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l'hôtesse, qui avoit dit à Napoléon : Avez-vous rencontré l'empereur? Non, avoit-il répondu. Je suis curieuse, continua-t-elle, de voir s'il pourra se sauver ; je crois toujours que le peuple va le massacrer: aussi faut-il convenir qu'il l'a bien mérité, ce coquin-là! on le noiera, n'est-ce pas? Je l'espère bien! répliqua Napoléon. On se mit à table, mais comme ce n'étoit pas sés cuisiniers qui avoient préparé le dîner, il ne pouvoit se résoudre à prendre aucune nourriture, dans la crainte d'être empoisonné. Son dîner fut composé d'un peu de pain et d'un flacon de vin, qu'il fit retirer de sa voiture. Il vouloit sortir de l'auberge par l'une des croisées sur le derrière de la maison, mais il y avoit des grilles de fer, Il s'étoit rassemblé dans cette auberge beaucoup de personnes : la plupart étoient venues d'Aix; un individu, qui parüt un homme de marque, s'offrit de faire main+ tenir l'ordre et la tranquillité à Aix, si les commissaires le chargeoient d'une lettre pour le maire de cette ville, ce qui fut accepté. Néan→ moins rien ne pouvoit rassurer Napoléon; par une prévoyance exagérée, il prit encore de nouveaux moyens pour n'être pas reconnu ; par ses instances, il contraignit l'aide de camp du général Schuwaloff de se vêtir de la re→ dingote bleue et du chapeau rond avec lesquels il étoit arrivé dans l'auberge, afin sans doute

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qu'en cas de nécessité, l'aide de camp fût insulté, ou même assassiné, à sa place. Napoléon voulut se faire passer pour un colonel autrichien, mit l'uniforme du général Koller, se décora de l'ordre de Sainte-Thérèse, que portoit le général, mit sa casquette de voyage sur sa tête, et se couvrit du manteau du général Schuwaloff. Après que les commissaires des puissances alliées l'eurent ainsi équipé, les voitures avancèrent, mais avant de descendre, on fit une répétition dans la chambre de l'ordre dans lequel l'on devoit marcher. Le général Drouot onvroit le cortège; venoit ensuite le soi-disant empereur, l'aide de camp du général Schuwaloff, ensuite le général Koller, Napoléon, le général Schuwaloff et le comte de Waldbourg - Ttruchsess. Napoléon monta dans la calèche du général autrichien, et il commanda au cocher de fumer, afin que cette familiarité pût dissimuler sa présence. 11 pria même le général Koller de chanter, et comme celui-ci répondit qu'il ne savoit pas chanter, Napoléon lui dit de siffler. C'est ainsi qu'il poursuivit sa route, caché dans un des coins de la calèche, faisant semblant de dormir. En pleine campagne, il recommença à causer avec le général du nouveau plan qu'il avoit formé : c'étoit de déposséder le roi de Naples (Murat), de repiacer la véritable dynastie sur

le trône, de faire du roi de Sardaigne le roi d'Italie, et d'aller s'établir lui-même dans l'île de Sardaigne; puis tout à coup : Non, dit-il, je renonce maintenant tout-à-fait au monde politique, et ne m'intéresse plus à tout ce qui peut arriver. Il ajouta que si on lui offroit la couronne de l'Europe, il la refuseroit. Je n'ai jamais estimé les hommes, dit-il," et je les ai toujours traités comme ils le méritent; mais cependant, les procédés des Français envers moi sont d'une si grande ingratitude, que je suis entièrement dégoûté de l'ambition de vouloir gouverner. A Saint-Maximin, il entendit dire que le sous-préfet d'Aix étoit dans cet endroit ; il le fit appeler et l'apostropha en ces termes : « Vous devez rougir de me voir en uniforme autrichien, j'ai dû le prendre pour me mettre à l'abri des insultes des Provençaux. Je ne trouve ici que des tas d'enragés qui menacent ma vie. C'est une méchante race que les Provençaux. Ils ont commis toutes sortes d'horreurs et de crimes dans la révolution, et sont tout prêts à recommencer; mais quand il s'agit de se battre avec courage, alors ce sont des lâches jamais la Provence ne m'a fourni un seul régiment, etc., etc. »; et il congédia le souspréfet. Il dit aux commissaires que Louis XVIII ne feroit jamais rien de la nation française, s'il la traitoit avec trop de ménagement: Puis,

continua-t-il, il faut nécessairement qu'il lève des impôts considérables, et ces mesures lui attireront aussitôt la haine de ses sujets. Les commissaires apprirent qu'il y avoit au Luc deux escadrons de hussards autrichiens, et d'après la demande de Napoléon, ils envoyèrent l'ordre au commandant d'y attendre l'arrivée des commissaires pour escorter Napoléon jusqu'à Fréjus. Cette précaution le tranquillisa; mais malgré cela, il garda toujours le plus strict incognito. Il fut surtout très-content de ce que le général Koller consentit à passer pour lui dans une conversation que ce général eut avec un officier corse au service de France, Il lui fit plusieurs questions, que Napoléon lui souffloit dans l'oreille; et l'officier fut persuadé que c'étoit à l'empereur lui-même qu'il parloit. Après dîner, les commissaires arrivèrent dans la maison de M. Charles, campagne située près de Luc; la princesse Pauline Borghèse, sœur de Napoléon, y séjournoit depuis quelque temps. Elle frissonna au récit des dangers que son frère avoit courus dans son voyage. Elle résolut de l'accompagner à l'île d'Elbe, et de ne plus l'abandonner. Elle partit le soir pour Muy, afin de n'avoir le jour suivant que deux lieues à faire pour se rendre à Fréjus. Dès que Napoléon se vit entouré de troupes, il reprit

quelque courage, remit son uniforme et se replaça dans sa voiture. Plusieurs personnes de sa suite l'avoient quitté au Luc; l'une de ces personnes trouva bon de s'approprier la cassette du maître-d'hôtel de Napoléon, qui étoit chargé des dépenses du voyage, et auquel il restoit à peu près soixante mille francs. Napoléon arriva à Fréjus le 27, il y trouva le colonel Campbell, qui étoit arrivé de Marseille avec la frégate anglaise the Undounted (l'Indomptée.)

Ce bâtiment étoit commandé par le capitaine Asher, et étoit destiné à escorter Napoléon, pour garantir son vaisseau de toute espèce d'attaque; selon le traité, Napoléon devoit être conduit dans une corvette; et il fut très-mécontent de ne trouver que le brick l'Inconstant, qui devoit recevoir son souverain détrôné et lui rester en toute propriété.

Après mille indécisions, Napoléon s'embarqua sur une frégate anglaise, il dit : « Si le gouvernement eût su ce qu'il se doit à lui-même, il m'auroit envoyé un bâtiment à trois ponts, et non pas un vieux brick pouri, à bord duquel il seroit au-dessous de ma dignité de monter, » Le capitaine français, scandalisé du peu de cas que Napoléon faisoit de son bâtiment, repartit sur-le-champ pour Toulon. Napoléon n'invita

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