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de la plus noire trahison; il était contre nous les armes à la main : nous l'avons attaqué et vaincu; nous avons brisé le talisman de sa puissance; nous l'avons fait captif, et maintenant il est entre nos mains, à notre entière disposition.

» Citoyens, c'est ici que nous pouvons ouvrir le code des nations, que nous pouvons consulter le droit de la guerre; nous y verrons d'une manière très-claire, très-positive, que nous pouvons regarder Louis XVI comme le prix de la victoire, le tenir à jamais captif parmi nous, le chasser de notre territoire, ou mettre un prix à sa rançon si ses partisans ont l'intention de le réclamer.

» Voici nos droits, citoyens; voyons tenant quel est le parti que nous devons prendre.

deviennent libres aussitôt qu'ils ont formé la résolution de le devenir !

» Dans tous les cas notre position serait toujours la même, puisque nous aurons nécessairement pour ennemis tous les despotes, ou au moins tous ceux qui auront le courage ou le pouvoir de se déclarer contre nous; je dis plus, nous y trouverions un avantage certain en ce que Louis XVI serait pour nos ennemis une charge sous tous les rapports.

» C'est en prenant cette mesure, citoyens, que nous éviterons de faire une procédure monstrueuse qui durera beaucoup trop longtemps, et qui peut avoir des suites très-fămain-cheuses; c'est en prenant cette mesure que nous serons sûrs d'avoir une approbation générale, et de l'avoir méritée par l'accomplissement de nos devoirs, c'est en la prenant enfin que nous serons véritablement grands, véritablement dignes d'être les représentants d'un peuple qui veut pour toujours être libre et généreux (1)!

>> Nous pouvons le retenir captif parmi nous; mais calculons quels sont les inconvénients que présente cette mesure. Louis XVI dans sa captivité pourrait encore se faire des partisans il est des hommes qui n'ont pu s'élever à la hauteur de la révolution, qui sont assez faibles, assez ignorants pour aimer la royauté et les rois; il est des factieux qui profiteraient de cette faiblesse, de cette ignorance pour répandre encore l'anarchie et le désordre, qui chercheraient par ces moyens funestes à détruire la liberté, à s'élever sur ses ruines, en sacrifiant même jusqu'au mannequin qu'ils auraient fait en

censer.

» De telles entreprises sans doute ne seraient pas couronnées du succès; l'exemple du passé peut ici nous répondre de l'avenir; mais les factions sont une maladie des sociétés, et surtout des Républiques; il faut que nous sachions les prévenir.

» Il est vrai qu'en prenant ce parti on pourrait nous payer pour Louis XVI une rançon très-considérable; j'ai ouï dire même au comité de surveillance qu'on nous le payerait cent millions; mais lorsqu'il s'agit d'un acte de justice, d'un acte de sûreté générale, les Français sont trop puissants pour s'arrêter par la considération de leurs finances.

» Citoyens, la mesure la plus conforme à nos principes, à notre intérêt, à notre générosité, serait à mon avis de le chasser de notre territoire, de lui laisser le pouvoir entier d'aller chez toutes les puissances de l'Europe solliciter personnellement des secours contre nous, y porter ses remords, ou la rage impuissante que lui cause cette défaite.

» Il apprendrait au moins par son exemple à tous les peuples du monde cette double vérité, que les rois n'ont de puissance que par l'ignorance des peuples, et que les peuples

» En conséquence, je demande la question préalable sur le projet du comité, et je propose le décret suivant :

» La Convention nationale, considérant que Louis XVI s'est lâchement parjuré plusieurs fois, qu'il a trahi la nation française par les plus noires perfidies, qu'il avait formé le projet de l'asservir sous le joug du despotisme, qu'il a soulevé à cet effet contre elle une partie de l'Europe, qu'il a fait passer le numéraire de la France aux ennemis mêmes qui s'étaient armés et coalisés contre elle, qu'il a fait égorger par des ordres précis plusieurs milliers de citoyens qui n'avaient commis d'autre crime à son égard que d'aimer la liberté et leur patrie;

» Considérant qu'il serait peut-être d'une justice rigoureuse de faire expier à Louis XVI sur un échafaud la peine due à ses forfaits, mais que si la nation française veut bien encore lui faire grâce elle a le droit incontestable de le tenir captif comme un ennemi vaincu et pris les armes à la main, elle peut également le chasser de son territoire comme un homme méchant, dangereux, indigne de participer aux avantages de son contrat social;

» Considérant qu'une peine, quoique juste dans son application, ne doit être infligée que lorsqu'elle peut servir à l'intérêt de la société;

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que la mort de Louis XVI ne peut être d'aucune utilité publique, que les Français sont trop puissants et par leurs principes et par les ressources infinies de leur territoire pour que Louis XVI et tous les despotes du monde puissent jamais les asservir;

>> Considérant enfin qu'il est dans le cœur de tous les Français d'être généreux même avec leurs ennemis les plus cruels, décrète ce qui suit :

» Art. 1er. Louis XVI est banni à perpétuité du territoire de la République française.

» 2. Si après son expulsion de la France Louis XVI rentre sur son territoire, il sera puni de mort. Il est enjoint dans ce cas à tous les citoyens de l'attaquer comme ennemi, et il sera payé une récompense de 500,000 livres à celui qui, l'ayant attaqué sur le territoire français, justifiera l'avoir fait périr

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OPINION de Saint-Just, député de l'Aisne. Pour l'affirmative.

Séance du 13 novembre 1792.

« J'entreprends, citoyens, de prouver que le roi peut être jugé; que l'opinion de Morisson, qui conserve l'inviolabilité, et celle du comité, qui veut qu'on le juge en citoyen, sont également fausses, et que le roi doit être jugé dans les principes qui ne tiennent ni de T'une ni de l'autre.

» Le comité de législation, qui vous a parlé très-sainement de la vaine inviolabilité du roi et des maximes de la justice éternelle, ne vous a point, ce me semble, développé toutes les conséquences de ces principes; en sorte que le projet de décret qu'il vous a présenté n'en dérive point, et perd pour ainsi dire leur

séve.

» L'unique but du comité fut de vous persuader que le roi devait être jugé en simple citoyen; et moi je dis que le roi doit être jugé en ennemi, que nous avons moins à le juger qu'à le combattre, et que, n'étant pour rien dans le contrat qui unit les Français, les formes de la procédure ne sont point dans la loi civile, mais dans la loi du droit des gens.

» Faute de ces distinctions on est tombé dans des formes sans principes, qui conduiraient le roi à l'impunité, fixeraient trop longtemps les yeux sur lui, ou qui laisseraient sur son jugement une tache de sévérité injuste ou excessive. Je me suis souvent aperçu

que de fausses mesures de prudence, les lenteurs, le recueillement étaient ici de véritables imprudences; et après celle qui recule le moment de nous donner des lois la plus funeste serait celle qui nous ferait temporiser avec le roi. Un jour peut-être les hommes, aussi éloignés de nos préjugés que nous le sommes de ceux des Vandales, s'étonneront de la barbarie d'un siècle où ce fut quelque chose de religieux que de juger un tyran, où le peuple qui eut un tyran à juger l'éleva au rang de citoyen avant d'examiner ses crimes, songea plutôt à ce qu'on dirait de lui qu'à ce qu'il avait à faire, et d'un coupable de la dernière classe de l'humanité, je veux dire celle des oppresseurs, fit pour ainsi dire un martyr de son orgueil !

»> On s'étonnera un jour qu'au dix-huitième siècle on ait été moins avancé que du temps de César: là le tyran fut immolé en plein sénat, sans autre formalité que vingt-trois coups de poignard, et sans autre loi que la liberté de Rome; et aujourd'hui l'on fait avec respect le procès d'un homme assassin d'un peuple, pris en flagrant délit, la main. dans le sang, la main dans le crime !

» Les mêmes hommes qui vont juger Louis ont une république à fonder; ceux qui attachent quelque importance au juste châtiment d'un roi ne fonderont jamais une république. Parmi nous la finesse des esprits et des caractères est un grand obstacle à la liberté; on embellit toutes les erreurs, et le plus souvent la vérité n'est que la séduction de notre goût.

» Votre comité de législation vous en donne. un exemple dans le rapport qui vous a été lu: Morisson vous en donne un plus frappant; à ses yeux la liberté, la souveraineté des nations sont une chose de fait. On a posé des principes; on a négligé leurs plus naturelles conséquences. Une certaine incertitude s'est montrée depuis le rapport : chacun rapproche le procès du roi de ses vues particulières; les uns semblent craindre de porter plus tard la peine de leur courage; les autres n'ont point renoncé à la monarchie; ceux-ci craignent un exemple de vertu qui serait un lien d'esprit public et d'unité dans la République ceux-là n'ont point d'énergie; les querelles, les perfidies, la malice, la colère, qui se déploient tour à tour, ou sont un frein ingénieux à l'essor de la vigueur combinée dont nous avons besoin, ou sont la marque de l'impuissance de l'esprit humain. Nous devons donc avancer courageusement à notre but, et, si nous voulons une République, y marcher très-sérieusement.

» Nous nous jugeons tous avec sévérité, je

dirai même avec fureur; nous ne songeons qu'à modifier l'énergie du peuple et de la liberté, tandis qu'on accuse à peine l'ennemi commun, et que tout le monde, ou rempli de faiblesse ou engagé dans le crime, se regarde avant de frapper le premier coup! Nous cherchons la liberté, et nous nous rendons esclaves l'un de l'autre ! Nous cherchons la nature et nous vivons armés comme des sauvages furieux! Nous voulons la République, l'indépendance et l'unité, et nous nous divisons, et nous ménageons un tyran!

» Citoyens, si le peuple romain, après six cents ans de vertu et de haine contre les rois; si la Grande-Bretagne, après Cromwell mort, vit renaître les rois malgré son énergie, que ne doivent pas craindre parmi nous les bons citoyens amis de la liberté en voyant la hache trembler dans nos mains, et un peuple, dès le premier jour de sa liberté, respecter le souvenir de ses fers! Quelle république voulez-vous établir au milieu de nos combats particuliers et de nos faiblesses communes?

» On semble chercher une loi qui permette de punir le roi mais dans la forme de gouvernement dont nous sortons s'il y avait un homme inviolable il l'était, en partant de ce sens, pour chaque citoyen; mais de peuple à roi je ne connais plus de rapport naturel. Il se peut qu'une nation, stipulant les clauses du pacte social, environne ses magistrats d'un caractère capable de faire respecter tous les droits et d'obliger chacun; mais, ce caractère étant au profit du peuple et sans garantie contre le peuple, on ne peut jamais s'armer contre lui d'un caractère qu'il donne et retire à son gré. Les citoyens se lient par le contrat; le souverain ne se lie pas, où le prince n'aurait point de juge, et serait un tyran. Ainsi l'inviolabilité de Louis ne s'est point étendue au delà de son crime et de l'insurrection; ou, si on le jugeait inviolable. après, si même on le mettait en question, il en résulterait, citoyens, qu'il n'aurait pu être déchu, et qu'il aurait eu la faculté de nous opprimer sous la responsabilité du peuple.

» Le pacte est un contrat entre les citoyens, et non point avec le gouvernement: on n'est pour rien dans un contrat où l'on ne s'est point obligé; conséquemment Louis, qui ne s'était pas obligé, ne peut pas être jugé civilement. Ce contrat était tellement oppressif qu'il obligeait les citoyens, et non le roi un tel contrat était nécessairement nul, car rien n'est légitime de ce qui manque de sanction dans la morale et dans la nature.

» Outre ces motifs, qui tous vous portent à

ne juger pas Louis comme citoyen, mais à le juger comme rebelle, de quel droit réclamerait-il pour être jugé civilement l'engagement que nous avions pris avec lui, lorsqu'il est clair qu'il a violé le seul qu'il avait pris envers nous, celui de nous conserver? Quel serait cet acte dernier de la tyrannie que de prétendre être jugé par des lois qu'il a détruites? Et, citoyens, si nous lui accordions de le juger civilement, c'est-à-dire suivant les lois, c'est-à-dire en citoyen, à ce titre il nous jugerait, il jugerait le peuple mème !

» Pour moi je ne vois point de milieu; cet homme doit régner ou mourir. Il vous prouvera que tout ce qu'il a fait il l'a fait pour soutenir le dépôt qui lui était confié; car en engageant avec lui cette discussion vous ne lui pouvez demander compte de sa malignité cachée; il vous perdra dans le cercle vicieux que vous tracez vous-mêmes pour l'accu

ser.

» Citoyens, ainsi les peuples opprimés au nom de leur volonté s'enchaînent indissolublement par le respect de leur propre orgueil, tandis que la morale et l'utilité devraient être l'unique règle des lois; ainsi, par le prix qu'on met à ses erreurs, on s'amuse à les combattre au lieu de marcher droit à la vérité !

» Quelle procédure, quelle information. voulez-vous faire des entreprises et des pernicieux desseins du roi? D'abord après avoir reconnu qu'il n'était point inviolable pour le souverain, et ensuite lorsque ses crimes sont partout écrits avec le sang du peuple; lorsque le sang de vos défenseurs a ruisselé pour ainsi dire jusqu'à vos pieds, et jusqué sur cette image de Brutus, qu'on ne respecte pas le roi! I opprima une nation libre; il se déclara son ennemi; il abusa des lois : il doit mourir pour assurer le repos du peuple, puisqu'il était dans ses vues d'accabler le peuple pour assurer le sien! Ne passa-t-il point avant le combat les troupes en revue? Ne prit-il pas la fuite au lieu de les empêcher de tirer? Que fit-il pour arrêter la fureur de ses soldats? On vous propose de le juger civilement, tandis que vous reconnaissez qu'il n'était pas citoyen, et qu'au lieu de conserver le peuple il ne fit que sacrifier le peuple à lui-même!

» Je dirai plus; c'est qu'une Constitution acceptée par un roi n'obligeait pas les citoyens; ils avaient, même avant son crime, le droit de le proscrire et de le chasser. Juger un roi comme un citoyen! Ce mot étonnera la postérité froide. Juger c'est appliquer la loi; une loi est un rapport de justice: quel rapport de justice y a-t-il donc entre l'humanité et les rois ! Qu'y a-t-il de commun entre

Louis et le peuple français pour le ménager après sa trahison !

» Il est telle àme généreuse qui dirait dans un autre temps que le procès doit être fait à un roi non point pour les crimes de son administration, mais pour celui d'avoir été roi, car rien au monde ne peut légitimer cette usurpation; et de quelque illusion, de quelques conventions que la royauté s'enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s'élever et de s'armer; elle est un de ces attentats que l'aveu glement même de tout un peuple ne saurait justifier ce peuple est criminel envers la nature par l'exemple qu'il a donné, et tous les hommes tiennent d'elle la mission secrète d'exterminer la domination en tout pays.

On ne peut point régner innocemment; la folie en est trop évidente tout roi est un rebelle et un usurpateur. Les rois mêmes. traitaient-ils autrement les prétendus usurpateurs de leur autorité? Ne fit-on pas le procès à la mémoire de Cromwell? Et certes Cromwell n'était pas plutôt usurpateur que Charles Ier, car lorsqu'un peuple est assez läche pour se laisser dominer par des tyrans la domination est le droit du premier venu, et n'est pas plus sacrée ni plus légitime sur la tête de l'un que sur celle de l'autre !

» Voilà les considérations qu'un peuple généreux et républicain ne doit pas oublier dans le jugement d'un roi.

» On nous dit que le roi doit être jugé par un tribunal comme les autres citoyens... Mais les tribunaux ne sont établis que pour les membres de la cité, et je ne conçois point par quel oubli des principes des institutions sociales un tribunal serait juge entre un roi et le souverain, comment un tribunal aurait la faculté de rendre un maître à la patrie, et de l'absoudre, et comment la volonté générale serait citée devant un tribunal!

» On vous dira que le jugement sera ratifié par le peuple... Mais si le peuple ratifie le jugement pourquoi ne jugerait-il pas ? Si nous ne sentions point tout le faible de ces idées, quelque forme de gouvernement que nous adoptassions, nous serions esclaves; le souverain n'y serait jamais à sa place, ni le magistrat à la sienne, et le peuple serait sans garantie contre l'oppression.

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Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis n'est point un tribunal judiciaire; c'est un conseil, c'est le peuple, c'est vous, et les lois que nous avons à suivre sont celles du droit des gens! C'est vous qui devez juger Louis; mais vous ne pouvez être à son égard une cour judiciaire, un juré, un accusateur;

cette forme civile de jugement le rendrait injuste, et le roi, regardé comme citoyen, ne pourrait être jugé par les mêmes bouches qui l'accusent. Louis est un étranger parmi nous; il n'était pas citoyen avant son crime; il ne pouvait voter; il ne pouvait porter les armes; il l'est encore moins depuis son crime; et par quel abus de la justice même en feriez-vous un citoyen pour le condamner? Aussitôt qu'un homme est coupable il sort de la cité; et point du tout, Louis y entrerait par son crime! Je vous dirai plus; c'est que si vous déclariez le roi simple citoyen vous ne pourriez plus l'atteindre; de quel engagement de sa part lui parleriez-vous dans le présent ordre des choses?

» Citoyens, si vous êtes jaloux que l'Europe admire la justice de votre jugement, tels sont les principes qui le doivent déterminer; et ceux que le comité de législation vous propose seraient précisément un monument d'injustice. Les formes dans le procès sont de l'hypocrisie; on vous jugera selon vos principes.

» Je ne perdrai jamais de vue que l'esprit avec lequel on jugera le roi sera le même que celui avec lequel on établira la République: la théorie de votre jugement sera celle de vos magistratures, et la mesure de votre philosophie dans ce jugement sera aussi la mesure de votre liberté dans la Constitution.

» Je le répète; on ne peut point juger un roi selon les lois du pays, ou plutôt les lois de cité. Le rapporteur vous l'a bien dit; mais cette idée est morte trop tôt dans son âme; il en a perdu le fruit. Il n'y avait rien dans les lois de Numa pour juger Tarquin; rien dans les lois d'Angleterre pour juger Charles Ier on les jugea selon le droit des gens; on repoussa la force par la force; on repoussa un étranger, un ennemi. Voilà ce qui légitima ces expéditions, et non point de vaines formalités, qui n'ont pour principe que le consentement du citoyen par le contrat.

» On ne me verra jamais opposer ma volonté particulière à la volonté de tous; je voudrai ce que le peuple français ou la majorité de ses représentants voudra; mais comme ma volonté particulière est une portion de la loi qui n'est point encore faite, je m'explique

ici ouvertement.

» Il ne suffit pas de dire qu'il est dans l'ordre de la justice éternelle que la souveraineté soit indépendante de la forme actuelle de gouvernement, et d'en tirer cette conséquence que le roi doit être jugé; il faut encore étendre la justice naturelle et le principe de la souveraineté jusqu'à l'esprit même

dans lequel il convient de le juger nous n'aurons point de République sans ces distinctions, qui mettent toutes les parties de l'ordre social dans leur mouvement naturel, comme la nature crée la vie de la combinaison des éléments.

» Tout ce que j'ai dit tend donc à vous prouver que Louis XVI doit être jugé comme un ennemi étranger. J'ajoute qu'il n'est pas nécessaire que son jugement à mort soit soumis à la sanction du peuple, car le peuple peut bien imposer des lois par sa volonté, parce que ces lois importent à son bonheur; mais, le peuple même ne pouvant effacer le crime de la tyrannie, le droit des hommes contre la tyrannie est personnel, et il n'est pas d'acte de la souveraineté qui puisse obliger véritablement un seul citoyen à lui pardonner.

» C'est donc à vous de décider si Louis est l'ennemi du peuple français, s'il est étranger. Si votre majorité venait à l'absoudre ce serait alors que ce jugement devrait être sanctionné par le peuple; car si un seul citoyen ne pouvait être légitimement contraint par un acte de la souveraineté à pardonner au roi, à plus forte raison un acte de magistrature ne serait point obligatoire pour le souverain.

OPINION de Fauchet, député du Calvados.
Pour la négative.

Séance du 13 novembre 1792.

» Citoyens, la République française existe; elle triomphe: la royauté est irrévocablement abolie; le ci-devant roi est jugé. Il a mérité plus que la mort les vrais principes et l'éternelle justice condamnent le tyran déchu au long supplice de la vie au milieu d'un peuple libre.

» Dans ces moments où l'indignation inspirée par les grands et derniers crimes de la tyrannie héréditaire tient les âmes en feu, dans ces moments où la haine de la royauté, cette peste antique des nations, qui n'a fini pour la France qu'à la minute même où elle voulait en faire un vaste tombeau, bouillonne avec une activité terrible dans les cœurs, représentants du peuple souverain, vous devez un grand exemple à l'univers; c'est celui d'un calme impassible dans le jugement solennel que vous allez porter. Une puissante nation libre ne prononce point dans sa colère sur le sort de son despote renversé; elle s'élève à toute la hauteur de sa sagesse pour le juger avec froideur : il y va de la justice du peuple et de la gloire de la patrie!

» Nous avons envoyé dans toutes les parties du monde la Déclaration des Droits; on lit cette maxime fondamentale de la société : nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit. Violerons-nous à la face des nations notre pacte social? Non, sans doute; on n'oserait pas nous proposer cette infamie! On suppose donc une loi préexistante qui condamne à une autre peine que la destitution un roi conspirateur et qui a violé la foi nationale: mais, on épuiserait en vain l'art des sophismes, cette loi n'existe point dans notre code; il y est dit au contraire de la manière la plus formelle, que les peines portées contre les plus grands crimes dans le code pénal ne sont applicables au roi déchu que pour les délits postérieurs à sa déchéance. On se récrie que cette loi d'exception, qui rendait inviolable un scélérat sur le trône, était absurde, exécrable... Oui, citoyens, elle était absurde, exécrable comme la royauté! Donc, ajoutez-vous, il ne faut y avoir nul égard dans une révolution consommée qui nous rend la liberté totale... Je conclus au contraire qu'il faut y avoir très-attentivement égard en conservant dans la vie cet homme criminel qui fut roi, afin qu'il serve longtemps s'il est possible de vivant témoignage de l'absurdité, de l'exécration dévolue à l'institution de la royauté même. Il faut qu'en

» Mais hâtez-vous de juger le roi, car il n'est pas de citoyen qui n'ait sur lui le droit que Brutus avait sur César; vous ne pour-y riez pas plutôt punir cette action envers cet étranger que vous n'avez blamé la mort de Léopold et de Gustave: Louis était un autre Catilina; le meurtrier, comme le consul de Rome, jurerait qu'il a sauvé la patrie. Louis a combattu le peuple; il est vaincu : c'est un barbare, c'est un étranger prisonnier de guerre: vous avez vu ses desseins perfides; Vous avez vu son armée; le traître n'était pas le roi des Français; c'était le roi de quelques conjurés; il faisait des levées secrètes de troupes, avait des magistrats particuliers; il regardait les citoyens comme ses esclaves; il avait proscrit secrètement tous les gens de bien et de courage; il est le meurtrier de la Bastille, de Nancy, du Champ de Mars, de Tournai, des Tuileries: quel ennemi, quel étranger nous a fait plus de mal? Il doit être jugé promptement; c'est le conseil de la sagesse et de la saine politique. C'est une espèce d'otage que conservent les fripons on cherche à remuer la pitié; on achètera bientôt des larmes; on fera tout pour nous intéresser, pour nous corrompre même. Peuple, si le roi est jamais absous, souvienstoi que nous ne serons plus dignes de ta confiance, et tu pourras nous accuser de perfidie! »

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