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vaient lui donner en Europe et en Asie n'effrayaient pas l'Angleterre comme les armemens de Boulogne et ceux des ports de l'Adriatique. En suscitant à la France une si puissante rivalité, on paralysait ses efforts, et l'on était bien loin de craindre qu'on eût un jour à regretter d'avoir aplani les obstacles à cette nouvelle domination, et peutêtre frayé le chemin de l'Inde à de nouveaux conquérans.

La cause de l'Angleterre ne pouvait être épousée à Vienne aussi chaudement qu'à Saint-Pétersbourg. Malgré son aversion du nouvel ordre de choses établi en Allemagne par le traité de Lunéville, malgré son ressentiment de ses pertes en Italie, faiblement compensées par la possession des états vénitiens, l'Autriche hésita long-temps à s'engager dans une nouvelle guerre. Son armée, découragée par tant de défaites, était à peine rétablie; ses conseils les plus éclairés n'apercevaient, même dans les succès qu'on présentait comme infaillibles, aucun dédommagement équivalent à ses sacrifices; car si la

Prusse et la Bavière n'accédaient pas à la coalition, l'Autriche n'avait d'autre appui que le secours tardif des armées russes, trop éloignées pour pouvoir atteindre les frontières de l'empire français, et frapper des coups décisifs dès l'ouverture de la campagne. Pour atteindre ce but, il eût fallu se décider six mois plus tôt, marcher avec audace, forcer, les armes à la main, les puissances du second ordre à se déclarer, sans leur laisser l'espoir de conserver une équivoqué neutralité.

Au lieu de suivre ce plan d'agression violente qu'avaient proposé les ministres anglais aux deux cours impériales, celle de Vienne se renferma dans un système de fausse temporisation; elle crut pouvoir prolonger, par de fausses protestations, la sécurité de Napcléon, et couvrir d'un voile impénétrable le secret que trahissait de toutes parts l'activité des intrigues de ses agens auprès des cours de Berlin et de Munich. Elle se flatta de surprendre l'ennemi le plus soupçonneux et le plus vigilant. L'intérêt de l'Angleterre était de

faire éclater la ligue et de causer une prompte diversion, tandis que celui de l'Autriche était de mûrir ses apprêts pendant que l'expédition d'Angleterre, occupant et consumant l'armée française, produisait, à l'avantage de cette puissance, une diversion plus efficace que celle qui lui était demandée.

Une telle divergence dans les vues politiques des trois grandes puissances, devait rendre très-circonspectes celles du second ordre, qui, plus près de la France, et vive ment sollicitées par les deux partis, conçurent l'espoir de maintenir leur neutralité, ou du moins d'attendre les événemens pour se décider. La Prusse, indépendante par sa position et par le poids de sa force militaire, convoitait le Hanovre, et n'avait garde de s'aliéner l'appui de la France dans le cas où elle triompherait; et de l'autre côté, en refusant de joindre ses armes à celles des alliés, elle leur laissait entrevoir sa résolution de les seconder si les circonstances rendaient ce secours indispensable pour la sûreté commune. La Bavière, plus exposée, devant nécessaire

ultérieures que

ment servir de théâtre, se méfiait des vues la maison d'Autriche avait eu l'imprudence de ne pas dissimuler; elle avait à redouter, si la coalition triomphait, d'éprouver le sort de Venise, et d'être destinée à servir d'indemnité : la France, au contraire, avait de puissans motifs de la soutenir; et si la fortune des armes lui était favorable, de l'agrandir assez pour en faire une barrière contre sa vieille rivale; les électeurs de Wurtemberg et de Bade étaient dans la même catégorie, et plus dépendans de la France par leur proximité et par la faiblesse de leurs moyens de défense.

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On ne pouvait raisonnablement douter à Vienne que l'électeur de Bavière, dans un danger si pressant, ne se jetât dans les bras de l'empereur Napoléon, et puisque l'on n'était pas en mesure de l'en empêcher, et que les armées russes ne pouvaient coopérer à ce premier acte de la campagne, le plan de guerre offensive était réellement avorté; l'entreprendre si tard avec si peu de moyens, tant d'incohérence et de défaveur d'opinion,

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c'était une témérité. On conçoit qu'un seul homme se laisse entraîner par son ambition, par le dépit, par une aveugle obstination: Napoléon lui-même, démentant son propre génie et sa riche expérience, a commis depuis de plus grandes fautes mais on ne conçoit pas qu'un conseil ait pu persister dans la résolution de jeter en Souabe une armée de quatre-vingt mille hommes; de l'y laisser isolée, dans une position concentrée et sans appui, et n'ayant d'autre objet que d'y prendre poste, jusqu'à la jonction des armées russes, qui ne pouvait s'effectuer avant un mois. On ne peut expliquer cet entraînement que par l'insistance et les séductions des agens de l'Angleterre; ils parvinrent à déterminer le conseil aulique contre l'avis de l'archiduc Charles. Il faut le répéter ici, à l'honneur de ce prince, il s'opposa, aussi long-temps qu'on voulut l'écouter, à l'exécution du plan de campagne proposé par le général Mack, et concerté avec les généraux russes pour commencer sur le Rhin les opérations offensives. L'Angleterre, qui n'avait

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