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taient bien de triompher du mauvais sort des armes; et en effet, pendant que la division Gazan combattait en tête et en queue, et jonchait de morts et de blessés ce champ de bataille resserré, dominé de toutes parts, le général Dupont, après une longue et pénible marche, avait, avec sa division et la division batave du général Dumonceau, pris position à Spitz, et poussé ses avant-postes à Weissenkirch. Comme il continuait son mouvement le 11 novembre, pour se joindre à la division Gazan, ses hussards rencontrèrent l'ennemi maître de la route entre Weissenkirch et Diernstein; c'était la seconde colonne russe qui, ayant tourné plus au loin que la première le groupe de montagnes, débouchait par deux gorges, et se précipitait sur la route.

Le général Dupont voyant alors dans quel danger se trouvait le général en chef, avec la division Gazan, redoubla d'ardeur et de célérité pour aller à son secours; ses troupes, électrisées par le désir de dégager leurs camarades avant qu'ils ne fussent accablés,

volèrent au combat. Le 9° régiment d'infanterie légère attaqua le premier, et fut vaillamment soutenu par le 32°, tandis que le 96 occupa la gorge par laquelle une colonne russe débouchait par le flanc gauche. La division batave fut placée en réserve pour couvrir les derrières, de ce nouveau champ de bataille.

Les Russes firent de vains efforts pour se maintenir dans la position de Diernstein, et au défilé près le vieux château où RichardCoeur-de-Lion fut retenu prisonnier; les hauteurs furent prises et reprises; enfin, après des charges réitérées, la division Dupont parvint à rejeter les Russes dans les gorges sur le revers de la montagne, et la route fut libre de ce côté, c'est-à-dire entre Weissenkirch et le défilé de Diernstein dont la première colonne russe occupait encore la tête du côté de Stein.

Cependant, les restes de la division Gazan ne cessaient de combattre en avançant sur Diernstein; la mêlée était horrible, la nuit profonde, on se massacrait aux lueurs du

feu; le maréchal lui-même, que sa haute stature faisait remarquer, se dégagea plusieurs fois en sabrant et renversant à coups de pied les grenadiers russes qui l'atteignaient. Dans ce moment, on le prévint que toute espérance était perdue, toutes les cartouches épuisées; qu'il était inutile de laisser tomber un tel trophée, un maréchal de l'empire, entre les mains de l'ennemi, et qu'un bateau de la flottille était là tout prêt à le transporter à la rive droite. « Non, dit le << maréchal, conservez cette ressource pour « nos blessés; quand on a l'honneur de << commander de si braves soldats, on est << trop heureux de partager leur sort, et de << périr glorieusement avec eux. Nous avons << encore nos deux pièces et quelques boîtes << de mitraille, nous sommes près de Diern « stein, rallions-nous, serrons-nous sur ce <<< plateau, et faisons un dernier effort. »

Le général Smith, poussé par Dupont sur Diernstein, et se trouvant à son tour entre deux feux, voulut aussi, par une charge décisive, rompre cette phalange française. Le

maréchal fit placer une de ses pièces en avant, et l'autre en arrière; un jeune officier d'ar tillerie (depuis, le colonel Fabvier) prit soin de ne tirer qu'à bout portant, attendit à trois pas, et renversa le brave Smith, et avec lui la tête de sa colonne; à l'instant on battit la charge, non avec des tambours, car toutes les caisses étaient brisées par les balles, mais sur des bidons; rien ne put résister à cet élan, la route fut balayée, et le maréchal rentra dans Diernstein avec ses intrépides compagnons. Le général Dupont s'y présentait au même instant du côté opposé; les deux troupes, avant de se reconnaître, crurent l'une et l'autre aborder encore une colonne ennemie ; au cri de France, France! les premiers grenadiers de la division Gazan se jetèrent dans les bras de ceux de la division Dupont : Braves camarades,

vous nous sauvez.

Là finit, vers neuf heures du soir, cette sanglante et glorieuse affaire, dans laquelle la division Gazan perdit près des deux tiers de son effectif; plus de deux mille hommes

y furent tués, blessés ou faits prisonniers; parmi ces derniers se trouvait le colonel Wattier, enlevé dans une charge, à côté du maréchal. Les pertes des Russes ne furent pas moindres; celle du général Smith fut la plus sensible aux deux armées alliées, à cause de ses talens et de son audace.

On trouverait difficilement dans les annales militaires un fait de guerre plus remarquable que la retraite du maréchal Mortier sur Diernstein, ni un autre exemple d'un combat si long, pendant quatre heures de nuit, entre des forces si inégales, soutenu avec un tel acharnement. Un sergent du 100 régiment, Pierre Baudé, que ses camarades surnommèrent Pierre-le-Cruel, tua neuf Russes de sa main. Un fait plus extraordinaire, fut la reprise des quinze cents prisonniers que le maréchal Mortier avait envoyés à Diernstein, et qu'il y retrouva, quoique les Russes se fussent emparés de ce poste, et l'eussent occupé pendant une partie de la journée.

Le lendemain du combat (12 novembre)

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