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Le 12 avril 1872, le conseil d'enquête rendit un avis longuement motivé, contenant les conclusions suivantes :

« Considérant que le maréchal Bazaine, par ses dépêches des 19 et 20 août 1870, a fait décider la marche du maréchal de MacMahon de Reims sur la Meuse pour se porter au secours de l'armée de Metz, que les tentatives de sortie le 26 et le 51 août ne sauraient être considérées comme assez sérieuses pour opérer une diversion utile à l'armée de Châlons;

« Pour ces motifs, le conseil d'enquête pense que le maréchal Bazaine est, en grande partie, responsable des revers de cette armée.

« Le conseil est d'avis que le maréchal Bazaine a causé la perte d'une armée de 150,000 hommes et de la place de Metz; que a responsabilité lui en incombe tout entière, et que, comme cons mandant en chef, il n'a pas fait ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur.

« Le conseil blâme le maréchal d'avoir entretenu avec l'ennemi des relations qui n'ont abouti qu'à une capitulation sans exempie dans l'histoire.

« Le conseil le blame, enfin, d'avoir livré à l'ennemi des drypeaux qu'il pouvait et devait détruire; d'avoir ainsi mis le comble à l'humiliation de braves soldats, dont son devoir était de sauvegarder l'honneur. »

Par suite de cet avis, le Gouvernement ordonna, le 7 mai 1872, d'informer contre le maréchal Bazaine, la capitulation signée par lui constituant les crimes prévus par les articles 209 et 210 du Code de justice militaire. L'instruction fut confiée au général Seré de Rivière, qui se mit immédiatement à l'œuvre, et qui ne termina qu'au mois de mars 1875 son travail, sur les conclusions duquel un décret présidentiel, du 24 juillet, ordonna la mise en jugemeat du maréchal Bazaine.

Conformément à la loi militaire, le maréchal ne pouvait être jugé que par un conseil composé de maréchaux dont aucun n'aurait servi sous ses ordres. Les circonstances rendaient impossible une telle composition du tribunal. Il fallut obtenir de l'Assemblée deux lois, du 16 mai 1872 et du 26 juillet 1875, en vertu desquelles le ministre de la guerre, par arrêté du 30 septembre, con

sepot; 154,152 fusils de divers modèles. La valeur de ce matériel et de divers accessoires de toute nature s'élevait au chiffre total de 36 millions.

stitua le 1er conseil de guerre, sous la présidence de M. le duc d'Aumale, général de division ayant commandé en chef devant l'ennemi; le commissaire du Gouvernement était M. le général de division Pourcet.

Le conseil fut convoqué pour le 6 octobre; il se réunit au jour prescrit, et siégea dans le vestibule du grand Trianon, près Versailles, disposé en salle d'audience.

Le maréchal Bazaine, d'abord prisonnier dans une maison isolée, à Versailles, fut transféré au grand Trianon, où il occupa un logement strictement surveillé. Il avait choisi pour défenseurs MM. Lachaud père et fils.

Depuis les grandes guerres de la Révolution et du premier Empire, Bazaine était peut-être l'unique exemple d'un homme, parti simple soldat, et arrivé au rang de maréchal de France. Si certains bruits venus du Mexique avaient pu le faire soupçonner d'une ambition démesurée, sa réputation militaire était restée intacte. C'est sous la pression de la voix publique, bien plus que par sympathie personnelle (car le maréchal était alors presque en disgrace), que Napoléon III le nomna, d'abord, commandant en chef de trois corps de l'armée du Rhin, puis commandant en chef de toute cette armée, au mois d'août 1870 1.

1

Quelque temps après le procès Bazaine (septembre 1874), un document fut publié, qui, en même temps qu'il indiquait la situation effective du commandant en chef de l'armée du Rhin vis-à-vis de l'empereur, marquait d'une facon authentique sous quelle inspiration Napoléon III avait entrepris les manoeuvres qui l'avaient entrainé à livrer la désastreuse bataille de Sedan. Voici ce document:

A Sir John Burgoyne, feld-maréchal.

Wilhelmshohe, 29 octobre 1870. Mon cher sir John, je viens de recevoir votre lettre, qui m'a fait le plus grand plaisir, d'abord parce qu'elle est une preuve touchante de votre sympathie pour moi, et ensuite parce que votre nom me rappelle les temps heureux et glorieux où nos deux armées combattaient ensemble pour la même cause.

Vous qui êtes le Moltke de l'Angleterre, vous aurez compris que tous nos ⚫ désastres viennent de cette circonstance que les Prussiens ont été plus tôt prets que nous, et que, pour ainsi dire, ils nous ont surpris en flagrant ⚫ délit de formation. »

L'offensive m'étant devenue impossible je me suis résolu à la défensive, mais empêché par des considérations politiques, la marche en arrière a été retardée, puis devenue impossible. Revenu à Châlons, j'ai voulu conduire la dernière armée qui nous restait à Paris; mais là encore des considérations politiques nous ont forcés à faire la marche la plus impru dente et la moins stratégique, qui a fini par le désastre de Sedan. Voici

A l'ouverture de la première audience (6 octobre), le président du conseil de guerre, après lecture des pièces convoquant et constituant le conseil, fit donner. lecture des états de service du maréchal, qui, parti simple soldat, avait conquis pied à pied son grade.

Six séances, de quatre heures chacune, furent occupées par la lecture du rapport de M. le général Seré de Rivière, qui relevai contre le maréchal trente-deux chefs d'accusation.

Six séances furent employées à l'interrogatoire de l'accusé; il repoussa toutes les charges relevées contre lui.

Les témoins assignés par l'instruction étaient au nombre de 219: la défense en avait fait citer 48.

Plusieurs des dépositions, notamment celles des habitants de Metz, venant reprocher au maréchal de n'avoir pas profité jusqu'a bout des ressources alimentaires de la ville, celles de plusieurs chefs de corps ayant pris sur eux d'ordonner la destruction des drapeaux pour ne pas les livrer à l'ennemi, provoquèrent dans le public de profondes émotions.

L'audition des témoins, le réquisitoire du général Fourcet, le plaidoyer de M Lachaud, les répliques, n'ont pas tenu moins de

six semaines.

Le réquisitoire du général Pourcet soutint énergiquement l'accusation; il résuma ainsi les charges qui pesaient sur l'accusé, et termina ainsi :

« ..... Nos conclusions sont que le maréchal Bazaine (FrançoisAchille), ex-commandant en chef de l'armée du Rhin, soit déclare coupable:

« 1° D'avoir, le 28 octobre 1870, capitulé avec l'ennemi et rendu la place de Metz, dont il avait le commandement supérieur, sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait, et sans avoir fait tout ce que prescrivait le devoir et l'honneur;

« 2o D'avoir signé, le même jour, 28 octobre 1870, à la tête d'une armée en rase campagne, une capitulation qui a eu pour resultat de faire poser les armes à cette armée;

«3° De ne pas avoir fait, avant d'avoir signé ladite capitulation tout ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur;

<< en peu de mots, ce qu'a été la malheureuse campagne de 1870. Je tenais à « vous donner ces explications, parce que je tiens à votre estime. En vous remerciant de votre bon souvenir, je vous renouvelle l'assu

arance de mes sentiments affectueux.

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« Crimes prévus et punis par les articles 209 et 210 du Code de justice militaire.

Requérons le Conseil de faire, en conséquence, au maréchal Bazaine, application desdits articles 209 et 210, en se conformant aux prescriptions de l'article 135 dudit Code.

Requérons, en outre, le Conseil de prononcer contre ledit maréchal Bazaine l'application des dispositions prescrites par les articles 138 et 139 dudit Code. >>

La défense eut un caractère plus politique que militaire.

Les débats furent clos le 10 décembre. Après quatre heures de délibération, le Conseil apporta un verdict déclarant que Bazaine est, à l'nnanimité, reconnu coupable des crimes qui lui sont reprochés par l'accusation.

En conséquence, le Conseil, vu les dispositions des articles 210 et 209 du Code de justice militaire;

• Condamne, à l'unanimité des voix, François-Achille Bazaine, maréchal de France, à la peine de mort avec dégradation militaire.

Et vu l'article 138 du Code de justice militaire ;

Déclare que le maréchal Bazaine cesse de faire partie de la Légion d'honneur et d'être décoré de la médaille militaire 1.

En présence de la garde assemblée sous les armes, ce jugement fut lu au condamné, qui l'entendit sans émotion apparente.

Bazaine refusa de former un pourvoi en révision et un pourvoi en grâce.

Immédiatement après le prononcé du jugement, le président et les membres du conseil de guerre adressèrent au ministre de la guerre un recours en grâce.

Après l'expiration du délai réglementaire de vingt-quatre heures, le Journal officiel du 12 décembre publia la nouvelle suivante :

Sur la proposition de M. le ministre de la guerre, M. le président de la République a commué la peine de mort prononcée ontre le maréchal Bazaine en vingt années de détention, à partir de ce jour, avec dispense des formalités de la dégradation militaire, mais sous la réserve de tous ses effets. >>

Au lieu d'enfermer Bazaine dans une maison de détention, suivant la volonté rigoureuse de la loi, on le logea dans le fort de l'ile Sainte-Marguerite. On lui permit de recevoir sa famille et ses

4 Tués et blessés sous Metz: 42,483 hommes (Rapport du Dr Chenu).

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amis; on ne lui imposa point le costume des détenus; on lui laiss, même son képi de maréchal de France. Abusant de ces faveurs, il parvint à s'évader dans la nuit du 9 au 10 août 1874.

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§ III. LETTRES, ARTS, SCIENCES, INDUSTRIE. Cette funeste période de quatre années (1870, 1871, 1872, 1875) a pesé crueliement sur les lettres, les arts, les sciences et l'industrie en France. Lettres. — Les événements de la guerre, le siége de Paris, la Commune, ont donné matière à un nombre considérable d'ouvrages dont la seule nomenclature formerait un long catalogue. Le patriotisme a fourni à quelques poëtes d'heureuses inspirations. Victor | Hugo a publié L'Année terrible. En 1875, parut Grégoire VII. œuvre posthume de M. Villemain; Michelet a publié le premier volume d'une Histoire du dix-neuvième siècle (l'Origine des Bowparte): George Sand a donné plusieurs nouveaux romans.

Durant cette même période, la mort a largement frappé parm. les écrivains français: 1870: le duc de Broglie; Marie, du gouver nement provisoire de 1848; Montalembert; Villemain; PrévostParadol; l'helléniste Alexandre; Alexandre Dumas; — 1871 : la princesse Christine de Belgiojoso; Emile Deschamps; Paul de Kock;

1872: Georges Guéroult; Lachambeaudie. Lors des premiers désastres, Théophile Gautier était à Genève. Il accourut à Paris, qu'il n'habitait pas ordinairement, uniquement pour y prendre parti l'épreuve commune. Par suite du froid et de la faim, il contracta la maladie dont il mourut le 23 octobre 1872. — En 1875, mourtrent Amédée Thierry; Saint-Marc-Girardin; Vitet; Stanislas Julien; P. Lebrun; Philarète Chasles; Odilon Barrot, Dorian.

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Arts. Pas plus que la littérature, l'art n'a produit, en PS temps calamiteux, aucune de ces grandes œuvres qui frappent les imaginations. Néanmoins, les Salons de 1872 et 1873, non infèrieurs aux précédents, ont maintenu l'art français à un rang éleve.

Les incendies de la Commune ont détruit à l'Hôtel de Ville, à la cour des comptes, à la Bibliothèque du Louvre, dans les maisons particulières non moins que dans les monuments publics, un grani nombre d'œuvres d'art, de livres précieux, de documents dont la perte est à jamais irréparable.

Un incendie fortuit (novembre 1873), a détruit l'ancienne salle de l'Opéra. Cet événement a fait donner une impulsion plus active aux travaux pour l'achèvement de la salle nouvelle, vaste monament élevé sur les plans et sous la direction de M. Charles Garnier, qui a obtenu cet honneur par voie de concours.

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