Page images
PDF
EPUB

ment. La nécessité de la défense du pays leur avait dicté des mesures extraordinaires; ils avaient fait sortir le peuple espagnol de son caractère, de ses préjugés, et presque de ses mœurs. Dans l'orgueil de la victoire, dans le désir d'achever leur ouvrage, et sans doute aussi de garder l'autorité, habitués à penser que toute puissance émanait de celle qu'ils avaient reçne, ils concurent la pensée de refaire la constitution du pays, et d'imposer au roi des lois faites sans son consentement. Telle était leur indignation du joug auquel ils venaient d'échapper, que rejetant toute idée de conciliation avec la France, ils avaient annoncé qu'ils ne recevraient pas leur monarque, s'il ne régnait qu'en vertu d'un contrat fait avec Napoléon. Heureusement l'idée de relâcher le royal captif vint trop tard à celui-ci, et sa chute débarrassa les cortès du scandale d'avoir à délibérer davantage sur cette matière. On sait d'ailleurs, comment Ferdinand VII, arrivé à Valence en 1814, irrité des conditions qu'on prétendait lui imposer, rejeta la constitution qui mettait ses droits en question, marcha sur la capitale, ordonna la dissolution de ces cortès si redoutables, et entra dans Madrid au milieu des acclamations d'un peuple soumis.

On avait pu craindre qu'après une si longue absence de l'autorité royale, une résolution si bardie ne soulevât des milliers de citoyens qui avaient bravé toutes les misères pour échapper à Poppression étrangère, et dont les esprits n'étaient frappés depuis long-temps que d'idées de réforme, d'indépendance et de liberté; mais à leur soumission subite', au calme avec lequel cette population recevait chaque jour les édits d'une autorité absolue, à la promptitude avec laquelle furent réprimés la sédition de Va→ lence, les tentatives de Porlier, de Mina, et de Lascy; à la facilité du rétablissement de l'inquisition et des jésuites, à l'indifférence que le public témoignait en apprenant chaque jour l'exil ou l'emprisonnement des plus fougueux apôtres de l'indépen dance, on put croire que le monarque avait justement apprécié sa situation, et que les idées libérales n'avaient point pénétré dans la masse du peuple et de l'armée. C'était sans doute un triomphe,

mais triste, déplorable, et peut-être dangereux. Il dut en coûter au cœur du prince de sacrifier à l'honneur de la couronne ceux dont le courage l'avait défendue, de confondre des braves égarés avec des traîtres, et de couvrir la terre étrangère de réfugiés, dont plusieurs pleurent en vain la patrie qu'ils ont sauvée.

Au milieu de leur égarement politique, les cortès avaient fait des choses utiles. Ils avaient aboli l'inquisition, les priviléges des provinces, des ordres et des individus; ils avaient aperçu les moyens d'éteindre les intérêts et le capital d'une dette évaluée à douze milliards de réaux. Le roi, en remettant toutes les choses dans l'état où il les avait laissées, se priva lui-même de ces améliorations et de ces ressources; la dette s'accrut de toutes les réstitutions que les ordres, couvens ou chapitres rétablis obtinrent sans délai. Il est vrai que, moyennant une bulle du pape, on crut pouvoir im→ poser au clergé séculier et régulier un subside de 30 millions de réaux; mais ou ce subside ne fut point payé, ou il ne servit qu'à satisfaire à des besoins plus pressans que la décharge de la dette. 1,500 millions de valès royaux tombèrent au quart de leur valeur nominale, et le changement du ministère qui eut lieu alors ne fit que découvrir l'étendue du mal, sans indiquer le remède. Cependant les débris de l'ancienne marine pourrissaient dans les ports, au point que le gouvernement fut obligé de demander à la Russie quelques vaisseaux pour transporter des troupes en Amérique. Marché digne d'être remarqué dans les fastes de l'histoire...! L'orgueilleux Philippe II ne prévoyait pas sans doute que ses suc cesseurs auraient besoin d'aller acheter une flotte aux Moscovites. Cette flotte fut payée avec l'argent que l'Angleterre donnait à l'Espagne en indemnité des pertes que l'exécution du traité (23 sep tembre 1817), pour l'abolition de la traite des noirs, pourrait occasionner aux Espagnols. L'armée d'Espagne n'était guère en meilleur état que sa marine : elle se composait, sur le papier, de plus de cinquante régimens d'infanterie, à trois bataillons, et de trente régimens de cavalerie, pesante ou légère, sans y comprendre l'artillerie et la maison militaire du roi. La détresse du trésor ét les expéditions envoyées en Amérique, y avaient fait des vides

immenses. Une instruction royale parut au mois de décembre 1817, pour la recruter au moyen d'une levée de soixante-onze mille huit cents hommes à fournir en quatre ans, par des tirages annuels, à partir du 1er janvier 1818. Cette levée générale avait tous les caractères de la conscription; mais elle offrait quelques exceptions en faveur des fils uniques, enfans de veuves, et de tous ceux qui voudraient payer une somme d'environ 5000 francs. D'ailleurs elle atteignait les gentilshommes (hydalgos), qui n'auront d'autres priviléges que quelques distinctions dans l'uniforme, les tonsurés sans bénéfice, les novices des ordres religieux, les ministres, officiers, familiers et employés de l'inquisition qui ne sont pas en activité de service, en vertu d'un brevet de sa majesté, etc., etc. Tant de rigueurs prouvaient mieux que toute autre considération les besoins de l'Etat. Nous n'avons pu qu'indiquer, en passant, les embarras de l'intérieur; il faut jeter un coup d'œil sur les colonies pour achever de se faire une idée de la situation générale du royaume dont elles faisaient naguère toute la richesse.

On ne prétend pas donner ici l'histoire des révolutions qui agitent le nouveau monde depuis dix ans il serait plus aisé de débrouiller celle du moyen âge, d'éclairer le chaos des invasions des Barbares que de démêler l'origine des troubles de l'Amérique espagnole, d'en suivre les progrès et les variations dans des pays mal connus, où le vainqueur et les vaincus occupent tour à tour le même champ de bataille, et entre des récits souvent contradictoires, toujours exagérés par l'orgueil, la haine ou l'intérêt des partis. En pareille circonstance, l'opinion de la postérité ne se forme que long-temps après l'issue de la querelle, et le plus or dinairement d'après ses résultats.

Au premier aspect de cette révolution, on est tenté de la comparer avec celle qui fit des Etats-Unis une puissance indépen dante; mais ici c'était un peuple homogène, éclairé, propriétaire, jouissant déjà de tout ce qui constitue l'indépendance, ou de ce qui doit la donner; il n'a fait, en s'établissant, que détacher des liens politiques. Là, c'est une population hétérogène, un amalgame d'Espagnols, de Créoles et d'Indiens, de maîtres, d'affranchis

et d'esclaves, dont la race et la couleur sont mélangées, comme les mœurs et les intérêts. Les deux révolutions diffèrent autant par la nature des circonstances qui les ont excitées, que par le caractère des peuples qui s'y sont engagés. Que des écrivains cherchent la cause de cette dernière dans les vices de l'administration espagnole, dans la conduite arbitraire des gouverneurs, dans les inconvéniens d'un régime où il faut nécessairement sacrifier les intérêts de la colonie à ceux de la métropole; que d'autres ne voient dans l'insurrection des colonies que l'émancipation d'un enfant devenu majeur, fait pour sortir de tutelle et prendre la liberté, si on la lui refuse; il n'entre pas dans notre objet d'aborder ces questions de haute politique : nous ne pouvons nous occuper des événemens du passé que pour faire entendre ceux de l'avenir.

De tout temps les colonies espagnoles ont éprouvé des agitations. Les priviléges de la métropole, la jalousie des castes et l'es→ clavage y entretenaient toujours un ferment d'inquiétude et de révolte; mais une administration forte et paternelle à beaucoup d'égards y avait promptement rétabli l'ordre. Il fallait des circonstances toutes particulières pour donner à l'insurrection l'essor qu'elle a pris.

L'indignation que l'invasion de 1808 avait excitée en Espagne, ne fut pas moins vive dans ses colonies. Les agens que Napoléon y envoya n'osèrent s'y montrer : leurs promesses ne furent point écoutées; leurs proclamations furent, dans plusieurs endroits, livrées publiquement aux flammes ; la population native rejeta même alors l'indépendance qu'on semblait lui offrir. Mais l'anarchie qui désolait la métropole ne tarda pas à se faire sentir aux colonies. La mésintelligence qui éclata d'abord entre les juntes de l'Espagne, les ordres contradictoires qu'elles expédiaient en Amérique, l'inhabileté des vice-rois, des capitaines généraux, dans des circonstances difficiles, excitèrent de l'inquiétude, de l'embarras et du mécontentement. Sans doute aussi l'attrait des choses nouvelles, et le désir de l'indépendance, inspirèrent l'idée de se soustraire à l'exercice d'un pouvoir qu'on ne savait où trouver,

et de former des juntes par le même droit qui les avait établies en Espagne. Les vice-rois ou gouverneurs tentèrent en vain de maintenir leur autorité. De proche en proche la formation des juntes excita des mouvemens, éleva des prétentions nouvelles, alluma une guerre civile; et lorsque les cortès et la régence de Cadix voulurent faire entendre la voix de la métropole, offrir des moyens de conciliation, il n'était plus temps. On s'y regardait bien encore comme attaché à la même cause que l'Espagne; on ne cessait pas de lui envoyer des secours en argent; on reconnaissait toujours le même souverain; mais la querelle coloniale était engagée, les haines s'étaient envenimées; les deux partis s'étaient souillés par des cruautés; les idées de république fédérative s'étaient répandues; l'habitude de l'indépendance était prise par les créoles ou les indigènes appelés à leur aide, et des aventuriers heureux s'étaient emparés, comme dans toutes les révolutions; d'un pouvoir qu'ils ne voulaient plus déposer.

Ainsi, ni la médiation dont l'Angleterre ne parat un moment se charger que pour établir son commerce chez les insurgés espagnols, ni les concessions faites à ceux-ci par les cortès disposés à recevoir les députés des colonies, n'avaient pu satisfaire des prétentions croissantes à mesure des succès qu'obtenait la cause de l'indépendance. Ferdinand VII, rétabli sur le trône, ne pouvait accorder aux colonies ce qu'il venait de refuser à la métropole. Les ordres donnés ou les négociateurs envoyés en son nom n'eurent pas un résultat plus heureux que les efforts des cortès. Les insurgés continuèrent la guerre comme s'ils n'avaient point changé d'ennemis.

Cette révolution a trois théâtres principaux, que la distance des lieux, la difficulté des communications, et la différence d'origine, de mœurs et d'intérêts, doivent faire considérer séparément : le Mexique, — les provinces de Venezuela, auxquelles leš mécontens de la Nouvelle Grenade n'ont encore pu se réunir, Buenos-Ayres, dont la révolution a entraîné le Chili, et menace d'envahir le Pérou.

et

La déposition du vice-roi du Mexique, Iturrigaray, ayant eu lieu

ཏྠཾ

« PreviousContinue »