromettants.

§ III. LA FUSION. ENTREVUE DE FROSHDORF 2.—Si, quant au ponvoir temporel, les ultramontains de France en étaient réduits à des manifestations sans effet pratique, les monarchistes tentèrent de réaliser la restauration du roi légitime. On se remit à la fusion, l'on obtint pour quelque temps un succès apparent. Le petit-fils de Louis-Philippe, le fils du duc d'Orléans, le comte de Paris, se rendit, le 5 août, à Froshdorff, auprès du comte de Chambord. Les dé

1 Préface du recueil des Discours du comte de Montalembert.

Voir La Vérité sur l'essai de restauration monarchique, par M. Ernest

Daudet. 1 vol. Paris, Dentu, 1875.

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