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genre. La population paroissoit doublée; et lorsque Madame retourna au palais, elle fut accompagnée par tout ce peuple fidèle qui la bénissoit les larmes aux yeux, et s'unissoit du fond du cœur à ses regrets et à sa douleur.

A peine étions-nous de retour qu'une fusillade commença dans la ville; on vit passer des blessés qu'on rapportoit, il y eut quelques personnes de tuées. De moment en moment on venoit, apporter à Madame des nouvelles effrayantes; et on annonçoit que ce n'étoit que le prélude du massacre. Des régimens en insurrection quittoient leurs casernes; une partie s'étoit rangée sur la place de la comédie, et tenoit des propos si affreux, que les généraux et plusieurs officiers vinrent supplier Madame de partir de Bordeaux. Il ne se passoit pas une minute sans qu'on ne vit arriver des messagers expédiés de toute: part' pour supplier Madame avec instance de penser à sa sûreté. Rien ne pouvoit la décider à abandonner cette malheureuse ville elle ne pouvoit soutenir la pensée du sort affreux qui étoit peut-être réservé à ses habitans après. son départ; elle en étoit accablée de douleur, lorsqu'on vint l'avertir que si elle prolongeoit son séjour, loin d'être utile à , elle seroit cause que le général

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Clauzel le traiteroit bien plus mal. Alors (cé qu'on n'auroit pu gagner sur elle en ne lui parlant que des dangers qu'elle couroit et de sa sûreté personnelle) elle céda aussitôt qu'il fut question du salut de la ville et de ses habitans.

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A huit heures du soir elle reçut donc les adieux de ceux qui, ne pouvant la suivre, ne lui restoient pas moins dévoués à Bordeaux. Elle monta en voiture et partit escortée par cette même garde fidèle, qui étoit montée à cheval pour veiller sur ses jours et protéger sa retraite. Un triste et profond silence régnoit dans la ville; chacun s'étoit renfermé chez soi, et les fenêtres des maisons étoient hermétiquement fermées; c'étoient les préparatifs de la réception qu'on réservoit au général Clauzel. En effet, nous avons su depuis, qu'il avoit demandé en entrant dans la ville, s'il n'y avoit plus d'habitans à Bordeaux. Mais au passage de Madame, malgré ces portes et ces fenêtres closes, du fond de ces maisons, on entendit encore comme un écho qui répétoit VIVE MADAME! VIVE MADAME!

Le ciel devint orageux à notre sortie de la ville, et la pluie commença à tomber; la nuit fut une des plus obscures, et notre petite escorte avoit de la peine à se reconnoître. C'est

ainsi que nous nous acheminâmes dans un chemin de sable qui conduit à Poulliac ; nous marchâmes au pas toute la nuit, et ce n'est qu'à huit heures du matin, le dimanche 2 avril, qué nous pûmes y arriver. En descendant de voiture, la première pensée de Madame fut d'entendre la messe. Les secours du Ciel étoient plus nécessaires que jamais. Tant de sacrifices à faire en quittant la France! Tant d'inquiétudes sur ce qu'on y laissoit de si cher! Tant de douloureux souvenirs, et tant d'épreuves encore à supporter! Tout fut placé sous les yeux de Dieu, et la Providence a répandu ses bénédictions sur d'aussi ferventes prières.

Tout étant prêt pour l'embarquement, nous montâmes dans la chaloupe du capitaine anglois, et par une pluie battante nous nous rendîmes à bord du Wanderer, sloop de guerre, qui devoit porter Madame en Espagne, où elle desiroit d'aller.

Mais rien ne peut peindre le désespoir de la garde fidèle qui avoit escorté S. A. R. depuis Bordeaux, lorsqu'il fallut enfin se séparer d'elle. Avec de petites barques ils avoient accompagné la chaloupe, et flottoient autour du Wanderer en demandant avec instance de revoir encore Madame; elle parut sur le pont, et un cri de

douleur se fit entendre. Chacun, pour adoucir ses regrets, vouloit avoir au moins quelque chose qui lui eût appartenu; quelques-uns de ses rubans furent partagés ; mais comme il n'y en avoit pas encore assez, elle détacha les plumes blanches qui étoient sur son chapeau, et les leur distribua. Avec quel transport de reconnoissance ils recurent ce don! et quel espoir consolant ils emportèrent en pensant que ce panache les rallieroit tous encore au chemin de l'honneur.

Nous mîmes à la voile, et nous nous éloi-. gnâmes de France.

No LXXXVII.

Ordonnance du roi de France, du 17 mai 1815.

LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, ,

A tous ceux qui ces présentes verront salut :

Au milieu des évènemens malheureux, qui nous retiennent éloignés de notre royaume, notre cœur a vivement apprécié les marques de dévouement que plusieurs de nos sujets nous

ont donnés, et les plus justes motifs nous sollicitent de perpétuer le souvenir d'une aussi tou chante fidélité, par une institution, qui sera à la fois une récompense pour les François qui n'ont écouté que leurs devoirs, et un encouragement pour ceux dont les circonstances n'ont pas encore secondé le zèle.

A ces causes,

Sur le rapport de notre ministre secrétaired'état de la guerre, et de l'avis de notre conseil, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit:

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Art. 1. Les François qui se sont ralliés autour de notre personne recevront une médaille d'argent de 24 millimètres de grandeur, qui portera d'un côté notre effigie; et de l'autre le mot Fidélité au milieu d'une couronne formée de deux branches de laurier et de chêne. Cette médaille sera suspendue, au côté gauche de l'habit, par un ruban de 40 millimètres de largeur, blanc et bleu et à raies égales.

2. Les François qui contribueront par des services signalés à renverser l'usurpateur, ceux dont le dévouement aura été éprouvé par des actes de sa tyrannie, auront le droit de demanler la médaille de la Fidélité. Ils adresseront

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