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au pape, gouvernés par le nonce, & dépendans des évê-
ques, qui pouvoient les approuver ou les interdire. Richer
fe détermina pour lors à appeller comme d'abus de la cen-
fure des évêques de la province de Sens. Il motiva fon appel,
& le mit à la chancellerie pour être fcellé. Le chancelier
défendit expreffément qu'on le reçût, quoique les maîtres
des requêtes reconnuffent qu'il étoit très-jufte, & que les
loix du royaume l'autorifaffent pleinement. Le fyndic voyant
ce déni de justice, préfenta fon acte d'appel au parlement;
il obtint un arrêt de foit montré au procureur général, qui
donna les conclufions les plus favorables à Richer, quoi-
qu'il fût gendre du chancelier. On vit alors le changement
qui s'étoit fait dans le premier préfident, malgré toutes fes
belles proteftations. Il déclara au parlement que la reine
lui avoit expreffément défendu de laisser intervenir arrêt
fur la requête de Richer. Il fit porter auffi-tôt toutes les
piéces à la reine, qui les remit au nonce. On fut furpris &
affligé de voir un chef du parlement, contribuer à opprimer
les loix dont il étoit état le défenfeur. Richer l'alla trou-
par
ver, & lui fit fentir toutes les fuites de cette foibleffe. Mais
le magistrat lui allégua le malheur des temps, les intrigues
du nonce, & la volonté abfolue de la reine. Richer fentit
alors quelle perte la France avoit faite par la retraite d'A-
chilles de Harlai.

Filefac & Duval voyant que la cabale ne feroit point affez forte pour le premier de Mai, renvoyerent l'affaire au premier de Juin, & employerent ce délai à faire venir de toutes les provinces plufieurs docteurs aux dépens du clergé. Afin d'avoir différens genres d'accufation contre Richer, ses ennemis firent courir le bruit qu'il avoit des liaisons avec les ambassadeurs d'Angleterre & de Hollande. Richer fut plus touché de cette calomnie que de toutes les autres auxquelles on avoit eu recours pour le noircir. Il ne fit pas. difficulté de repouffer cette nouvelle impofture par les fermens les plus facrés. L'unique fondement de cette calomnie, étoit que le roi d'Angleterre Jacques I. ayant lû le livre de Richer, l'avoit jugé propre à éteindre le schifme, & à ra

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XXXII.

de la province d'Aix cenfurent le livre de Richer. Moyens employés pour

cela. Oppofi tion du parle.

ment de Provence.

mener dans le fein de l'Eglife les princes qui en étoient fortis. Il est encore vrai que ce prince qui étoit en commerce de lettres avec le cardinal du Perron, le rompit dès qu'il eut appris que ce cardinal avoit condamné le livre de Richer. Il déclara qu'il ne vouloit point avoir de liaison avec un homme qui agiffoit contre fes fentimens, & qui faifoit profcrire par pure politique un livre, qu'il favoit dans fa confcience être appuyé fur des fondemens inébranlables. Le cardinal fut très-fenfible au mépris qu'il fentit qu'avoit pour lui le roi d'Angleterre. Il écrivit à ce prince une lettre pleine de calomnies contre Richer, & fit ufage de tout fon efprit pour faire croire que ce docteur étoit coupable de toute forte d'excès.

XI.

Nous avons dit plus haut que le nonce avoit engagé Les évêques l'archevêque d'Aix d'aller dans fa province procéder à une condamnation pure & fimple du livre de Richer. Comme le prélat étoit accablé de dettes, on prit une fomme sur le tréfor du clergé, & on le mit en état de faire le voyage, & de racommoder un peu fes affaires. Dès qu'il fut arrivé à Aix, il affembla fes trois fuffragans, & leur propofa une cenfure toute dreffée, qu'ils fignerent le 24 Mai. Ils fe garderent bien de faire ufage de la célebre clause, qui mettoit à couvert les droits du roi & de la couronne, & les libertés de l'Eglife Gallicane, La cenfure fut publiée aux prônes des paroiffes des quatre diocèles de la province d'Aix. L'archevêque voulant montrer fon entier & parfait dévouement à la cour de Rome, fit publier en même temps la fameufe bulle in Caná Domini. Cette démarche quadroit fort bien avec la condamnation du livre de Richer. La principale cause de la haine du clergé contre ce docteur venoit de ce qu'il s'enfuivoit évidemment des principes de fon livre, que les eccléfiaftiques étoient fujets naturels des princes féculiers, de même que les laïcs. Au contraire dans Îa bulle in Cand Domini, les eccléfiaftiques font déclarés exempts de la jurisdiction temporelle de leur roi légitime,

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& ne font foumis qu'au pape, comme monarque abfolu de l'Eglife. Les prélats s'applaudiffoient entre eux de la hardieffe de leur entreprise, lorfque le premier préfident du parlement de Provence, Guillaume du Vair, s'oppofa fortement à la publication de la cenfure & de la bulle, & députa en cour un confeiller nommé de Peiresc, pour fe plaindre au nom de tout le parlement des entreprises de l'archevêque d'Aix. Ce confeiller étoit recommandable par fa science & fes autres rares qualités. Il rendit vifite à Richer, eut avec lui de longues & favantes conférences, & devint fon intime ami. Richer appella comme d'abus de la censure d'Aix, & fit fignifier cet appel à l'archevêque à fon retour à Paris.

XXXIII.

Nouvelic cabale pour

dépofer Ri

cher. Généro

Cependant on voyoit chaque jour arriver des docteurs des provinces les plus éloignées, pour fortifier le parti de Duval & de Filefac. Il s'en trouva foixante-dix à l'aflemblée du premier Juin. On propofa d'élire un nouveau fyndic, & fité de 24 docde remercier Edmond Richer des fervices qu'il avoit ren- teurs. dus. Le curé de S. Benoît, doyen de la faculté, nommé Roguenant, rejetta la propofition, & dit qu'on devoit au contraire fupplier Richer de toujours continuer les fonctions. Richer forma enfuite fon oppofition à ce qui avoit été propofé contre lui. Le nonce & les Jéfuites avoient gagné quarante-quatre docteurs, & les vingt-quatre (s) autres avoient été fermes à refufer d'entrer dans la faction. La générofité du doyen engagea Duval à faire venir de Meaux & d'Orléans deux docteurs plus anciens que Roguenant. Richer voyant que malgré fon oppofition & celle des vingtcinq docteurs qui le défendoient, fes ennemis vouloient le dépofer, fit venir deux notaires dans l'affemblée, protesta contre tout ce que l'on feroit à fon préjudice, & récufa la plûpart des quarante-quatre docteurs qui étoient contre lui, en alléguant les causes de cette récufation. Quelques jours après, le chancelier chargea les gens du roi d'appaifer l'émotion de Sorbonne, & d'ordonner à Richer de ne point

(s) [M. Baillet dit quarante-cinq & vingt-cinq, qui en effet forment enfemble les foixante & dix: M. Racine même va dire les vingt-cing. ]

XXXIV.

doyen des doc

patentes pour

tation de ce fyndic.

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poursuivre fon appel comme d'abus. Le premier préfident manda auffi-tôt le doyen avec cinq autres docteurs, & leur ordonna de ne point inquiéter Richer, parceque le roi alloit terminer l'affaire. Quelques jours après, ce magistrat dit à Richer, que fon innocence appuyée du crédit de fes amis, ne lui ferviroit de rien; qu'on ne pouvoit plus empêcher l'injuftice de triompher; que la reine & les miniftres étoient fans ceffe obfédés par le nonce & les évêques, & que l'ambaffadeur de France à Rome mandoit que le pape lui avoit refusé audience jusqu'à ce qu'on eût fait un autre fyndic.

On tiroit toujours l'affaire en longueur pour porter RiCourage du cher à quitter volontairement. On lui fit parler par tous teurs. Lettres- ceux qu'on croyoit propres à l'y déterminer. Mais quand la dépofer Ri- cour fut qu'il étoit inébranlable, on tenta par toute forte cher. Protef de moyens de gagner le doyen Roguenant. Ce nouvel expédient n'ayant pas réuffi, le chancelier fit venir de Meaux Oronce Finé, le plus ancien de tous les docteurs. Il lui fit mille careffes & les promeffes les plus magnifiques pour le féduire. Finé quoiqu'accablé de vieilleffe, eut affez de force pour ne pas fuccomber. Il dit au chancelier que rien ne pouvoit le porter à donner atteinte aux libertés de l'Eglife Gallicane, à l'ancienne doctrine de l'Univerfité & à l'autorité du roi. (Qu'il étoit honteux pour un chancelier, qui étoit en même temps miniftre, de s'attirer une réponse si humiliante) Alors le chancelier fit expédier des lettres patentes du roi pour obliger l'affemblée du premier de Septembre de procéder à l'élection d'un nouveau fyndic. Elles furent fignifiées en pleine affemblée en présence de Richer, qui produifit fur le champ une proteftation en bonne forme contre tout ce qu'on alloit faire contre lui. Il perfifta dans fon appel comme d'abus de la cenfure de fon livre, & demanda acte de tout ce qui s'étoit paffé à fon fujet, pour faire connoître à la postérité qu'il étoit dépofé injustement, à la pourfuite du nonce & par les follicitations des Jéfuites & de leurs confidens. On procéda enfuite à l'exécution des lettrespatentes du roi, & le docteur Filefac fut nommé fyndic.

On

On arrêta qu'à l'avenir la charge de fyndic ne feroit poflédée que pendant deux ans, & qu'on remercieroit Richer des fervices qu'il avoit rendus pendant les quatre années & demie qu'il avoit eu le fyndicat. Les ennemis de ce docteur ne furent point encore fatisfaits, & fe flatterent de lui faire perdre fa place de grand-maître du collège du Cardinal-le-Moine; mais le chancelier leur fit dire de ne plus inquiéter Richer, qui avoit des amis & des défer.feurs à la cour. L'un des principaux étoit le comte de Soiffons, prince du fang, qui fe plaignit hautement qu'on eût mis dans les lettres-patentes, que le roi avoit pris l'avis des princes du fang, ce qui étoit une faufleté infigne. Il en fit de vifs reproches au chancelier; & le prince de Condé garda encore moins de ménagemens avec ce miniftre, qui rejetta tout fur le nonce. Pour le malheur de la France, le comte de Soiffons mourut peu de jours après, regretté de ceux qui aimoient le bien de l'état & la tranquillité du royaume.

XII.

Les partisans de la cour de Rome peu contens de tout ce qu'ils avoient entrepris contre la perfonne de Richer, crurent devoir s'efforcer de détruire la doctrine. Il fe tint fur ce fujet un confeil fecret de plufieurs prélats chez le cardinal du Perron. On y prit la résolution d'anéantir ce que les Ultramontains appelloient le Richérifme, & même de ruiner la Sorbonne & toutes les facultés de théologie, fi c'étoit le feul moyen d'en venir à bout. On convint de ne point épargner les deniers du clergé dans une pareille occafion, & d'élever à des prélatures ceux des docteurs qui favoriferoient une fi belle entreprise. On conclut auffi dans ce même conseil fecret d'exclure des bénéfices, & même des fonctions eccléfiaftiques, ceux qui feroient du fentiment de Richer fur la puiffance eccléfiaftique & politique. Un de ceux qui avoient affifté à ce confeil, découvrit à Richer toutes les délibérations qui y avoient été formées. On les connut auffi par le zèle indifcret de Duval, qui fembloit Tome X.

Cc

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