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Edmond Richer. Difputes fur l'étendue & les bornes de l'autorité du pape.

I.

EDMOND Richer naquit le 30 Septembre 1560. (9) à
Chource, petite ville du diocèse de Langres, dans le comté
de Champagne. Ses parens qui étoient pauvres ne pouvant
le faire étudier, lui laifferent la liberté d'aller à Paris à l'âge
de dix-huit ans, pour y chercher les moyens de fatisfaire
l'inclination qu'il avoit pour l'étude. Il fe procura le nécef-
faire de la vie en rendant quelques fervices dans un collége,
& employa tout le refte de fon temps à étudier les langues.
Il s'y appliqua avec tant de zèle & de fuccès, qu'en moins
de trois ans il fut en état de faire fon cours de philofophie.
Deux ans après il fut reçu maître-ès-arts. Il paffa enfuite
dans les écoles de théologie, où l'on ne tarda pas à con-
noître fon mérite. Un docteur nommé Etienne Roze, cha-
pelain de S. Yves, le retira chez lui, & lui fournic tout ce
qui lui étoit néceffaire. Richer trouvoit tanc de goût à étu-
dier, qu'il y paffoit les jours & les nuits, ne prenant que
deux heures de fommeil. Il fut choifi quelque temps après
pour profeffer dans l'université, & il fut ravi que Dieu lui
procurât cette occafion, pour ceffer d'être à charge à fon
bienfaiteur. Après avoir enfeigné les humanités pendant
deux ans,
il profeffa la rhétorique avec beaucoup d'éclat &
de distinction. Il enfeigna la philofophie avec les mêmes
applaudiffemens, & fongea enfuite à finir fa licence. La
faculté fe trouvoit alors dans le plus triste état, à cause de
la ligue qui défoloit tout le royaume & fur-tout la capitale.
La Sorbonne privée de fes meilleurs fujets, avoit donné

I

(9) [ C'est ainsi que le dit M. Baillet: M. Du Pin prétend que ce fut le 1 Octobre 1559. Nous aurons occasion de revenir sur cela, lorsque nous ferons à l'époque de la mort. ]

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1

depuis quelques mois (au commencement de 1589.) cet énorme decret, par lequel elle avoit eu l'infolence de déclarer tous les fujets du roi dégagés du ferment de fidélité, & les avoit excités à prendre les armes contre lui, fous prétexte de conferver la religion. Ce decret avoit été publié dans toutes les églifes de Paris & dans plufieurs provinces, par les prédicateurs mendians & par la plupart des curés même. On refusoit déja tout communément l'absolution & la communion, & même la fépulture eccléfiaftique, à quiconque ne promettoit pas de fe révolter contre le roi Henri III. Enfin il n'y avoit pas quinze jours que ce prince avoit été la victime de la fureur des ligueurs, lorfque Richer se fit infcrire pour le doctorat. Ainfi fe trouvant envelopé dans les malheurs de la théologie du temps, il conferva les préjugés où il avoit été élevé, fans que Dieu permît qu'il trou vât quelque perfonne éclairée qui lui ouvrît les ieux. La nature des études qui lui étoient prescrites, lui ôtoit la connoiffance des faints peres & des conciles, qui auroient pû produire en lui d'heureux effets. On ne l'appliquoit qu'à la fcholastique, & on lui infpiroit le plus profond refpect furLour pour Bellarmin. On lui faifoit envifager comme un cinquieme évangile, pour nous fervir de fes expreffions, les traités que ce Jésuite, depuis cardinal, avoit publiés touchant l'autorité abfolue du fouverain pontife.

Il fallut foutenir des thèses conformes à la doctrine de les maîtres; & il s'en acquitta avec tout le zèle d'un jeune ligueur, difpofé à jurer fur les écrits des Efpagnols & des Italiens, & infecté des maximes du docteur Boucher, curé de S. Benoît, le plus féditieux des ligueurs, qui dans la fuite fut un de fes plus implacables ennemis. Il fe laiffa donc emporter au torrent qui ravageoit alors toute la Sorbonne; & le mauvais exemple l'engagea, comme plufieurs autres, à louer le parricide de Jacques Clément, comme une action héroïque, qui devoit procurer la liberté de l'état & de l'églife de France. Mais Dieu ne voulut pas qu'il demeurât long-temps dans fon aveuglement. Perfonne ne put l'em pêcher de faire connoître dans fes dernieres thèfes, combien

il étoit oppofé à ceux qui parloient de faire venir l'infante d'Efpagne en France, pour la mettre fur le trône au préjudice du roi de Navarre. Il fit valoir dans la difpute le droit de la couronne, avec une liberté qui fembloit devoir lui être funefte. Il fit voir combien il eft avantageux à un état, d'avoir des rois par fucceffion héréditaire plutôt que par élection; & de quelle importance il eft pour la monarchie, que les femmes foient exclues du gouvernement. La crainte d'être refusé au doctorat, l'empêcha alors d'aller plus loin; mais auffi-tôt qu'il eut reçu le bonnet, il fe porta ouvertement pour Henri IV. & travailla puiflamment dans la faculté à ramener les efprits, & à les faire rentrer peu-à-peu dans leur devoir. Il fe fervoit utilement du crédit que lui donnoient les charges & les emplois par où on le faifoit paffer dans l'université & dans la maison de Sorbonne ; en forte qu'il fe rendit bientôt redoutable aux ligueurs, & à ceux qui cherchoient à profiter des défordres publics &.du relâchement de la difcipline.

II.

tions. Son zèle

le bien de l'U

Il porta le même efprit dans la prédication de la parole de Dieu, à laquelle il s'appliqua très-férieufement depuis Ses prédica qu'il fut docteur. Il évitoit dans cette augufte fonction les pour le roi.Ses deux extrémités de la badinerie & de l'emportement, où travaux pour tomboient la plupart des prédicateurs de fon temps. Son niverfité. grand talent étoit de déveloper les principes & les myfteres de la religion. Plufieurs envieux tâcherent de le faire paffer pour un prédicateur fans onction. Mais le fruit que produifirent fes difcours, juftifia affez fa méthode. Il eut le courage d'infifter fouvent fur la foumiffion & la fidélité que les François devoient à Henri IV. leur roi légitime. De concert avec les docteurs les mieux intentionnés pour la paix de l'Eglife & le repos du royaume, il engagea toute l'Univerfité à reconnoître ce prince. Il ne travailla pas avec moins de fuccès auprès des religieux qui font du corps de l'univerfité, & même parmi les autres ordres, fi l'on en excepte les Jéfuites & les Capucins, qui oferent déclarer folemnellement, qu'ils attendoient ce que leur preferiroit la cour de Rome. Ses travaux pour le bien de l'univerfité, ne

III.

Il rétablit le dinalle Moine.

collège du car

l'empêcherent pas de donner fes foins au rétablissement du college du Cardinal le Moine, dont il avoit été nommé grand-maître & principal. De tous les colléges c'étoit celui que la guerre avoit le plus défolé. Sa fituation à l'entrée de la ville, avoit donné lieu aux foldats de s'y loger, & d'y introduire toute forte de défordres, dont le moindre fembloit être l'interruption des exercices & la défertion des écoliers. Les bourfiers vivoient dans un déréglement, qui ne différoit guères de la vie oifive des foldats en quartier d'hiver.

II.

pro

Richer comprit l'obligation que lui impofoit fa qualité de grand-maître. Il voulut faire revivre la régle; mais il trouva des obstacles de la part des bourfiers, qui le regarderent comme un réformateur importun. Ils fe prétendirent exempts de fa jurisdiction, & s'oppoferent juridiquement à tout ce qu'il pourroit entreprendre à leur préjudice. L'affaire fut portée au parlement, qui accorda à Richer les vifions fuffifantes pour rétablir la bonne difcipline dans le collége, en attendant que le fond du procès fût jugé. Les bourfiers le décrierent dans des libelles diffamatoires, & oferent attaquer fa réputation dans des vers fatyriques. Mais le parlement réprima leur infolence, & permit au grandmaître de chaffer les fujets rebelles & vicieux. Richer en s'appliquant au bien fpirituel de la maison, ne négligeoit pas le temporel, qui avoit été diffipé pendant les guerres civiles. Il fit défricher la cour, rétablir l'églife & les autres édifices, & revenir la plus grande partie des biens, qui avoient été aliénés par la négligence de fes prédécesseurs. Il fit enfuite ouvrir les claffes, & fuivit en tout point les pieuses intentions du cardinal fondateur. Ses foins s'étendoient auffi fur les dehors du collége & même fur tout le quartier, par l'inclination qu'il avoit à faire du bien à tout le monde. Il détruifit près de S. Nicolas du Chardonnet, un égoût qui infectoit les environs. Il vint à bout de le détourner dans la Seine par de grands travaux: ce qui rendit

depuis le quartier fort fain & mieux peuplé qu'auparavant. Les chanoines de S. Victor, le prévôt de Paris & les échevins lui rendirent des témoignages publics de leur reconnoiffance. Il remédia auffi aux inondations fréquentes de la Seine qui regorgeoit fous terre tous les hivers dans le grand jardin de fon collége & dans ceux des Bernardins. Pour les en garantir, il fit élever des chauffées & des terraffes jufqu'au quai de la porte S. Bernard. Afin d'être en état de fournir à tant de dépenfes, il ménageoit avec une œconomie admirable les fonds qu'il avoit fait rentrer, & les revenus de fon emploi de grand-maître. C'eft ce qui fit remarquer en lui un défintéressement, une générosité, une grandeur d'ame, que l'on trouve rarement dans ceux à qui ni la naiffance ni l'éducation n'ont pu inspirer ces nobles sentimens.

Après le rétabliffement du collége & de fes exercices, Richer confidérant tous les devoirs d'un Principal, fe crut obligé de travailler en particulier pour les profeffeurs & les écoliers. Il chercha les moyens de faciliter aux premiers la véritable méthode d'enseigner, & aux autres la maniere d'étudier folidement. Il ne fit pas difficulté de partager fon temps pour cet effet entre la théologie & les humanités, quoique la théologie depuis plufieurs années femblât faire fon unique étude. Il étoit perfuadé qu'il n'y a rien que de noble dans l'art de former l'efprit de l'homme; & tout ce qui rentroit dans l'ordre des devoirs de fon état, lui paroiffoit important. Il compofa fon livre de l'Analogie, qui renferme les moyens de parler d'une maniere pure & correcte, d'enrichir les langues meres, & de trouver les véritables caufes de l'éloquence. Dans celui qui a pour titre, De Grammatica obftetrici, il emploie le raifonnement & l'analyfe, pour lier les principes avec les régles les plus faciles de la grammaire. Mais de tous les ouvrages que Richer compola pour les maîtres & les étudians, aucun ne parut avec plus d'éclat, que celui qui eft intitulé, Obstetrix animorum. Son deffein étoit d'y découvrir la véritable maniere d'enfeigner, d'étudier, de juger, de raisonner, de composer. Tome X.

Y

IV. tion à former Son applica l'efprit & le nes gens.

cœur des jeu

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