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ANNALES JUDICIAIRES

PREMIÈRE PARTIE

CONVENTION NATIONALE

1792 ET 1793

LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE, MARIE-ÉLISABETH ET PHILIPPE D'ORLÉANS,
DEVANT LA CONSTITUANTE

CHAPITRE PREMIER. PROCÈS DE LOUIS XVI.

RAPPORT et PROJET DE DÉCRET présentés au nom du comité de législation, par Jean Mailhe,

député de la Haute-Garonne.

Séance du 7 novembre 1792.

souveraineté, mais pour le petit nombre de
ceux qui croient entrevoir dans la Constitu-
tion l'impunité de Louis XVI, et qui attendent
la solution de leurs doutes; mais pour
tions qui sont encore gouvernées par des
les na-
rois, et que vous devez instruire; mais pour
l'universalité du genre humain, qui vous con-
temple, qui s'agite entre le besoin et la crainte
peut-être que d'après l'opinion qu'il aura de
de punir ses tyrans, et qui ne se détermineral
votre justice.

Louis XVI est-il jugeable pour les crimes
qu'on lui impute d'avoir commis sur le trône
constitutionnel? Par qui doit-il être jugé?
Sera-t-il traduit devant les tribunaux ordi-
naires comme tout autre citoyen accusé de
crimes d'État? Déléguerez-vous le droit de le
juger à un tribunal formé par les assemblées
électorales des quatre-vingt-trois départe-
ments? N'est-il pas plus naturel que la Con-
vention nationale le juge elle-même? Est-il
nécessaire ou convenable de soumettre le ju-
gement à la ratification de tous les membres
de la République réunis en assemblées de
commune ou en assemblées primaires?
» Voilà les questions que votre comité de
législation a longtemps et profondément agi-
tées. La première est la plus simple de tou-
tes, et cependant c'est celle qui demande la qu'après l'abdication expresse ou légale le roi
de ces cas avoir abdiqué la royauté; j'y trouve
plus mûre discussion, non pas pour vous,
non pas pour cette grande majorité du peuple pourrait être accusé et jugé comme eux pour
devait être dans la classe des citoyens, et qu'il
français qui a mesuré toute l'étendue de sales actes postérieurs à son abdication.

» § Ier. J'ouvre cette Constitution, qui avait héréditaire : j'y trouve que la personne du consacré le despotisme sous le nom de royauté roi etait inviolable et sacrée; j'y trouve que si le roi ne prétait pas le serment prescrit, s'il se mettait à la tête d'une armée et en diriou si, après l'avoir prêté, il le rétractait; que geait les forces contre la nation, ou s'il ne s'opposait pas par un acte formel à une telle entreprise qui s'exécuterait en son nom; que si, étant sorti du royaume, il n'y rentrait pas après délai déterminé, il serait censé dans chacun une invitation du corps législatif et dans un

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» Cela veut-il dire que le roi, tant qu'il serait assez adroit pour éluder les cas de la déchéance, pourrait impunément s'abandonner aux passions les plus féroces? Cela veut-il dire qu'il pourrait faire servir sa puissance constitutionnelle au renversement de la Constitution; que si, après avoir clandestinement appelé à son secours des hordes de brigands étrangers; si, après avoir fait verser le sang de plusieurs milliers de citoyens, il venait à échouer dans ses entreprises contre la liberté, il en serait quitte pour la perte d'un sceptre qui lui était odieux parce qu'il n'était pas de fer, et que la nation, longtemps trahie, longtemps opprimée, n'aurait pas le droit en se réveillant de faire éclater une vengeance effective, et de donner un grand exemple à l'univers?

>> Peut-être était-ce là l'esprit de ceux qui provoquèrent ces articles, que Louis XVI ne manquera pas d'invoquer en sa faveur; mais, pressés de s'expliquer, ils ne répondirent que par des subtilités évasives: ils auraient rougi d'avouer qu'il entrât dans leurs vues de reconduire Louis XVI au despotisme par l'attrait d'une pareille impunité; semblables sous certains rapports à l'aristocratie sénatoriale de Rome, qui préparait le peuple à la servitude par des nominations fréquentes de dictateur, et qui pour y procéder s'enveloppait dans les ombres de la nuit et du secret, comme si elle avait eu honte, dit Jean-Jacques, de mettre un homme au-dessus de la loi!

» Voyons quels furent les motifs et l'objet de l'inviolabilité royale: c'est le moyen d'en saisir le vrai sens, et de juger si elle peut être opposée à la nation elle-même.

»La France, disait-on, ne peut pas se soutenir sans monarchie, ni la monarchie sans être entourée de l'inviolabilité; si le roi pouvant être accusé ou jugé par le corps législatif il serait dans sa dépendance, et dès lors ou la royauté serait bientôt renversée par ce corps, qui, usurpant tous les pouvoirs, deviendrait tyrannique, ou elle serait sans énergie, sans action pour faire exécuter la loi; dans tous les cas il n'y aurait plus de liberté. Ce n'est donc pas pour l'intérêt du roi, mais pour l'intérêt même de la nation. que le roi doit être inviolable. · On convenait cependant que cette inviolabilité était menaçante pour la liberté; mais on prétendit y remédier par la responsabilité des minis

tres.

» Voilà par quels sophismes on cherchait à égarer la nation! Ignorait-on que la royauté avait longtemps subsisté à Sparte et chez d'autres anciens peuples sans la dangereuse égide de l'inviolabilité; que les rois y étaient soumis à des tribunaux populaires; que leur

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dépendance, leur jugement et leur condamnation, bien loin de nuire à la liberté, en étaient le plus sûr garant.

» Plus sage que les Spartiates, la nation française a commencé par abattre la royauté avant d'examiner si le roi était innocent ou coupable; et déjà elle a prouvé combien elle était calomniée ou trahie quand on disait que le gouvernement monarchique était un besoin pour sa puissance et pour sa gloire.

» Mais revenons à l'inviolabilité royale. Remarquons d'abord qu'elle n'était pas absolue à l'égard même du corps législatif : en effet, la Constitution prononçait la déchéance du roi dans le cas, par exemple, où il ne se serait pas opposé par un acte formel aux entreprises d'une force dirigée en son nom contre la nation; et un roi perfide pouvait déployer une opposition illusoire et non formelle! Il fallait donc décider si cette opposition avait été réelle ou simulée; mais pour cela il était évidemment nécessaire d'examiner la conduite du roi, de le mettre en cause, de le juger dans l'état où étaient alors les choses ce droit ne pouvait appartenir qu'à la première des autorités constituées; il était donc des cas où la Constitution soumettait l'inviolabilité royale au jugement du corps législatif.

»Le roi n'avait-il à se prémunir que contre les cas de déchéance, et l'impunité lui était-elle d'ailleurs assurée pour toutes sortes de crimes ou d'attentats? Nous l'avons déjà dit; du propre aveu de ses défenseurs l'inviolabilité royale avait pour objet unique l'intérêt de la nation, le maintien de son repos et de sa liberté, et jamais elle ne devait être nuisible, parce que le roi était condamné à ne pouvoir faire exécuter aucun ordre qui ne fût signé par un ministre, et que ses agents répondaient sur leur tête de tous les délits d'administration.

--

>> Si Louis XVI avait pesé à cette balance l'exercice de son pouvoir il aurait le spécieux prétexte de vous dire : - Dans tout ce que j'ai fait j'avais en vue le bonheur de la nation; j'ai pu me tromper; mais le sentiment de mon inviolabilité m'encourageait à essayer mes idées de bien public: je les ai toutes soumises à mes agents; je n'ai rien ordonné qui ne porte le sceau de leur responsabilité; voyez leurs registres; c'est donc à eux seuls qu'il faut vous en prendre, puisqu'ils devaient seuls garantir mes erreurs.

» Qu'il est loin de pouvoir tenir un tel langage s'il a violé la loi qui lui commandait d'avoir un agent toujours prêt à répondre de ses erreurs ou de ses délits, s'il a tourné contre la nation la prérogative qu'il avait reçue pour elle, s'il a industrieusement éludé ce

préservatif de la liberté individuelle et publique! Nous pressentions depuis longtemps qu'on préparait le tombeau de la nation; mais les mains employées pour le creuser étaient invisibles; la trahison se promenait sur toutes les têtes citoyennes sans pouvoir être aperçue; la royauté devait être comme la foudre, qui frappe avant l'apparition de

l'éclair.

» Et Louis XVI, qui pour mieux tromper la nation aurait travaillé sans relâche à lui rendre suspects les membres les plus purs du corps législatif; Louis XVI, qui, dans un temps même où il se serait cru si près de recueillir le fruit de ses perfidies, venait faire retentir cette salle auguste de ses hypocrites protestations d'attachement à la liberté, ne serait pas personnellement responsable des maux qu'il aurait personnellement occasion

nés!

» Il dira que sa personne ne pouvait pas être séparée des fonctions de la royauté; qu'inviolable comme roi pour tous les faits administratifs, il l'était comme individu pour tous les faits personnels!...

dans ses mains que les décrets d'accusation, et quand il aurait pu en lancer un contre Louis XVI à quel tribunal l'aurait-il renvoyé? Placé parallèlement par la Constitution à côté du corps législatif, le roi était au-dessus de toutes les autres autorités constituées; il ne pouvait donc être accusé ni jugé que par la nation elle-même. Mais le corps législatif était-il tellement lié par les principes de cette inviolabilité royale qu'il dût dans un moment de crise sacrifier le salut public à la crainte de les enfreindre? Devait-il imiter ces soldats d'un peuple superstitieux qui, voyant dans l'armée ennemie un premier rang d'animaux que ce peuple tenait pour sacrés, n'osèrent point tirer, et laissèrent à jamais. périr la liberté dans leur patrie? Qu'on demande compte aux hommes du 10 août de la digue qu'ils opposèrent au torrent des trahisons! Qu'on demande compte au corps législatif des décrets qui suspendirent Louis XVI de ses fonctions, et le firent transférer au Temple! Ils répondront tous: - Nous avons sauvé la liberté; rendez grâce à notre courage!

» Nous répondrons qu'il est accusé de » Ce corps législatif, que les partisans n'avoir que trop justifié la possibilité de cette du despotisme accusaient avec tout l'art de la séparation. Son inviolabilité comme chef du récrimination de vouloir avilir l'autorité pouvoir exécutif avait pour unique base une royale pour l'ajouter à la sienne, et s'y perfiction qui rejetait le délit et la peine sur la pétuer, n'eut pas plutôt frappé les grands tête de ses agents; mais n'a-t-il pas renoncé coups qui l'ont fait proclamer partout le sauà l'effet de cette fiction s'il est vrai qu'il ait veur de la France, qu'il dit à la nation: ourdi ses complots sans le concours de ses Nous remettons dans tes mains les pouvoirs ministres ordinaires ou sans agents visibles, que tu nous avais confiés; si nous les avons ou qu'il les ait mis hors de l'atteinte d'une excédés c'est provisoirement, et pour ton sasurveillnace efficace? Et comme il répugnelut. Juge-nous, juge ta Constitution, juge la aux bases mêmes de la Constitution acceptée par Louis XVI qu'il y eût infraction à la loi sans responsabilité, Louis XVI était naturellement et nécessairement accusable pour tous ceux de ces délits dont il était impossible de charger ses agents.

» Mais par qui pouvait-il être alors accusé ou jugé? Pouvait-il l'être par le corps législatif? La raison le commandait sans doute, mais les termes de la Constitution y résis

taient.

» Nous remplissons un ministère de vérité; nous serions coupables si nous la déguisions, soit dans les principes, soit dans les faits.

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La puissance réelle du corps législatif à l'égard du roi était bornée par la Constitution à juger les cas de déchéance qu'elle avait prévus: dans ces cas mêmes il ne pouvait prononcer que la peine de la déchéance; hors ces cas la personne du roi était indé pendante du corps législatif; hors ces cas, le corps législatif ne pouvait s'ingérer d'aucune fonction judiciaire. A cet égard il n'avait

royauté, juge Louis XVI, et vois s'il te convient de maintenir ou de reconstruire les bases de ta liberté !

» Citoyens, la nation a parlé; la nation vous a choisis pour être les organes de ses volontés souveraines: ici toutes les difficultés disparaissent; ici l'inviolabilité royale est comme si elle n'avait jamais été.

» Nous le dirons sans cesse; cette inviolabilité avait pour unique objet d'assurer l'énergie du pouvoir exécutif par son indépendance à l'égard du corps législatif: de là il résultait bien que ce corps n'avait pas le droit de juger le roi dans les cas non prévus par la Constitution; de là il résultait bien que dans aucun cas le roi ne pouvait être jugé par les autres autorités constituées dont il était le supérieur; mais il n'en. résultait pas qu'il ne pût être jugé par la nation; car pour extraire une pareille conséquence il faudrait pouvoir dire que par l'acte constitutionnel le roi était supérieur à la nation, ou indépendant de la nation.

» Louis XVI dira peut-être: En rati

fiant, en exécutant la Constitution décrétée par ses représentants le peuple français reconnut l'inviolabilité qui m'y était accordée; il reconnut que je ne pouvais être accusé que pour des délits postérieurs à ma déchéance; il se lia par cette disposition aussi bien que les autorités constituées, puisqu'elle ne lui avait pas expressément réservé le droit de me rechercher en vertu de sa souveraineté pour des délits antérieurs.

-

» Non, la nation n'était pas liée par l'inviolabilité royale; elle ne pouvait même pas l'être il n'existait pas de réciprocité entre la nation et le roi; Louis XVI n'était roi que par la Constitution; la nation était souveraine sans constitution et sans roi; elle ne tient la souveraineté que de la nature; elle ne peut pas l'aliéner un seul instant. Ce principe éternel était rappelé dans la Constitution même; or la nation ne l'aurait-elle pas aliénée cette souveraineté si elle avait renoncé au droit d'examiner, de juger toutes les actions d'un homme qu'elle aurait mis à la tête de son administration?

>> Il était inviolable aussi par la Constitution le corps législatif; il était indépendant du roi et de toutes les autres autorités constituées; aucun de ses membres ne pouvait être criminellement poursuivi devant les tribunaux sans qu'il l'eût ordonné par un décret formel: mais s'il avait abusé de cette inviolabilité, de cette indépendance, et que la nation se fut levée pour l'interroger sur ses malversations, pensez-vous qu'il lui eût suffi d'alléguer une prérogative qui lui avait été concédée non pas pour lui, mais pour l'intérêt général?

:

» L'inviolabilité du roi, ainsi que celle du corps législatif étaient destinées à prévenir les entreprises de l'un sur l'autorité de l'autre de là devait naître un équilibre qu'on avait supposé nécessaire pour le maintien de la liberté. D'après ce principe, et si le roi avait été fidèle à ses devoirs, il avait le droit d'appeler la puissance nationale contre toute entreprise qui aurait menacé son inviolabilité; mais, appelé lui-même devant un tribunal national, comment et sous quel prétexte pourrait-il invoquer une inviolabilité qui ne lui avait été déléguée que pour défendre la nation, et dont il ne se serait servi que pour l'opprimer.

» Si les exemples du corps constituant pouvaient ajouter ici quelque chose à l'autorité de la raison, nous vous rappellerions que la Constitution était achevée au mois de juin 1791; que, dans le premier ordre des articles constitutionnels, l'article 3 déclarait la personne du roi inviolable et sacrée ; que Louis XVI avait successivement et solennel

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lement accepté tous les articles lorsqu'il partit avec une précipitation et une clandestinité qui annonçaient l'intention de s'aller joindre aux despotes qui déjà menaçaient la liberté en France; que le corps constituant lui demanda compte de sa fuite et de ses projets; que Louis XVI répondit par des allégations démenties par ses écrits; qu'ainsi l'on reconnut respectivement que le corps constituant avait le droit de juger et de punir Louis XVI. Il fut en effet question de le juger ses partisans alléguèrent le décret relatif à l'inviolabilité royale; ils épuisèrent tout leur zèle et tous leurs efforts pour prouver que le maintien de cette inviolabilité était nécessaire à celui de la liberté; mais ils n'appliquèrent ce motifet cetobjet qu'à la prétendue nécessité de rendre le pouvoir exécutif indépendant du corps législatif; jamais ils ne prétendirent que cette inviolabilité, déjà consacrée, pût être opposée à une Assemblée revêtue de tous les pouvoirs de la nation; et comment auraientils pu se permettre une assertion pareille sans se mettre en contradiction avec la marche du corps constituant, qui avait fait arrêter le · roi à Varennes, qui l'avait suspendu de ses fonctions, qui lui avait ordonné de répondre par écrit sur l'objet de sa fuite, et qui n'aurait eu le droit de prendre aucune de ces mesures s'il n'avait pas jugé que l'inviolabilité du roi devait fléchir devant le tribunal de la nation?

» Mais la Convention nationale n'a-t-elle pas déjà puni Louis XVI par la privation du sceptre constitutionnel? Peut-il être soumis à un second jugement, à une seconde peine...?

» Cette objection, si on la fait, ne sera pas exacte. Si la Constitution devait subsister, et que le corps législatif eût prononcé la déchéance de Louis XVI, conformément à cet acte, qui lui donnait un successeur, cette déchéance pourrait être regardée comme une peine; du moins est-il certain que la Constitution ne permettrait pas au corps législatif d'en prononcer une autre mais la nation n'était pas liée par l'acte constitutionnel; elle a le droit imprescriptible de changer sa Constitution. Que Louis XVI fût coupable ou innocent, la nation avait à chaque instant le droit de le faire descendre du trône, et de mettre à sa place tout autre citoyen s'il était innocent le droit de la nation à son égard se bornait à reprendre le pouvoir qu'elle lui avait délégué; mais s'il était coupable, s'il la forçait à se lever pour arrêter le cours de l'oppression, ce n'était pas assez qu'il perdit la couronne; il fallait de plus qu'il subît la peine due à ses crimes ou à ses attentats.

» Ici qu'a fait la nation? Elle a chargé ses

représentants de bâtir une Constitution toute |
nouvelle. Investis de ses pouvoirs, vous
n'avez pas dit que Louis XVI était indigne
d'être roi; mais vous avez dit qu'il n'y aurait
plus de roi en France. Ce n'est pas parce que
Louis XVI était coupable que que vous avez
aboli la royauté, mais parce vous êtes con-
vaincus qu'il n'y a pas de liberté sans éga-
lité, ni d'égalité sans république. (Applau-
dissements.) Vous n'avez donc ni jugé ni
puni Louis XVI; vous n'avez pas même en-
visagé en cela sa personne il n'était roi
:
que par le bienfait d'une Constitution mo-
narchique; il a tout naturellement cessé de
l'être par le premier élan de la nation vers
une Constitution républicaine.

» Mais on vous contestera même la possibilité de condamner Louis XVI à une peine; on vous rappellera la Déclaration des Droits; on vous dira que nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée; on vous demandera où est la loi qui pourrait être appliquée aux crimes dont Louis XVI est prévenu... Où est la loi! Elle est dans le code pénal; c'est la loi qui punit les prévarications des fonctionnaires publics; car vous savez que Louis XVI n'était, selon les expressions mêmes de la loi, que le premier des fonctionnaires; c'est la loi qui frappe les traîtres et les conspirateurs; c'est la loi qui appesantit son glaive sur la tête de tout homme assez lâche ou assez audacieux pour attenter à la liberté sociale!

» En vain dira-t-on que ces lois, venant à la suite et en exécution de l'acte constitutionnel, n'étaient pas applicables aux crimes d'un roi que cet acte déclarait inviolable... Sans doute elles ne pouvaient pas être appliquées par les autorités que la Constitution avait placées au-dessous du roi; mais cette prérogative royale était évidemment nulle devant la nation.

» Est-ce d'ailleurs dans le nouveau code français seulement que ces lois se trouvent? N'existaient-elles pas de tous les temps et dans tous les pays? Ne sont-elles pas aussi anciennes que les sociétés?

» Partout les rois n'ont été créés que pour faire exécuter les lois communes à tous, que pour protéger par la direction des forces sociales les propriétés, la liberté, la vie de chacun des associés, et garantir de l'oppression la société entière; partout ils ont dû être inviolables dans ce sens que les offenser c'eût été offenser la nation qu'ils représentaient: mais s'ils violaient leurs serments, s'ils of fensaient eux-mêmes la nation dans ses droits suprêmes ou dans ceux de ses membres, s'ils tuaient la liberté au lieu de la

fendre, la nation n'avait-elle pas par la nature même des choses le droit impérissable de les appeler devant son tribunal, et de leur faire subir la peine des oppresseurs ou des brigands? Chez les Celtes, nos ancêtres, le peuple se réservait toujours ses droits primitifs contre le prince. Mais pourquoi cette serve? Le droit qu'a toute nation de juger et de condamner ses rois n'est-il pas une condition nécessairement inhérente à l'acte social qui les plaça sur le trône ? N'est-il pas une conséquence éternelle, inaliénable de la souveraineté nationale?

» Quand un citoyen français arrêta sur les bords de la Seine-Inférieure le cercueil de Guillaume le Conquérant en l'accusant de lui avoir pris son champ, et ne laissa porter le corps de ce prince dans le lieu de sa sépulture qu'après qu'on lui eut restitué sa propriété; quand don Henri, jugé par les états de Castille, subit, d'abord en effigie, et ensuite en réalité, la dégradation la plus ignominieuse; quand Jeanne de Naples fut poursuivie criminellement comme meurtrière de son époux; quand les rois français cités devant des assemblées d'évêques et de seigueurs, qui se disaient les représentants de la nation, y étaient déposés et condamnés à avoir les cheveux coupés et à passer le reste de leur vie dans un couvent; quand don Alphonse et un fils de Gustave Vasa furent déclarés déchus de leur trône, et privés pour jamais de leur liberté, le premier par les états de Portugal, le second par les états de Suède; quand Charles Ier perdit la tête sur un échafaud; quand tous ces princes et tant d'autres expièrent leurs crimes par une fin honteuse ou tragique, il n'y avait pas de lois expresses. qui eussent spécifié la peine des rois coupables; mais il est de la nature même de la souveraineté nationale de suppléer s'il le faut au silence des lois écrites, de déployer l'appareil des supplices attachés à la violation de son premier acte social, ou d'appliquer aux crimes des rois les peines relatives aux crimes des autres citoyens.

» Tous les rois de l'Europe ont persuadé à la stupidité des nations qu'ils tiennent leur couronne du ciel; ils les ont accoutumées à les regarder comme des images de la divinité qui commande aux hommes, à croire que leur personne est inviolable et sacrée, et ne peut être atteinte par aucune loi... Eh bien, si la nation espagnole, par exemple, éclairée par le génie français, se levait enfin, et disait à son roi :- Je ne me donnai originairement des rois que pour être les exécuteurs de mes volontés: ils abusèrent de la puissance que je leur avais confiée; ils devinrent despotes: je sus me ressaisir de ma sou

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