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veraineté; je les soumis à une Constitution qui devait garantir mes droits. Tous les ans dans des assemblées de représentants j'expliquais mes intentions sur la paix où la guerre, sur l'impôt, sur toutes les branches d'administration; dans l'intervalle un magistrat opposait en mon nom une barrière perpétuelle à l'extension de l'autorité royale: un tyran renversa toutes mes lois conservatrices; je voulus les rétablir; mais je fus écrasée par la puissance extérieure de Charles-Quint. Après l'extinction de sa race en Espagne j'aurais pu recouvrer ma liberté; mais les forces redoutables de deux maisons rivales ne me laissèrent que le choix d'un nouveau tyran. Enfin je suis libre! Viens devant mon tribunal; viens-y rendre compte de toutes tes actions royales!

» Citoyens, croyez-vous que l'impunité dont Charles IV a joui jusqu'à ce jour fût un titre pour le soustraire à ce tribunal nat:onal?

» Si le peuple autrichien, si le peuple hongrois se levait aussi, et disait à François II:

Non content de perpétuer sur moi le despotisme de tes ancêtres, tu es allé attaquer la liberté dans son pays natal; les Français s'étaient déclarés les amis de tous les peuples, et tu m'as exposé à leur haine, à leur exécration! De peur que la liberté n'arrivât jusqu'à moi, tu as voulu la bannir de la terre entière! Tu as prostitué mes subsistances et mon sang à cet infâme projet! Tu m'as forcé de défendre la cause des tyrans contre la cause des nations! Lache infracteur des droits de la nature, du droit des gens, des droits éternels des peuples, il ne te reste que la honte de tes attentats avortés! Mais penses-tu que, réveillé enfin de mon assoupissement, je veuille plus longtemps partager ton infamie? Il m'importe de me laver de l'opprobre dont tu m'as couvert aux yeux des Français et de toutes les nations, et ce n'est que dans ton sang que je puis le laver!

» Je vous le demande encore, citoyens, croyez-vous que le despote de Hongrie eût le droit d'opposer à cette justice nationale le fantôme de son inviolabilité, ou le silence des lois écrites sur les crimes des tyrans?

>> Mais Louis XVI serait-il donc dans une position plus favorable? Outre que son inviolabilité constitutionnelle n'était rien devant la nation, nous pourrions lui demander s'il a jamais été le roi constitutionuel des Français; nous pourrions lui demander s'il n'a pas dû être toujours supposé à l'époque où son droit pour régner était comme celui de tous les rois encore existants le droit de la force et de la violence; nous pourrions lui demander si

toutes les actions de son règne constitutionnel ne se sont pas réduites à prouver qu'il était capable de joindre la plus noire ingratitude aux autres crimes de la tyrannie. Quel est le forfait, quel est l'attentat qu'il n'eût pas commis ou protégé contre les bases de l'institution sociale, contre les propriétés et les personnes, lorsque la nation française se réveilla pour la première fois en 89? Au lieu de le punir comme elle le pouvait, comme elle le devait, elle eut la générosité de le maintenir sur le trône; elle voulut même l'y rendre juste à force de bienfaits! Comment y répondit-il? Après avoir accepté tous les articles de la Constitution il fit sa fameuse protestation du 21 juin il y annonçait qu'il n'était pas libre; que toutes ses acceptations avaient été forcées... C'était donner aux puissances étrangères le signal de venir à son secours. Elles n'arrivaient pas assez tôt : il voulait se rendre lui-même auprès d'elles pour presser leurs préparatifs et leur marche la nation lui fit grâce encore. La Constitution, qu'on venait de reviser pour le favoriser de mieux en mieux, fut présentée de nouveau à son acceptation: il l'accepta; mais que fit-il pour détruire au dehors l'effet de sa protestation? Si au lieu de rappeler, contenir ou déjouer ses frères et les autres émigrés, qui depuis les premiers instants de la révolution mendiaient en son nom la coalition des despotes, il continua de les soudoyer avec les bienfaits de la nation, et paralysa toutes les mesures précautionnelles du corps législatif; si, au lieu de prévenir l'invasion prussienne et autrichienne, il organisa la trahison dans toutes les places limitrophes et intérieures, n'en faudrait-il pas conclure que son acceptation générale du mois de septembre n'aurait pas été plus franche que ses acceptations partielles, qu'elles n'auraient toutes été qu'un jeu pour se maintenir sur le trône, y attendre les brigands, et leur ménager la facilité de rétablir le despotisme sur les débris de la Constitution; qu'il aurait toujours persisté dans sa protestation, qu'il n'aurait jamais accepté en effet le trône constitutionnel, qu'il aurait été constamment en guerre avec la nation? Et il viendrait réclamer aujourd'hui, contre la justice nationale, cette Constitution par laquelle il n'aurait jamais voulu être lié lui-même, cette Constitution dont il ne se serait servi que pour inonder de sang le territoire français, et assurer l'exécution de ses complots contre la liberté !

» Quoi! si un tyran avait poignardé votre femme ou votre fils il n'est pas de Constitution qui pût ou vous punir de vous être laissé entrafuer par ce premier mouvement de l'âme qui vous aurait commandé de répondre aux

cris de leur vengeance par la mort de leur assassin, ou vous empêcher d'appeler sur sa tête l'animadversion des lois divines et humaines, parce que les droits et les devoirs de la nature sont d'un ordre supérieur à toutes les institutions, et un peuple dont les droits sont également fondés sur la nature, tout un peuple n'aurait pas le droit de se venger de la perfidie d'un individu qui, ayant accepté la mission d'exécuter ses lois suprêmes avec le pouvoir nécessaire pour la remplir, en aurait abusé pour se constituer son oppresseur et son meurtrier? Citoyens, pensez-vous qu'il vous soit permis de vous écarter de ces grands principes de justice naturelle et sociale? Vos devoirs ne sont-ils pas tracés sur tous les objets qui vous environnent, soit au loin, soit immédiatement? Ne sont-ils pas tracés sur les cendres encore fumantes de la courageuse cité de Lille, sur les portes de Longwy et de Verdun, marquées du sceau de la trahison et de l'infamie, sur les insolites atrocités exercées par une inondation de cannibales qui n'ont pas pu soutenir un seul instant les regards des soldats de la libérté, mais qui pendant quelques jours avaient été forts des perfidies imputées à Louis XVI? Navez-vous pas encore sous vos yeux l'empreinte du plomb parricide qui dans la journée du 10 août menaçait la nation jusque dans le sanctuaire de ses lois? N'entendezvous pas retentir au fond de vos cœurs la voix des citoyens qui périrent devant le chà teau des Tuileries, et les réclamations de tant d'autres nouveaux Décius qui, en s'immolant pour la patrie, ont emporté dans leur tombeau l'espoir d'être vengés? N'entendezvous pas toute la République vous rappeler que c'est là un des objets de votre mission? Ne voyez-vous pas toutes les nations de l'univers, toutes les générations présentes et futures se presser autour de vous, et attendre avec une silencieuse impatience que vous leur appreniez si celui qui fut originairement chargé de faire exécuter les lois a jamais pu se rendre indépendant de ceux qui firent les lois; si l'inviolabilité royale est le droit d'opprimer ou d'égorger impunément les citoyens et les sociétés; si un monarque est un dieu dont il faille bénir les coups, ou un homme dont il faut punir les forfaits? (Applaudissements.)

»§ II. Louis XVI est jugeable; il peut être jugé pour les crimes commis sur le trône constitutionnel mais par qui et comment doit-il être jugé?

» Le renverrez-vous devant le tribunal du lieu de son domicile, ou devant celui des lieux où les crimes ont été commis? Ceux

qui ont proposé ce mode au comité de législation disaient que Louis XVI ne doit plus jouir d'aucun privilége. Puisque l'inviolabilité constitutionnelle, ajoutaient-ils, ne peut pas le mettre à l'abri d'ètre jugé, pourquoi serait-il distingué des autres citoyens, soit pour le mode de son jugement, soit pour la nature du tribunal? On répondit que tous les tribunaux actuellement existants ont été créés par la Constitution, que l'effet de l'inviolabilité du roi était précisément de ne pouvoir être jugé par aucune des autorités constituées; que cette inviolabilité ne disparaissait que devant la nation; que la nation seule avait le droit de rechercher Louis XVI pour des crimes constitutionnels, et que par conséquent il faut ou que la Convention nationale prononce elle-même sur ces crimes, ou qu'elle les renvoie à un tribunal formé par la nation entière.

» Alors le comité n'a plus balancé qu'entre ces deux dernières propositions.

» Ceux qui ne voulaient pas que la Convention nationale jugeât elle-même Louis XVI ont présenté un projet qui a été longtemps débattu. Selon ce projet la Convention nationale exercerait les fonctions de juré d'accusation; elle nommerait six de ses membres, dont deux rempliraient auprès d'elle les fonctions de directeurs de juré, et quatre poursuivraient l'accusation si elle était admise.

» Louis XVI serait conduit à la barre; les deux directeurs exposeraient en sa présence les chefs d'accusation, analyseraient les pièces, et présenteraient l'acte qui doit en être le résultat; Louis XVI pourrait dire, ou par lui-même ou par les conseils dont il serait assisté, tout ce qu'il jugerait utile à sa défense; ensuite l'assemblée admettrait ou rejetterait l'accusation.

» Si l'accusation était admise les quatre membres de la Convention destinés à faire les fonctions de grands procurateurs poursuivraient l'accusation devant un tribunal et un juré qui seraient formés l'un et l'autre de la manière suivante :

» Les corps électoraux nommeraient dans chaque département deux citoyens chargés de faire les fonctions de juré; la liste des cent soixante-six jurés serait présentée à Louis XVI, qui aurait la faculté d'en récuser quatre-vingt-trois s'il n'usait pas de cette faculté la réduction au nombre de quatrevingt-trois serait opérée par le sort.

» Le tribunal serait composé de douze juges tirés au sort parmi les présidents des tribunaux criminels des quatre-vingt-trois départements.

»Le juré donnerait sa déclaration à la pluralité absolue des suffrages; le tribunal

appliquerait la peine : il faudrait prévoir le cas du partage.

» Le comité a rejeté ce projet, et a préféré celui de faire juger Louis XVI par la Convention elle-même.

Mais comment doit-elle le juger? On a proposé au comité un mode qui tend à porter dans la Conyention nationale les diverses formes indiquées par la loi pour le jugement des accusés. D'après ce mode il faudrait d'abord nommer par la voie du sort ceux des députés qui devaient remplir les fonctions de directeurs du juré d'accusation, celles d'accusateur public, et celles de juges; ensuite les autres membres de la Convention seraient placés par la voie du sort ou dans le juré d'accusation, ou dans le juré de jugement. Ce mode n'a d'autre mérite que celui d'éviter à l'accusé de retrouver les mêmes individus exerçant dans le cours de son procès deux fonctions différentes.

» Mais est-il vrai que la Convention nationale, si elle se détermine à juger elle-même Louis XVI, doive s'assujettir aux formes prescrites pour les procès criminels?

» On reproche au parlement d'Angleterre d'avoir violé les formes; mais à cet égard on ne s'entend pas communément, et il est essentiel de fixer nos idées sur ce procès célèbre.

>> Charles Stuart était inviolable comme Louis XVI; mais comme Louis XVI il avait trahi la nation qui l'avait placé sur le trône: indépendant de tous les corps établis par la constitution anglaise, il ne pouvait être accusé ni jugé par aucun d'eux; il ne pouvait l'être que par la nation. Lorsqu'il fut arrêté, la chambre des pairs était toute dans son parti; elle ne voulait que sauver le roi et le despotisme royal la chambre des communes se saisit de l'exercice de toute l'autorité parlementaire; et sans doute elle en avait le droit dans les circonstances où elle se trouvait. Mais le parlement lui-même n'était qu'un corps constitué; il ne représentait pas la nation dans la plénitude de sa souveraineté ; il ne la représentait que pour des fonctions déterminées par la constitution: il ne pouvait donc ni juger le roi, ni déléguer le droit de le juger. Il devait faire ce qu'a fait en France le corps législatif; il devait inviter la nation anglaise à former une Convention. Si la chambre des communes avait pris ce parti, c'était la dernière heure de la royauté en Angleterre; jamais ce célèbre publiciste qui serait le premier des hommes s'il n'avait pas prostitué sa plume à l'apologie de la monarchie et de la noblesse n'aurait eu le prétexte de dire « Ce fut un assez beau spectacle de » voir les efforts impuissants des Anglais

:

» pour établir parmi eux la démocratie.... » Le peuple étonné cherchait la démocratie, » et ne la trouvait nulle part. Enfin, après » bien des mouvements, des chocs et des » secousses, il fallut se reposer dans le gou» vernement même qu'on avait proscrit (1).»

>> Malheureusement la chambre des communes était dirigée par le génie de Cromwell, et Cromwell, qui voulait devenir roi sous le nom de protecteur, aurait trouvé dans une Convention nationale le tombeau de son ambition.

» Ce n'est donc pas la violation des formes. prescrites en Angleterre pour les jugements criminels, mais c'est le défaut d'un pouvoir national, c'est le protectorat de Cromwell qui ont jeté sur le procès de Charles Stuart cet odieux qu'on trouve retracé dans les écrits les plus philosophiques: Charles Stuart méritait la mort; mais son supplice ne pouvait être ordonné que par la nation, ou par un tribunal choisi par elle.

>> Dans le cours ordinaire de la justice les formes sont considérées comme la sauvegarde de la fortune, de la liberté, de la vie des citoyens; c'est que le juge qui s'en écarte ou qui les enfreint peut être accusé avec fondement ou d'ignorer les principes de la justice, ou de vouloir substituer la volonté de ses passions à la volonté de la loi mais le grand appareil de procédures criminelles. serait évidemment inutile si la société prononçait elle-même sur les crimes de ses membres; car une société qui fait elle-même ses lois ne peut être soupçonnée ni d'ignorer les principes de justice par lesquels elle a voulu être régie, ni de vouloir se laisser entraîner par des passions désordonnées envers les membres qui la composent. Des tribunaux particuliers, distribués sur diverses parties d'un empire, peuvent être mus et conduits par des intérêts locaux, par des motifs singuliers, par des vengeances personnelles : c'est pour prévenir ces inconvénients autant qu'il est possible qu'on a distingué, séparé les fonctions qui doivent préparer ou administrer la justice, qu'on a introduit les déclinatoires, les récusations, et toutes ces formes qui circonscrivent les tribunaux dans des cercles qu'il ne leur est pas permis de dépasser. Mais ces considérations particulières disparaissent devant une société politique: si elle est intéressée à punir ses membres lorsqu'ils sont coupables envers elle, elle l'est plus encore à les trouver tous innocents; sa gloire, ainsi que sa force, est à les conserver tous, à les environner tous également de son amour, de sa protection, à moins qu'ils ne

(1) Montesquieu, livre III, chapitre III.

s'en soient visiblement rendus indignes, ou qu'ils n'aient provoqué sa vengeance par des actes destructifs de l'intérêt général. Une société qui, en prononçant sur le sort d'un de ses membres, se déterminerait par des motifs non puisés dans l'intérêt de tous, tendrait évidemment à sa destruction; et un corps politique ne peut jamais être supposé vouloir se nuire à lui-même.

» Or la Convention nationale représente entièrement et parfaitement la République française; la nation a donné pour juges à Louis XVI les hommes qu'elle a choisis pour agiter, pour décider ses propres intérêts, les hommes à qui elle a confié son repos, sa gloire et son bonheur, les hommes qu'elle a chargés de fixer ses grandes destinées, celles de tous les citoyens, celles de la France entière à moins que Louis XVI ne demande des juges susceptibles d'être corrompus par l'or des cours étrangères, pourrait-il désirer un tribunal qui fût censé moins suspect ou plus impassible? Prétendre récuser la Convention nationale ou quelqu'un de ses membres ce serait vouloir récuser toute la nation; ce serait attaquer la société jusque dans ses bases. Qu'importent ici les actions ou les opinions qui ont préparé l'abolition de la monarchie! Tous les Français partagent votre haine pour la tyrannie; tous abhorrent également la royauté, qui ne diffère du despotisme que par le nom : mais ce sentiment est étranger à Louis XVI. Vous avez à prononcer sur les crimes d'un roi: mais l'accusé n'est plus roi; il a repris son titre originel; il est homme. S'il fut innocent, qu'il se justifie; s'il fut coupable, son sort doit servir d'exemple aux nations!

» Le jugement que vous porterez sur le ci-devant roi doit-il être soumis à la ratification de tous les citoyens réunis en assemblée de commune ou en assemblées primaires? Cette question a été encore agitée devant votre comité; il croit qu'elle doit être rejetée.

» A Rome les consuls jugeaient toutes les affaires criminelles; lorsqu'il s'agissait d'un crime de lèse-majesté populaire, ou seulement d'un délit qui fût de nature à mériter une peine capitale, la sentence devait être soumise au peuple, qui condamnait ou absolvait en dernier ressort.

» A Sparte quand un roi était accusé d'avoir enfreint les lois ou trahi les intérêts de la patrie, il était jugé par un tribunal composé de son collègue, du sénat et des éphores, et il avait le droit d'attaquer le jugement par l'appel au peuple assemblé.

» Mais ni les consuls de Rome, ni les rois, le sénat et les éphores de Sparte n'étaient revêtus d'une représentation véritablement

nationale ils étaient si éloignés d'avoir ou de mériter le plein exercice de cette souveraineté populaire dont la Convention nationale se trouve investie!

» D'ailleurs ce qu'on appelait le peuple romain ou le peuple spartiate n'était que le peuple d'une ville régnant sur toutes les provinces de la république; or, quelque nombreux que fût ce peuple, renfermé dans des murs communs, il lui était possible de se réunir, de discuter, de délibérer, de juger; et c'est ce qui n'est point praticable pour le peuple français. Mais s'il ne peut pas se réunir, comment voulez-vous lui soumettre un jugement? Comment pourrait-il prononcer lui-même un jugement? Le peuple français n'aura pas besoin de se réunir en masse pour accepter ou refuser la Constitution que vous lui présenterez; chaque citoyen en interrogeant son cœur y trouvera ce qu'il devra répondre. Mais pour prononcer sur la vie d'un homme, il faut avoir sous les yeux les pièces de conviction: il faut entendre l'accusé s'il réclame le droit naturel de parler lui-même à ses juges ces deux conditions élémentaires, qui ne pourraient pas être violées sans injustice, sont tellement impossibles à remplir que nous nous dispensons de rappeler une infinité d'autres considérations qui vous forceraient également à rejeter le projet de soumettre votre jugement à la ratification de tous les membres de la République.

:

»Nous n'avons rien dit de Marie-Antoinette: elle n'est point dans le décret qui a commandé le rapport que je vous fais au nom du comité; elle ne devait ni ne pouvait y être d'où lui serait venu le droit de faire confondre sa cause avec celle de Louis XVI? La tête des femmes qui portaient le nom de reine en France a-t-elle jamais été plus inviolable ou plus sacrée que celle de la foule des rebelles ou des conspirateurs? Quand vous vous occuperez d'elle vous examinerez s'il y a lieu de la décréter d'accusation, et ce n'est que devant les tribunaux ordinaires que votre décret pourra être renvoyé.

» Nous n'avons pas non plus parlé de Louis-Charles: cet enfant n'est pas encore coupable; il n'a pas eu le temps de partager les iniquités des Bourbons. Vous aurez cependant à balancer ses destinées avec l'intérêt de la République vous aurez à prononcer sur cette grande opinion échappée du cœur de Montesquieu: « Il y a dans les >> Etats où l'on fait le plus de cas de la liberté » des lois qui la violent contre un seul;... et » j'avoue que l'usage des peuples les plus » libres qui aient jamais été sur la terre me » fait croire qu'il y a des cas où il faut met

>>tre pour un moment un voile sur la liberté, » comme l'on caché les statues des dieux. »> » Elle n'est peut-être pas éloignée l'époque où les précautions des peuples libres ne seront plus nécessaires! L'ébranlement des trônes qui paraissaient les plus affermis, l'active et bienfaisante prospérité des armées de la République française, l'électricité politique qui travaille l'humanité entière, tout annonce la chute prochaine des rois, et le rétablissement de toutes les sociétés sur leurs bases primitives! Alors les rois qui auront échappé à la vengeance des peuples, ou dont la punition exemplaire ne sera pas commandée par l'intérêt du genre humain, pourront tranquillement promener partout leur opprobre; alors ces tyrans, et ceux qui pourraient être tentés par l'ambition de les remplacer, ne seront pas plus à craindre que Denis à Corinthe.

» Voici le projet de décret que le comité m'a chargé de vous présenter.

» La Convention nationale décrète ce qui suit:

» Art. 1. Louis XVI peut être jugé. » 2. Il sera jugé par la Convention nationale.

» 3. Trois commissaires pris dans l'Assemblée, et nommés par appel nominal à la pluralité absolue des suffrages, seront chargés de recueillir toutes les pièces, renseignements et preuves relatives aux délits imputés à Louis XVI, et en présenteront le résultat à l'Assemblée.

» 4. Les commissaires termineront leur rapport par un acte énonciatif des délits, dont Louis XVI se trouvera prévenu.

» 5. Le rapport des commissaires, les pièces sur lesquelles il sera établi, et l'acte énonciatif des délits, seront imprimés et distribués.

» 6. Huit jours après la distribution la discussion sera ouverte sur l'acte énonciatif des délits, qui sera adopté ou rejeté par l'appel nominal, et à la majorité absolue des

VOIX.

>>7. Si cet acte est adopté il sera communiqué à Louis XVI, et à ses défenseurs s'il juge à propos d'en choisir.

» 8. Il sera également remis à Louis XVI une copie collationnée du rapport des commissaires et de toutes les pièces.

» 9. Les originaux de ces mêmes pièces, si Louis XVI en demande la communication, seront portés au Temple, et ensuite rapportés aux archives nationales par douze commissaires de l'Assemblée, qui ne pourront s'en dessaisir ni les perdre de vue.

» 10. Les originaux ne seront tirés des archives nationales qu'après qu'il en aura été

fait des copies collationnées, qui ne pourront point être déplacées.

» 11. La Convention nationale fixera lejour auquel Louis XVI comparaîtra devant elle. » 12. Louis XVI, soit par lui, soit par ses conseils, présentera sa défense par écrit, et signée de sa main.

13. Louis XVI et ses conseils pourront néanmoins fournir, s'ils le jugent à propos, des défenses verbales, qui seront recueillies par les secrétaires de l'Assemblée, et ensuite présentées à la signature de Louis XVI. » 14. Après que Louis XVI aura fourni ses défenses, ou que les délais qui lui auront été accordés pour les fournir seront expirés, la Convention nationale portera son jugement par appel nominal. »

Le travail du comité de législation fut reçu aux acclamations de la grande majorité. Billaud-Varennes et plusieurs autres membres voulaient qu'on statuât sans désemparer sur la disposition du projet de décret portant: Louis XVI peut être jugé; ils la regardaient comme incontestable; Billaud insistait même pour qu'elle fût rédigée ainsi : Louis XVI peut ET DOIT être jugé. La Convention ajourna la discussion de la totalité de ce projet; elle décréta que le rapport serait traduit dans toutes les langues, imprimé, envoyé aux départements, aux armées, et distribué à chaque député au nombre de dix exemplaires.

L'ordre du jour du 13 appelait la discussion. Mailhe donna une nouvelle lecture du projet de décret; Pétion prit ensuite la parole pour faire une motion d'ordre.

PETION. « Citoyens, j'ai demandé la parole pour une motion d'ordre, et je n'en abuserai pas pour entrer dans le fond de la question. Dans une cause aussi solennelle votre intention est certainement de prendre une marche imposante, de discuter, de prononcer avec maturité. Mon opinion n'est pas équivoque sur le dogme stupide de l'inviolabilité, puisque je l'ai combattu à cette tribune (1) lorsqu'il était presque une superstition politique; mais nous devons traiter cette question séparément de toutes les autres questions qui se présentent avec elles; nous ne devons la résoudre qu'après une discussion lumineuse, J'ai entendu avec surprise demander dans la dernière séance qu'on décrétât sans discussion que le roi était jugeable... N'en doutez pas, citoyens, la France, l'Europe vous con

(1) Dans la discussion relative à la suspension du roi après son arrestation à Varennes. Voyez tome IV du Choix de Rapports, Opinions et Discours prononcés à la Tribune nationale depuis 1789 jusqu'à ce jour.

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