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à dîner que les commissaires, le comte Claanm et le capitaine du vaisseau anglais Asher. Il reprit alors toute la dignité impériale ; il parla avec franchise des plans d'agrandissement qu'il avoit encore pour la France et aux dépends de la nation anglaise; et dit : « Si j'avois employé les moyens dont je me suis servi sur le continent, contre l'Angleterre, je l'aurois renversée en deux ans de temps; c'était-là mon unique but. Dans la position où je me trouve maintenant, je puis bien parler de tout cela, puisqu'il m'est impossible de rien exécuter. » II s'exprimoit avec tant de passion et de vivacité en parlant de ses flottes de Toulon, de Brest et d'Anvers, de son armée de Hambourg et des mortiers qui se trouvoient à Hyères, avec lesquels il pouvoit jeter des bombes à trois mille l'on eût cru que tout cela lui apparpas, que

tenoit encore.

Après le dîner, il prit congé des commissaires; il les remercia des soins qu'il lui avoient donnés pendant son voyage, et parla ensuite avec beaucoup de mépris du gouvernement français. Il se plaignit de ce qu'on ne lui avoit laissé qu'un seul service en argent, que six douzaines de chemises, et qu'on lui avoit retenu le reste de son linge et de son argenterie, ainsi qu'une quantité de meubles et de choses qu'il avoit acquises de son propre argent, et de ce

qu'on ne vouloit pas reconnoître son droit exclusif sur le régent, qu'il avoit retiré de Berlin avec ses propres fonds, moyennant quatre millions. Ce diamant avoit été en effet mis en gage pour quatre cent mille écus, chez les juifs de Berlin, par le gouvernement françois ( le directoire). Il pria le général Koller de porter sa plainte à l'empereur d'Autriche et à celui de Russie, espérant qu'avec l'aide de ces princes, justice lui seroit rendue.

Le même soir les commissaires écrivirent encore deux fois au gouverneur françois de F'île d'Elbe, pour obtenir de lui qu'il se rendît aux ordres qu'on lui envoyoit, et pour qu'il livrât la place sans difficulté à Napoléon. Il partit le 28, à neuf heures du soir, après avoir encore demandé à parler au général Schuwaloff et au comte de Waldbourg-Truchsess; comme le général avoit déjà pris les devants pour se rendre au port un des premiers, Napoléon ne prit congé que du dernier. Le général Schuwaloff se rendit à bord de la frégate, comme Napoléon y étoit déjà; Napoléon le chargea de présenter ses hommages à l'empereur Alexandre. Les hussards autrichiens l'accompagnèrent jusqu'au port Saint-Raphans, le même où il avoit abordé, quatorze ans auparavant, à son retour d'Egypte. Il fut reçu avec les honneurs militaires, et vingt-quatre coups de canon fu

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rent tirés (les coups de canon ne furent pas tirés pour Napoleon, mais douze en l'honneur du feld-maréchal-lieutenant baron Koller, et douze pour le général Schuwaloff); on laissa Napoléon dans son erreur, afin qu'il ne fit pas de nouvelles difficultés pour s'embarquer, s'il connoissoit l'intention du capitaine Asher de le recevoir comme simple particulier et non comme empereur. Deux heures après, la frégate cingla; le général Koller, le colonel Campbell, le comte Clamm et l'aide-de-camp du général Koller accompagnèrent Napoléon jusqu'à l'île d'Elbe. Sa suite se composoit des généraux Bertrand et Drouot; le major polonais Ferzmanofsky; deux fourriers du palais; un officier-payeur, M. Peyruche; un médecin M. Foureau; deux secrétaires; un maître. d'hôtel; un valet-de-chambre; deux cuisiniers et six domestiques.

Le général Koller et le colonel Campbell, avoient la mission d'accompagner Napoléon jusqu'à l'île d'Elbe; les vents contraires, les orages et les calmes dont ils furent surpris, les empêchèrent d'arriver avant le cinquième jour. Le 3 mai, lorsqu'on aperçut l'île, le général Drouot, le comte Clamm et le lieutenant Smith, furent envoyés en parlementaires; le premier, en qualité de commissaire de l'empereur Napo-* léon; et les deux autres étoient chargés de

l'ordre du gouvernement français, et d'un cers tificat signé par les commissaires des puissances alliées, pour inviter le général Dalesme, gouverneur d'Elbe, de remettre le commandement, la possession de l'île, de tous ses forts et munitions de guerre au général Drouot.

Les députés trouvèrent les Elbois dans une anarchie complète ; à Porto-Ferrajo flottoit le drapeau blanc; à Porto-Longone, l'étendart aux trois couleurs; le reste de l'île vouloit proclamer son indépendance. Lorsque la nouvelle de l'arrivée de Napoléon se répandit, avec celle des trésors qu'il apportoit, tous les partis se réunirent, pour venir au-devant de leur nouveau maître.

< Le général Drouot reçut du gouverneur les clefs de la ville, le fort, tout ce qu'il contenoit d'artillerie, et trois cent vingt-cinq canons qui en faisoient partie.

Après que le drapeau impérial fut posé sur les tours de Porto-Ferrajo, le comte Clamm, et le lieutenant Smith, retournèrent à bord de l'Indompté, pour apprendre à l'empereur Napoléon l'issue de leur mission. Lorsque Napoléon mit pied à terre, la municipalité et les corps de l'état vinrent le recevoir et le haranguer. Napoléon répondit : « La douceur *de votre climat, les sites romantiques de votre île, m'ont décidé à la choisir, entre tous mes

vastes états, pour mon séjour; j'espère que vous saurez apprécier cette préférence, et que vous m'aimerez comme des enfans soumis ; aussi me trouverez-vous toujours disposé à avoir pour vous toute la sollicitude d'un père. »

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Trois violons et deux basses, qui avoient accompagné la députation, surprirent leur souverain de leurs sons harmonieux. On le conduisit sous un dais orné de papier doré et et de vieux morceaux d'écarlate, dans le lieu de sa résidence. C'étoit à l'hôtel-de-ville qu'il devoit loger. Il trouva son appartement si misérablement meublé, qu'il prit des arrangemens avec le général Koller sur les moyens de faire venir de Lucques et Piombino le mobilier de sa sœur Eliza. Aussitôt son arrivée, Napoléon visita les fortifications, et assura d'un air de contentement, que moyennant les améliorations qu'il méditoit, il pourroit se défendre contre toute espèce de tentative de la part des habitans du continent. Le général Koller resta dix jours à l'île d'Elbe et gagna de plus en plus sa confiance; il n'entreprenoit absolument rien sans le consulter. Napoléon lui confia un jour que, dans l'espace de vingtquatre heures, il auroit à ses ordres plus de trois à quatre mille hommes, parce qu'il avoit fait une proclamation à la garnison française,

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