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CHAPITRE XI.

TRAITÉ DE LA BARRIÈRE, ENTRE L'AUTRICHE, la grande-BRETAGNE ET LES ÉTATSGÉNÉRAUX DES PROVINCES-UNIES, SIGNÉ A Anvers le 15 NOVEMBRE 1715.

Premier traité de la barrière. - L'article 9 de la grande alliance de 1701 avait assuré aux États-généraux une barrière contre la France, sans dire en quoi elle consisterait. Cette question fut discutée depuis 1703 entre les ProvincesUnies et l'Autriche, et donna lieu à divers débats et à des prétentions auxquelles le cabinet de Vienne refusa de satisfaire. Cependant Louis XIV ayant tenté d'engager les Hollandais à conclure une paix séparée, on crut devoir mettre fin aux contestations qui s'étaient élevées au sujet de la barrière; en conséquence, l'empereur envoya, en 1706, le comte de Zinzendorf à la Haye pour y négocier un arrangement, sous la médiation de Marlborough. On y convint, avant tout, de n'écouter aucune proposition de la France qui n'aurait pas pour bases la paix de Westphalie et le principe de l'indivisibilité de la monarchie espagnole. Quant à l'affaire de la barrière, il fut plus difficile de s'entendre. L'Autriche croyait que cette barrière existait suffisamment, si la possession des Pays-Bas lui était assurée, sans qu'il fût besoin que des troupes hollandaises tinssent garnison dans les places fortes les Hollandais, au contraire, ne demandaient pas seulement que cette sûreté leur fût accordée; mais ils désignaient aussi les places les plus importantes pour le commerce, tels qu'Ostende, Nieuport et Dendermonde, et même au commencement Anvers. Ce choix excita la jalousie des Anglais, qui pensaient que, dans le cas d'une rupture entre la Grande-Bretagne et la Hollande, la possession de ces places donnerait de grands avantages à ces derniers : cette crainte fut cause que les négociations furent suspendues.

:

Après la rupture des conférences de La Haye, de 1709, lorsque les alliés durent s'entendre de nouveau sur la continuation de la guerre, les puissances maritimes jugèrent nécessaire de terminer les discussions relatives à la barrière, parce que les Français avaient tâché d'en profiter pour désunir les alliés. Les progrès que l'armée combinée fit dans les Pays-Bas, furent un motif de plus pour s'occuper de cet objet; mais, ce qui est surprenant, c'est qu'on n'appela pas aux conférences les ministres de l'Autriche, quoique les Pays-Bas fussent conquis pour l'archiduc. Le traité de la barrière fut conclu à La Haye, le 29 octobre 1709.

Par ce traité, les États-généraux se chargerent de la garantie de la succession britannique dans la ligne protestante, telle qu'elle avait été réglée, par des actes du parlement, sous Guillaume III et sous la reine Anne. Cette princesse s'engagea, de son côté, à faire des efforts pour concerter les choses de manière que, par le traité de paix futur, les Pays-Bas espagnols pussent servir de barrière aux Provinces-Unies contre la France. Elle promet de leur faire obtenir le droit de garnison dans les places de Nieuport, Furnes, le fort de Knoque, Ypres, Menin, Lille, Tournai, Condé, Valenciennes, et dans les forteresses qu'on pourrait encore conquérir sur la France; savoir : Maubeuge, Charleroi, Namur, Lierre, Hall, les forts de la Perle, Philippe, Damm, le château de Gand et Dendermonde. Il fut convenu que les revenus de toutes celles dont la couronne d'Espagne n'était pas en possession à l'époque du décès de Charles II, appartiendraient aux États-généraux, et qu'on assignerait en outre, sur les

revenus les plus clairs des Pays-Bas espagnols, un million de livres, payable tous les ans, pour l'entretien des garnisons et pour les frais de fortifications; qu'aucune ville, forts, places, ou pays des Pays-Bas espagnols ne pourront jamais être cédés, à quelque titre que ce puisse être, transportés ou donnés à la couronne de France'.

Deux articles séparés sont ajoutés à ce traité. Par le premier, la Grande-Bretagne promet de faire céder aux États-généraux le haut-quartier de Gueldre avec le droit de garnison dans les citadelles de Liége et de Huy et dans la ville de Bonn. Nous avons vu que le traité d'Utrecht disposa autrement du haut-quartier de Gueldre, et que le droit de garnison dans ces trois places ne fut pas accordé aux Hollandais. Par le second article séparé, la même puissance promet d'employer ses bons offices pour que les limites des États-généraux en Flandre fussent élargies.

Second traité de la barrière, du 30 janvier 1713.-La conclusion de ce traité futun des principaux reproches que le parlement anglais fit au ministère après la chute de Marlborough. On le regarda comme dirigé aussi bien contre l'Angleterre que contre la France. La désunion se mit entre les alliés, et les Hollandais refusèrent de laisser le commandement de leurs troupes au duc d'Ormond, successeur de Marlborough; ils en chargèrent le prince Eugène.

Le changement qui fut une suite des négociations de 1711 et 1712 entre la France et l'Angleterre, servit de prétexte pour annuler le traité de la barrière. Différentes places qui, d'après ce traité, entraient dans la barrière des États-généraux, furent promises alors à la France. La reine Anne fit connaître aux premiers sa volonté à cet égard, par le comte de Stratford, un de ses ministres à La Haye. En conséquence, il fut conclu, à Utrecht, le 30 janvier 1713, un second traité de la barrière entre la Grande-Bretagne et la république des Provinces-Unies, mais aux conditions suivantes : Le traité de la barrière, de 1709, est révoqué et annulé. Art. 1.

1 DU MONT, Corps dipl., tom. VIII, part. I, p. 243. 'Actes et Mémoires de la paix d'Utrecht, vol. II, P. 260.

Les États-généraux garantissent la succession protestante établie par actes du parlement. Art. 2.

Les Pays-Bas espagnols serviront de barrière aux Provinces-Unies; et les États-généraux pourront tenir garnison dans Furnes, le fort de Knoque, Ypres, Menin, Tournai, Mons, Charleroi, Namur, Gand, et nommer les commandants de ces places. Art. 3-8.

Les revenus des places de la barrière appartiendront aux États-généraux, pour les employer à l'entretien des garnisons. Art. 9.

Aucune partie des Pays-Bas catholiques ne pourra être réunie à la France ni cédée à un prince du sang de France. Art. 10.

Les secours réciproques, pour le maintien de ce traité, sont fixés par l'art. 4. La GrandeBretagne fournira 10,000 hommes d'infanterie ; les États-généraux en donneront 6,000. Chaque partie enverra vingt vaisseaux de guerre bien équipés 2.

Ainsi, on retrancha de la barrière établie par le traité de 1709 les villes de Lille, Condé, Valenciennes et Maubeuge. Le nouveau traité enleva aussi aux Hollandais l'espoir de réunir à leur domination le quartier de la Haute-Gueldre qu'ils avaient demandé dans les conférences d'Utrecht, et que la reine Anne venait de promettre au roi de Prusse.

Congrès d'Anvers. Les traités d'Utrecht entre la France, la Grande-Bretagne et les Étatsgénéraux, de même que ceux de Rastadt et de Bade, portaient expressément que la république resterait saisie des Pays-Bas espagnols jusqu'à ce que l'empereur se fût arrangé avec elle sur la barrière. Pour y parvenir, il fut tenu un congrès à Anvers, entre les deux puissances intéressées, sous la médiation de l'Angleterre. L'empereur y envoya le comte de Koenigseck; le roi de la Grande-Bretagne, le sieur Cadogan; et les États-généraux, les sieurs Van der Dussen, le comte de Rechteren et M. de Gockinga.

Les États-généraux demandèrent, en vertu du traité du 30 janvier 1713, la cession d'une partie de la Gueldre espagnole et l'extension des limites de la Flandre hollandaise : ces deux articles, qui avaient essuyé beaucoup de difficultés, ayant été arrangés par l'entremise du plénipotentiaire anglais qui s'était rendu pour cela à Vienne, le troisième traité de la barrière

fut signé à Anvers, le 15 novembre 1715. En voici le sommaire :

Troisième traité de la barrière, du 15 novembre 1715. Art. 1er. Les États-généraux remettront à l'empereur, immédiatement après l'échange des ratifications du présent traité, toutes les provinces et villes des Pays-Bas, tant celles qui ont été possédées par le roi Charles II que celles qui ont été cédées par la France lors du dernier traité d'Utrecht.

Art. 2. L'empereur s'engage qu'aucune province, ville, place, forteresse ou territoire des Pays-Bas, ne pourra être cédé ou transféré à la couronne de France, ni à un autre prince qui ne sera pas successeur et héritier de la maison d'Autriche en Allemagne, soit par donation, vente, échange, contrat de mariage, hérédité, succession testamentaire ou ab intestat, ni sous quelque autre titre que ce puisse être; de sorte qu'aucune partie desdits Pays-Bas ne pourra être soumise à aucun autre prince qu'aux seuls successeurs des États de la maison

d'Autriche.

Art. 3. L'empereur et les États-généraux entretiendront, dans les Pays-Bas autrichiens, un corps de 30 à 35,000 hommes, dont l'empereur fournira trois cinquièmes, et les États-généraux deux cinquièmes. Si l'empereur diminue son contingent, il sera permis aux États-généraux de diminuer le leur à proportion. Lorsqu'il y aura apparence de guerre ou d'attaque, on augmentera ledit corps jusqu'à 40,000 hommes, et, en cas de guerre effective, on conviendra ultérieurement à cet égard. La répartition desdites troupes, en temps de paix, se fera par les Étatsgénéraux, en tant qu'elle concerne les places commises à la garde de leurs troupes, et le reste se fera par le gouverneur-général des Pays-Bas autrichiens.

Art. 4. L'empereur accorde aux États-généraux garnison privative de leurs troupes dans les villes et châteaux de Namur et Tournai, dans les villes de Menin, Furnes, Warneton, Ypres et le fort de Knoque.

et

Art. 5. Dans la ville de Dendermonde, il y aura garnison commune. Le gouverneur de cette

1 DU MONT, Corps dipl., tom. VIII, part. I, p. 458. LAMBERTY, Mémoires, tom. IX, p. 24. SCHMAUSS, C. j. g.ac., p. 1593.

place, nommé par l'empereur, prêtera serment aux Etats-généraux.

Art. 6. Dans les places où les États-généraux auront garnison privative, ils pourront y mettre aussi les gouverneurs, commandants et autres officiers qui composent l'état-major.

Art. 7. Ces gouverneurs et officiers seront aux seuls ordres et à la judicature des Étatsgénéraux pour tout ce qui regarde la défense, garde, sûreté de leurs places; mais ils seront cependant obligés de prêter serment à l'empereur, de garder fidèlement lesdites places à la souveraineté de la maison d'Autriche, et de ne s'ingérer dans aucune affaire civile.

Art. 9. L'empereur accorde l'exercice de leur religion aux troupes des États-généraux partout où elles se trouveront en garnison, sans que l'endroit où elles exerceront leur culte puisse avoir aucune marque extérieure d'église.

Art. 10. Les munitions de guerre et de bouche, les matériaux nécessaires à l'entretien des fortifications, les draps pour l'habillement des soldats, ne payeront aucun droit en passant sur les terres de la maison d'Autriche pour se rendre dans les villes de la barrière.

Art. 13. Il est permis aux États-généraux de faire réparer et fortifier à leurs frais les villes de la barrière; mais ils ne pourront construire de nouveaux forts que du consentement de l'empereur.

Art. 17. Pour mieux assurer les frontières

des États-généraux en Flandre, l'empereur leur

cède tels forts et autant de territoire de la Flandre autrichienne limitrophe qu'ils en auront besoin, pour faire les inondations nécessaires en temps de guerre, et pour les bien couvrir depuis l'Escaut jusqu'à la Meuse.

Art. 18. L'empereur cède aux États-généraux, en pleine souveraineté et propriété, dans le haut-quartier de Gueldre, la ville de Venlo avec sa banlieue et le fort de Saint-Michel; de plus, le fort de Stévenswerth avec son territoire ou banlieue; l'ammanie de Montfort, avec les villes de Neustadt et d'Echt, et une dizaine de villages.

Art. 19. Pour l'entretien des troupes auxquelles les États-généraux se sont engagés par le présent traité, aussi bien que celui des fortifications des places où ils auront garnison, l'empereur s'engage de payer annuellement aux États-généraux la somme de cinq cent mille

écus ou douze cent cinquante mille florins monnaie de Hollande, laquelle somme sera assurée et hypothéquée sur tous les revenus des PaysBas autrichiens, y compris les pays cédés par la France, et spécialement sur les revenus les plus clairs et liquides des provinces de Brabant et de Flandre.

Art. 22 et 23. L'empereur se charge des dettes de Charles II, inhérentes aux Pays-Bas espagnols.

L'art. 26 porte que le commerce des PaysBas autrichiens et tout ce qui en dépend restera sur le pied établi par la paix de Munster en 1646, qui est confirmée; que les navires, denrées et marchandises venant de la Grande-Bretagne et des Provinces-Unies, et entrant dans les PaysBas autrichiens, de même que les navires, denrées et marchandises sortant des Pays-Bas et destinés pour la Grande-Bretagne ou pour les Provinces-Unies, ne payeront les droits d'entrée et de sortie que sur le même pied qu'on les lève à présent, et qu'ainsi le tout restera jusqu'à ce que les trois puissances en conviennent autrement par un traité de commerce à faire le plus tôt qu'il se pourra. Ce traité de commerce n'ayant jamais été conclu, nous verrons, par la suite, que la maison d'Autriche en a pris occasion pour regarder le traité de 1715 comme annulé.

Par l'art. 28, l'Angleterre confirme et garantit ce traité dans tous ses points et articles. Cette garantie de la Grande-Bretagne est plus ample

ment détaillée par le traité signé, en 1713, à Utrecht, pour la garantie de la succession de la Grande-Bretagne et celle de la barrière des Étatsgénéraux. L'Angleterre s'y engage, dans le car qu'on attaque les places de la barrière, à fournis à ses dépens 10,000 hommes d'infanterie et 20 vaisseaux de guerre. Si ce secours ne suffisait pas, les Anglais agiront de toutes leurs forces, en déclarant même la guerre à l'agresseur.

Le traité de la barrière fut suivi d'un règlement fait à Anvers, le 30 janvier 1716, entre les plénipotentiaires de l'empereur et des Étatsgénéraux, sur le logement et la conduite des troupes hollandaises dans les places confiées à leur garde.

Ce fut le 5 février 1716, que les Hollandais remirent à l'empereur les provinces et districts des Pays-Bas qui avaient été possédés par le roi Charles II; mais ils gardèrent encore, sous le prétexte de quelques prétentions, les villes et districts que la France avait rétrocédés en faveur de la maison d'Autriche par les traités d'Utrecht, de Rastadt et de Bade. Les États-généraux ne les délivrèrent à l'empereur que dans le cours de l'année 1719, à la suite d'une nouvelle convention explicative qui avait été conclue à La Haye, le 22 décembre 1718 1.

Nous reviendrons sur ce traité lorsque nous parlerons de la paix de Fontainebleau de 1785.

EIST. DES TR. DE PAIX. T. 1.

15

TROISIÈME PÉRIODE,

OU

HISTOIRE DES TRAITÉS

DE PAIX, DEPUIS LA TRIPLE-ALLIANCE JUSQU'AUX GUERRES de la RÉVOLUTION FRANÇAISE.

1717-1791.

CHAPITRE XII.

TRAITÉ DE LA TRIPLE-ALLIANCE, signé a la haYE, LE 4 JANVIER 1717.

Esquisse de la politique du dix-huitième siècle.

Nous comprenons dans la troisième période les traités qui ont été conclus dans l'intervalle qui s'est écoulé depuis la paix d'Utrecht jusqu'à la révolution française. Dans la première période, la France avait imaginé le système connu sous le nom d'équilibre politique de l'Europe. Elle en avait fait usage pour réduire en de justes bornes la prépondérance autrichienne. Dans la seconde, les puissances réunies de l'Europe tournèrent ce système contre l'ambition de Louis XIV, et la paix d'Utrecht consacra ces deux principes, que les couronnes de France et d'Espagne ne pourraient jamais être réunies sur la même tête, et que les Pays-Bas serviraient de barrière aux Provinces-Unies contre la France; de manière que la maison d'Autriche, à laquelle on en confia le dépôt, ne pourrait en aliéner la moindre partie en faveur de la France.

La troisième période, dans laquelle nous allons

entrer, n'a pas un caractère aussi prononcé que chacune des deux premières. Jamais la politique européenne n'a plus varié que dans les soixantequinze années dont elle se compose. Nous y ver rons des alliances formées et rompues, sans autres motifs que le caprice des souverains, cu les projets ambitieux de leurs ministres. La France et l'Angleterre, qui s'étaient combattues avec tant d'acharnement depuis que Guillaume III était monté sur le trône, se réconcilient pour faire la guerre à ce même Philippe V, en faveur duquel Louis XIV avait épuisé son royaume pendant douze ans. Les deux concurrents qui s'étaient disputé le trône d'Espagne renoncent à leur haine, et deviennent des amis intimes. Toute l'Europe se partage entre les ligues de Vienne et de Hanovre. Soudain ces deux confédérations sont dissoutes, et l'union la plus étroite s'établit entre la France, l'Angleterre et l'Espagne. On dirait, dès ce moment, que l'Europe

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