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du soldat français. » Il retint, ce jour là, le colonel Campbell à déjeûner, et lui parla de la guerre d'Espagne; loua beaucoup la nation anglaise et le lord Wellington, et ensuite il s'entretint, en la présence du lord, et sans égard pour lui, avec le colonel de la Place son officier d'ordonnance, sur la dernière campagne. «Sans cet animal de général, dit-il, qui m'a fait accroire que c'étoit Schwartzenberg qui me poursuivoit à Saint-Dizier, tandis que ce n'étoit que Wintzingerode; et sans cette autre bête qni fut cause que je courus après à Troyes, où je comptois manger quarante mille Autrichiens, et n'y trouvai pas un chat; j'eusse marché sur Paris, j'y serois ar rivé avant les alliés, et je n'en serois pas où j'en suis; mais j'ai toujours été mal entouré; et puis ces flagorneurs et lâches de préfets qui m'assuroient que la levée en masse se faisoit avec le plus grand succès; enfin, ce traître de Marmont, qui a achevé la chose..... Mais il y a encore d'autres maréchaux tout aussi malintentionnés, cutre autres Suchet, que j'aż, au reste toujours connu, lui et sa femme, pour des intrigans. » Il parla encore long-temps des torts et de la lâche conduite du sénat envers la France et envers lui. Ce jour là Napoléon arriva à Nevers, où se trouvoient les derniers détachemens de la garde impériale; ils l'escortèrent

encore jusqu'à Villeneuve sur Allier; et dès lors Napoléon ne trouva plus que des corps de Cosaques et Autrichiens destinés à l'escorter. Il refusa d'être accompagné par les soldats étrangers, pour n'avoir pas l'air d'un prisonnier d'état, et dit: Vous voyez bien que je n'en ai aucunement besoin. Il passa la nuit à Beaune, et partit le 25 à neuf heures du matin, Le colonel Campbell partit de Lyon en avant, pour aller chercher à Toulon ou à Marseille une frégate anglaise qui pût, d'après le vœu de Napoléon, le conduire dans son île. Le 24, Napoléon rencontra, près de Valence, le maréchal Augereau. Napoléon et le maréchal descendirent de voiture; Napoléon ôta son chapeau et tendit les bras à Augereau, qui l'embrassa, mais sans le saluer. Où vas-tu comme

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? lui dit Napoléon en le prenant par le bras, tu vas à la cour? Augereau répondit que pour le moment il alloit à Lyon: ils marchèrent près d'un quart-d'heure ensemble en suivant la route de Valence. Napoléon fit au maréchal des reproches sur sa conduite envers lui, et lui dit « Ta proclamation est bien bête; pourquoi des injures contre moi? il falloit simplement dire le vœu de la nation s'étant prononcé en faveur d'un nouveau souverain, le devoir de l'armée est de s'y conformer. Vive le Roi! vive Louis XVIII, »

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Augereau ŝe mit aussi à tutoyer Buonaparte, et lui fit, à son tour, d'amers reproches sur son insatiable ambition, à laquelle il avoit tout sacrifié, même le bonheur de la France entière. Ce discours fatigant Napoléon, il se tourna avec brusquerie du côté d'Augereau, l'embrassa, lui ôta encore son chapeau et se jeta dans sa voiture. Augereau, les mains derrière le dos, ne dérangea pas sa casquette de dessus sa tête; et seulement lorsque l'empereur fut remonté dans sa voiture, il lui fit un geste méprisant de la main, en lui disant adieu. En se retournant, il adressa un salut très-gracieux aux commissaires. Napoléon, toujours fidèle à son amour pour la vérité, dit au général Koller, une heure après : « Je viens d'apprendre, å l'instant même, l'infâme proclamation d'Augereau; si je l'eusse connue lorsque je l'ai rencontré, je lui aurois bien lavé la tête. » Arrivé à Valence, des troupes françaises du corps d'Augereau, qui avoient arboré la cocarde blanche, rendirent cependant à Napoléon tons les honneurs'dus à son rang; mais ce fut là son dernier triomphe, car nulle part ailleurs il n'entendit plus de vivat. Le 25, à Orange, il fut reçu aux cris de vive le Roi! vive Louis XVIII! Jusque là Napoléon avoit été d'une humeur fort gaie et plaisantoit souvent lui-même sur sa situation; entre autres

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choses, il disoit un jour aux commissaires, après avoir retracé avec beaucoup de franchise les différens degrés qu'il avoit parcourus dans sa carrière depuis vingt-cinq ans : «Au bout du compte, je n'y perds rien, car j'ai commencé la partie avec un écu de six franes dans ma poche, et j'en sors fort riche. »

Le même jour, le matin, Napoléon trouva, un peu en avant d'Avignon, à l'endroit où l'on devoit changer de chevaux, beaucoup de peuple rassemblé qui l'attendoit à son passage, et qui, aux cris de vive le Roi! vivent les alliés! A bas Nicolas! à bas le tyran, le coquin, l'assassin des Français! le mauvais gueux ! Les chevaux se trouvant alors attelés, on les fit partir au grand galop; il fut reçu de la même manière dans tous les endroits qu'il traversa. A Orgon, village, la rage du peuple étoit à son comble; devant l'auberge où il devoit s'arrêter, on avoit élevé une potence, à laquelle étoit suspendu un mannequin, en uniforme français, couvert de sang, avec une inscription placée sur la poitrine et ainsi conçue: Tel sera tôt ou tard le sort du tyran. Le peuple se cramponnoit à la voiture de Napoléon, qui se cachoit derrière le général Bertrand le plus qu'il pouvoit; il étoit pâle et défait, ne disoit pas un mot. Le comte Schuwaloff, à côté de la voiture de Napoléon, harangua cette multitude en ces termes :

« N'avez-vous pas honte d'insulter à un malheureux sans défense? Il est assez humilié par la triste situation où il se trouve, lui qui s'imaginoit donner des lois à l'univers, et qui se voit aujourd'hui à la merci de votre générosité! Abandonnez-le à lui-même ; regardez-le : vous voyez que le mépris est la seule arme que vous devez employer contre cet homme, qui a cessé d'être dangereux. Il seroit au-dessous de la nation française d'en prendre une autre ven→ geance! » A un quart de lieue en-deçà d'Orgon, Napoléon se déguisa, et mit une mauvaise redingote bleue, un chapeau rond avec une cocarde blanche, et monta un cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier. Arrivé à Saint-Canat, sa voiture est entourée de furieux qui cherchoient à ouvrir les portières : elles étoient heureusement bien fermées, ce qui sauva le général Bertrand. Les femmes principalement avoient juré sa perte. A une demi-lieue de Saint-Canat, Napoléon entra dans une mauvaise · auberge, appelée la Calade, accompagné d'un seul courrier; sa suite, depuis le général jusqu'au marmiton, étoit parée de cocardes blanches. Son valet-de-chambre vint au-devant des commissaires et les pria de faire passer Napoléon pour le colonel Campbell, parce qu'en arrivant il s'étoit annoncé pour tel à

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