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Avant d'y parvenir, et en continuant ses valeureux efforts, il essaye d'éclairer les conjurés eux-mêmes : « On vous trompe, disait-il, apprenez qu'on vous porte à trahir. Sa voix est étouffée par des cris de : « Vive le prince Louis!»« Où donc est-il? s'écrie-t-il à son tour. Alors se présente à lui un homme d'une petite taille, blond et paraissant avoir trente ans, couvert d'un chapeau, portant des épaulettes d'officier supérieur et un crachat. Il lui dit : « Capitaine, me voilà, je suis le prince Louis; soyez des nôtres et vous aurez tout ce que vous voudrez. » Le capitaine l'interrompt : « Prince Louis ou non, je ne vous connais pas; je ne vois en vous qu'un conspirateur... Qu'on évacue la caserne. »>

Tout en s'exprimant ainsi, M. Col-Puygellier continuait ses efforts. Ne pouvant parvenir à ses soldats, il veut au moins essayer de s'en faire entendre. «Eh bien, assassinezmoi, ou je ferai mon devoir. » Sa voix parvient alors à Aladenize, qui accourt, et le couvrant de ses bras, s'écrie énergiquement: Ne tirez pas; respectez le capitaine je réponds de ses jours. » Cette action mérite d'être consignée ici; elle fait regretter que ce jeune officier n'ait pas montré dans cette affaire autant de respect pour la religion du serment que d'humanité et d'attachement pour ses camarades.

Cette bruyante et vive altercation attire enfin l'attention des deux compagnies du 42. Les sous-officiers accourent à la voix de leur chef, ils l'aident à se dégager des mains des conjurés qui font un mouvement en arrière. M. le capitaine Puygellier d'une voix forte s'écrie: «On vous trompe, Vive le Roi!» Mais l'ennemi rentre à rangs serrés, Louis Bonaparte en tête. M. le capitaine Puygellier se porte vivement à sa rencontre, lui signifie de se retirer, ajoute qu'il va employer la force, et pour toute réponse, lorsqu'il est tourné vers sa troupe il entend la détonation d'un pistolet que Louis Bonaparte tenait à la main et dont la balle va frapper un de ses grenadiers à la figure.

Soit que les conjurés aient été alors bien convaincus de la ferme résolution du capitaine d'employer la force dont il disposait, soit que le coup de pistolet attribué d'abord au hasard, à un accident, à un mouvement involontaire, plutôt qu'à la préméditation, eût changé leurs dispositions, ce coup de feu devint le signal de leur retraite de la caserne. Ils l'effectuèrent en ordre, sans être poursuivis, mais sans renoncer encore à leur projet. Après avoir échoué auprès de la garnison, ils osèrent compter sur la population dont ils croyaient si follement avoir

toutes les sympathies. Les habitants de Boulogne ont fait raison de cette absurbe illusion.

C'est vers la haute ville que marchent les conjurés, semant des proclamations et de l'argent, au cri de « Vive l'Empereur!» Louis Bonaparte veut s'emparer du château et prendre les armes pour les distribuer à la population. Le sous-préfet, prévenu à temps, marche à leur rencontre, et au nom du Roi, leur intime l'ordre de se séparer. Lombard lui répond par un coup de l'aigle qui surmontait le drapeau. Ils continuent leur marche un instant interrompue, vers la haute ville. Les portes en avaient été fermées par les ordres du sous-préfet et du commandant de la place. Les conjurés essayent de les enfoncer. Deux haches sont inutilement dirigées contre cette clôture. Il faut renoncer à cette autre partie du plan, et il ne reste plus aux conjurés qu'à fuir, qu'à regagner leur embarcation; mais soit que, dans leur délire, ils gardent encore quelque espoir d'entraîner la population, soit que la confusion et le désespoir les égarent, soit qu'ils cherchent une mort que ce lieu aurait la puissance d'ennoblir, ils marchent à la colonne élevée sur le rivage à la gloire de la grande armée.

La distance est parcourue sans obstacle. Arrivés au pied de la Colonne, les conjurés veulent constater leur prise de possession par la plantation du drapeau sur le sommet. Celui qui le porte, Lombard, pénètre dans l'intérieur, et se met en devoir d'en gravir les degrés; les autres font des dispositions pour se défendre contre la force publique, qu'ils voient arriver de toutes parts. En effet, le capitaine Col-Puygellier avait fait battre la générale, distribué des cartouches, et mis sa troupe à la poursuite des rebelles. Le sous-préfet, le maire, les adjoints, le colonel et les principaux officiers de la garde nationale avaient rivalisé de zèle pour réunir les citoyens, qu'une ardeur égale avait rapidement amenés sous le drapeau de l'ordre public, de la liberté et des lois. Tous se disputaient le premier rang pour affronter les coups des conjurés.

Mais ceux-ci, à la vue de cet accord dans la défense, entre la troupe et la population, n'avaient pas tardé à se débander. Ils laissèrent Lombard dans la Colonne, où deux citoyens de Boulogne le firent prisonnier, et ils s'enfuirent les uns vers le rivage où ils essayèrent de regagner le bateau qui les avait portés, les autres vers la ville où dans les campagnes.

Les premiers, parmi lesquels étaient Louis Bonaparte, le colonel Voisin, Faure, Méso

nan, Persigny, D'Hunin, parvinrent à entrer dans un canot qu'ils s'efforcèrent de pousser au large. Ils ne voulurent pas s'arrêter sur l'ordre qui leur en fut donné: on tira sur eux quelques coups de fusil qui blessèrent le colonel Voisin et tuèrent le sieur Faure. Le mouvement qui s'opéra alers dans le canot le fit chavirer. D'Hunin se noya, Les autres se mirent en devoir de gagner à la nage le paquebot, mais le commandant du port, Pollet, qui avait été dépêché pour le saisir, les ayant aperçus, les retira de l'eau et les fit prisonniers. Presque tous ceux qui

s'étaient sauvés dans les rues de la ville ou dans les campagnes éprouvèrent le même sort. Au total on arrêta cinquante-sept personnes, non compris le capitaine et l'équipage du bateau le Château d'Edimbourg, qui depuis ont été mis en liberté, comme nous l'avons dit plus haut.

C'est ici le lieu de rendre publiquement et solennellement à toute la population de Boulogne-sur-Mer, à ses magistrats, à la garde nationale, à ses chefs, comme à ceux de la garnison, la justice qui leur est due. Dans cette circonstance, personne n'a failli et personne n'a hésité dans l'accomplissement du devoir. Aucun n'a mesuré le danger, tous ont bravement payé de leur personne. Gloire et honneur à la fois à ces citoyens dévoués, dans les efforts desquels toute la France s'est reconnue. Eclatante preuve de l'attachement du pays au gouvernement et à la dynastie de 1830. La France ne se laissera jamais imposer un gouvernement par la violence, la révolte et la trahison; elle veut maintenir ce qu'elle a elle-même établi, et nul n'aura la puissance de la contraindre à se désavouer.

Il ne suffisait pas que l'exécution de l'attentat eût été empêchée, il fallait encore que ses auteurs fussent placés sous la main de la justice le gouvernement a rempli ce devoir en les déférant à la Cour des pairs, si bien placée pour reconnaître avec une pleine indépendance l'existence et la nature des faits qui leur sont imputés, pour en apprécier impartialement les conséquences et leur attribuer, dans une juste mesure, le degré de culpabilité qui peut en ressortir.

Nous allons maintenant, par une scrupuleuse analyse de l'instruction à laquelle nous nous sommes livrés, et qui a été conduite avec toute la célérité que comportait le soin religieux qui doit être apporté en de telles affaires; nous allons, dis-je, essayer, messieurs, de vous donner une idée exacte de la part que chacun des inculpés est présumé avoir pris à l'attentat dont vous devez

connaître.

Mais avant d'entrer dans ces détails, vos précédents nous imposent le devoir d'appefer l'attention de la Cour sur sa compétence. Il serait inutile d'exposer, même brièvement, toutes les charges de l'instruction, si vous deviez plus tard vous dessaisir.

Les principes vous sont familiers. Ils sont écrits dans la Charte et dans les nombreux arrêts déjà rendus par la Cour.

L'article 28 de la Charte porte « que la Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi. »

Ainsi donc, tant qu'une loi spéciale n'aura pas défini les crimes de trahison et les attentats à la sûreté de l'État, ils rentreront tous d'une manière générale, dans les attributions de la Chambre des pairs, dont la compétence n'aura de limite que dans la prudence du gouvernement qui la saisit, et en définitive, dans l'appréciation que la Cour en fait toujours elle-même. A cet égard, nos précédents ont posé des principes, ont fondé une jurisprudence qui offrent à l'Etat et au citoyen les garanties les plus rassurantes.

Dans l'esprit de la Charte, la haute juridiction de la Chambre des pairs est constituée pour opposer une digue aux graves commotions qui peuvent naître de certains attentats dont les dangers s'accroissent par la combinaison de la nature des faits qui les constituent, du nombre de ces faits, des lieux où ils se sont passés, du but que leurs auteurs se sont proposé, et enfin des personnes qui y ont pris part, de la position et du rang que ces personnes tiennent dans l'Etat. Quand toutes ces circonstances manquent, il n'y a pas de raison pour enlever à l'autorité judiciaire ordinaire une action à laquelle elle suffit parfaitement.

Mais quand, au contraire, elles se rencontrent plus ou moins complétement, et surtout quand elles viennent toutes à se réunir, il y a évidemment lieu de recourir au pouvoir qui a été institué en vue de situations parfaitement analogues à celles qui se produisent. Ne penserez-vous pas, messieurs, que tel est le cas qui résulte du compte que nous venons de vous rendre?

La gravité des faits, leur nombre, leur longue préméditation, la persévérance de ceux quí les ont préparés et accomplis, le but qu'ils se proposaient, le nom dont ils se sont couverts, la situation de quelques-unes des personnes que l'instruction a mises en état de prévention, le rang militaire qui a appartenu, qui même pour certains d'entre eux, appartenait encore au moment de l'attentat, à plusieurs de ceux qui y auraient participé, les prétentions de leur chef qu'il

n'a jamais désavouées, même après la sévère leçon qu'il venait de recevoir, tout nous semble concourir à exiger votre haute intervention, et nous serions tentés de dire qu'il faudrait rayer de la Charte l'article 28, dont la sage prévoyance est cependant incontestable, si vous ne deviez pas les retenir, pour les juger, les faits consommés à Boulogne dans la journée du 6 août dernier.

Il nous reste maintenant à retracer les preuves du crime, et les charges qui pèsent sur chacun des inculpés; cette tâche ne peut être ni longue ni difficile après les détails dans lesquels nous sommes entrés.

C'est au moment de la consommation du crime que ses auteurs ont été arrêtés. Ils ont été surpris les armes à la main, provoquant les troupes à la trahison et à la défection par la violence, par la séduction d'un grand nom, par des promesses, des distributions d'argent. Des proclamations invitaient la population elle-même à la révolte en même temps que des décrets et des arrêtés prononçaient la déchéance de la famille royale. Détruisant d'une main le pouvoir légitime, de l'autre les conjurés organisaient l'usurpation. A ce double fait, joignez les aveux constants, uniformes, persévérants de plusieurs d'entre eux; la manifestation précise de leurs intentions, leur regret d'avoir échoué par suite de l'attitude ferme et décidée de la population, de l'armée et de l'administration, et vous aurez la réunion de toutes les preuves exigées pour l'établissement d'un fait.

Le crime est donc constant. Vous avez sous les yeux ce que l'on a coutume d'appeler le corps du délit. Nous n'avons maintenant qu'à chercher la part que chacune des personnes y aura prise. Cette analyse des charges individuelles complétera le travail auquel nous avons dû nous livrer.

CHARLES-LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE. Charles-Louis-Napoléon Bonaparte est le créateur et l'âme de l'attentat : c'est lui qui devait principalement en profiter, puisque, après avoir renversé le pouvoir royal, il devait naturellement se mettre à sa place. Un désintéressement sincère, une véritable grandeur d'âme auraient motivé, selon lui, son agression patriotique. « Touché des souffrances du peuple, il se serait dévoué pour le soustraire à la tyrannie d'un gouvernement qui corrompait sa gloire et sacrifiait ses intérêts matériels à de mesquines préoccupations. Après le succès, il aurait laissé à la nation le choix du gouvernement!... »

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N'est-il pas permis de croire que cette prétendue modération, que ce feint respect pour le vœu populaire n'était qu'un adroit

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moyen de couvrir ses folles prétentions? N'en donne-t-il pas lui-même la preuve en se présentant au nom du peuple français et en déclarant, au même nom, que la dynastie des Bourbons d'Orléans avait cessé de régner, que la Chambre des pairs et la Chambre des députés étaient dissoutes? Cette usurpation n'en annonçait-elle pas d'autres? Après avoir renversé, ne se serait-il pas eru en droit de réédifier? Ce droit, ne se l'attribue-t-il pas dans les actes qu'il a qualifiés de décrets? Ne résulte-t-il pas de ces prétentions à l'héritage impérial? à quel autre titre se serait-il fait saluer du cri de Vive l'Empereur?

Dans un interrogatoire devant M. le Chancelier, il fait remonter à dix-huit mois l'époque où il aurait, dit-il, recommencé à s'occuper de ses anciens projets. L'instruction montre que, dès son retour des EtatsUnis, et à son arrivée à Londres, il annonçait et préparait, par des brochures publiées sous les noms de Persigny et de Laity, de nouvelles attaques. Mésonan, qui ne peut être soupçonné de vouloir aggraver les faits à sa charge, déclare un fait qui montre que, dès le mois de février 1838, Louis Bonaparte avait cherché à s'emparer de lui, à exploiter son mécontentement; que c'est dans le cours de février 1838 que le prince Louis Bonaparte l'a provoqué à se joindre à lui.

Louis Bonaparte n'a pas plus cherché, au reste, à dissimuler ses intentions que les faits par lesquels il les a manifestées.

Invité par M. le Chancelier de déclarer s'il avouait l'intention si clairement exprimée dans les proclamations, décrets et arrêtés distribués par lui à Boulogne, de renverser le gouvernement établi en France par la charte de 1830, il a répondu: « Oui, certainement. >>

Ses actes ont été en harmonie parfaite avec cette intention: c'est lui qui a fait louer le bateau à vapeur sur lequel il a placé ses amis, ses gens et ses équipages. Il s'était procuré précédemment des uniformes et des armes c'est lui qui fournissait à toutes les dépenses, et qui, pour l'exécution de ses projets, s'était muni d'une somme de 400,000 francs environ, en or ou en billets. Après le débarquement à Wimereux, on le voit se mettre à la tête de sa troupe et marcher sur Boulogne, offrant une pension de 1,200 francs au chef des douaniers s'il voulait le suivre. Arrivé à la caserne de Boulogne, il sème à pleines mains les proclamations et l'argent, se flattant de gagner ainsi à sa cause les populations surprises; il s'adresse à la troupe par toute sorte de suggestions et d'embauchage; au sous-lieutenant de Maussion, qu'il rencontre dans la rue, il

dit, en lui prenant la main : « J'espère que vous serez des nôtres; je viens ici rendre à la France humiliée depuis dix ans le rang qui lui convient. » Et au capitaine ColPuygellier «Soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez. »

Vous savez comment furent accueillies ces propositions, et comment de son côté Louis Bonaparte a répondu au noble langage du capitaine Col-Puygellier. Expulsé de la caserne une première fois, et revenant plus vivement à la charge sur cet officier, il répondit à l'honorable et courageuse résistance de celui-ci par un coup de pistolet qui alla blesser un grenadier placé derrière ou à côté de lui; joignant ainsi un crime contre les personnes à un crime contre la paix publique et contre l'existence du gouvernement. L'échec reçu à la caserne, qui aurait dû enfin ouvrir les yeux des conjurés, et qui en effet les amena, s'il faut croire la plupart d'entre eux, à conseiller à leur chef de regagner leur embarcation, ne fit qu'enflammer l'ardeur de celui-ci. Perdant le secours de la force armée, il veut s'adresser à la population; il faut l'armer, et c'est à la ville haute qu'il croit en trouver les moyens.

Là, comme à la caserne, comme ensuite à la Colonne, ses efforts sont impuissants, il est obligé de fuir; la mer est sa dernière ressource, et c'est des flots, qui menacent sa vie, qu'il passe prisonnier au château de Boulogne.

Nous n'avons rien à dire pour faire ressortir la gravité des charges qui pèsent sur le principal accusé. Nous voudrions pouvoir mettre en regard de ces faits quelques circonstances qui les atténueraient au moins en partie, mais il ne nous en a indiqué aucune, et lorsque M. le Chancelier lui a demandé comment il n'avait pas compris, après la tentative de Strasbourg, que l'honneur lui défendait de rien entreprendre contre le gouvernement qui avait usé envers lui de tant de clémence, il s'est contenté de dire qu'il répondrait devant la Chambre des pairs. Louis Bonaparte ne s'est écarté de cette réserve que pour détruire l'impression fàcheuse qu'aurait pu laisser dans les esprits, un fait grave que l'instruction met à sa charge, celui du coup de pistolet dirigé contre le capitaine Col-Puygellier, si l'on supposait qu'il l'eût tiré à dessein. « Comme tout dépendait, a-t-il dit dans l'un de ses interrogatoires, de la tentative faite sur deux compagnies, voyant mon entreprise échouer, je fus pris d'une sorte de désespoir, et, comme je ne cacherai jamais rien, je pris un pistolet, comme dans l'intention de me défaire du capitaine, et avant que je voulusse tirer, le coup partit, et

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II. MONTHOLON (CHARLES-TRISTAN), comie de Lée, âgé de 58 ans, maréchal de camp en disponibilité, né à Paris, demeurant présentement en Angleterre.

Le général comte Montholon était à Londres depuis le mois d'avril dernier; son séjour en Angleterre peut être également attribué ou à l'état de ses affaires personnelles, ou à ses liaisons avec les conjurés; il y voyait fréquemment le prince Louis, et avait, de son aveu, des rapports journaliers avec lui. Leur intimité qu'explique d'ailleurs le séjour du général à Sainte-Hélène, pendant la captivité de l'empereur Napoléon, ne permet guère de supposer que Louis Bonaparte se soit tenu à son égard dans une sorte de réserve et ne lui ait pas fait connaître à l'avance tous ses plans: c'est cependant ce que le comme Montholon assure. A cette observation que lui adresse M. le Chancelier: « Il est impossible que Louis Bonaparte ne se soit pas beaucoup ouvert à vous de ses projets,» il répond : « Oui, beaucoup, mais pas de celui de Boulogne. Je l'ignorais complétement, je pourrais même ajouter qu'il a mis beaucoup de soin à me le cacher.

» Le prince cherchait toute espèce de moyen de rentrer en France à main armée, et de reprendre la couronne de France. Je m'efforçais de le détourner de ses projets, et c'est parce qu'il savait que mon opinion était contraire, qu'il s'est caché de moi au dernier moment et non-seulement de moi, mais encore de son oncle. Il nous a trompés l'un et l'autre. Je suis convaincu que si le comte de Survilliers n'avait pas eu son accident, et s'il était resté à Londres, le prince Louis n'eût pas débarqué en France. Il faut même que, le dimanche ou le lundi, le prince ait reçu de France quelques nouvelles qui l'aient décidé, car je me refuse à croire qu'il m'ait trompé à ce point. J'ajoute que le prince avait toujours dit au comte de Survilliers, que ses droits à lui ne pouvaient jamais venir qu'après ceux de son oncle Joseph et après ceux de son père, l'ancien roi de Hollande. »

Il n'est pas aisé de concilier cette réponse avec la conduite du comte de Montholon. N'a-t-il pas, sur l'invitation du prince, consenti à s'embarquer à Londres pour Margate et de là sur le bateau à vapeur le Château d'Edimbourg, pour descendre ensuite avec lui et sa troupe armée sur la côte de Boulogne? Le soin d'apporter avec lui son habit

d'uniforme, ne prouve-t-il pas l'entière connaissance des projets du prince et la résolution de les appuyer.

A cette induction, le comte objecte que ce n'était pas pour Boulogne qu'il s'était embarqué, mais pour Ostende; que son habit avait été placé dans le bateau à vapeur, non par lui, mais par Louis Bonaparte, chez lequel il l'avait laissé pour s'en revêtir à un bal par souscription.

« Dans cette hypothèse, lui a dit M. le Chancelier, qu'alliez-vous faire à Ostende? - R. Le prince m'avait prié de voir une personne qui devait me donner des renseignements, et de lui transmettre ces renseigne

ments.

R. Je

» D. Quelle était cette personne? - R. Je ne la connais pas; elle devait venir me trouver. Le prince m'avait prié de rester un jour à Ostende, et si l'on ne venait pas me trouver dans cette ville, de rester un jour à Gand.

» Cette réponse suffirait pour démontrer l'intimité de vos relations avec Louis Bonaparte, et à quel point vous étiez dans sa confidence; car la mission dont il vous chargeait était évidemment de la même nature que les projets qu'il a accomplis. - Je n'en doute pas. >>

D'autre part, le nom du comte de Montholon avait été rattaché d'avance à la conjuration par Louis Bonaparte, puisque sa signature en qualité de major général de l'armée se trouve au bas de l'ordre du jour imprimé à Londres. Ajoutez que la proclamation de l'armée, le décret de déchéance du Roi, et de dissolution des chambres portent également son nom. Ces pièces ont été lues à bord du Château d'Edimbourg, dans la journée du 5 août. Tous les passagers l'ont déclaré, et comment admettre dès lors qu'il ne les ait connues, comme il l'a déclaré dans son interrogatoire, qu'au moment où M. le procureur du Roi de Boulogne les lui a montrées ?

C'est après la lecture faite, à bord, de ces pièces, quelques heures avant son débarqueinent à Wimereux, qu'il a consenti à revêtir son habit de maréchal de camp. Ce ne pouvait être sans doute que pour l'employer au succès des projets qui allaient s'exécuter et dont il est impossible qu'il n'eût pas, au moins dès ce moment-là, une pleine connais

sance.

On le voit en effet débarquant comme les autres, contribuant avec eux, lui encore porté sur les contrôles de l'armée française, à la violation du territoire et marchant enfin, sous le drapeau de la rébellion, vers la ville de Boulogne. Il est à la tête de l'état-major comme l'officier le plus élevé en grade, tra

verse les rues, arrive à la caserne et y pénètre. Qu'y a-t-il fait?

Voici ce qu'il dit à ce sujet dans son interrogatoire devant M. le Chancelier: « Je n'ai consenti à revêtir mon uniforme que pour sauver le prince, si cela était possible, et pour arrêter l'effusion du sang... Je n'ai rien fait du tout que d'empêcher qu'on se tue, et de chercher à sauver le prince. En le sauvant, je croyais rendre service à mon pays; je n'avais pas oublié la mort du duc d'Enghien, dont le sang n'a été effacé ni par les victoires, ni par les gloires de l'Empire...; je crois que c'est à mes conseils qu'il a cédé en se reti

rant. »

De son côté, Louis Bonaparte a déclaré qu'avant l'embarquement il n'avait pas fait part de ses projets au général Montholon. « Je ne savais pas, a-t-il ajouté, s'il ne tenait pas plus au gouvernement actuel qui l'avait replacé, qu'aux souvenirs de l'Empire. »

III. VOISIN (JEAN-BAPTISTE), âgé de 60 ans, colonel de cavalerie en retraite, né à Dieppe, demeurant à Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Le colonel Voisin s'est embarqué à Margate sur le bateau à vapeur le Château d'Edimbourg, quoiqu'il fût depuis peu de temps à Londres, où ses affaires et le plaisir l'avaient, dit-on, appelé; tout porte à croire qu'il était en rapport très-direct et très-intime avec Louis Bonaparte, qui l'honorait de son amitié. « Je savais, a-t-il dit dans son interrogatoire subi à Boulogne, que le prince, ne pouvant vivre dans l'exil, espérant trouver de la sympathie, et voulant se faire tuer ou mourir sur le sol français, s'était déterminé à venir à Boulogne où je l'ai suivi, parce qu'il m'honorait de son amitié... Il m'a proposé, ajoute-t-il dans son second interrogatoire, de l'accompagner sans me dire où il allait, et ce n'est que pendant la traversée qu'il nous a fait part de ses projets et qu'il nous a lu ses proclamations.

Cette version est plus invraisemblable à l'égard du colonel Voisin que vis-à-vis d'un autre de ses complices par qui elle est aussi invoquée. Les proclamations et l'ordre du jour imprimés à Londres portent son nom et sa signature au moins présumée. Dans l'ordre du jour, il est désigné comme colonel de cavalerie, aide-major général; dans les proclamations, sa signature vient après celle du général Montholon, et il a lui-même avoué que pendant la traversée le prince en avait donné lecture. Ces pièces que la Cour connaît déjà et d'autres que nous allons indiquer, ne permettent pas de douter que le colonel ne fût instruit longtemps d'avance de attaque projetée sur la ville de Boulogne.

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