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les parcs d'artillerie même étaient abandonnés; point de feux, point d'étoiles. Il a fallu errer pendant trois heures pour trouver un général. J'ai traversé plusieurs villages, et questionné inutilement ceux qui les remplissaient.

J'ai enfin trouvé un trompette d'artillerie à moitié noyé dans la boue sous son caisson; il était roide de froid. Nous nous sommes approchés des remparts d'Ulm. On nous attendait sans doute; car, au premier appel, M. de Latour, officier parlant bien français, s'est présenté. Il m'a bandé les yeux, et m'a fait gravir par-dessus les fortifications. (J'observai à mon conducteur que la nuit était si noire qu'elle rendait le bandeau inutile; mais il m'objecta l'usage.) La course me paraissait longue. Je fis causer mon guide: mon but était de savoir quelles troupes renfermait la ville. Je lui demandai si nous étions encore loin de la demeure du général Mack et de celle de l'archiduc. C'est tout près, me répondit mon guide. J'en conclus que nous tenions dans Ulm tout le reste de l'armée autrichienne. La suite de la conversation me confirma dans cette conjecture. Nous arrivâmes enfin dans l'auberge où le général en chef demeurait. Il m'a paru grand, âgé, pâle. L'expression de sa figure annonce une imagination vive. Ses traits étaient tourmentés par une anxiété qu'il cherchait à cacher.

Après avoir échangé quelques complimens, je me

nommai; puis entrant en matière, je lui dis, que je venais de la part de l'empereur le sommer de se rendre, et régler avec lui les conditions de sa capitulation. Ces expressions lui parurent insupportables, et il ne convint pas d'abord de la nécessité de les entendre. J'insistai, en lui observant, qu'ayant été reçu, je devais supposer, ainsi que l'empereur, qu'il avait apprécié sa position. Mais il me répondit vivement qu'elle allait bien changer; que l'armée russe s'approchait pour le secourir, qu'elle nous mettrait entre deux feux, et que peut-être ce serait bientôt à nous à capituler. Je lui répliquai, que, dans sa position, il n'était pas étonnant qu'il ignorát ce qui se passait en Allemagne; qu'en conséquence je devais lui apprendre que le maréchal Bernadotte occupait Ingolstadt et Munich, et qu'il avait ses avant-postes sur l'Inn, où les Russes ne s'étaient pas encore montrés. Que je sois le plus grand......, s'écria le général Mack tout en colère, si je ne sais pas, par des rapports certains, que les Russes sont à Dachau! Croit-on m'abuser ainsi? me traite-t-on comme un enfant? Non, monsieur de Ségur, si dans huit jours je ne suis pas secouru, je consens à rendre mu place, à ce que mes soldats soient prisonniers de guerre, et leurs officiers prisonniers sur parole; alors on aura eu le temps de me secourir, j'aurai satisfait à mon devoir. Mais

on me secourra, j'en suis certain! — J'ai l'honneur de vous répéter, monsieur le général, que nous sommes non-seulement maîtres de Dachau, mais de Munich d'ailleurs, en supposant vraie votre erreur, si les Russes sont à Dachau, cinq jours leur suffisent pour venir nous attaquer, et sa majesté -vous les accorde. - Non, monsieur, reprit le maréchal, je demande huit jours. Je ne puis entendre à aucune autre proposition, il me faut huit jours, ils sont indispensables à ma responsabilité. Ainsi, repris-je, toute la difficulté consiste dans cette différence de cinq à huit jours. Mais je ne conçois pas l'importance que votre excellence y attache, quand sa majesté est devant vous à la tête de plus de cent mille hommes, et quand les corps du maréchal Bernadotte et du général Marmont suffisent pour retarder de ces trois jours la marche des Russes, même en les supposant où ils sont encore bien loin d'étre. Ils sont à Dachau, répéta le général Mack.

- Eh bien! soit, monsieur le baron, et même à Augsbourg; nous en sommes d'autant plus pressés de terminer avec vous; ne nous forcez donc pas d'emporter Ulm d'assaut; car alors, au lieu de cinq jours d'attente, l'empereur y serait dans une matinée. Ah! monsieur, répliqua le général en chef, ne pensez pas que quinze mille hommes se laissent forcer si facilement; il vous en coûterait

cher!- Quelques centaines d'hommes, lui répondis-je, et à vous votre armée, et la destruction d'Ulm que l'Allemagne vous reprocherait; enfin tous les malheurs d'un assaut que sa majesté veut prévenir par la proposition qu'elle m'a chargé de vous faire. Dites, s'écria le maréchal, qu'il vous en coûterait dix mille hommes ! la réputation d'Ulm est Elle consiste dans les hauteurs Allons

assez connue.

qui l'environnent, et nous les occupons.

donc, monsieur, il est impossible que vous ne connaissiez la force d'Ulm ! pas Sans doute, monsieur le maréchal, et d'autant mieux que nous voyons dedans. Eh bien! monsieur, dit alors ce malheureux général, vous y voyez des hommes préts à se défendre jusqu'à la dernière extrémité, si votre empereur ne leur accorde pas huit jours. Je tiendrai long-temps ici. Il y a dans Ulm trois mille chevaux, que nous mangerons plutôt que de nous rendre, avec autant de plaisir que vous le feriez à notre place. -Trois mille chevaux, répliquai-je ; ah! monsieur le maréchal, la disette que vous devez éprouver est donc déjà bien grande, puisque vous songez à une si triste ressource!

Le maréchal se dépêcha de m'affirmer qu'il avait pour dix jours de vivres ; mais je n'en crus rien. Le jour commençait à poindre. Nous n'avancions pas. Je pouvais accorder six jours. Mais le général Mack

tenait si obstinément à ses huit jours, que je jugeai cette concession d'un jour inutile; je ne la risquai pas. Je me levai en disant, que mes instructions m'ordonnaient d'être revenu avant le jour, et, en cas de refus, de transmettre en passant au maréchal Ney l'ordre de commencer l'attaque. Ici, le général Mack se plaignit de la violence de ce maréchal envers un de ses parlementaires qu'il n'avait pas voulu écouter. Je profitai de cet incident pour bien faire remarquer, qu'en effet le caractère du maréchal était bouillant, impétueux, impossible à contenir; qu'il commandait le corps le plus nombreux et le plus rapproché; qu'il attendait avec impatience l'ordre de livrer l'assaut, et que c'était à lui que je devais le transmettre en sortant d'Ulm.` Le vieux général ne s'est point laissé effrayer, il a insisté sur les huit jours, en me pressant d'en porter la proposition à l'empereur,

Ce malheureux général est prêt à signer la perte de l'Autriche et la sienne. Et pourtant, dans cette position désespérée, où tout en lui doit souffrir cruellement, il ne s'abandonne pas encore: son esprit conserve ses facultés, sa discussion est vive et tenace. Il défend la seule chose qui lui reste à défendre, le temps: il cherche à retarder la chute de l'Autriche dont il est cause. Il veut lui donner quelques jours de plus pour s'y préparer. Lui perdu, il dispute encore

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