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et débarquait, au commencement de 1802, avec quarante mille soldats.

On sait l'insuccès de cette malheureuse expédition. A la nouvelle de l'arrestation coupable de ToussaintLouverture qui, transporté en France, y mourut l'année suivante au fort de Joux; Dessalines et Christophe avaient repris les armes, appelé tous les noirs à l'insurrection, et vengé dans un massacre effroyable la surprise de leur compatriote. Telle avait été l'issue de l'expédition du général Leclerc, qui y était mort.

Le général Rochambeau, envoyé à Saint-Domingue pour essayer de venger ce désastre, n'y avait pas été plus heureux. La rupture du traité d'Amiens ayant de nouveau fermé nos ports, il avait été obligé de se rendre à une flotte anglaise le 30 novembre 1803.

Dessalines, resté maître, avait alors promené partout le fer et le feu, et exterminé, sans merci, tout ce qui ne s'était pas encore échappé de nos infortunés colons.

Pendant vingt ans, des luttes intestines avaient successivement déchiré cette malheureuse colonie, et les chefs de la république et de l'empire d'Haïti, Dessalines, Christophe, Pétion, s'étaient tour à tour disputé le pouvoir; lorsqu'en 1814, les ports de Saint-Domingue ayant été rouverts, nos anciens colons avaient sollicité du gouvernement du Roi la rentrée dans leurs possessions.

Ces colons (ceux qui avaient pu fuir) étaient alors dispersés, les uns dans les Antilles, les autres en Amérique, quelques-uns en France. Leur misère qui était grande avait trouvé quelque adoucissement sous le

régime impérial, et depuis 1814 le gouvernement de la Restauration, touché de leurs malheurs, n'avait point hésité à accroître ses secours; toutefois, en 1826, l'importance de ces secours, leur nécessité, leur durée, étaient devenues pour le Trésor une telle charge, qu'il convenait à un ministre des finances, économe de la fortune publique, de prendre enfin un parti définitif sur cette intéressante classe de concitoyens.

M. de Villèle, qui lui-même était à moitié colon, qui avait, on peut le dire, fait sa première carrière et sa première fortune aux colonies, se sentait un intérêt marqué pour ses frères de Saint-Domingue; c'est lui qui avait décidé le Roi à intervenir.

Déjà plusieurs tentatives d'arrangement avaient eu lieu à ce sujet. En 1844, M. Malouet, ministre de la marine, avait essayé quelques ouvertures, elles avaient échoué. En 1816, une seconde tentative avait également échoué. En 1824, le gouvernement, moins exigeant, avait fait insinuer au président Boyer que, moyennant une équitable indemnité pour la cession de la partie française et les propriétés des colons, la France pourrait peut-être renoncer à sa souveraineté.

Cette troisième ouverture avait semblé mieux réussir. Le président Boyer, tout en repoussant un protectorat quelconque, et maintenant sa complète indépen dance, ne s'était point refusé cependant à consentir une indemnité raisonnablement calculée.

C'était donc d'après ces précédents et sur ces bases nouvelles que M. de Mackau avait été chargé l'année dernière, nous l'avons vu), de se rendre à Haïti et

d'essayer de traiter. Les bases de l'indemnité étaient arrêtées d'avance par une ordonnance royale que M. de Mackau devait présenter au président, et rapporter revêtue de sa ratification.

Cette condition d'une indemnité était, en effet, la manière la plus sage et la plus économique de traiter honorablement et efficacement pour nos colons.

Ce traité avec la république de Saint-Domingue avait une forme particulière. La souveraineté de cette possession n'ayant jamais été abandonnée par la France, le Roi avait dù traiter avec ses anciens sujets sous forme d'ordonnance.

Cette ordonnance, du 17 avril, stipulait les conditions d'après lesquelles le Roi consentait à se dessaisir de sa souveraineté, et à accorder à la partie française son indépendance. Comme l'indemnité destinée à nos anciens colons était la clause principale de cette convention, nous devons donner d'abord le texte même de l'ordonnance du 17 avril, avant d'arriver à la discussion de la loi qui en était la conséquence.

Cette ordonnance disait :

« 1° Les ports de la partie française de Saint-Domingue seront ouverts au commerce de toutes les nations. Les droits perçus dans ces ports, tant à l'entrée qu'à la sortie, seront égaux et uniformes pour tous les pavillons, excepté le pavillon français, en faveur duquel ces droits seront réduits de moitié.

« 2o Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes

égaux, d'année en année, le premier échéant le 31 décembre 1825, la somme de 150 millions de fr., destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité.

« 3° Nous concédons, à ces conditions, aux habitants. actuels de la partie française de Saint-Domingue l'indépendance pleine et entière de leur gouvernement. » Telles étaient la convention et l'ordonnance.

La loi présentée aux Chambres avait pour but, non pas de ratifier ce traité qui, suivant le ministère, ressortait de la plénitude de l'autorité royale, proclamée par l'article 14 de la Charte; mais seulement et précisément, de déterminer l'application de cette indemnité, et de fixer les conditions de sa répartition; conditions qui, sur plus d'un point, sortant du droit commun, nécessitaient la sanction spéciale des pouvoirs législatifs.

Dans cette loi qui eût dû, ainsi présentée, ne faire qu'une question, certains esprits trouvèrent toutefois le moyen d'en susciter deux : la question politique, c'est-à-dire celle de la convention dont ils contestaient le droit au pouvoir royal, et la question financière, c'est-à-dire celle de l'indemnité pécuniaire proprement dite.

Contester au pouvoir royal le droit de conclure un traité, sous une forme quelconque, sans l'assentiment des pouvoirs législatifs, était assurément une matière féconde en divergences les plus absolues; aussi ne manquèrent-elles pas de se produire à l'envi dans les deux Chambres.

Avant la discussion générale, il faut se hâter de dire que les rapporteurs des deux commissions, MM. Mounier et Pardessus (deux lumières et deux sagesses), avaient sans hésiter reconnu au Roi seul le droit absolu et constitutionnel de conclure ce traité.Sur ce point, la majorité des deux Chambres semblait donc être en accord. Nonobstant cet accord et cette opinion, très-nettement prononcée par les commissions; la discussion s'engagea avec une vivacité fort grande.

Toutes les oppositions semblaient s'être réunies sur cette question, nous dirions mieux, sur cette querelle.

MM. de La Bourdonnaye et Sébastiani, Agier et Benjamin Constant, Hyde de Neuville et Casimir Périer, vinrent y confondre leur blâme, à des points de vue différents, mais tous dans le même but, celui de combattre le ministère ou plutôt le président de ce ministère, M. de Villèle, à qui on attribuait l'initiative de cette grande réparation. Ces opposants mirent au jour, à cette occasion, les théories les plus étrangères au sujet lui-même, et évoquèrent les souvenirs comme les précédents les plus contestés.

M. Agier, chef de la nouvelle défection royaliste, vint soutenir que, si le Roi avait évidemment le droit absolu de faire la paix, la guerre et les traités, il était aussi une maxime consacrée par la royauté elle-même ; - l'inaliénabilité du domaine de l'État, maxime

et principe auxquels le roi Charles X avait manqué, en cédant une colonie française sans l'assentiment des pouvoirs constitutionnels.

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