Page images
PDF
EPUB

les autres résultent d'une interdiction générale : « On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs » (C. civ., art. 6). Pour pouvoir se conformer à cette prescription, il faut donc distinguer des autres, dans les lois, les dispositions qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.

84. Toutes les lois de droit public, c'est-à-dire celles qui règlent l'organisation des pouvoirs publics et leurs rapports avec les particuliers, sont nécessairement des dispositions d'ordre public auxquelles on est toujours tenu de se conformer. Il en est de même d'un certain nombre de lois de droit privé qui ont été ramenées à trois catégories, savoir (1): 1o Celles qui règlent l'état et la capacité des personnes; 2o celles qui organisent la propriété et plus particulièrement la propriété foncière; 3o celles qui imposent aux parties des défenses ou des mesures dans l'intérêt des tiers. Quant à l'immoralité qui, en application de l'article 6 du Code civil, entraînera la nullité de la convention, elle résultera nécessairement de faits variables, que la loi ne pouvait pas définir et qu'elle a laissé aux tribunaux le soin d'apprécier (2).

85. La loi n'a point d'effet rétroactif, elle ne dispose que pour l'avenir (C. civ., art. 2) (3), ce qui veut dire qu'elle s'applique exclusivement aux faits qui se produisent après sa promulgation, mais ne saurait régir des faits antérieurs. Toutefois, il y a exception à cette règle dans trois cas :

1° Quand le législateur l'a déclaré expressément, car le principe de rétroactivité étant édicté par une loi ordinaire, l'application en peut être suspendue par l'effet d'une loi ordinaire ; 2o Quand il s'agit d'une loi interprétative: dans ce cas, la

obtenu le droit de chasser de jour, soit à tir, soit à courre, à cor et à cris... Tous les autres moyens de chasse... sont formellement proprohibés. >>

(1) Planiol, Traité élémentaire de droit civil.

(2) Pour développements, voir en particulier Huc, Commentaire théorique et pratique du Code civil, I, nos 186 et suivants.

(3) Ce principe est reproduit dans les termes suivants par l'article 4 du Code pénal : « Nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis ».

loi, ayant simplement pour but de développer le sens d'une autre loi, n'édicte pas en réalité de règles nouvelles, mais fait seulement mieux connaître celles qui existaient déjà et devaient par conséquent être appliquées;

3o Quand il s'agit d'une loi modérant les pénalités déjà établies dès lors qu'une pénalité est reconnue excessive ou inutile pour assurer l'ordre public, la raison et l'humanité en même temps interdisent de l'appliquer.

86. La loi conserve son autorité jusqu'à ce qu'elle ait été abrogée. L'abrogation peut être expresse ou tacite; elle est expresse quand elle résulte d'une disposition législative spéciale, comme la suivante: « Sont abrogés, tous règlements imposant une garantie exceptionnelle aux vendeurs d'animaux destinés à la boucherie. Sont également abrogées, la loi du 20 mai 1838 et toutes les dispositions contraires à la présente loi. » (L. du 2 août 1884 sur les vices rédhibitoires, art. 12). L'abrogation d'une loi est tacite quand ses dispositions sont incompatibles avec celles d'une autre plus récente de deux ordres contradictoires donnés par le législateur, l'un doit être nul et le dernier en date doit être le bon.

87. En principe, la loi abrogée cesse immédiatement d'être applicable si le passé est son domaine, en vertu du principe de non-rétroactivité, l'avenir appartient à la loi nouvelle. Il en est ainsi, tout particulièrement, des lois dites de droit public ou ayant un caractère politique, comme toutes celles qui règlent l'organisation des pouvoirs publics. On ne saurait admettre que les personnes soient soumises à des règles d'administration différentes parce que nées ou ayant agi sous des lois différentes : c'est en vertu de ce principe que les lois qui fixent la compétence et la procédure sont appliquées à tous les procès en cours au moment où elles sont promulguées, même à ceux qui porteraient sur des faits ou des actes antérieurs à la promulgation. Mais, en matière de droit privé, certaines situations, susceptibles de se prolonger, continuent à être régies par l'ancienne législation, alors que d'autres sont soumises à la règle générale suivant laquelle une loi ne survit pas à celle qui l'abroge. La distinction est fondée sur le degré d'autorité des règles abrogées: aux dispositions réglées par le législateur comme étant d'ordre public, la loi abrogée cesse d'être appli

cable, tandis qu'elle continue de régir les matières qui n'avaient été réglées par le législateur que d'une façon éventuelle, pour le cas où les parties intéressées auraient elles-mêmes négligé de le faire, mais qu'elles eussent été libres de régler autrement si elles en avaient prévu la nécessité. Par exemple, lorsque pour arriver à l'abolition du régime féodal, la Nationale Constituante déclara rachetables certains droits féodaux établis par des contrats réguliers et supprima sans indemnité d'autres droits qui paraissaient fondés sur la violence ou la spoliation, ses décisions furent applicables non seulement aux conventions qui pouvaient se nouer dans l'avenir, mais encore à celles qui avaient été conclues sous le régime de la législation antérieure: les effets ou conséquences de ces conventions étaient donc réglés par une législation postérieure à l'époque à laquelle elles avaient été conclues, et cela, parce que l'abolition du régime féodal était une disposition d'ordre public. De même en fut-il du décret qui abolit l'esclavage dans les colonies françaises (1); et de même des lois de 1816 et 1884, établissant et rétablissant le divorce, qui accordèrent les mêmes facilités, que les mariages fussent antérieurs ou postérieurs à la promulgation de ces lois.

En sens contraire, une loi abrogée continuera de régir les effets des conventions pour ce qui est des points que la loi a réglés tout en laissant aux parties la liberté de modifier les règles qu'elle a établies : ainsi, d'après l'article 1733 du Code civil, le fermier « répond de l'incendie à moins qu'il ne prouve: Que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou de force majeure, ou par vice de construction, ou que le feu a été communiqué par une maison voisine ». Or, qu'une loi vienne modifier ces dispositions dans un sens ou dans l'autre, étendre ou restreindre la responsabilité du fermier, et elles ne cesseront pas d'être applicables, à l'exclusion de celles de la loi nouvelle, à tous les baux dont l'existence serait établie au moment où celle-ci serait promulguée, car il s'agit là d'un point de la loi que les parties pouvaient modifier par des conventions. Si elles ne l'ont pas fait, c'est qu'elles ont accepté la clause établie par la loi, clause qui est devenue une partie de leur contrat. Leur appliquer la loi nouvelle serait violer la foi due aux conventions.

(1) L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles... (décret du 27 avril 1848).

Interprétation de la loi.

88. L'application des lois suppose l'interprétation du texte qui en exprime les dispositions. Les règles adoptées pour présider à cette interprétation se réfèrent à quatre cas distincts (1).

1o La loi a statué et son texte est clair. Dans ces conditions, il semblerait que le texte doive purement et simplement être appliqué, puisque l'ordre donné par le législateur est clairement exprimé. Toutefois, par suite d'une erreur de rédaction assez fréquente, une telle application irait à l'encontre de la volonté du législateur, ce qui ne doit pas être : nous trouverons un exemple de cette particularité en étudiant la législation sur les vices rédhibitoires en matière de vente d'animaux domestiques (641).

La rectification à opérer dans ces conditions doit être prudente, car il en résulte une véritable modification des textes, aussi n'est-elle admissible qu'autant qu'il n'est point douteux que le législateur a mal exprimé sa volonté.

2o La loi a statué, mais son sens est douteux. C'est le cas le plus fréquent. Il faut alors s'éclairer tout d'abord des renseignements que l'on peut tirer de l'origine même du texte. La loi n'est pas élaborée sans que la nécessité s'en soit fait sentir. Elle correspond à une tendance dont le sens ressort des circonstances dans lesquelles elle a été votée, ainsi que de l'exposé des motifs qui accompagne toujours la proposition d'un texte. La portée de la loi se précise généralement au cours de la discussion à laquelle donne lieu son élaboration et se dégage des procès-verbaux des assemblées devant lesquelles les lois viennent en discussion. On trouvera donc des renseignements d'assez grande valeur dans les documents de cette nature. Enfin, chaque disposition dont le sens est douteux dans une loi s'interprète d'après le texte entier et conformément à son esprit général.

3o La loi n'a pas statué. Dans ce cas, l'interprète doit déterminer la décision qu'eût prise le législateur s'il avait été appelé à statuer sur la question qu'il s'agit de résoudre. Cette décision se déduit de l'examen de celles qu'il a prises dans des cas analogues, ou opposés, et de l'esprit général des lois, en

(1) Planiol, Traité de droit civil, I, 215 et suivants.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

appliquant les principes généraux du droit. Cette interprétation n'est donc pas à la portée de tout le monde, car elle suppose une connaissance approfondie de la science du droit.

4° Conflit entre deux textes. — Lorsque deux textes édictent des règles contradictoires, plusieurs cas peuvent se présenter. S'ils se rapportent formellement au même objet, il n'y a pas conflit: le plus récent est seul applicable comme ayant abrogé le plus ancien, soit tacitement, soit d'une façon expresse. Ou bien encore, l'un formule une règle générale, tandis que l'autre édicte une disposition particulière, prise à titre exceptionnel et qui ne concerne que certaines matières à l'exclusion des autres. Dans ce cas, la règle édictée à titre exceptionnel doit être appliquée d'une manière restrictive et non pas être étendue à d'autres cas que ceux qui sont assignés à son autorité: admettre pour le même point deux règles générales oppo· sées, serait aboutir à la destruction de toute règle. Enfin, chacun des textes peut se rapporter à des hypothèses différentes concernant une même matière ; dans ce cas encore, l'interprétation consistera à assigner à chacun des textes son domaine propre.

Comment on réalise l'unité d'interprétation

pour appliquer les lois.

89. Avec les mêmes principes pour base, l'interprétation des lois peut aboutir, cependant, à des conclusions différentes selon les personnes qui s'y livrent. On voit fréquemment deux tribunaux rendre sur une même cause et en se basant sur les mèmes faits, deux jugements différents. Il en pourrait résulter des inconvénients sérieux si des dispositions n'avaient pas été prises pour assurer l'unité de jurisprudence. Le même différend pourrait recevoir une solution différente suivant qu'il serait jugé dans le Nord ou dans le Midi, à Bordeaux ou à Dijon, et l'unité législative, l'une des plus importantes parmi les œuvres de la Révolution, eût été compromise. On y a remédié en donnant à la Cour de cassation des pouvoirs spéciaux en matière d'interprétation des lois.

Actuellement, en effet, tous les tribunaux sor principe dans leurs décisions. Aucun d'eux n'es

« PreviousContinue »