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ou la soutenir en action, c'est-à-dire faire la guerre civile, ou se condamner au ridicule si l'on n'agissait pas.

Sous le régime du suffrage universel, la guerre civile n'est jamais licite. La mise en accusation du gouvernement était une mesure légale que l'Assemblée seule avait le droit de prendre; si elle n'admettait pas la proposition qui en était faite, les accusateurs devaient attendre une meilleure occasion, mais ils n'avaient pas le droit de provoquer une insurrection qui atteignait à la fois le gouvernement, la représentation nationale et la Constitution même que l'on invoquait.

Le lendemain 13 juin, tandis qu'une manifestation sans armes se dirigeant vers l'Assemblée, comme pour refaire le 15 mai, était dispersée sur le boulevard des Capucines par la troupe, LedruRollin et une quarantaine de représentants se rendaient au Conservatoire des arts et métiers sous l'escorte d'environ quatre cents artilleurs de la garde nationale. Ils y furent cernés, pris et menacés d'être fusillés. Quelques-uns, entre autres Ledru-Rollin, parvinrent à échapper à ceux qui les gardaient et à quitter la France.

Cette déplorable tentative redoubla la fureur de la réaction. Paris fut mis en état de siége sur la proposition d'Odilon Barrot, qui, en 1832, avait plaidé contre l'état de siége. Des journaux furent supprimés par décret et, pour en assurer la suppression, des détachemen's de la garde nationale, officiellement commandés, vinrent en saccager les imprimeries, au nom de l'ordre et du respect de la propriété. La justice, appelée par les propriétaires à statuer sur les dommages qu'ils avaient éprouvés, se déclara incompétente. Trente-trois représentants furent décrétés d'arrestation pour venger l'inviolabilité parlementaire; une loi autorisa l'exclusion temporaire de l'enceinte législative; le droit de réunion fut suspendu pour un an, sauf dans la rue de Poitiers; trois légions de la garde nationale, dont l'artillerie, furent dissoutes; une loi punit les offenses au président de la République, comme jadis les offenses au roi; une autre loi étendit la juridiction des conseils de guerre aux crimes et délits po itiques. « C'est la dictature,» s'écrie M. Grévy; M. Dufaure lui répond par ce mot qui a couvert et couvrira encore tant d'iniquités : « Salus populi suprema lex esto. »

§ VIII. PRISE DE ROME. Ainsi délivré de la seule opposition qui pût le gêner, le gouvernement présidentiel put, en toute liberté, consommer les projets des cléricaux. Sans que la république romaine eût donné aucun motif d'agression, Rome fut assiégée

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comme une ville ennemie. La défense, dirigée par Garibaldi, fut vigoureuse. Le roi de Naples envoya, pour concourir au siége, des troupes qui furent battues par Garibaldi ; un détachement espagnol vint aussi assister, inactif, à la croisade contre la liberté romaine Après une résistance opiniâtre et les Franç is ayant pénétré da la place, la Consti uante et le Triumvirat qui gouvernaient Rome (Mazzıni, Garibaldi, Avezzana) se retirerent, et le pape rentraå Rome, sous la protection des baïonnettes françaises qui l'impos rent aux Romains jusqu'en septembre 1870.

Après la bataille de Novare, Charles-Albert s'était retiré en Poré tugal, à Oporto, où il mourut le 28 juillet. L'Autriche renversal autres gouvernements libres, restaura les archiducs; Venise, aban donnée à elle-même, succomba après une héroïque résistance Manin (22 août). Presque au mème instant, la révolution hongroisė victorieuse de l'Autriche, fut écrasée par l'intervention russe et trahison du général Georgey. La cause de la liberté était encore un fois perdue dans toute l'Europe.

§ IX. PROCÈS DU 15 MAI ET DU 15 JUIN. — Au mois de mars 1840 les accusés de l'attentat du 15 mai 1848 avaient été jugés à Bourga par la haute cour de justice qu'instituait la Constitution de 1848 Plusieurs accusés protestèrent contre leur renvoi devant cette juri diction qui n'existait pas au moment des événements du 15 m Six d'entre eux, parmi lesquels le général Courtais, furent acquit tés. Barbès et Albert furent condamnés à la déportation; Blanqu Sobrier, Raspail et Quentin de dix à cinq ans de détention; Loui Blanc et six autres, par contumace, à la déportation.

C'est aussi devant la haute cour, siégeant à Versailles, que com parurent, en novembre 1849, les accusés du 13 juin. Le 15 novent bre, la Cour rendit un arrêt prononçant contre dix-sept accuses la peine de la déportation.

Outre ces deux procès, de nature toute politique, un autre qui ne se rattachait qu'indirectement a la politique, fut jugė au mois de janvier 1849, par le 2 conseil de guerre séant à Paris. C'est la procès des assassins du général Bréa, crime commis en juin 1848, Le 7 février, sur 25 accusés, 5 furent acquittés, 5 condamnés à mort, 2 aux travaux forcés à perpétuité, les autres à des peines moindres. Pour trois condamnés à mort, le président de la Re blique commua la peine; les deux autres, Daix et Lahir, furentes cutés le 17 mars.

§ X. MESSAGE DU 31 OCTOBRE.

L'Assemblée avait pris, du

13 août au 30 septembre, des vacances dont le Président profita aussi pour aller voyager en Picardie et revoir le fort de Ham où émit des réflexions sévères sur l'audace de ceux qui tentent des révolutions. Après son retour et celui de l'Assemblée, il se débarrassa de son premier ministère trop asservi aux traditions parlementaires, et en prit un nouveau, plus docile à s s propres directions. C'étaient, en général, des hommes médiocres, sans renom comme sans importance politique. Le cléricalisme y conservait son influence dans la personne de M. de Parieu, succédant à M. de Falloux. Un message adressé à l'Assemblée, le 31 octobre, expliquait ce changement. Le Président disait qu'en appelant des hommes de partis différents, il avait dû opérer une fusion et n'avait produit qu'une neutralisation de forces. « La France, inquiète, cherche la main, la volonté, l'élu du 10 Décembre; » cette volonté, le Président veut la faire triompher avec l'aide de l'Assemblée et du peuple. C'était le langage des Cent jours.

M. Rouher, avocat de Riom, qui s'était fait nommer député en 1848, au moyen d'une profession de foi socialiste 1, faisait par

'L'article suivant a été publié, sous l'Empire, dans plusieurs journaux et n'a pas été contredit:

Le 23 mars 1848, M. Eugène Rouher, qui depuis s'est montré l'ennemi si acharné des socialistes, proclamait bien haut que la Révolution du 24 tévrier était une révolution SOCIALE, et il demandait la suppression IMMÉDIATE de tous les impots vexatoires, plus particulièrement onéreux à la classe ouvrière. Il s'exprimait ainsi :

• La révolution du 24 février est tout à la fois politique et SOCIALE.

. Il suffit d'avoir écouté un instant la voix du peuple pour proclamer la suppression (MMÉDIATE d'impôts vexatoires plus particulièrement onéreux à la classe ouvrière.

... Mes sympathies demeurent acquises à une républiqne forte qui comprenne et applique toutes les sublimités chrétiennes de sa devise: Liberté ganté, Fraternité,

Eugène ROUHER, avocat près la cour d'appel de Riom. »
Riom, le 26 mars 1848.

Extrait de l'Éclaireur républicain, journal de Clermont-
Ferrand, du 3 mai 1850.

M. ROCHER, MINISTRE DE LA JUSTICE, AU CLUB D'ISSOIRE.

Séance du 12 avril 1848. Extrait du procès-verbal.

-

Le citoyen Rouber monte à la tribune, déclare qne sa vie a été toute jucaire, qu'il n'est ainsi qu'un républicain du lendemain; mais, convaincu The les idées nouvelles peuvent seules faire le bonheur de son pays, il s'y dé vera avec énergie. Il veut la liberté de réunion pleine et entière. Les clubs

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tie du nouveau ministère. Le cabinet et le message inauguraient le gouvernement personnel de Louis Bonaparte.

§ XI. CHOLERA. L'année 1849 eut à subir une invasion d choléra qui, du mois de mars au mois d'octobre, enleva plus d 100,000 personnes en France.

§ XII. LETTRES. ARTS. Les lettres et l'art ne restèrent pas inæ tifs durant cette année calamiteuse. Eugène Sue commença la pu blication des Mystères du peuple; Gérard de Nerval fit paraitre s Voyage en Orient. L'Opéra représenta le Prophète, de Meyerbeer Émile Augier fait jouer Gabrielle, et reçoit de l'Académie fran çaise le prix Montyon.

L'art dramatique fit une grande perte: Marie Dorval mourut 20 mai à Paris.

CHAPITRE V

Lois contre l'enseignement. Terreur universitaire.

Loi du 31 mai. - Signature des journaux. Le Président et l'Assemblée.

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Élections partielle

Voyages du Président

§ I. LOI CONTRE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. M. de Parieu inau gura l'année 1850 en soutenant devant l'Assemblée d'abord un pr jet de loi qui mettait temporairement à la discrétion des préfets sort des instituteurs primaires que l'on accusait d'être des prop gateurs du socialisme, parce qu'ils étaient presque tous républi cains; puis la fameuse loi de mars 1850, préparée par M. de Fal loux, et qui, sous prétexte de donner la liberté d'enseignement livrait au cléricalisme l'instruction publique tout entière, car, à l faveur de cette loi, les congrégations religieuses envahissaient toutes les écoles primaires, tandis que les évêques, dominateurs dans le conseil supérieur de l'instruction publique, étendaient leur influence despotique sur les écoles de tous les degrés. M. Thiers, defendit, comme M. de Montalembert, cette loi funeste que Victor Hugo com

doivent être les organes de la volonté du peuple; ils sont chargés de sun struction, its sont indispensables. Il veut l'impôt mieux réparti, l'ab # des droits réunis, l'impôt progessif, mais avec des conditions qui n'amend pas au communisme; que cet impôt atteigne aussi les professions, gas le travail soit organisé, que l'agriculture ait des ressources contre les malheurs qu'elle ne peut prévoir, que l'État soit assureur. Il termine par cette matime: Tout par le peuple! tout pour le peuple! »

baflit avec autant d'éclat que d'inutilité : la peur du socialisme entrainat au cléricalisme. C'était pis que sous la Restauration.

Une autre loi, dont le rapporteur fut M. Leverrier, supprima la gratuité établie par le gouvernement provisoire pour les Écoles polytechnique et de Saint-Cyr; on fermait ainsi l'accès de ces écoles Sux jeunes gens sans fortune.

La réaction ne se refusait aucune satisfaction, si petite fût-elle. Ene guerre acharnée poursuivit les arbres de la liberté plantés en 1848. Leur destruction causa quelques troubles, les ouvriers s'y pposant sur plusieurs points; la garde nationale ne dissimula pas a reprobation pour de telles exécutions.

§ II. ÉLECTIONS PARtielles. Le 10 mars, des élections parSelles dans le département de la Seine amènent à l'Assemblée Carnot, ministre de 1848, Flotte, ancien transporté de juin, Vidal, ancien secrétaire de la commission du Luxembourg, et, par suite d'option de ce dernier, Eugène Sue. Ces élections redouberent la colère des réacteurs; la suspension du droit de réunion

prorogée, les réunions électorales sont interdites, le timbre ist de nouveau imposé aux journaux avec cautionnement plus élevé. de la Rochejaquelein demande que la monarchie soit proposée in vote des électeurs. On livre à la publicité les noms de négociants soupçonnés d'avoir voté pour Carnot et Eugène Sue, nouvelle sorte de terreur à l'usage des commerçants

§ II TERREUR UNIVERSITAIRE. — Des professeurs, et des plus emments (Amédée Jacques, entre autres), des maîtres de pension, des instituteurs primaires furent poursuivis à cause de leurs opirons républicaines et condamnés par le conseil supérieur à interdiction temporaire ou perpétuelle, au moyen de l'interprétawon de certains règlements universitaires et des articles élastiques - la loi de 1850 (articles 50 et 67).

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§ IV. LOI DU 31 MAI. Pour sauver l'ordre social >> menacé, wen vint à mutiler le suffrage universel par la loi du 31 mai 1850 nt exigeait des électeurs deux ans de domicile; on prétendait par Décarter du scrutin la population flottante, on déclarait qu'il exisit un nombre considérable de vagabonds et de gens dont les inrets étaient sans consistance, dont le vote ne pouvait être compté ⚫ legal de celui des citoyens ayant des raisons personnelles pour eller au maintien de l'ordre. Au fond, bon nombre de ceux qui utenaient cette théorie ne voulaient rien autre chose qu'écarter - urues électorales une grande partie de la population ouvrière

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